Catherine Mathieu : « Je veux être une présidente accessible, avec qui on puisse échanger concrètement »
Après avoir présidé le tribunal judiciaire de Meaux (77) pendant près de quatre ans, Catherine Mathieu vient de prendre ses fonctions de présidente dans la juridiction de Créteil. Retour dans le Val-de-Marne pour cette magistrate qui y a auparavant exercé en tant que directrice territoriale des services de la protection judiciaire de la jeunesse et dont tout le parcours montre un intérêt prononcé pour l’enfance et la famille. Rencontre.
Actu-Juridique : Vous avez fait votre rentrée en tant que présidente du tribunal judiciaire de Créteil début septembre. Comment s’est déroulée la passation avec votre prédécesseur Erik Bienko Vel Bienek ?
Catherine Mathieu : Très bien. J’exerçais auparavant les fonctions de présidente de la juridiction de Meaux, rattachée à la même cour d’appel que celle de Créteil. J’ai par conséquent été amenée à voir très régulièrement Erik Bienko Vel Bienek, avec qui j’ai tissé des liens étroits et amicaux. Au cours de l’été, nous avons évidemment pris le temps de nous rencontrer à plusieurs reprises pour qu’il puisse m’expliquer le fonctionnement et les enjeux de la juridiction de son point de vue, comme j’ai pu le faire en parallèle avec mon successeur à Meaux, Paul Huber.
AJ : La juridiction de Créteil est deux fois plus importante que celle de Meaux, que vous présidiez jusqu’ici. Qu’est-ce que ça va changer pour vous ?
Catherine Mathieu : Comme la juridiction est plus grande à Créteil, j’ai le grand bonheur de pouvoir m’appuyer sur une équipe de hiérarchie intermédiaire, de premiers vice-présidents très expérimentés et investis dans leurs fonctions, qui eux-mêmes peuvent s’appuyer sur des magistrats extrêmement compétents.
À Meaux, la hiérarchie intermédiaire est beaucoup plus restreinte et accueille principalement des magistrats en sortie d’école, qui sont aussi très compétents mais qu’il est justifié d’accompagner dans leurs premiers pas. La juridiction de Créteil en accueille aussi – et on s’en réjouit, parce que c’est une grande richesse – mais ici, ces jeunes magistrats sont intégrés à des équipes avec des collègues plus expérimentés et disposant d’une hauteur de vue.
AJ : Dans le hall attenant à votre bureau sont exposés les portraits de vos prédécesseurs à la tête du tribunal judiciaire de Créteil : ce sont tous des hommes ! Est-ce important pour vous d’être la première femme présidente ici ?
Catherine Mathieu : C’est très important. Aujourd’hui, le corps des magistrats est majoritairement féminin, puisque les promotions d’auditeurs de justice sont désormais féminines aux trois quarts. On pourrait croire que le problème de l’égalité hommes/femmes est donc réglé, mais pas du tout ! On n’est pas à la parité au niveau des postes à haute responsabilité et il y a un enjeu sur ces postes dans les grosses juridictions comme Paris, Bobigny, Créteil, Lyon, Marseille, Bordeaux… Là, le taux de féminisation est beaucoup moins important que le taux global. C’est important de nommer des femmes à des postes qui n’ont jamais été occupés par des femmes. Et de ce point de vue, je me réjouis d’avoir été la première femme présidente à Meaux et d’être aujourd’hui la première femme présidente à Créteil – pas pour moi-même, mais pour les magistrates. C’est significatif et il faut rendre crédit au Conseil supérieur de la magistrature, que je sais attentif à l’égalité hommes/femmes.
AJ : Comment envisagez-vous votre fonction de présidente du TJ de Créteil ?
Catherine Mathieu : Je veux être une présidente accessible, avec qui on puisse échanger concrètement dans le respect des attributions de chacun – je reste évidemment garante de l’indépendance de la justice dans le Val-de-Marne et des magistrats qui travaillent ici. Je sais que je vais avoir besoin de plusieurs semaines voire mois pour travailler avec chacune des personnes de la juridiction et prendre connaissance de l’ensemble des enjeux. Ma préoccupation, ce sera de fixer des caps et d’y travailler avec les services concernés et les partenaires de justice.
AJ : L’un des enjeux de la juridiction, ce sont les travaux de désamiantage entamés en 2021. Sont-ils terminés ?
Catherine Mathieu : Pas encore mais ils ont bien avancé. Les travaux ont commencé par le 16e étage tout en haut et en sont maintenant aux étages 7 à 9. On aura un nouveau déménagement en décembre et les travaux doivent se poursuivre jusqu’à l’automne 2025. Il faut souligner qu’on profite du désamiantage pour rénover les bureaux en même temps. Dans ma visite, j’ai pu apprécier à quel point ces travaux de réfection des sols, murs et plafonds changent fondamentalement les conditions de travail des magistrats et des fonctionnaires qui y travaillent. Il y a une nette différence entre le haut et le bas du bâtiment. Investir dans l’immobilier fait partie des enjeux de la juridiction pour l’adapter au dynamisme du département qui gagne en population. Or actuellement, notre activité est contrainte par des problématiques matérielles : nous manquons de salle d’audiences, en particulier pour accueillir des audiences d’assises, de cour criminelle départementale, des audiences correctionnelles avec un nombre important de prévenus détenus, ce qui nous oblige à des jeux de bonneteau sur l’audiencement des affaires. On ne peut pas concevoir que le jugement d’une affaire soit repoussé, parce qu’on n’a pas la salle qui correspond ! C’est pourquoi, il faut nécessairement avoir une vision à moyen et long terme sur l’immobilier de cette juridiction et continuer à investir pour que la justice de demain ne soit pas embolisée par des problèmes immobiliers comme on a pu l’être par des problèmes humains. Les deux marches vont ensemble : un investissement dans l’humain qui sera évidemment une priorité mais doit aller de pair avec un investissement dans l’immobilier.
AJ : En tant que présidente du TJ à Meaux, vous êtes parvenue à raccourcir les durées de jugement et réduire le stock d’affaires. Est-ce que c’est un objectif ici aussi ?
Catherine Mathieu : Le travail remarquable de mon prédécesseur sur ce point laisse la juridiction de Créteil dans une situation beaucoup plus favorable que celle qu’il avait trouvée à son arrivée. Pour autant, il reste évidemment des stocks, auxquels je vais m’atteler en lien avec le procureur de la République, tout en étant sensible à l’équilibre entre le jugement dans des délais raisonnables – les plus courts possibles – et la durée des audiences, puisque tant pour les professionnels de la justice que les justiciables eux-mêmes, des audiences trop tardives ne sont pas satisfaisantes. Et il ne suffit pas de réduire le nombre d’affaires, il faut aussi veiller à l’exécution des décisions : la chaîne pénale est une chaîne et il faut agir sur tous ses maillons pour qu’une décision puisse être effective. La situation me paraît globalement satisfaisante mais je serai très attentive aux contentieux qui concernent des personnes en situation de fragilité et au contentieux des affaires familiales, qui survient toujours à des moments douloureux de la vie familiale et une situation qui n’est pas traitée assez rapidement peut dégénérer en violences. Je pense aussi au pôle social qui s’adresse à des personnes particulièrement fragiles et dépendantes d’aides sociales, et bien sûr au tribunal pour enfants.
AJ : Vous arrivez en poste tout juste au moment où les Jeux olympiques et paralympiques se terminent. Ont-ils engendré des stocks ?
Catherine Mathieu : L’activité a été soutenue cet été mais elle n’était pas strictement liée aux Jeux dans la juridiction de Créteil, ni dans aucune des autres juridictions concernées d’ailleurs. Pour la chaîne correctionnelle, ça n’a pas généré de stocks particuliers.
AJ : À Meaux, vous aviez mis en place un service de prise en charge pour les mineurs victimes de prostitution. Est-ce un dispositif que vous aimeriez transposer ici ?
Catherine Mathieu : Avant de transposer quoique ce soit, nous allons faire un état des lieux. Mais c’est vrai que cela fait partie de mes premiers points d’attention et j’ai déjà échangé sur le sujet avec mes collègues et partenaires, que ce soient les services de police ou le président du conseil départemental. Le Val-de-Marne a beaucoup de points communs avec la Seine-et-Marne et il est fort peu probable que la prostitution soit moins importante ici que dans le département voisin. Quand je l’ai rencontré, le président du conseil départemental a abordé le sujet de lui-même, parce qu’effectivement les jeunes filles confiées à l’Aide sociale à l’enfance sont souvent les premières proies des réseaux de prostitution. Des instances existent autour de la prostitution mais je pense qu’il y a souvent une véritable utilité à monter un dispositif pour spécialiser la prise en charge de ces victimes, justement parce que, souvent, elles ne se vivent pas comme victime. Pourtant, la prostitution des mineurs est une véritable traite d’êtres humains. Une mineure confrontée à la prostitution jeune, parfois très jeune, il va falloir des années pour l’en sortir. C’est un vécu traumatique, sans compter que la prostitution des mineurs fait souvent suite à d’autres traumatismes vécus dans l’enfance.
AJ : Le tribunal judiciaire de Créteil est le premier à avoir expérimenté les procédures pénales numériques (PPN) pour les comparutions immédiates. Allez-vous poursuivre cette numérisation ?
Catherine Mathieu : Tout à fait, en lien avec le procureur de la République. C’est vrai que la numérisation des procédures pénales est un mouvement important pour l’efficacité de la justice. C’est un travail de longue haleine qui demande beaucoup d’investissement de chacun des services et j’ai la chance de pouvoir m’appuyer sur des magistrats engagés comme Monsieur Bottineau, référent de la PPN et qui préside des comparutions immédiates. Le choix particulier de la juridiction de Créteil a été de commencer par le plus difficile, c’est-à-dire les comparutions immédiates, où les délais sont très serrés. Aujourd’hui, il reste à parfaire cette introduction de la PPN en matière de comparutions immédiates et à la généraliser à l’ensemble des procédures. Un des objectifs est de permettre une transmission facilitée vers les services de l’application des peines et les différents acteurs de la chaîne pénale. Le but de la PPN, c’est aussi de réduire le papier, qui est un enjeu et un coût dans les juridictions. Un enjeu, parce qu’il existe des règles très précises d’archivage des dossiers pour qu’on puisse les retrouver 50 ans après. Et en même temps, ces dossiers papiers encombrent nos couloirs, ce qui peut poser des problèmes de sécurité incendie. Aller vers une procédure pénale numérique permet d’éviter d’accumuler des tonnes de papiers et va nous permettre à terme d’être plus efficient, parce qu’on peut supposer que retrouver un dossier numérique sera plus facile que de retrouver un dossier papier qu’il faut parfois aller chercher dans un autre local d’archives s’il a été transféré. D’autant que tout cela représente une charge de travail considérable pour nos greffes, déjà en sous-effectif.
Référence : AJU015n8
