« Doing good is good business »

Publié le 20/02/2017

Le 31 janvier dernier se tenait la journée annuelle de l’Association française des juristes d’entreprises (AFJE). L’assemblée générale de l’association, réservée aux adhérents, fut suivie d’un colloque réunissant directeurs juridiques, dirigeants d’entreprises, économistes et sociologues autour du thème « Doing good is good business ». Les débats ont porté sur la compliance, les questions environnementales, le devoir de vigilance… D’après Stéphanie Fougou, présidente de l’AFJE et directrice juridique du groupe Vallourec, ces enjeux sont devenus primordiaux pour les entreprises. Pour les Petites Affiches, elle revient sur cette évolution et explique pourquoi les directeurs juridiques vont se retrouver en première ligne pour les défendre.

Les Petites Affiches – Vous avez donné à votre colloque annuel le sous-titre « Doing good is good business ». Quelle réalité recouvre ce slogan ?

Stéphanie Fougou – Il y a une tendance actuelle très profonde des entreprises, des investisseurs, et des clients à valoriser la responsabilité sociétale en insistant sur l’éthique, la compliance, la transparence au sein de l’entreprise. Des projets de loi ont été votés et d’autres sont en cours autour de ces questions. Dans cette optique, le directeur juridique est appelé à jouer un rôle majeur, à devenir un acteur-clé de la responsabilité sociétale dans une entreprise. Ces sujets ne sont plus seulement importants d’un point de vue juridique mais sont des gages de durabilité et de la compétitivité d’une entreprise. Cet engagement des sociétés impacte leur image et leur attractivité. De plus en plus de personnes, salariés ou actionnaires, ont aujourd’hui envie de s’investir dans le monde de l’entreprise, à condition que celui-ci soit porteur de sens. Les sociétés prennent conscience de cette évolution et ont de plus en plus le sentiment que le « doing good » est aussi créateur de valeur. Pour cette raison, nous avons donc choisi d’organiser notre rendez-vous annuel sur le thème « Doing good is good business », en le déclinant en trois tables rondes : la compliance, le développement durable, le devoir de vigilance.

LPA – Comment le « good business » est-il devenu un thème central ?

S. F. – Nous avons changé d’époque. Ces valeurs ne datent évidemment pas d’aujourd’hui, car il y a toujours eu des entreprises soucieuses de leur environnement, de leur empreinte en termes de développement durable et de leur attitude éthique en générale. La différence est l’ampleur que prennent ces questions aujourd’hui. Elles ne sont plus le fait de chefs d’entreprise isolés. Elles sont au cœur des stratégies. Par ailleurs elles sont devenues très importantes pour beaucoup de parties prenantes, les clients, les salariés, les financiers. Ces derniers ne regardent plus uniquement la profitabilité économique de l’entreprise, mais également les valeurs qu’elle véhicule. Et ceci s’applique aux sociétés quelle que soit leur taille. Des industries pétrolières travaillent sur des projets de décarbonatation, des compagnies gazières affichent des objectifs verts très ambitieux… Il faut y voir le marqueur d’un profond changement de culture, de mentalité.

LPA – Le premier thème que vous avez souhaité aborder est celui de la compliance. Pourquoi ?

S. F. – C’est un thème qui a été relancé récemment en France à l’occasion du débat et du vote de la loi Sapin 2. L’AFJE est toujours en prise avec l’actualité et celle-ci ne pouvait en aucun cas être omise. Dès le mois de juillet, les entreprises vont en effet être soumises à de nouvelles obligations pour lutter contre la corruption. Comment les entreprises vont-elles s’organiser pour mettre cela en œuvre ? C’est toute la question. Il va falloir mettre en place une collaboration encore plus étroite entre les activités d’audit, les activités de risk managment, les activités de contrôle interne, et la direction juridique afin de structurer la société autour de la vigilance. Les directions juridiques sont les mieux placées pour avoir une vision transverse et bien souvent assurer la gestion projet de ces questions.

LPA – Que recouvre le devoir de vigilance, troisième thème de votre colloque ?

S. F. – Un projet de loi sur le devoir de vigilance des entreprises, actuellement à l’étude, a pour objectif de remettre les droits de l’Homme au cœur des pratiques des entreprises multinationales. Concrètement, cela veut dire que les entreprises mères doivent veiller à la manière dont travaillent leurs fournisseurs, sous-traitants et partenaires, et s’assurer que ceux-ci respectent les droits de leurs salariés. Les services juridiques vont être garants de l’intégrité des entreprises, mettre en place des plans, s’assurer de leur pérennité. De nombreuses questions se posent sur ce sujet et la mise en place de ces plans de vigilance.

LPA – Votre profession est donc en pleine mutation…

S. F. – Je n’irais pas jusque-là, car les fondamentaux de notre métier restent les mêmes. Mais si notre mission ne change pas radicalement, elle s’élargit. Surtout, les dirigeants perçoivent de plus en plus le droit comme un outil stratégique. Nous sommes ainsi amenés à être les promoteurs d’un modèle vertueux de l’entreprise. C’est assez logique : en tant que juriste, nous sommes évidemment sensibles aux questions de droit, d’équité et de justice, qui sont au cœur de notre formation. Qui mieux qu’un directeur juridique peut promouvoir la responsabilité sociétale de l’entreprise auprès des dirigeants ? Cela peut nous pousser à entreprendre de nouvelles formations : nous devons être plus pointus sur le droit pénal et le droit international pour travailler sur les questions de compliance, être plus au fait du droit environnemental pour travailler sur des questions de développement durable… Mais c’est surtout notre manière de travailler qui est appelée à évoluer. Les directions juridiques vont être amenées à se positionner davantage en gestionnaire de projets. Cela requiert, de la part des directions juridiques, une capacité à gérer des projets en faisant travailler ensemble des gens de départements différents. Cela implique aussi, plus que jamais, de repenser les outils qui sont à notre disposition.

LPA – À quels outils faites-vous référence ?

S. F. – Il est indispensable que nos avis soient protégés par le secret professionnel. Nous le demandons depuis des années, mais ce n’est toujours pas le cas à ce jour. Nous sommes donc dans une situation extrêmement paradoxale et inconfortable. D’un côté, nous avons désormais pour mission d’être les garants de la mise en conformité des entreprises, ce qui implique d’être au cœur des stratégies de l’entreprise, et de travailler pour cela dans une grande proximité avec les directions. D’un autre côté, nous sommes dans l’incapacité de protéger nos communications avec elles, puisque nos échanges ne sont pas confidentiels. Dans les autres pays où les services juridiques ont en charge les questions de compliance, elles ont les moyens de le faire dans de bonnes conditions, car leurs avis et pré-propositions sont protégés par la confidentialité. Tant que le secret professionnel du juriste d’entreprise ne sera pas reconnu, nous serons dans une situation problématique, et notre travail sera entravé.

LPA – Que demandez-vous exactement ?

S. F. – Cela fait des années que nous demandons de pouvoir faire bénéficier nos entreprises de la confidentialité des avis juridiques. La voie idéale serait pour nous celle de « la grande profession », c’est-à-dire qu’une fois pour toutes, juristes et avocats fassent partis d’une même profession avec des modalités d’application différentes, en libéral ou en salarié d’entreprise. Cela aurait du sens : nous faisons les mêmes études, et il y a de plus en plus de passerelles entre ces deux activités. À défaut, nous demandons au moins que les juristes d’entreprises bénéficient de la confidentialité de leurs avis. Une commission dite Haeri a été créée par le ministère de la Justice pour réfléchir à l’évolution de la profession, nous espérons qu’elle fera des propositions dans ce sens. Si tel n’est pas le cas, nous allons inévitablement perdre en compétitivité. Cette commission est moderne et ses propositions iront, je l’espère, dans le sens de la mobilité des juristes au sens général et de la valorisation du droit en général dans l’entreprise.

LPA – Pensez-vous avoir bientôt gain de cause ?

S. F. – Je suis d’un naturel optimiste et je suis convaincue que l’on y arrivera tôt ou tard. Ce mouvement est inévitable car il correspond à une évolution de la société. Certains représentants des avocats campent fermement sur leurs positions, mais ils vont bien finir par devoir admettre l’évidence. La question est de savoir combien de temps cela va encore leur prendre… Si ce temps est trop long, les directions juridiques françaises vont finir par se délocaliser à l’étranger. Cela voudrait dire que tous les efforts faits par la France pour se poser en place de droit seraient mis à mal. Il est donc urgent d’agir, avant qu’il ne soit trop tard. J’y crois.

LPA 20 Fév. 2017, n° 124g7, p.3

Référence : LPA 20 Fév. 2017, n° 124g7, p.3

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