Circulaire sur la réforme de la discipline des avocats : à quoi répond-elle ?

Publié le 14/11/2022

Une circulaire du 9 novembre 2022 vient compléter la réforme de la discipline des avocats applicable aux procédures postérieures au 1er juillet 2022. C’est l’occasion pour Me Patrick Lingibé de rappeler les enjeux de cette réforme et d’en éclairer le contexte. 

Circulaire sur la réforme de la discipline des avocats : à quoi répond-elle ?
Photo : ©AdobeStock/Patricia W

Il convient de rappeler préalablement que la loi 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire a créé un titre V dont le titre parle de lui-même « Renforcer la confiance du public dans l’action des professionnels du droit ». Si ses articles 31 à 41 concernent la déontologie et la discipline des officiers ministériels, en raison de la spécificité et de son indépendance native, la discipline des avocats est traitée par le seul article 42 de la loi, lequel a notamment inséré un article 22-3 dans la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 modifiée portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques. Le décret n° 2022-965 du 30 juin 2022 réformant l’organisation de la profession d’avocat est venu compléter ce dispositif législatif avec un chapitre III, composé des articles 8 à 26 consacrés la discipline lato sensu (pour plus de détails voir notre commentaire Le décret du 30 juin 2022, volet discipline : simple réforme ou changement de paradigme pour la profession d’avocat ?, Gazette du Palais, mardi 26 juillet 2022, n° 25). Pour rappel, les nouvelles dispositions réformant la procédure disciplinaire ne s’appliquent qu’aux seules procédures disciplinaires engagées et aux réclamations reçues postérieurement au 1er juillet 2022. Quoi qu’on en pense, cet article législatif et ces 18 articles réglementaires bouleversent l’organisation disciplinaire de la profession d’avocat et laissent en suspens certaines interrogations suite à ce changement systématique.

La circulaire n° CIV/05/22 en date du  9 novembre 2022 de présentation de la réforme de la discipline des avocats, signée in personam par le garde des Sceaux et publiée le même jour sous le timbre de la Direction des affaires civiles et du sceau (DACS) dans le bulletin officiel du ministère de la Justice, était donc très attendue. Il est indiqué que dans ce même bulletin a également été publiée la circulaire n° CIV/06/22 du 9 novembre 2022 de présentation de la réforme de la déontologie et de la discipline des officiers ministériels. Cette circulaire concernant la procédure disciplinaire des avocats est accompagnée de quatre fiches traitant pour la fiche 1 du traitement des réclamations, pour la fiche 2 de l’enquête déontologique, pour la fiche 3 de la procédure disciplinaire et enfin pour la fiche 4 des sanctions disciplinaires. La fiche 1 comporte deux annexes qui sont des modèles de courrier préconisés au procureur général à destination de l’auteur de la réclamation et du bâtonnier.

Des interrogations toujours sans réponses…

Celles et ceux qui attendaient des clarifications aux interrogations posées par la réforme disciplinaire des avocats seront déçus car la circulaire n’apporte aucun début de réponse sur ce point. Les acteurs de la procédure disciplinaire seront donc frustrés et resteront avec leurs interrogations et les aléas qui en découlent nécessairement. Cela étant, si la circulaire avait répondu aux questions nées de certaines insuffisances rédactionnelles du dispositif législatif et règlementaire, elle aurait ajouté au droit positif et dès lors aurait été contestable et contestée sur le fondement de la jurisprudence posée par le Juge du Palais-Royal dans son arrêt d’assemblée rendu le 29 janvier 1954, Institution Notre-Dame du Kreisker (apparition de la distinction entre la notion de circulaire réglementaire par nature illégale et de circulaire interprétative). Il convient de préciser par ailleurs sur ce point que l’administration n’a aucune obligation de prendre une circulaire pour interpréter l’état du droit existant (CE, 8 déc. 2000, n° 209287, Syndicat Sud-PTT-Pays de Savoie). Faute de précisions ministérielles, les bâtonniers auront tout intérêt à se référer au Guide disciplinaire qui a été établi par la commission discipline de la Conférence des Bâtonniers de France, ce guide étant un véritable outil de travail pour comprendre cette nouvelle procédure disciplinaire complexe à plus d’un titre.

Le ministre de la Justice indique dans sa circulaire que la réforme a été inspirée par les conclusions du rapport de l’inspection générale de la justice sur la discipline des professions du droit et du chiffre qui lui a été remis le 15 décembre 2020. Il convient cependant de préciser que la Profession avait, bien avant ce rapport d’inspection, mené une profonde réflexion sur la réforme de la procédure disciplinaire des avocats. En effet, depuis 2012, plusieurs travaux étaient menés notamment par la conférence des Bâtonniers de France et le Conseil national des barreaux avec des propositions de réforme en vue de donner une place au plaignant et assurer une meilleure transparence. L’assemblée générale du Conseil national des barreaux a adopté les 14 janvier 2022 et 4 février 2022 deux rapports particulièrement pertinents sur la réforme de la discipline des avocats, synthèse des réflexions de l’ensemble de la profession.

La profession d’avocat est la seule à être indépendante de par son statut

L’objectif de cette réforme indique le garde des Sceaux « est de moderniser la procédure disciplinaire des avocats en s’inspirant, sans la copier compte tenu de la spécificité du statut de nos auxiliaires de justice, de la réforme disciplinaire des officiers ministériels. ». Il convient sur ce point de préciser que parmi les professions juridiques réglementées, la profession d’avocat est la seule à être indépendante de par son statut. Elle a une organisation radicalement différente des autres professions juridiques, comme celle des notaires et des huissiers qui sont des officiers publics ministériels relevant à ce titre de l’autorité et du contrôle de l’État. S‘il existe bien une structure au niveau national qui représente officiellement la profession d’avocat auprès des pouvoirs publics, les ordres des avocats ne dépendent pas hiérarchiquement du Conseil national des barreaux.

C’est l’une des raisons qui explique que le président de la Conférence des Bâtonniers de France, réunissant la quasi-totalité des barreaux de Province, et le Bâtonnier de Paris soient membres de droit de l’instance nationale représentative de la profession, cela afin d’assurer une cohérence des actions menées au regard de l’indépendance territoriale des barreaux. Cette indépendance matérielle et morale fait, quoique l’on pense, la force du barreau français. Cette organisation très décentralisée permet en réalité aux bâtonniers et aux ordres d’avocats d’être des vigies des Libertés dans leur espace territorial où qu’ils se trouvent. Ce maillage territorial unique constitue une chaîne de défenseurs assurant la protection des Libertés fondamentales sur l’ensemble du territoire. Les avocats sont grâce à cette organisation très fortement décentralisée et territorialisée des marqueurs de la démocratie puisqu’ils leur permettent d’agir, de manière indépendante et sans entrave ou directive d’où qu’elles viennent, contre toutes décisions qui porteraient atteinte à des droits fondamentaux et libertés fondamentales. L’exemple de la crise sanitaire liée à la Covid 19 et ses multiples variants avec les contraintes imposées en contradiction sur certains points avec nos droits et nos libertés a illustré le rôle majeur joué notamment par les bâtonniers, les ordres les associations, les syndicats et les instances professionnelles nationales d’avocats dans la défense des libertés sur tout le territoire au profit du citoyen. Nombreux à ce titre ont été les Bâtonniers et les Ordres d’avocats à avoir mené des actions en contestation de mesures disproportionnées au regard de la protection des droits et libertés des citoyens. Deux exemples non exhaustifs d’actions menées par deux ordres d’avocats sur deux points différents du territoire national, très éloignés l’un de l’autre, peuvent être cités à ce titre, lesquelles ont conduit les pouvoirs publics à modifier les textes initialement promulgués, montrant ainsi l’efficacité du maillage territorial des ordres des avocats : CE, 7 mai 2020, Ordre des avocats du barreau de la Martinique, n° 440151 avec notre commentaire ; CE, 3 mars 2021, Ordre des avocats du barreau de Montpellier, n° 449764 avec notre commentaire).

Une réforme en six axes

La ministre rappelle dans sa circulaire les six axes majeurs de la réforme disciplinaire opérée par le législateur.

Le premier axe concerne le traitement des réclamations qui est modifié. La nouvelle procédure aménage une véritable procédure de traitement des réclamations en renforçant la place du plaignant auquel est désormais reconnu le droit de saisir directement l’instance disciplinaire.

Le deuxième axe a trait à la nouvelle conciliation ordinale. L’idée ici est d’appeler les modes alternatives de règlements des différends (MARD) à la rescousse. Ainsi, la nouvelle procédure permet au bâtonnier d’organiser une conciliation pour toute réclamation dont la nature le permet. Il dispose de cette possibilité de recourir à cette conciliation dans un délai de trois mois à compter de la réception de la réclamation. C’est l’autorité ordinale qui devra apprécier si les faits sont de nature à ouvrir la voie à une conciliation. Le législateur a donc étendu cette faculté déjà prévue pour le bâtonnier pour les différends d’ordre professionnel entre les membres du barreau.

Le troisième axe concerne le filtrage disciplinaire. Le président du conseil de discipline a un pouvoir de filtrage des saisines lorsque la juridiction disciplinaire est saisie directement par l’auteur de la réclamation. Cela devrait permettre surtout d’éviter que l’instance disciplinaire soit saisie de faits qui ne relèvent nullement de l’action disciplinaire.

Le quatrième axe vise la nature juridictionnelle de l’instance disciplinaire. La circulaire indique que le conseil de discipline devient une véritable juridiction avec la réforme disciplinaire dans la mesure où elle est présidée par un magistrat du siège de la cour d’appel lorsque la poursuite disciplinaire fait suite à une réclamation présentée par un tiersnon-avocat ou lorsque l’avocat mis en cause en fait la demande. Nous rappelons cependant que la Cour de justice de l’Union européenne dans sa décision rendue le 13 janvier 2022 a reconnu le caractère de juridiction au conseil de discipline du barreau de Varsovie dont les membres sont élus par leurs pairs (CJUE, 13 janv. 2022, n° C-55/20, Minister Sprawiedliwosci). Les conseils régionaux de discipline français sont des juridictions au sens de cet arrêt, la réforme n’ayant fait que de donner formellement une onction législative à cette juridiction disciplinaire.

Le cinquième axe traite de la juridiction d’appel échevinée. La réforme disciplinaire introduit un échevinage au stade de l’appel. La juridiction d’appel est désormais composée de cinq membres : trois magistrats du siège de la cour, dont l’un est le président, et deux membres des conseils de l’ordre du ressort de la cour d’appel.

Le sixième axe porte sur l’aménagement de la suspension provisoire. La réforme a opéré à ce niveau une modification de la durée de la suspension provisoire qui est limitée à six mois et peut être renouvelée une fois pour la même durée. Cette suspension est prolongée au-delà de cette limite des douze mois lorsque l’action publique a été engagée contre l’avocat à raison des faits qui fondent la suspension.

Nous reviendrons prochainement sur chacune des thématiques disciplinaires abordées par cette circulaire.

Cependant, au-delà des interrogations qui restent en suspens et ne seront réglées malheureusement que par la Jurisprudence à l’occasion des contentieux qui naîtront de l’application de la nouvelle procédure disciplinaire, nous ne pouvons que regretter que le ministère de la Justice n’ait pas retenu au niveau législatif la proposition faite par la Profession de la création d’une procédure disciplinaire simplifié. S’inspirant de la procédure de la CRPC, il s’agissait d’instituer une sorte de plaider-coupable disciplinaire. Un tel outil procédural aurait ainsi permis de traiter de manière rapide et efficace tous les impairs déontologiques qui relèvent en réalité davantage d’incivilités professionnelles que de fautes disciplinaires caractérisées stricto sensu. Il s’agissait dans cette proposition de permettre aux autorités ordinales de répondre efficacement à des faits qui ne se prêtent à des poursuites au regard de la lourdeur de la procédure disciplinaire à mettre en œuvre. L’objectif poursuivi visait avant tout pour la Profession à l’efficacité et à apporter des réponses claires à des situations de gravité mineure, par respect à l’égard des justiciables.

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