116e Congrès des notaires de France : les notaires veulent être au cœur de la vie
Réunie autour du président Jean-Pierre Prohaszka, l’équipe du 116e Congrès des notaires de France — qui devait se tenir du 4 au 6 juin prochains mais qui aura lieu finalement du jeudi 8 au samedi 10 octobre 2020 au Palais des Congrès de Paris —, avait convié la presse le 4 mars dernier. Pendant deux ans, ces notaires ont travaillé sur la vulnérabilité, la protection des proches, le logement. En attendant de présenter leur rapport et de formuler leurs recommandations au gouvernement, ils ont présenté les grandes lignes de leurs travaux.
À neuf heures tapantes, Jean-Pierre Prohaszka a ouvert la présentation du 116e Congrès des notaires de France devant une salle pleine. En tant que président, c’est à lui qu’il revenait de choisir le thème et l’équipe de 15 personnes chargées de cette 116e édition. À ses côtés, sur l’estrade, il avait convié trois représentants : Gilles Bonnet, rapporteur général et notaire à Paris, Michèle Zefel, vice-présidente et notaire à Bordeaux, ainsi qu’Henri Chesnelong, notaire à Toulouse, en charge de la communication. « Chaque personne a été choisie pour sa sensibilité juridique mais aussi humaine », a tenu à souligner Jean-Pierre Prohaszka, rappelant que les membres de l’équipe viennent « de petites et grandes études, de la ville et de la campagne, de toute la France ».
Avec ce congrès, les notaires entendent rappeler que « la dimension humaine » est au cœur de leur métier. « Notre vie, c’est d’être en relation avec nos concitoyens », a rappelé le président du 116e Congrès.
Jean-Pierre Prohaszka a d’abord pris le temps de rappeler la raison d’être d’un tel congrès. Son objectif est double : il s’agit, dans un premier temps, de faire un « état du droit et de la jurisprudence », et dans un second temps, de formuler des propositions à l’adresse des dirigeants. « Après le temps d’analyse et de réflexion vient l’élaboration des propositions que nous élaborons. Elles vont être débattues, adoptées ou non. Peu importe, l’objet n’est pas d’avoir des propositions systématiquement adoptées mais qu’il y ait un véritable débat ». Ce congrès se veut également un temps de rencontre fédérateur pour la profession. « Ce moment au cours duquel on a plusieurs milliers de notaires qui sont présents, échangent, débattent et votent, est extraordinairement puissant. Bien sûr on a des positions divergentes, mais une fois que le vote a eu lieu, la profession toute entière porte au pouvoir public ses réflexions », a pointé Jean-Pierre Prohaszka. Outre l’échange privilégié avec les pouvoirs publics, ces congrès sont l’occasion d’échanger avec les différents partenaires que sont, par exemple, les généalogistes, les informaticiens, les éditeurs, a-t-il également rappelé.
Pour cette 116e édition du Congrès des notaires de France, le président a choisi le large thème de la protection.
Pour le présenter aux journalistes présents à ce petit-déjeuner, Jean-Pierre Prohaszka avait misé sur l’image autant que sur les mots, en diffusant un clip de quelques minutes, fait de vues de mégalopoles, de mains qui se serrent, de silhouettes prenant appui sur un proche, le tout sur fond de musique classique. Une voix off rappelait la nécessité de rechercher « le juste équilibre entre l’envie d’être libre et le besoin d’être protégé ». Le clip terminé, Jean-Pierre Prohaszka a commenté le choix de ce thème : « Ce n’est pas un sujet triste mais un sujet grave, que nous abordons avec beaucoup de joie et de conviction. Aucun d’entre nous ne peut dire qu’il ne se sent pas concerner par le besoin de protéger ses proches et son logement. Nous avons choisi ce sujet car il est au cœur des attentes de tous les êtres humains. Pour nous, notaires, c’est notre quotidien. Nous sommes confrontés aux demandes de personnes qui ont un désir d’être protégés, un besoin de l’être. Cette envie de protéger est le dénominateur commun de tous les notaires ».
Ce thème de la protection a été décliné au sein de trois commissions, la première concernant les personnes vulnérables, la seconde, les proches et la dernière, le logement. « Nous avions la nécessité de nous pencher sur la protection des petits et des faibles car une société humaine se doit de protéger les personnes vulnérables. Nous avons des lois pour cela, mais il existe une zone grise : les personnes qui commencent à perdre leurs facultés sans être tombées dans l’incapacité ne sont pas protégées », a détaillé le président.
Concernant le thème de la deuxième commission, il estime que « le propre de chaque être humain est de vouloir protéger ceux qu’il aime », et que, la société ayant évolué, il faut revisiter les « outils » pensés à ces fins.
Au sujet de la troisième commission, consacrée à la protection du logement, il a précisé qu’elle ne traiterait pas de patrimoines mais de la protection de son toit, que l’on soit propriétaire ou locataire. « Notre combat dans cette commission est celui de l’équilibre, dans la protection de l’un et de l’autre », a-t-il précisé.
À ces trois commissions s’en ajoute une quatrième, plus introspective, venant questionner le rôle et la légitimité des notaires sur ce thème de la protection. « Il y a un constat : chacun veut à la fois de la liberté et de la protection. Notre congrès met en lumière le fait que les deux sont nécessaires et ne peuvent coexister que s’il existe un équilibre entre l’un et l’autre », conclut le président.
Il est ensuite revenu au rapporteur Gilles Bonnet, présenté par Jean-Pierre Prohaszka comme « le chef d’orchestre de toute l’opération intellectuelle du congrès », de rentrer dans le détail de chacune de ces commissions. « Le sujet est complexe et nécessite une approche fine sur le plan juridique et philosophique », a-t-il mis en garde. « Donner de la protection à l’un peut être en retirer à quelqu’un d’autre. Protéger quelqu’un peut revenir à le priver de son crédit et donc à le déprotéger ».
Il a commenté d’abord les travaux de la première commission, consacrée aux personnes vulnérables. Il a fait état d’une « législation touffue, qui se superpose », et qui, malgré tout, laisse une zone grise, dans laquelle l’incapacité d’une personne peut n’être pas reconnue. « C’est une source d’insécurité pour le contractant et le conseil », dénonça-t-il, précisant que la commission avait listé les outils existants sur ces problématiques liées au grand âge et à la maladie. Une grande partie de son exposé fut consacrée au mandat de protection future. « Peut-être peut-on imaginer que l’on puisse en tirer autre chose encore. Le travail de cette commission est classique mais novateur dans les propos et les solutions envisagées ».
Il a détaillé ensuite les travaux de la deuxième commission, concernant le droit de la famille. Le sujet de la réserve héréditaire, qui protège les descendants et le conjoint dans le cadre d’une succession, a occupé une grande partie des réflexions de cette commission. « La protection est un sujet relatif », a rappelé Gilles Bonnet citant, à l’appui quelques approches différentes de cette réserve. « Certains vont brandir la liberté testamentaire et considérer que l’on peut faire ce que l’on veut sans que la loi vous oblige à réserver une part aux enfants. D’un autre côté, vous avez aussi l’enfant qui pourrait être soumis à un chantage de la part de son auteur, en raison d’opinions politiques ou religieuses, et ferait face à la menace d’être déshérité. L’inverse existe aussi. Quelqu’un peut être soumis à une pression de la part d’un de ses enfants qui souhaiterait recevoir plus que les autres et la réserve peut alors être une protection pour lui permettre de dire qu’il ne peut pas accéder à sa demande ». Il a expliqué que la commission avait également cherché à restituer cette réserve dans un contexte historique et juridique. Avec une approche de droit comparé, les notaires de cette commission ont ainsi constaté que cette réserve existe partout ailleurs, sous d’autres formes. « Dans des pays de common law, elle existe par l’office de juge. Il y a toujours une réserve qui reste. C’est un point absolument passionnant. J’espère que les échanges seront nombreux », a précisé le rapporteur du congrès.
La troisième commission est, quant à elle, consacrée au logement, envisagé tant du côté du propriétaire que de celui du locataire. « Nous avons des intérêts antagonistes à protéger », a estimé Gilles Bonnet. « Du côté du propriétaire, c’est son bien, du côté du locataire, c’est son droit de bail ». Il a aussi rappelé que la vulnérabilité peut se situer des deux côtés de cette relation. « Aujourd’hui, le propriétaire peut aussi être celui qui n’a que ce bien pour compléter sa retraite », a-t-il précisé.
La plate-forme de location Airbnb a, expliqua-t-il également, mobilisé les notaires de cette commission. « Il y a un enjeu en termes de protection du cadre de vie. S’il y a ce développement, c’est peut-être car la législation des baux n’apporte pas satisfaction aux bailleurs », a-t-il suggéré.
Il revint enfin sur le contenu de la quatrième commission. Qualifiée par le président Jean-Pierre Prohaszka d’« enfant illégitime » du congrès, pour pointer sa différence avec les trois autres, elle fut présentée par le rapporteur Gilles Bonnet comme « une réflexion sur nous-mêmes ». « Nous pensons êtres habilités à parler de la protection parce que c’est ce que nous proposons au quotidien. Les personnes qui viennent nous voir attendent cela de nous », a-t-il posé, avant de poursuivre : « Cette protection se divise en deux champs. Il y a une protection objective qui découle de la force de l’acte notarié. Mais il y a aussi une partie subjective, qui tient à notre rôle de conseil, d’impartialité. Après être passé chez le notaire, il n’y a plus de problème ». Il a rappelé que ce rôle de conseil va crescendo. « Dans la procédure de déjudiciarisation du divorce, le notaire doit alerter le juge si les intérêts des enfants mineurs sont heurtés. On prend une place naturelle de conseil car nous sommes des officiers ministériels impartiaux ».
Michèle Zefel a complété ces deux interventions en détaillant la méthode adoptée par les notaires des différentes commissions. « Notre sujet, au cœur de la vie des gens, est ouvert sur les problématiques de la vie civile », a-t-elle constaté à son tour. Elle fit état des multiples personnalités sollicitées par les notaires en amont de la rédaction de leur rapport : professeurs de droit, responsables d’associations sur le logement, personnalités du monde médical, responsables politiques. En tout, une quarantaine de personnes. Il fallait bien cela, a-t-elle expliqué, pour conduire les débats des trois jours de congrès, mais surtout pour travailler sur les propositions qui seront soumises aux pouvoirs publics. « Nous allons désormais construire les propositions qui seront, nous l’espérons, à l’origine des lois de demain ». Une centaine de textes de lois seraient issus des travaux des précédents congrès.
Après toutes ces considérations de fond, vint le temps, plus bref, des explications pratiques. Michèle Zefel a rappelé que ce 116e Congrès sera aussi un espace de formation. « En assemblée plénière nous souhaitons donner davantage la parole à nos confrères. Nous allons continuer les master class des années précédentes », précisa-t-elle. Cette nouvelle édition mettra l’accent sur la formation numérique. « Pendant le congrès, tous les travaux seront relayés sur le site de la profession. Une application permettra aux notaires de s’inscrire, de suivre les débats et de poser les questions aux rapporteurs ». Enfin, pour impliquer les jeunes générations de notaires, des partenariats ont été noués avec des masters des universités de Dauphine, Assas, la Sorbonne et Nanterre. 150 étudiants de ces établissements seront mis à contribution pour accueillir les congressistes.
Sur le versant pratique toujours, Élisabeth Lamblin, secrétaire générale du Conseil supérieur du notariat (CSN), a vanté la démarche écoresponsable du congrès. « C’est pour nous un engagement très ancien », a-t-elle précisé, assurant que les notaires avaient toujours agi avec un grand souci de RSE, mais en toute confidentialité. « Nous sortons de notre discrétion notariale car on nous demande maintenant comment nous allons gérer notre empreinte écologique », a-t-elle expliqué, rappelant qu’entre 4 000 et 5 000 participants sont attendus. Cet engagement environnemental, s’il est ancien, devrait néanmoins être accru. « En ce qui concerne la restauration, les plastiques sont réduits de 99 % et nous ferons appel, à hauteur de 70 %, à des filières éco-responsables pour l’approvisionnement », a-t-elle en effet précisé. Largement diffusé de manière numérique, le rapport sera moins imprimé, ce qui devrait permettre d’économiser 27 tonnes de papier.
En attendant la tenue du 116e Congrès, à une date indeterminée, d’autres rendez-vous sont à noter. Le rapport de 2 000 pages, élaboré par les commissions sera diffusé à la fin du mois d’avril en accès libre sur le site du congrès. Le Livre blanc des propositions sera normalement rendu public le 15 mai 2020.