« Ce qu’on n’imaginerait pas retirer à un adulte, on ne l’accorde pas à un mineur ! »

Publié le 08/01/2025
« Ce qu’on n’imaginerait pas retirer à un adulte, on ne l’accorde pas à un mineur ! »
Mary Long/AdobeStock

À l’occasion des Assises des avocats d’enfants qui se sont tenues du 29 au 30 novembre 2024, Actu-Juridique a rencontré deux spécialistes de la défense des enfants. Ces avocats d’enfants, Arnaud de Saint Rémy et Nawel Oumer, sont respectivement responsable du groupe de travail droit des enfants et présidente de la commission égalité, au sein du CNB.Présence systématique des avocats auprès des enfants dans le cadre d’une mesure éducative, bilan de la loi Taquet, prise en compte de la parole de l’enfant, bien des choses ont évolué dans la prise en charge des enfants dans le milieu judiciaire, de quoi dresser un bilan sans compromis par ces deux avocats toujours aussi passionnés par le rôle qui leur incombe. Entretien.

Actu-Juridique : Le CNB souhaite une présence systématique des avocats auprès des enfants dans le cadre d’une mesure éducative. Pourquoi ?

Arnaud de Saint Rémy : Depuis longtemps, le CNB milite pour une véritable reconnaissance du droit pour l’enfant d’être accompagné par un avocat. C’est un droit qui a été consacré au niveau pénal (dans l’ordonnance de 1945, dont les principes ont été repris dans le Code de la justice pénale des mineurs) qui rappelle que l’enfant, à tous les stades d’une procédure pénale, doit être accompagné par un avocat, que ce soit une audition, une garde à vue, un interrogatoire chez le juge d’instruction, une comparution devant procureur de la République, devant le juge pour enfants, devant un tribunal pour enfants, ou devant la cour d’assises spéciale des mineurs. Mais ce principe fondamental n’est pas appliqué dans les procédures civiles, notamment en matière d’assistance éducative. Selon le Code de procédure civile, tout mineur capable de discernement peut faire le choix d’un conseil, et demander au juge que le bâtonnier lui désigne d’office un avocat, dans toutes les procédures qui le concernent. Il peut être informé par ses parents qu’il a le droit d’être assisté. Ainsi, le mineur capable de discernement peut demander à être entendu. La difficulté, c’est que c’est un droit que le mineur doit pouvoir exprimer mais il arrive qu’il ne comprenne pas ce droit, n’ose pas le demander, ne connaisse pas ce droit. Avec la loi Taquet du 7 février 2022, dans les procédures d’assistance éducative, l’entretien du juge avec le mineur est désormais obligatoire, et à l’occasion de ce premier entretien, le juge doit lui dire qu’il a la possibilité d’être accompagné par un avocat. Mais cette information peut ne pas être complètement comprise et l’enfant peut avoir du mal à exercer ce droit.

Nawel Oumer : L’ensemble des avocats d’enfants au CNB revendiquent la possibilité d’être présent auprès des enfants, dans toutes les procédures, dans les limites de ce que permet le Code de procédure civile et le Code de procédure pénale. En assistance éducative, notre présence n’est pas obligatoire, et en droit pénal, où nous sommes globalement très présents, il reste encore quelques interstices, notamment sur les mesures alternatives aux poursuites.

A-J : La loi Taquet vous a déçus ?

A. de. S-R. : La loi dispose que lorsque l’intérêt de l’enfant le nécessite le juge désigne un avocat. Nous sommes trois ans après l’entrée en vigueur de la loi et le bilan n’est pas satisfaisant. Donnez-moi un exemple où il n’est pas dans l’intérêt de l’enfant d’avoir un avocat ? La formulation de la loi est malheureuse. Raison pour laquelle nous plaidons pour l’intervention systématique de l’avocat en assistance éducative, car l’on considère que l’assistance éducative a pour sujet la protection de l’enfance, et pas pour objet l’enfant, qui est un sujet. Ce qu’on n’imaginerait pas retirer à un adulte, on ne l’accorde pas à un mineur ! Et si le juge des enfants est juge chargé de la protection des enfants en danger, l’avocat assure la défense des intérêts des enfants en danger. Dans le cas d’un placement, si l’enfant préfère un placement chez un tiers de confiance, il va pouvoir exprimer au juge, par l’intermédiaire de son avocat, son souhait de ne pas être placé dans une institution. Sans oublier que le débat, parfois avec des mots très techniques, entre adultes (juge des enfants, représentant d’une institution, parents) et l’enfant est nécessairement inégal. Beaucoup d’enfants placés devenus adultes regrettent d’ailleurs de ne pas avoir eu un avocat à l’époque car ils auraient mieux exprimé leur volonté.

N.O. : La loi Taquet a été une occasion manquée. Lorsqu’on discute avec les magistrats, très peu d’administrateurs ad hoc pour les non-discernant sont désignés. Craint-on que la présence de l’avocat modifie l’office du juge ? Certes, c’est un office très spécifique, où l’on construit une solution ensemble (enfants, parents, services impliqués), où l’on trouve les éléments pour adhérer à la mesure choisie par le juge. Ce n’est pas une audience d’arbitrage et mais de débat. Certains pensent que la présence des avocats va tendre les débats.

A-J : Des changements positifs sont-ils à l’œuvre concernant le poids de la parole de l’enfant ? Cela se traduit-il déjà dans l’arène judiciaire ?

A. de. S-R. : Heureusement on prend de plus en plus en compte la parole de l’enfant. Les textes internationaux rappellent qu’on doit prendre en compte cette parole en fonction de son degré de maturité et de son âge. La loi pénale n’a pas fixé un âge à partir duquel il y aurait nécessairement un discernement, même si 13 ans est associé à un discernement simple. La difficulté est qu’à Brest, Lille ou Strasbourg, on ne perçoit pas le discernement du mineur de la même manière. Et il y a un paradoxe : dans le cas d’un enfant victime, on prend en considération sa parole, mais je constate que même si la loi permet un accompagnement, l’enfant n’est jamais assisté par un avocat lors de sa première audition au moment d’un dépôt de plainte.

N.O. :  Il y a encore beaucoup de travail sur la place de l’enfant victime, notamment de violences intrafamiliales – c’était d’ailleurs mon sujet lors des assises. Ce sujet occupe beaucoup de débats publics depuis cinq ans, notamment grâce à Me Too, qui a créé un mouvement de prise de conscience généralisé sur les violences faites aux femmes, et qui s’ouvre aussi aux enfants (procès das l’Église, travail de la Ciivise…). Le comptage des féminicides commence à se faire aussi pour les enfants. Ces dossiers avancent, même si cela va prendre encore du temps. Ils posent également des conséquences prosaïques, par exemple, pour l’accès à un avocat et le bénéfice de l’aide juridictionnelle pour des enfants victimes de leurs parents.

A-J : Mais les choses évoluent de manière positive ?

N.O. : Soit le législateur montre le chemin, soit c’est le judiciaire qui prend le pas et force le législateur. Sur les sujets des enfants victimes de violences, tout le monde se tient la main. Les choses évoluent : j’ai en tête un dossier de viol incestueux en 2019, ce n’est pas si vieux, devant une juridiction pénale. Qu’un père qui commet des actes de cette nature puisse conserver l’autorité parentale, non pas sur l’enfant en question, mais sur les autres enfants de la fratrie, n’a pas alors produit l’effet qui serait attendu aujourd’hui, dans le cadre de la loi Santiago, qui renforce la protection des enfants et réduit les droits des parents violents. Encore beaucoup de parents ont cette défense, qui consiste à dire qu’un parent violent vis-à-vis d’un enfant peut être un bon parent avec ses autres enfants, mais cette défense est de moins en moins audible. La loi offre en tout cas l’uniformisation nécessaire pour qu’il n’y ait plus de discussion sur certains sujets, comme sur l’autorité parentale.

A-J : Lors de ces assises, qu’avez-vous constaté ?

N.O. : Selon la juridiction ou le barreau dans lequel on se trouve (il en existe 164 sur l’ensemble du territoire), les organisations institutionnelles et les situations peuvent varier. Les groupements d’avocats d’enfants, sous forme d’associations attachées au barreau ou de groupements informels, ont commencé à exister il y a une trentaine d’années, mais il existe des disparités territoriales. Tous les barreaux ont une démographie et une statistique différentes, selon le territoire, qu’il s’agisse d’une grande ou une petite ville, des contentieux différents (par exemple, certaines juridictions ont un fort volume concernant la situation des mineurs étrangers non accompagnés), etc. Dans la pratique, on ne va pas jusqu’à des différences de jurisprudence, mais concernant certaines procédures chez les mineurs, on peut observer des pratiques spécifiques des juridictions (envoi des convocations, délai de consultations, organisation des audiences au quotidien…)

A-J :  Quelle est la nature de votre mission ?

A. de. S-R. : La mission est extraordinaire ! L’enfant n’est pas un client comme les autres. Il faut redoubler de vigilance, d’attention. Depuis 2021, un arrêté a d’ailleurs créé la spécialité droit des enfants, une matière transversale (pénale, civil, administratif). Les confrères qui ont obtenu cette spécialisation sont de hauts techniciens. Notre mission recouvre le respect des droits procéduraux, la préparation de l’audience. Notre présence compte : la loi permet au mineur discernant d’avoir accès à son dossier du juge des enfants. Mais qui le fait, à part nous ? On prend le temps d’expliquer ce qu’il préconise, on prépare l’audience pour éviter l’improvisation, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

N.O. :  Nous intervenons pour la saisine du juge, à l’audience, mais aussi sur l’exécution de la décision. Notre présence est très importante après pour éviter que l’enfant ne soit trop « seul », face à un adulte qui a un regard très distancié. Nous restons accessibles.

A-J : Quid du lien de confiance ?

A. de. S-R. : Il y a deux écueils à éviter avec un enfant : ne pas l’écouter, et ne pas le comprendre, en arrivant avec son présupposé et ses idées. Le dialogue doit se faire en toute confiance, parfois en évitant un tutoiement, en se mettant à niveau, pas derrière un bureau mais à sa hauteur, etc. Si au premier contact ça ne matche pas, on recommence et si l’enfant est plus à l’aise avec un avocat du sexe opposé, on peut poser clairement la question. Il faut faire preuve d’une grande ouverture esprit, d’écoute, de compréhension. Et quand ce lien est noué, il est extraordinaire. C’est un lien indéfectible.

N.O. : L’idée est de savoir quelle est sa place. L’enfant n’est certes pas un client comme les autres, mais des relations longues, nous en avons aussi avec d’autres clients. Tout est question de bonne distance et de positionnement juste à avoir. Notre particularité, c’est que nous accompagnons un client – il ne faut pas se départir de sa déontologie – mais qui grandit, qui évolue, qui apprend, dont la conscience de l’environnement s’élargit. Nous devons l’accompagner, en respectant nos principes essentiels : respecter sa parole, respecter ses choix, l’informer, lui donner lecture juridique de toutes les situations juridiques dans lesquelles il se trouve. Contrairement aux idées reçues, les enfants comprennent très bien les choses. Avec un langage adapté, une position adaptée, nous pouvons corriger une certaine asymétrie dans les positionnements. Nous devons être présents, être disponible, sans pour autant forcer mais toujours dans le respect du développement et du cheminement de l’enfant. En revanche, on ne porte pas la responsabilité de tout ce qui lui arrive et de l’issue des procédures. Garder une certaine distance ne veut pas dire en revanche qu’on est insensible, nous devons aussi faire preuve d’une bienveillance et d’un regard un peu particulier.

A-J :  Avez-vous des inquiétudes particulières?

A. de. S-R. :  J’entends depuis quelque temps une petite musique qui nous dit que les mineurs doivent être jugés comme des majeurs, je pense à la proposition de loi sur la délinquance juvénile qui vise à renforcer la réponse pénale : on leur accorde un traitement comme s’ils étaient des adultes mais ils n’ont pas les mêmes armes dans les affaires d’assistance éducative. Ce n’est pas juste.

N.O. : Le Code de justice pénal des mineurs est récent (2021) mais à la faveur des émeutes de l’année dernière, d’un fait divers, le législateur se livre à nouveau à une caricature de la jeunesse, alors que les recommandations du Comité des droits de l’enfant de l’ONU demandent l’application de la Convention internationale des droits de l’enfant, en somme que l’enfant n’est pas un mini-adulte, qu’il est un être à protéger, a un certain nombre de droits, et qu’on ne peut pas attendre le même discernement. Le tout répressif (comparution immédiate, suppression de l’atténuation des peines en raison de la minorité…), c’est du déjà-vu qui ne fonctionne pas ! La peine de prison est la peine la plus prononcée pour les mineurs, alors que le taux de non-récidive est de 80 %. Donnons plutôt des moyens aux éducateurs et aux professionnels. On manque cruellement de magistrats, de greffiers. Ce texte livre une vision simpliste, alors que c‘est un monde de nuances, de subtilités et soumis à une temporalité particulière.

A-J : Et des raisons de se réjouir ?

A. de. S-R. : L’expérimentation de notre présence systématique en assistance éducative, déjà testée dans plusieurs barreaux (Bourges, Nanterre…) est très intéressante, même si on a une difficulté : l’état de la justice des mineurs, avec des juges des enfants embolisés par les affaires, des greffiers sur le point de rupture. À Rouen, où j’exerce, le juge des enfants a fait un burn-out. Ce qui nous a satisfaits, c’est qu’il existe des lignes budgétaires dans le prochain budget, donc l’expérimentation n’est pas enterrée. Je veux aussi rappeler que les maltraitances ont des effets détestables sur le développement intellectuel, physiologique, la santé des enfants. Il ne faut pas considérer les délinquants juvéniles, comme des sauvageons irrécupérables, bien au contraire : les enfants délinquants ont souvent voire toujours, subi une situation de fragilités et de vulnérabilités qui les a conduits à cela. En matière de délinquance juvénile, la primauté à l’éducatif doit rester la priorité de la réponse judiciaire. Il faut leur donner une perspective, ce qui est possible grâce à la présence d’être bienveillants et j’ai la faiblesse de croire que les avocats en font partie.

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