Hauts-de-Seine et JO : un barreau à la hauteur des enjeux mais aussi en alerte sur les questions éthiques
Comme tous les barreaux concernés par les Jeux olympiques et paralympiques, celui des Hauts-de-Seine s’est organisé pour faire face à un accroissement potentiel de l’activité judiciaire pendant l’événement sportif international. Me Maxime Cessieux, membre du Conseil de l’Ordre du Barreau des Hauts-de-Seine et président de la commission pénale, nous livre les coulisses de cette organisation ainsi que les réflexions éthiques et déontologiques soulevées du côté des libertés individuelles. Entretien.
Actu-Juridique : Comment votre barreau s’est-il organisé en vue des Jeux olympiques ?
Maxime Cessieux : Comme tous les barreaux concernés par les JO, nous nous sommes organisés parce que les pouvoirs publics nous le demandaient, ce que nous avons fait en cohésion avec le tribunal, la présidence, le parquet, la préfecture… Notre souci était de pouvoir répondre aux besoins de défense des justiciables, auteurs ou victimes, qui seraient appelés à comparaître ou se présenteraient pendant l’été. Alors que d’habitude il s’agit d’une période d’activité allégée, le tribunal nous annonçait la possibilité d’avoir trois audiences de comparutions immédiates par jour, deux juges de la liberté et de la détention, deux juges d’instruction, deux juges pour enfants. Il fallait que nous nous préparions au cas de figure le plus compliqué où tout cet afflux de justiciables demandant à être défendus, se présenterait en même temps.
AJ : Vous avez donc fait évoluer les dispositifs existant déjà à Nanterre ?
M.C. : En temps normal, Nanterre compte chaque jour un certain nombre d’avocats de permanence : un avocat pour les comparutions immédiates, un pour les victimes, un pour les ouvertures d’informations correctionnelles, un pour les ouvertures d’informations criminelles, un pour les mineurs, et un collaborateur de l’Ordre, sorte de coordinateur de la défense pénale d’urgence. Le dispositif habituel a été étoffé : nous avons eu une collaboratrice de l’Ordre en plus (elles étaient trois cet été, Julie Delorme, Mathilde Martinez et Elena Sos). Nous sommes passés de 6 avocats de permanence à 8 avocats pendant la durée des JO en moyenne. Nous avons par ailleurs déspécialisé nos permanenciers pour avoir le plus de souplesse possible, tout en conservant une exigence de qualité. Nous avons notamment conservé chaque jour au moins un avocat habilité à la défense des mineurs. Ce système nous permettait de nous adapter à des configurations où il y aurait 3 comparutions immédiates mais pas d’ouverture d’information.
Pour les gardes à vue, nous avons décidé de conserver le dispositif tel quel. Nous avons 26 avocats de permanence par jour sur le barreau. Notre système de communication avec l’ensemble des confrères qui sont habilités à la défense pénale d’urgence nous permettait de les alerter si cela s’avérait nécessaire. Le barreau a accepté de financer sur ses fonds propres des « permanences blanches », c’est-à-dire, de rémunérer des avocats qui auraient mobilisé des jours de permanence, sans être appelés au tribunal, afin d’être un peu indemnisés pour ces jours d’astreinte sans activité.
AJ : Avez-vous eu du mal à étoffer l’équipe ?
M.C. : Nous pouvons compter sur un volant de 200 confrères habilités à intervenir en défense pénale d’urgence. Nous avons communiqué très en amont sur la question des JO. Je crois que les confrères étaient informés et ils ont répondu présents, certains, car ils souhaitaient aussi assister à certaines épreuves ou d’autres qui considéraient que cela faisait partie de leur mission de service public que d’être présent.
AJ : Et sur le fond, un impact ?
M.C. : Dans les grandes lignes, sur le volume, l’activité s’est révélée très soutenue par rapport à un été normal, surtout sur la première quinzaine d’août, notamment sur les comparutions immédiates. Sur le fond, finalement, il y a eu très peu de dossiers directement en lien avec les JO (un essai de drone, des outrages, du tout-venant…). Je pense à un dossier de supporter argentin pris à partie par un vigile aux abords d’une épreuve, mais ces dossiers ont été rares. En réalité, ce qui s’est produit, c’est que la mobilisation policière a été très importante, notamment dans le 92 (La Défense Arena, stade Yves-du-Manoir…). La raison d’être des policiers étant de mettre fin aux infractions, ils n’allaient pas rester les bras croisés ! Mais nous estimons que certains de ces dossiers ne seraient jamais passés en comparution immédiate en temps normal. Certes, les conditions étaient particulières : les magistrats étaient mobilisés, des policiers présents, des avocats disponibles, donc je comprends la logique du parquet, qui a estimé que remettre une convocation à 8 mois aurait aggravé le stock de dossiers au tribunal et allongé les délais d’audiencement.
AJ : L’aviez-vous envisagé ?
M.C. : Oui. Si un supporter italien se faisait taper dessus par un supporter anglais ou inversement, le parquet n’allait pas les recontacter dans 18 mois, même s’il s’agissait de violences légères. Mais la raison d’être des comparutions immédiates, ce sont des « faits graves et simples », ce ne sont pas « des faits simples et pas graves ».
AJ : À l’avenir, cela constituera-t-il un point d’attention ?
M.C. : Après les JOP, nous allons nous réunir avec le parquet et la présidence, avec lesquels nous avons un dialogue constant pour faire un point sur l’orientation procédurale. Il y a eu aussi, même avant les JO, une tendance à des comparutions immédiates ou à délai différé, qui avaient manifestement pour but de mettre hors circuit des gens de façon préventive, et parfois non justifiée. Nous avons d’ailleurs fait une visite de la maison d’arrêt le 12 juillet 2024 (contre-visite d’avril) avec le vice-bâtonnier, le député Pierre Cazeneuve. Nous avons été alarmés par la surpopulation carcérale. Depuis avril, les chiffres ont grimpé de 1 027 à 1 085 détenus pour 592 places ! 60 détenus en plus en 4 mois, c’est énorme. Il y a eu clairement un effet préventif sur les incarcérations, qui ne s’est pas révélé sur les 3 derniers mois, mais qui s’est accéléré avec les JO. Nous avons tiré la sonnette d’alarme, manifestement en vain.
L’avocat n’est pas législateur, ne fait pas partie du gouvernement, ni du ministère de la Justice, il n’est pas décisionnaire sur l’organisation d’un tel événement, mais il y a un bilan à dresser en termes de libertés individuelles et publiques. Notre point d’attention, c’est l’après JO.
AJ : Que dire de votre visite à la maison d’arrêt de Nanterre ?
M.C. : Notre détermination à ce que les conditions carcérales soient prises en charge est intacte. Non seulement, nous ne souhaitons pas d’effet persistant à ces incarcérations préventives, mais il faut se poser rapidement la question de la déflation carcérale. La période de la Coupe du monde de rugby, les JO et Paralympiques se clôt, il faut se projeter sur l’après. Les conditions carcérales que l’on a constatées sont effarantes : systématisation des matelas au sol, tête sur les bouches d’aération avec éventuellement des cafards, cellules avec jusqu’à cinq détenus, le tout sans aucune intimité. C’est totalement invivable pour eux et intenable pour les surveillants : ce n’est pas la même chose d’organiser des promenades pour 600 détenus ou presque le double. Cette situation n’est plus possible en termes de sécurité, de prise en charge médicale ou psychique. Car des gens avec un profil clairement psychiatrique étaient incarcérés, ce qui pose la question de l’effondrement de la prise en charge psychiatrique en prison mais aussi à l’extérieur. C’est autant un sujet de dignité humaine que de conditions de travail pour les surveillants.
Au demeurant je ne vois pas bien ce que l’on attend d’une telle situation en termes de réinsertion ou de lutte contre la récidive.
Référence : AJU015h5