Seine-Saint-Denis (93)

Clarisse Serre : « Les bons avocats ne sont pas tous à Paris » !

Publié le 07/10/2022

On ne présente plus Clarisse Serre. Habituée des plateaux télé et des dossiers médiatiques, conseillère de la série à succès Engrenages, elle fait partie des quelques femmes à s’être imposées dans le monde très masculin du pénal et du grand banditisme. Dans « La lionne du barreau« , qui paraît ces jours-ci aux éditions Sonatine, titre venu du surnom que lui donnent ses confrères, elle raconte sans langue de bois les coulisses de son métier. Un livre sincère et personnel, dans lequel elle n’hésite pas à écrire le doute, le découragement et l’intranquillité qui guettent les pénalistes. Elle dresse également un beau portrait du barreau de la Seine-Saint-Denis, au sein duquel elle exerce depuis 10 ans. Rencontre.

Actu-Juridique : Pourquoi avez-vous eu envie d’écrire ce livre ?

Clarisse Serre : C’est une idée de mon éditeur. Je ne me voyais pas raconter ma vie mais je trouvais intéressant de lever le voile sur les coulisses de ce métier. Je suis parfois conviée à participer à des émissions de télévision ou de radio. Je n’y vais pas pour parler de mes dossiers mais j’accepte volontiers d’aider les auditeurs et les journalistes à décrypter le langage et les enjeux du monde judiciaire. De la même façon les échanges sur les réseaux sociaux témoignent souvent d’une méconnaissance ou d’une incompréhension de la justice : de l’institution, de son fonctionnement et de ses décisions. C’est regrettable, y compris pour nous, avocats, qui sommes des auxiliaires de justice. J’encourage souvent les gens– à commencer par les stagiaires de mon cabinet- à venir assister aux audiences. Ce livre est donc parti de cette simple envie. Je souhaitais montrer que la justice ne se résume pas aux affaires médiatiques ou à quelques ténors parisiens familiers des unes de journaux. Ils sont très bons, mais j’en ai un peu assez de ce parisianisme.

AJ : Votre livre s’ouvre d’ailleurs sur une réhabilitation de Bobigny. Pourquoi ?

C. S. : Mais parce que Bobigny le mérite ! Bobigny est parfois surnommée « Boboche », de manière un peu condescendante. Quand on parle de Bobigny, c’est souvent pour expliquer qu’il pleut au sein du palais de justice ou que les juges sont laxistes – ce qui est d’ailleurs complètement faux ! Je connais bien Bobigny comme beaucoup d’autres juridictions en France où je suis appelée. Alors certes, tout n’est pas parfait au tribunal mais il y règne également un état d’esprit qui n’existe plus à Paris. Paris, c’est une usine, une machine judiciaire où l’on ne voit plus personne. Ici, il y a encore des relations entre greffiers, avocats, magistrats. L’édifice est solide et il tient par l’état d’esprit des fonctionnaires qui y travaillent, tous sont mus par une incroyable volonté de bien faire. J’aimerais que l’on parle de Bobigny autrement qu’en des termes péjoratifs ou sous un angle négatif. Que les journalistes prennent le temps de venir voir ce qui s’y passe. Les bons avocats ne sont pas tous à Paris. Je veux témoigner qu’il existe à Bobigny une défense pénale de qualité, des rapports humains et une proximité qui rendent l’exercice de ce métier supportable et même agréable. C’est un barreau jeune, qui se renouvelle, qui est engagé et impliqué.

AJ : Pourquoi avez-vous franchi le périphérique ?

C. S. Comme tous les pénalistes, je suis rarement à mon cabinet. Je suis Parisienne : je suis née à Paris et j’y ai commencé ma vie professionnelle. À un certain moment, je n’ai plus vu l’intérêt d’avoir des bureaux coûteux dans un bel immeuble haussmannien. Plus fondamentalement je souhaitais faire un pénal différent. J’intervenais alors dans des dossiers relevant de la JIRS (juridiction interrégionale spécialisée) qui s’étale sur plusieurs jours ou semaines parfois. Je voulais faire moins de dossiers « lourds » et davantage de dossiers en comparution immédiate. Cette défense est exigeante : elle nécessite de voir immédiatement les nullités, de savoir travailler dans l’urgence, d’avoir l’esprit de synthèse. Mais contrairement aux dossiers de JIRS, l’affaire que vous plaidez est terminée le soir. Un confrère de Bobigny m’a encouragée à venir. J’ai quitté Paris et je me suis installée. Pour l’anecdote, j’ai finalement renoncé à m’inscrire aux permanences pénales pour ne pas marcher sur les platebandes de mes confrères et je fais peu de comparutions immédiates. Je suis toujours restée cataloguée comme une avocate de dossiers de criminalité, sans doute parce que c’est ce que j’aime profondément. J’attaque donc ma dixième année au barreau de la Seine-Saint-Denis et je n’ai aucun regret. Jamais. Au début, certains stagiaires rechignaient à venir à Bobigny pour des raisons de transport. Mais les choses ont changé et il n’y a aucun problème à présent. Plusieurs jeunes confrères installés à Paris ont d’ailleurs rejoint Bobigny récemment.

AJ : Chose rare dans les livres d’avocat, vous faites la part belle aux moments de découragement et aux échecs…

C. S. Le courage et le découragement sont constitutifs de ce métier. Il ne faut pas manquer de l’un et parvenir à surmonter l’autre. Toujours y croire. Les réseaux sociaux, où on ne parle que des succès pour des raisons commerciales qui n’échappent à personne, ne sont pas le reflet de la réalité. Qui prendrait un avocat qui dirait ouvertement qu’il a pris plus que les réquisitions du parquet ? Pourtant, cela arrive. Nous connaissons tous hélas davantage l’échec que le succès. J’ai eu ma part de découragement moi aussi. En 2008, lors de l’affaire dite de « l’évasion d’Antonio Ferrara« , je défendais l’un de ses complices en première instance. Le parquet avait requis 6 ans, j’en ai pris 8 ! Les heures qui ont suivi ont été parmi les plus difficiles de ma carrière. Lorsque la décision est tombée, à quatre heures du matin, je n’avais pas le recul nécessaire et j’ai pensé que tout était entièrement de ma faute. Le lendemain matin, j’ai été voir mon client pour lui dire qu’il devait immédiatement faire appel et impérativement changer d’avocat. Je pensais qu’il avait besoin d’un nouveau regard sur son histoire. Il m’a répondu simplement : « Si vous ne venez pas avec moi, je n’irai pas ». J’étais piégée, car je ne pouvais pas l’abandonner. Sans ces paroles, je ne plaiderais plus aux assises aujourd’hui. Plus de dix ans plus tard, je suis toujours en contact avec lui. Le lien entre un client et son avocat peut être très fort. Je déteste d’ailleurs le terme de client. Je considère que mes clients sont davantage des patients même si je refuse le tutoiement et je tiens à garder des distances.

AJ : Que s’est-il passé après cette affaire ?

C. S. Cela a été le début d’une réflexion importante. Quand on est pénaliste, on vit avec ce métier 24/24. J’y pense la nuit, j’y pense le week-end, j’y pense en vacances et j’aime ça, même si, l’âge aidant, j’essaye de le masquer ! Après cette affaire, j’ai néanmoins commencé à prendre du recul. Un pénaliste est narcissique, il a besoin d’être réconforté, qu’on lui dise qu’il a bien plaidé. Mais il ne faut pas perdre de vue que c’est aussi un métier d’humilité car la décision ne nous appartient pas. Elle est l’œuvre d’un collectif de magistrats et de jurés réunis en cour d’assises… On peut apporter notre pierre à l’édifice, mais il ne s’agit jamais que d’une pierre.

AJ : Vous expliquez également que vous n’allez presque plus en prison. Pourquoi ?

C. S. J’y vais en effet moins qu’avant et je l’écris sans détour. Plus jeune, comme beaucoup de pénalistes, j’y allais toutes les semaines, et même plusieurs fois par semaine. En prison, il y a le visible et l’invisible. Le visible, ce sont les cafards et les rats, même si des travaux d’amélioration ont été entrepris dans plusieurs établissements. Et il y a l’invisible, plus éprouvant encore. Un centre de détention est un lieu qui concentre toute la violence de l’extérieur. Il ne s’agit pas de dire qu’il faut fermer toutes les prisons mais il faut avoir conscience de ce que c’est. Les surveillants ne sont pas assez nombreux. L’été, il y fait très chaud. C’est une cocotte-minute. Il y a les contrôles de sécurité, les surchaussures qu’il faut mettre, les temps d’attente interminables, les détenus énervés car ils n’ont pas vu leur famille, le bruit permanent. C’est toujours très tendu. À Meaux, on aperçoit les détenus qui tournent entre eux dans une cour bétonnée. C’est en soi tout un symbole. On leur dit de faire des activités mais il n’y en a pas ! À Marseille, les habitants du voisinage de la prison des Beaumettes ne supportent plus d’entendre les détenus s’interpeller en tapant sur les gouttières… Tout cela, je m’y résous de plus en plus difficilement.

AJ : Vous incitez en revanche dans votre livre les magistrats à aller en prison. Pourquoi ?

C. S. Je prends des stagiaires ENM chaque année et je les emmène toujours en prison. Les magistrats, les juges d’instruction peuvent aller visiter les maisons d’arrêts et les centres de détention autant qu’ils le veulent dans l’exercice de leur fonction. Je voudrais savoir combien ont exercé ce droit d’aller en maison d’arrêt sur les six derniers mois ? 5 % ? 10 % ? Est-ce normal ? Certes, les magistrats sont débordés, mais un juge qui convoque un détenu pour l’interroger et le voit arriver très tendu le comprendrait mieux s’il allait en prison. Quand on décide de mettre quelqu’un en détention provisoire, le minimum est de savoir à quoi ressemble cette détention provisoire. D’autant que cette détention est souvent moins provisoire qu’annoncée. Ils doivent savoir de quoi ils parlent, être capable de faire par exemple la différence entre un isolement et un quartier permanent. Très sincèrement, on n’entend jamais un magistrat dire qu’il a été visiter les prisons. Et mes confrères, mes consœurs et moi nous ne les croisons jamais…

AJ : Pourquoi revenir sur Metoo dans votre livre ?

C. S. À cause des excès de l’époque. Comme tous les avocats je peux être amenée un jour défendre une femme violentée et le lendemain un homme détruit par des accusations sans fondement. Je me souviens très bien d’un garçon relaxé après une garde à vue. Il disait qu’il ne s’approcherait plus d’une fille …Je ne supporte plus ces procès publics sans contradictoire. Pour moi, c’est impossible à envisager. C’est revenir à l’époque du bûcher. Il faut rester arc-boutés sur les grands principes que sont la présomption d’innocence et le contradictoire et les rappeler sans cesse ! Certes, la parole des femmes doit être entendue. Elles doivent pouvoir parler en confiance et il faut qu’il y ait davantage de structures pour les recevoir et les entendre. Tout cela est très sain mais ne doit pas nous empêcher de dire par exemple que certaines filles ou certains garçons peuvent avoir eu une aventure d’un soir et le regretter le lendemain matin. Mes confrères disent qu’ils ne peuvent plus tenir de tels propos. Moi qui suis une femme, je le peux. En 2012, j’intervenais dans le procès médiatique des tournantes de Fontenay. Les journalistes présentaient tous les accusés comme des coupables, alors qu’ils n’avaient même pas accès aux débats, car les accusés comparaissaient à huis clos devant une cour d’assises des mineurs. Au final, dix d’entre eux avaient été acquittés et cinq avaient été condamnés à des peines mixtes. J’en garde un souvenir terrible.

AJ : Revenons à votre vie d’avocate. Vous présentez la défense comme une pratique collective. Les avocats ne seraient donc pas aussi individualistes qu’on le dit ?

C. S. La défense collective est pour moi un pur bonheur. Je suis déjà ravie d’exercer ce métier que j’adore, mais si je pouvais être en binôme dans toutes les affaires d’assises ou de correctionnelle, je serais comblée. À deux, lorsqu’on est complémentaire, on est d’une efficacité redoutable. Seul, on a toujours des fragilités. Un bon binôme, c’est une force. Et puis, je préfère toujours partager : les acquittements comme les condamnations !

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