Benjamin Fiorini, directeur de l’IEJ de Paris 8 : « Certains étudiants sont dans l’autocensure par rapport à la profession de magistrat »
Dirigé depuis peu par Benjamin Fiorini, l’Institut d’Études Judiciaires de l’Université Paris 8 vient d’ouvrir une préparation au premier concours de l’ENM, dans le sillon du succès de la préparation CRFPA. Il explique que cette démarche est aussi bénéfique aux étudiants de Saint-Denis qu’à la juridiction. Entretien.
Actu-Juridique : Pouvez-vous nous rappeler dans quel contexte s’inscrit le lancement de la préparation au premier concours de l’ENM ?
Benjamin Fiorini : L’Institut d’études judiciaires de Paris 8 a été créé assez récemment, en 2021. Ma prédécesseure Catherine Puigelier avait créé une préparation, mais seulement pour le CRFPA. C’était déjà une grande nouveauté à Paris 8, car auparavant nous n’avions pas du tout d’Institut d’études judiciaires. L’Institut a très bien fonctionné, nous avons eu le plaisir d’accueillir de nombreux étudiants qui sont aujourd’hui élèves-avocats et pour certains en voie de devenir avocats prochainement. Fort de ce succès, nous avons réfléchi à ouvrir une nouvelle préparation, cette fois-ci pour le premier concours de l’ENM que passent les étudiants après obtention de leur master. Nous avons établi un partenariat avec le tribunal judiciaire de Bobigny, par le truchement du président du tribunal, Peimane Ghaleh-Marzban, du procureur Éric Mathais et de Youssef Badr, magistrat. Ce qui est inédit, c’est qu’au terme de ce partenariat, nous avons convenu qu’une partie importante des cours serait dispensée par des magistrats du tribunal. La démarche est intéressante à plusieurs d’égards : d’abord, cela permet de créer un lien local puisque nous sommes à quelques encablures du tribunal, et surtout, cela rend possible aux étudiants d’avoir un contact avec des praticiens, ce qu’ils n’ont pas toujours nécessairement, surtout dans notre université où nos étudiants ont peu de parents avocats ou magistrats. Cela leur permet d’avoir des facilités pour obtenir des stages, et surtout, c’est un élément très important pour le concours de l’ENM, d’avoir des retours de terrain, des retours de praticiens pour leur expliquer comment fonctionne la cuisine interne du concours et bénéficier de quelques astuces – on le sait, parfois l’échec à un concours provient du fait de ne pas avoir toutes les informations sur les attentes précises.
AJ : Quand sera la rentrée effective de cette préparation ?
Benjamin Fiorini : L’ouverture de la formation se fera en janvier. Le lancement est donc imminent. Le cursus durera jusqu’à mi-mai (une semaine avant le premier concours). Pour le moment, nous n’avons pas fixé de nombre de places, mais a priori, pour rester sur des effectifs assez resserrés, pour favoriser un bon encadrement, nous limitons le nombre de places à une trentaine. Nous restons un IEJ modeste et familial, mais qui ambitionne de prendre soin de chaque étudiant.
AJ : D’ailleurs les cours sont 100 % en ligne. Pourquoi ?
Benjamin Fiorini : En effet, la grosse particularité de notre IEJ est de proposer la totalité des cours en distanciel. Pourquoi ? Parce que nos étudiants sont nombreux à avoir des jobs alimentaires pour financer leurs études à côté. Avoir des cours en visio, qui par ailleurs sont enregistrés, leur permet donc de suivre les cours, à des moments qui leur conviennent.
AJ : Est-ce une façon de s’adapter à leurs conditions socio-économiques ?
Benjamin Fiorini : Oui. D’ailleurs, j’avais mené une enquête de satisfaction auprès des étudiants de l’année dernière, alors en préparation CRFPA, et effectivement, cet argument revenait beaucoup : ils étaient très satisfaits qu’on leur offre cette possibilité. Mais j’y tiens, en qualité de directeur, il faut également des moments où l’on se voit. En présentiel, à côté des cours classiques dispensés, j’organise donc des événements thématiques, des conférences. Nous allons bientôt lancer des journées droits et cinéma, à l’issue desquelles des praticiens, parfois les réalisateurs ou des personnes du monde du cinéma, se joindront à nous pour des moments d’échanges. S’ils sont satisfaits que les cours se donnent en visio, les étudiants n’en sont pas moins demandeurs de moments, entre eux, de rencontre et de solidarité, des moments qui facilitent l’entraide et qui nous aident aussi, nous corps enseignant, à mieux cerner leurs problématiques et d’y répondre.
AJ : Cette préparation permet-elle de lutter contre un éventuel phénomène d’autocensure ?
Benjamin Fiorini : Il y a deux paramètres : d’abord, une demande qui vient des étudiants eux-mêmes, dont je rencontre certains dès la 2e année en droit pénal et qui expriment ce souhait de devenir magistrat. Auparavant, quand ils venaient me voir à la fin du cours, je leur disais qu’il y avait des préparations dans d’autres universités. Or Paris 8 a des côtés très attachants et ils seront contents d’y rester désormais pour leur préparation. Certains étudiants sont aussi dans l’autocensure par rapport à cette profession de magistrat qu’ils écartent d’emblée en considérant que ce n’est pas pour eux. L’existence de cet IEJ – via cette préparation – leur permet de prendre conscience que c’est accessible. Cela leur permettra aussi de fréquenter davantage le milieu judiciaire, qui deviendra par conséquent moins lointain, moins abstrait.
AJ : Quelle a été la réaction du tribunal ?
Benjamin Fiorini : Au tribunal judiciaire de Bobigny, nos interlocuteurs ont été enthousiastes ! Cela leur tient à cœur d’avoir une implication sur le territoire. Les partenariats entre la faculté de Saint-Denis et le tribunal se développent peu à peu, nous avons de plus en plus de liens qui nous resserrent. Par exemple, je suis intervenu récemment lors de la Nuit du droit du TJ de Bobigny. Mais il y a encore tant à construire : nous réfléchissons à d’autres choses, comme un « moot court », un procès fictif qu’on pourrait organiser à destination des étudiants et ouvert au public et qui pourrait avoir lieu dans une salle d’audience du tribunal.
AJ : Quelle plus-value apporteront les cours dispensés par des magistrats ?
Benjamin Fiorini : Au niveau des cours, environ 25-30 % d’entre eux – cours de, procédure pénale ou droit civile etc. – seront donnés par des magistrats. Ce qu’on peut attendre de cet enseignement, ce sont des choses très concrètes : par exemple, quand on réfléchit à l’opportunité des poursuites, les étudiants savent que le procureur va soit poursuivre l’infraction, soit plutôt orienter sur des mesures alternatives aux poursuites. Mais en cours, par manque de temps ou de données, on ne leur apprend pas forcément quelles sont les politiques des parquets. Et le meilleur chemin pour mieux le comprendre est de s’adresser aux praticiens eux-mêmes. D’où l’intérêt de ces interventions.
AJ : La magistrature attire-t-elle donc toujours ?
Benjamin Fiorini : L’attractivité demeure mais il y a un questionnement sur la réalité du métier. C’est pour cette raison que je trouve aussi très important que les étudiants soient au contact avec des personnes qui ont « les mains dans le cambouis », si j’ose dire. Pour que ces étudiants, s’ils décident de poursuivre leur formation, puissent le faire en connaissance de cause, conscient des difficultés auxquelles ils pourront être confrontés. Dans cette veine, ce que je fais aussi tous les ans, c’est d’emmener mes étudiants voir des audiences au tribunal de Bobigny, pour qu’ils puissent observer la manière dont la justice se rend, avec ses qualités et ses défauts, souvent liés au manque de moyens chroniques. Cette première approche permet à certains étudiants de se prononcer : certains se détournent de ces fonctions en estimant que ce n’est pas pour eux, chez d’autres, cela renforce le souhait de redresser la barre et de s’investir pour une meilleure justice.
AJ : Sur quels points les enseignants magistrats permettront-ils aux étudiants de mettre toutes les chances de leur côté pour réussir leur concours ?
Benjamin Fiorini : Les étudiants sont souvent confrontés à une difficulté : quand on leur demande de faire un cas pratique, il y a autant de méthodes de cas pratiques que d’enseignants ! Or il se trouve que, tant à l’ENM que pour le CRFPA, il y a une méthode spécifique à assimiler. Le fait de pouvoir en discuter avec personnes qui ont passé le concours, qui se sont posés les mêmes questions, cela leur donnera un vrai plus quand ils passeront le concours. La maîtrise de la bonne méthode passe pour une partie substantielle de la note. Donc la préparation leur permettra d’arriver aux concours mieux outillés et de mettre le plus de chances de réussir de leur côté.
Référence : AJU016q2
