Calcul des préjudices patrimoniaux : « l’avocat doit parfois faire preuve d’imagination »

Dans la continuité des Entretiens du dommage corporel, la Gazette du Palais et Lextenso organisent pour la première fois, le 2 avril 2025, des ateliers pratiques dédiés aux « Techniques de chiffrage et pratique contentieuse du dommage corporel » et destinés prioritairement aux avocats généralistes traitant des dossiers de dommage corporel. Lucile Priou-Alibert et Anaïs Renelier, avocates spécialisées en droit du dommage corporel et membres de l’Association nationale des avocats de victimes du dommage corporel (ANADAVI), y aborderont les principales difficultés liées à la procédure et au chiffrage des indemnités. Explications.
Actu-Juridique : Quels sont les principaux obstacles que rencontrent les avocats non spécialistes lorsqu’ils doivent coordonner les demandes indemnitaires entre la procédure pénale, la Commission d’indemnisation des victimes d’infractions (CIVI) et le Service d’aide au recouvrement des victimes d’infractions (SARVI) ?
Lucile Priou-Alibert et Anaïs Renelier : La difficulté première réside dans la temporalité des demandes indemnitaires au regard de l’avancement de la procédure pénale : doit-elle nécessairement être terminée ou est-il possible de saisir la CIVI avant ? Quelles sont les précautions à prendre lorsqu’une procédure d’enquête ou d’instruction s’éternise pour préserver les droits des victimes ? L’avocat ne doit donc ni se précipiter, ni trop tarder, et identifier les délais qui lui sont impartis pour agir.
Une autre difficulté réside dans l’identification du régleur de l’indemnisation. Est-ce nécessairement le Fonds de garantie (par le biais d’une procédure engagée devant la CIVI ou la saisine du SARVI) ou un assureur peut-il être sollicité pour une indemnisation partielle ou intégrale ? Dans ce cas, l’avocat doit orchestrer l’engagement d’une procédure devant la CIVI avec la poursuite éventuelle de la procédure pénale sur intérêts civils ainsi que l’éventuelle intervention volontaire du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions (FGTI) à celle-ci.
Une autre difficulté peut également être liée à l’agencement des demandes formées devant le juge pénal et devant la CIVI, notamment, de la demande d’expertise afin que cette dernière soit contradictoire au FGTI.
AJ : Pourquoi l’évaluation des préjudices patrimoniaux, comme les pertes de gains professionnels ou l’indemnisation de la tierce personne, est-elle particulièrement complexe pour un avocat généraliste ?
Lucile Priou-Alibert et Anaïs Renelier : Les principes et méthodes de calcul des préjudices patrimoniaux sont principalement fixés par la jurisprudence. Il convient donc d’être vigilants sur les évolutions au fil du temps, évolutions qui sont aussi impulsées par les avocats en fonction de leurs demandes. Par exemple, il est de jurisprudence constante que les préjudices patrimoniaux doivent être évalués au jour du jugement, permettant ainsi une réévaluation des sommes afin de tenir compte de l’érosion monétaire intervenue entre la date de l’engagement de la dépense et la date effective d’indemnisation. Or l’une des erreurs habituelles d’un avocat découvrant la matière est d’oublier de réévaluer les demandes au jour du jugement, ce qui peut parfois constituer une perte indemnitaire conséquente. Mais surtout, en application du principe de la réparation intégrale, les méthodes de calcul appliquées pour évaluer les préjudices subis doivent nécessairement tenir compte des particularités individuelles et situationnelles de la victime.
L’avocat devra donc parfois faire preuve d’imagination pour choisir la manière la plus pertinente de calculer les préjudices patrimoniaux dont il est sollicité l’indemnisation. L’indemnisation implique de remettre la personne dans la situation qui aurait dû être la sienne en l’absence du fait traumatique, ce qui nécessite de s’adapter à la spécificité de chaque préjudice professionnel. De fait, s’agissant des préjudices professionnels, les pertes de gains subies par un salarié ou un travailleur indépendant ne se calculeront pas de la même manière et n’exigeront pas les mêmes pièces justificatives. La première difficulté est donc d’identifier les pièces nécessaires au chiffrage du préjudice : si les avis d’imposition peuvent éventuellement suffire pour un travailleur salarié ou un fonctionnaire, ils devront être, à tout le moins, complétés par les bilans comptables de la société pour le second. Il convient également de ne pas omettre d’identifier les revenus de remplacement et de solliciter, à cet effet, les créances des tiers payeurs.
La seconde difficulté est liée au choix de la méthodologie de calcul, spécifique pour chaque travailleur afin de ne pas omettre un élément du préjudice (par exemple, outre les pertes de salaires stricto sensu, pertes de primes ou de 13e mois, pertes de commission, perte de congés payés, perte de promotion ou encore, pour les travailleurs indépendants : calcul non limité à la seule perte de bénéfice).
S’agissant de la tierce personne, il est souvent pensé que l’indemnisation réclamée doit obligatoirement être justifiée par des factures acquittées. Or il s’agit ici d’indemniser un besoin déterminé sur le plan médico-légal. Il est fréquent qu’aucune somme n’ait été versée par le blessé, faute de provisions suffisantes ou parce que ce sont ses proches qui ont rempli le rôle d’aide humaine. D’autres pièces que des factures peuvent parfaitement être produites pour justifier du taux horaire demandé et contrer des offres indemnitaires minimalistes.
AJ : À partir de quel stade la capitalisation des indemnités a-t-elle un intérêt ?
Lucile Priou-Alibert et Anaïs Renelier : Il est de pratique courante pour un avocat non aguerri à la matière de procéder à la capitalisation des préjudices à compter de la date de consolidation, césure temporelle dans la nomenclature Dintilhac entre les préjudices dits « temporaires » et les préjudices dits « futurs » … Ces dénominations peuvent être trompeuses. En effet, il faut bien comprendre ce qu’est la capitalisation des préjudices patrimoniaux pour déterminer la date à laquelle elle doit être calculée. Une capitalisation des indemnités ne doit intervenir que pour l’avenir, c’est-à-dire à compter de la liquidation effective des préjudices qui intervient au jour du prononcé de la décision. Il convient donc de calculer les arrérages échus jusqu’au jour effectif de la liquidation.
Une autre question est celle du choix entre la rente et le capital, essentiellement dépendant de la nature du poste et de la situation de la victime (âge, mesures de protection…).
Référence : AJU017e1
