« Face au désengagement progressif de l’État, le notaire se doit de répondre présent face aux mutations de la société »

Publié le 08/09/2017

Pour Thierry Thomas, président du 113e Congrès des notaires de France et notaire à Rezé, le notaire doit se positionner comme un acteur de la société et assumer ses responsabilités en tant que tel. Il est en première ligne des évolutions sociétales et des conséquences juridiques qu’elles entraînent, et a donc sa part quant à la réflexion collective pour un droit plus juste et plus efficace.

Les Petites Affiches – Pourquoi avoir choisi une triple thématique ?

Thierry Thomas – Je considère que le notaire est au centre de la société et à ce titre, il la voit évoluer au quotidien. Ces trois thèmes ont été choisis au regard des problématiques qui apparaissent chez les clients que l’on conseille dans nos études. Étant moi-même notaire depuis 25 années, j’ai par exemple pu observer que mes clients évoluaient de façon croissante dans des cellules familiales décomposées et/ou recomposées. Ces nouvelles formes de familles en constante évolution méritaient un examen approfondi : entre le pacs, l’union libre, le mariage et le mariage pour tous ou encore le divorce sans juge, la multiplication des possibilités peut créer des situations complexes. Concernant les solidarités, le choix du thème a là aussi été assez évident : les problématiques de nos clients évoluent lorsqu’ils vieillissent. Ceux qui cherchaient à investir dans un lotissement il y a une vingtaine d’années veulent désormais se protéger ou s’inquiètent de l’héritage qu’ils laisseront à leurs enfants. On constate un vieillissement démographique de la population, avec des personnes qui souhaitent rester chez elles, même lorsqu’elles n’en ont pas forcément les moyens. Il faut donc trouver des solutions alternatives telles que le viager pour répondre aux problèmes de dépendance et adapter les logements. Les volontés des clients ne sont d’ailleurs pas toujours évidentes à concilier : il n’est pas systématiquement possible de rester chez soi, trouver un système pour pallier une absence de moyens et transmettre son patrimoine à ses enfants après son décès. Enfin, la troisième grande thématique que nous rencontrons dans nos études est celle du numérique. Cependant, nous n’avons pas souhaité nous pencher ici sur les outils numériques, désormais classiques, mis en place par le notariat (signature, téléacte, acte électronique), mais nous étions plutôt dans une démarche prospective. J’en suis convaincu : le notariat peut apporter de nouveaux services à l’État et aux citoyens. Nous sommes un acteur en mesure de traiter des sujets tels que la mort numérique ou la signature numérique pour toutes les démarches quotidiennes. C’est d’ailleurs le fil conducteur que j’ai souhaité pour ce congrès : le notaire acteur au centre de la société.

LPA – L’image d’Épinal du notaire de famille, celui qui voit passer plusieurs générations dans son étude, est-elle toujours d’actualité ?

T. T. – Cela reste encore majoritairement le cas et nous nous en réjouissons. Du point de vue humain, il est extrêmement intéressant de connaître ses clients à différentes phases de leur vie. Et il arrive que ceux-ci viennent un jour avec leurs enfants pour leur présenter le notaire et s’occuper d’un contrat de mariage ou d’un pacs. Cette connaissance intime de la famille permet d’être un conseil judicieux s’il arrive qu’il y ait des problèmes de transmission ou des disputes familiales. À l’inverse, il est indéniable que dans notre société de consommation, une partie de notre clientèle considère le droit comme n’importe quelle autre marchandise. C’est d’autant plus vrai avec les jeunes générations. À nous de bien les conseiller et de leur démontrer notre utilité pour les faire revenir.

LPA – Les mutations de la société sont-elles plus rapides qu’auparavant ?

T. T. – Oui, le modèle familial a évolué à une vitesse folle. Récemment, nous avons eu des mesures telles que le mandat de protection future ou le pacs qu’il a fallu assimiler. La loi ne cesse d’évoluer et le notariat doit se remettre en cause en permanence pour rester à jour. Nous devons également coller à l’actualité, car les clients s’informent désormais partout, mais n’ont pas toujours le recul ou la vision globale pour interpréter les choses correctement. Le notaire doit connaître ses sujets pour démystifier les incompréhensions et expliquer au client. Notre travail est passionnant, car nous continuons d’apprendre tout au long de notre carrière : il faut se tenir au courant des lois et les interpréter, connaître et comprendre les décisions des tribunaux, etc. C’est cela qui nous permet de conseiller au mieux le client sur ce qui le préoccupe. Le numérique peut être utile à notre exercice : il permet de communiquer avec eux et de leur donner un accès à leur dossier, chose inimaginable il y a quelques années. Nous sommes désormais dans une démarche plus ouverte, avec un échange régulier et un suivi sur les différentes étapes. Le client est de plus en plus exigeant, mais je le vois comme une source de motivation et d’initiative pour la profession.

LPA – Le droit a-t-il des difficultés à s’adapter à la vitesse à laquelle la société change ?

T. T.  – La logique juridique est parfois, il est vrai, galvaudée et inefficace, nous avons un empilement de lois et de décrets qui s’accumulent et peuvent se contredire. Nous mettons d’ailleurs régulièrement en évidence ces contradictions auprès des pouvoirs publics. Cependant, ces pratiques législatives vont peut-être changer puisque l’état d’esprit du nouveau président de la République semble être d’étudier systématiquement ce qu’il faut modifier ou supprimer dans les anciennes lois avant d’en voter de nouvelles.

LPA – Le droit qui concerne notre empreinte numérique reste encore peu développé, a-t-il vocation à prendre de l’ampleur dans les années à venir ?

T. T. – C’est une évidence et la troisième commission avait d’ailleurs pour but d’apporter des propositions en la matière. La loi Lemaire a été une première étape plus que nécessaire, il faut maintenant continuer de creuser le sillon et l’enrichir. Sur le sujet de la mort numérique, de plus en plus de clients viennent nous voir lors d’une succession pour demander ce qu’ils doivent faire de la page Facebook de leur père ou de ses données personnelles. Est-ce que l’on peut les transmettre ? Les supprimer ? Il n’y a pas aujourd’hui beaucoup de dispositions qui permettent de le faire, la commission numérique a donc rédigé des vœux concis et précis sur ce point. En collaboration avec le conseil de l’ordre des médecins, nous sortons également un guide, destiné aux patients et aux notaires, pour savoir comment prendre les dispositions de fin de vie pour transmettre des données numériques. Il est urgent d’améliorer le cadre juridique.

LPA – Comment les notaires se positionnent-ils au sein de la société ?

T. T.  – La profession ne doit pas subir les lois et se doit de garder un regard critique lorsque celles-ci comportent des défauts ou nécessitent des adaptations. Dans certains domaines, il peut aussi y avoir besoin de créer de nouveaux textes pour combler des vides juridiques, le notaire peut apporter un éclairage grâce à sa vision basée sur le terrain. À nous d’être force de propositions. Et pour la société civile, il faut justifier notre utilité pour rester un vecteur de services et de conseils : nous ne devons pas être uniquement un passage obligé pour des actes obligatoires.

Notre rôle est aussi en perpétuelle évolution et c’est d’autant plus vrai avec le désengagement de l’État dans certains domaines. Sur le pacs par exemple, un décret paru en mai 2017 transfère toute la compétence des TGI en direction de l’état civil et donc des mairies. Mais si l’on pose la question aux maires, ils vous répondront qu’ils ne sont pas prêts pour l’instant. L’État se désengage de certains domaines et transfère sa responsabilité sans forcément que ceux à qui il transfère soient préparés. Il y a fort à parier que c’est chez les notaires que se retourneront ceux qui souhaitent signer un contrat de pacs. Il est aussi crucial de faire savoir lorsque nous ne sommes pas d’accord avec certaines mesures. Si le divorce sans juge est une bonne idée législative pour désengorger les tribunaux, il nous laisse dans un rôle de « tamponneur » peu satisfaisant. Sans faire de corporatisme, il faut rappeler que nous ne sommes pas des scribes, mais que nous engageons notre responsabilité en authentifiant nos actes et en certifiant les signatures de nos clients.

LPA – Ce 113e Congrès innovera sous la forme d’une table ronde animée par des personnalités extérieures sur des thèmes sociétaux. Pouvez-vous nous en dire plus ?

T. T. – Je pense que cette table ronde sera pour tous le moment qui nous permettra « d’atterrir ». Elle viendra au lendemain de la commission numérique qui va être très riche en termes de prospectives et de réflexions innovantes. Cette table sociétale sous forme de débat sera là pour replacer l’humain au centre des préoccupations. Faut-il que la médecine permette aux gens de vieillir jusqu’à 120 ou 130 ans avec les problèmes de dépendance que cela pose ? Est-ce que le fait d’avoir des gens transformés en « légumes » est souhaitable ? Nous évoquerons aussi les problématiques du transhumanisme avec la question de l’intelligence artificielle qui peut suppléer ou non l’humain. La machine restera-t-elle au service de l’homme ou l’inverse ? Et pour débattre de ces questions, nous aurons le professeur Gérard Saillant, qui a pour spécialité le soin des grands blessés, le professeur de philosophie Raphaël Enthoven et la présidente de la Cnil, Isabelle Falque Perrotin. Enfin, Mathieu Ricard apportera un éclairage, non pas en tant que religieux, mais de par sa position philosophique. La liberté de parole sera totale, et Patrick Poivre d’Arvor animera les débats. Cette nouveauté permet d’ancrer le notariat au cœur de la société.

LPA – Parmi les propositions des commissions, quelles sont celles que vous souhaitez mettre en avant ?

T. T. – Pour des raisons de commodité, nous allons mettre des lacunes en évidence sur les mesures de l’incapacité des personnes. Aujourd’hui, lorsqu’une personne est en tutelle, en curatelle, ou sous un mandat de protection future, il n’existe nulle part de système centralisé où tout individu (et notamment un notaire) peut trouver l’information. Cela peut être dangereux et peut être résolu grâce à l’outil numérique. Sur le sujet du vieillissement de la population, nous allons axer nos travaux sur la silver economy, le vieillissement de la population et nous allons faire des propositions pour mieux protéger les gens, rendre les protections plus efficaces et décoincer certaines lourdeurs. Il existe des mesures donnant le pouvoir à une tierce personne d’agir pour la personne diminuée, mais il y a des moments où cette personne doit retourner devant le juge pour demander un accord sur des démarches spécifiques. Il faut simplifier la chose pour que la mesure de protection prouve son efficacité, ses freins législatifs peuvent être contre-productifs. En matière de numérique enfin, nous ferons des propositions sur la mort numérique, de transmission de données de la personne et de transmission de signatures électroniques. Nous allons trouver une solution pour que les personnes aient les moyens de signer de manière dématérialisée tous les actes de la vie quotidienne.

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