Val-de-Marne (94)

Dépendance : les notaires s’emparent de la question

Publié le 06/10/2022
Dépendance, maladie
Khunatorn/AdobeStock

Le 15 septembre 2022, les notaires du Grand Paris organisaient une conférence en ligne consacrée au thème de la dépendance, dans le cadre de la Journée mondiale Alzheimer. Pierre Dauptain, notaire dans le Val-de-Marne discutait avec Nathalie Couzigou-Suhas, notaire à Paris, sur la question de savoir comment anticiper et gérer la dépendance future. Le public pouvait alors poser ses questions durant l’heure dédiée à cet échange.

En France, l’âge moyen des personnes dépendantes est de 83 ans. Un chiffre qui ne va cesser d’augmenter, à l’instar de l’espérance de vie, attendue à 86 ans pour les hommes en 2060 et 91 ans pour les femmes.

Bien sûr, la perte d’autonomie sévère ne touche pas que les personnes âgées, ni toute la population. Néanmoins, tous et toutes sommes concernées par cette problématique.

Les notaires, juristes de la famille

Comme l’ont évoqué Pierre Dauptain, auteur de « 65 balais : Réflexions d’un notaire sur les nouveaux sexagénaires » et Nathalie Couzigou-Suhas, autrice de « L’héritage pour les nuls », les notaires sont de plus en plus sollicités sur ces questions. « Les clients se confient à nous en tant que juristes de la famille, explique Pierre Dauptain. On en reçoit les confidences. Des clients ont alors le réflexe de nous interroger sur la perte de facultés des parents, pensant que l’on sera à la manœuvre en cas de mise sous tutelle. Effectivement, nous allons souvent être la courroie de transmission entre un magistrat et la famille. La frontière entre le juge des tutelles et le notaire est très faible. Voilà qui explique que nous soyons aux premières loges pour traiter de ce sujet » !

Le mandat de protection future

Parmi les possibilités liées à la perte d’autonomie, le mandat de protection future, entré dans le droit il y a plus de dix ans, est encore peu connu. « C’est un mandat conclu en désignant une personne qui si un jour on est vulnérable, s’occupera de nos affaires et sa personne. C’est en quelque sorte dans l’air de notre civilisation : l’autodétermination des gens », explique Nathalie Couzigou-Suhas.

Le mandat de protection peut être réalisé sous seing privé, par un acte d’avocat ou par un acte notarié. L’acte rédigé par un notaire peut néanmoins « faire beaucoup plus de choses », insiste la notaire. Conservé, il n’y aura pas de questionnement sur l’état dans lequel se trouvait la personne au moment de la signature. Tarifé, il coûte de 250 à 300 euros, plus les frais d’enregistrement et honoraires de consultation.

« C’est une démarche qui doit venir de la personne concernée elle-même, précise Pierre Dauptain. Ce n’est pas un outil qui doit être mis en place quand un parent décline. On ne signera pas un mandat de protection future par une personne de 85 ans ». Il ne faut donc pas tarder à le faire aujourd’hui, alors qu’on est en pleines possessions de ses moyens. « On peut aussi faire un acte pour désigner un éventuel tuteur ou curateur. Le mandat est un très bel outil qui repose sur l’autonomie de la volonté. À mon sens, cette volonté d’organiser les choses, d’avoir la main, on la retrouvera dans des situations de personnes qui n’ont pas de cercle familial proche, pas d’enfants, ou dans une famille en conflit. Si j’ai confiance en mes enfants, les mesures à prendre ne sont pas forcément un mandat, mais une procuration générale pour la poste, la banque, etc. Ce sont des actes signés en pleine possession et qui survivent en cas de perte de faculté ».

Trouver la bonne personne

La difficulté de cet acte, selon Maître Nathalie Couzigou-Suhas, est de pouvoir trouver la personne de confiance, voire plusieurs personnes de confiance, qui accepte ces futures responsabilités. « C’est un contrat par lequel la personne désignée doit s’engager, et ce n’est pas rémunéré, mais seulement défrayé ».

Lorsque le mandat est mis à exécution il peut toujours être annulé par le juge. Cependant, il n’est pas possible de changer de mandataire en cours : d’où le fait que ça peut être bien de nommer plusieurs personnes. « Notre rôle est de faire prendre conscience des obligations et de devoirs. Surtout dans une famille, quand une mère qui me dit qu’elle n’a confiance que dans un seul de ses enfants. Il faut que ce soit fait en toute transparence pour éviter tout futur conflit ».

Le mandat de protection future permet donc d’anticiper et l’on peut être le plus exhaustif possible, listant des recommandations très pratiques comme ce qu’il adviendra de son animal de compagnie, si l’on préfère rester vivre chez soi, que tel médecin nous suive, etc. Tout peut être exprimé, jusqu’à des conseils de gestions de son patrimoine. « J’ai des personnes qui me disent qu’ils aimeraient qu’un coiffeur à domicile passe toutes les semaines. C’est ça de rester digne. Un mandataire judiciaire ne pourra pas le faire », fait-elle remarquer.

Une alternative à la mise sous tutelle

Contrairement au mandat de protection future, la mise sous tutelle peut être confiée à un tuteur professionnel sous contrôle d’un juge. « Les magistrats préfèrent désigner quelqu’un de la famille mais si en face c’est une famille déchirée, il ne donne pas la faveur à l’un ou l’autre et va chercher un professionnel », complète Maître Pierre Dauptain.

« Dans ce cas, les enfants n’ont pas accès aux comptes, détaille Nathalie Couzigou-Suhas. Malheureusement, le mandataire est dans son droit. Les gens ont du mal à le comprendre. Si c’est un tiers extérieur, les enfants perdent la main sur ce qu’il se passe. C’est parfois à l’opposé des attentes des individus parce qu’ils ont l’impression que le mandataire va tout gérer, comme une super-nounou, mais ce n’est pas son rôle, il n’est pas là pour cocooner la personne vulnérable » !

Le jour où l’on perd ses facultés, le mandat de protection future est mis en action par le tribunal, certificat médical à l’appui et prouvant que les conditions sont remplies pour qu’il devienne actif. Cette procédure est donc beaucoup plus rapide qu’une étude de demande de tutelle.

« Il est nécessaire d’avoir un certificat d’un psychiatre inscrit sur la liste du procureur – sans besoin que ce soit circonstancié. Il faut se rendre au greffe du tribunal judiciaire qui vérifie qu’il y a bien les mesures de protection, les signatures, mais c’est tout. C’est une vérification du greffier. Le mandat est mis à exécution immédiatement ».

Et l’habilitation familiale ?

Face à l’engorgement des tribunaux, qui font face à de moins en moins de moyens, l’idée est donc de songer à des alternatives. La protection future en est une. L’habilitation familiale, une autre. Cette procédure est elle aussi plus légère qu’une mise sous tutelle, dans un contexte « sain et chaleureux », selon Pierre Dauptain.

« La personne habilitée n’a pas de compte à rendre, elle gagne la confiance du magistrat. Pour la famille, la démarche est beaucoup moins lourde. Les termes et l’esprit de la loi sont différents. Pour le mandataire judiciaire, il ou elle doit rendre des comptes tous les ans, une sorte de suspicion pèse sur lui, qui ne pèse pas sur l’habilitation familiale ».

« Les mesures lourdes doivent arriver en dernier si les mesures plus légères ne fonctionnent pas. Sous le Code Napoléon, c’est le patrimoine qui était surtout protégé, aujourd’hui, c’est l’individu qui est protégé », rappelle Nathalie Couzigou-Suhas. « Quand on commence à perdre ses facultés, jusqu’au dernier moment le législateur veut qu’on puisse rester dans son cadre de vie, ajoute Pierre Dauptain. Même si c’est une grande minorité, l’idée est d’éviter que les enfants mettent les parents en maison de retraite pour récupérer leur bien »…

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