Confinement et immobilier : la « revanche de la province » sur Paris
Alors que le second confinement prend fin mais que les restrictions se poursuivent, Thierry Delesalle, porte-parole de la Chambre des notaires de Paris et président de la commission statistique, nous éclaire sur les impacts de la crise sanitaire sur le marché de l’immobilier. Au cœur de ces bouleversements, des Franciliens qui fuient la capitale, des dynamiques Paris-province qui bougent mais la pierre qui reste une valeur refuge.
Les Petites Affiches : Comment vos activités en tant que notaire ont-elles été impactées par ce second confinement ?
Thierry Delesalle : Ce second confinement n’a rien eu à voir avec le premier, puisque, du côté du gouvernement, tout a été fait afin de nous permettre de continuer nos activités et de travailler. Aucune étude n’a donc été fermée, même si nous avions des instructions pour éviter au maximum la présence de clients. Par exemple, lors des indivisions, seule une personne était reçue. Nous avons utilisé systématiquement les procurations. Mais globalement, les signatures n’ont pas été freinées. En revanche, nous n’avons pas reçu de nouveaux dossiers de promesses de vente, phénomène dû à la suppression des visites pendant le mois de novembre dernier.
LPA : Qu’avez-vous fait pendant le mois de novembre dernier ?
T.D. : Nous avons géré les dossiers qui avaient été ficelés avant la fin octobre. L’impact réel de la baisse du volume de dossiers de vente ne se fera ressentir qu’en février prochain, puisque le temps nécessaire entre la signature d’une promesse de vente et l’acte de vente en lui-même prend plusieurs mois.
Par ailleurs, les mois de novembre et décembre ne sont traditionnellement pas de bons mois pour l’immobilier. L’année immobilière se joue normalement au printemps. D’où le rush que nous avons connu en juin dernier, après le premier confinement, avec un effet de rattrapage : les clients se sont précipités en mai et juin afin de déménager pendant l’été pour être fin prêts en septembre et la rentrée des enfants.
LPA : D’après l’étude que vous avez menée en novembre dernier, la baisse des ventes atteint les 30 %, à Paris ou en banlieue. Comment expliquez-vous cette chute vertigineuse ?
T.D. : Les chiffres sont impressionnants, certes, mais cela dépend des indicateurs que l’on choisit. Regarde-t-on sur le trimestre ousur l’année ? En tout état de cause, il faut surtout s’intéresser au troisième trimestre 2019, qui s’est avéré exceptionnel, à tel point que l’on n’avait pas vu cela depuis 25 ans ! Puisque cette période a explosé les compteurs, le trimestre comparatif en 2020 fait de toute façon pâle figure, évidemment impacté par le fait que les promesses de vente ont été très peu nombreuses pendant le confinement. Ce qui explique très bien cette baisse de 30 %.
Cependant, à Paris, la baisse des ventes est régulière depuis des années. Il existe plusieurs explications : d’abord, le parc de biens mutables baisse continuellement au profit du parc de logement social, depuis l’adoption de la loi SRU. Sur la période, environ 80 000 logements ont été retirés du parc au profit des HLM. Ce qui, sur 1,2 million de résidences principales, a un impact réel sur la fluidité du marché.
Par ailleurs, les prix sont tellement élevés que les taux d’intérêt très bas ne compensent même plus la cherté du bien. Enfin, pas mal de Parisiens veulent quitter la capitale, usés par les attentats, les Gilets jaunes, les grèves et enfin, le confinement. Pour continuer de vivre dans des espaces exigus, il faut vraiment le vouloir ! À Paris, on a tous les inconvénients de la métropole sans les avantages ! La preuve : en cette rentrée 2020, ce sont 3 000 élèves qui n’ont pas fait leur rentrée dans les écoles parisiennes.
LPA : Peut-on parler d’un exil des Parisiens ?
T.D. : Il y a de nombreux Parisiens qui partent de Paris vers la province, ou qui restent en ayant une résidence secondaire. Autre alternative : ils partent en banlieue, là où les logements sont moins chers qu’à Paris, de 20 à 40 %, où ils bénéficient de plus d’espace et peuvent avoir un balcon.
LPA : Cette baisse des ventes à Paris va-t-elle se poursuivre ?
T.D. : Ce phénomène se produit par vagues. On peut également imaginer une vague dans l’autre sens, si d’aventure l’emploi n’était pas à la hauteur en province. Pour le moment, ces Parisiens continuent le télétravail, ou achètent une maison dans le Perche ou dans une région proche de Paris pour 50 000 ou 100 000 €, tout en continuant à venir à Paris 3 ou 4 jours par semaine. La distinction entre résidence principale et secondaire se fait de plus en plus floue.
LPA : Dans cette période incertaine, l’immobilier est-il toujours une valeur refuge ?
T.D. : Énormément de gens ont peur d’une crise financière. Cependant, les conséquences de la crise boursière de 2009 ne se sont fait sentir qu’en 2010-2011. Dans l’immobilier, il n’y a pas de réaction immédiate. Cette crainte actuelle de la crise immobilière pousse les gens à remettre leur épargne dans la pierre, véritable coffre-fort sur le long terme. Certains ont tellement peur que le système financier s’écroule, qu’ils virent les fonds chez leurs notaires, immédiatement après la signature de leur promesse de vente.
LPA : Les achats en région augmentent donc…
T.D. : Oui. En 2021, les conséquences économiques sur le marché immobilier se feront sentir. On enregistre une hausse en province du volume et du prix, car l’immobilier reste une valeur refuge. Les gens bougent et modifient leurs projets de vie en province. En tout, nous avons eu 990 000 transactions cette année contre 1,7 million l’année dernière, et comme il y en a eu moins à Paris (entre 150 000 et 200 000), cela signifie mathématiquement qu’il y en a eu davantage en province. Mais cela démontre également l’appétit des Français pour la pierre.
LPA : Quelles projections faîtes-vous pour 2021 ?
T.D. : La crise économique, si elle frappe en 2021 – et elle risque de frapper fort car l’État ne va pas pouvoir maintenir l’économie à bout de bras – aura un impact sur l’immobilier. Il y aura de la casse. Sans doute avec moins d’acquéreurs, et peut-être un retournement de marché : on commence à le voir en province et dans la petite couronne. Mais il faut voir comment l’État accompagne, précède, suit les territoires, notamment dans les endroits choisis par les Français, et comment il assure les attentes des Français, notamment quant à la fibre, aux gares, aux lignes de TER… Je ne sais pas si l’on peut parler de « revanche de la province », mais oui, le marché est très dynamique.
LPA : Peut-on parler de « gentrification » de la province ?
T.D. : Le prix dans certaines villes, si l’on compare Paris à la province, pouvait aller d’1 à 4, voire à 10 ! Il était temps de voir un rééquilibrage se produire. En effet, cela ne va pas plaire à tout le monde, car pour les habitants qui voient les prix augmenter de 10 % par an pendant 5 ans, l’impact est réel. Certains ne vont plus pouvoir se loger. Mais on peut imaginer que cette vague va durer quelques années, avant de voir ces projets de vie éventuellement modifiés à nouveau si la question de l’emploi et de l’action Cœur de villes ne permet pas le confort de vie imaginé. Dans ces cas, ces Parisiens retourneront vers la région parisienne où se trouvent les écoles, les facultés et ensuite un vaste bassin d’emplois.
LPA : Comment pouvez-vous accompagner vos clients dans ces changements de vie ?
T.D. : Quand nos clients quittent Paris pour Bordeaux, par exemple, ils changent souvent de vie, mais également de métiers. Nous pouvons les aider dans une création de société, à l’instar de ceux qui se lancent dans des chambres d’hôtes. Ils peuvent demander des conseils si tant est qu’ils nous en parlent. Ils peuvent également changer de notaire s’ils partent en province.
Concernant les investissements, nous constatons que les clients ont envie d’investir, avec cette idée du coffre-fort, mais parfois, sans le rendement attendu derrière, puisque les loyers peuvent être très faibles. Pourtant, ils le font sciemment.
Dans les conditions actuelles, les taux sont tellement bas, que tout incite les investisseurs à emprunter la totalité de leur investissement sur dix ans avec un taux à 0,8 %. Cela ne fait que repousser la question d’un éventuel investissement ailleurs : où vont-ils donc placer leur argent ? Ils le font par le biais d’assurances-vie, par exemple.