Hirbod Dehghani-Azar : « Tout ce qui peut favoriser un règlement amiable des litiges ne peut être que bénéfique pour la justice et les citoyens » !

Publié le 16/05/2024

Entrées en vigueur le 1er novembre et inscrites dans le cadre du plan d’action pour la justice présenté en début d’année, l’audience de règlement amiable (ARA) et la césure de procès viennent consolider l’arsenal juridique du règlement amiable des litiges. Ces nouvelles procédures devraient permettre « de rapprocher, grâce au dialogue, la justice du justiciable », estime Me Hirbod Dehghani-Azar, avocat et responsable de la commission des modes alternatifs de règlement des différends (MARD) au sein du Conseil national des barreaux et ambassadeur de l’amiable nommé par le garde des Sceaux. Explications.

Actu-juridique : Dans quels types de procédures pourront-être utilisés ces nouveaux mécanismes de règlement amiable des litiges ?

Hirbod Dehghani-Azar : L’audience de règlement amiable (ARA) peut être introduite, devant le tribunal judiciaire pour toutes les procédures écrites ordinaires avec constitution d’avocats et les procédures référés relevant de la compétence du président du tribunal judiciaire ou du juge des contentieux de la protection à la demande de l’une des parties ou sur initiative du juge saisi du litige. Elle permettra au juge chargé de l’audience de règlement amiable (différent donc du juge saisi du litige) de réunir les parties dans un cadre confidentiel, durant l’instruction de leur dossier, pour tenter de trouver une solution amiable à leur conflit. Ainsi, dans le cas de l’ARA, le juge tient un rôle spécifique qui tend à rapprocher les positions des parties, y compris en faisant état des grands principes de droit applicables à la matière et c’est en cela une nouveauté importante.

La césure du procès, quant à elle, permet de conduire, à la demande des parties, à un jugement partiel des points dits nodaux du litige afin de résoudre ensuite, via un des modes alternatifs de règlement des différends  (MARD), les autres points du contentieux.

L’ARA comme la césure sont donc deux nouvelles voies judiciaires qui doivent à terme permettre d’intégrer une phase de discussion et un meilleur accès au juge.

AJ : Ces procédures permettront-elles réellement de rendre « la justice plus rapide et plus efficace » comme l’affirme le ministère de la Justice ?

Hirbod Dehghani-Azar : Assurément il y aura des dossiers et donc des justiciables qui pourront profiter de ces nouveaux outils. Les avocats doivent par ailleurs adopter leur stratégie pour bien les intégrer. Néanmoins, il n’y a que la pratique et le temps qui nous diront si ces procédures sont vraiment de nature à répondre aux objectifs assignés. De mon point de vue, tout ce qui peut favoriser un règlement amiable des litiges, et donc à une justice plus proche et plus humaine, ne peut être que bénéfique pour la justice et les citoyens !  Mécaniquement, si l’ensemble des acteurs du monde judiciaires s’approprie les outils de l’amiable alors le recours au juge devrait être concentré sur les dossiers les plus complexes qui nécessitent une interprétation de la règle de droit, la justice devrait être plus efficace et rapide.

AJ : Vos confrères sont-ils prêts à recourir à ces procédures ?

Hirbod Dehghani-Azar : Oui, sans aucun doute. Les avocats ne cessent de se former et d’être informés sur les MARD. Une bonne mise en œuvre dépend généralement de l’intérêt des nouveautés introduites. Or dans ce cas l’intérêt est fondé, il n’y a donc pas de raison que l’ARA comme la césure de procès ne soient pas exploitées.

AJ : La culture de l’amiable se développera-t-elle en France, à votre avis, comme le souhaite le garde des Sceaux ?

Hirbod Dehghani-Azar : Nous ne passerons pas du jour au lendemain, et d’ailleurs cela n’est pas souhaitable dans tous les dossiers, de la culture du tout-contentieux à la culture du tout-amiable. Pour autant, les nouvelles procédures introduites permettront comme je vous le disais de rapprocher, grâce au dialogue, la justice du justiciable. Si le temps d’une ARA, soit le temps d’une journée ou quelques heures, les parties parviennent à un accord grâce à l’intermédiaire d’un juge et de leurs avocats, il n’y aura pas d’appel par la suite et une exécution spontanée. C’est évidemment du temps et de la sérénité gagnés. De fait, cette synergie positive devrait créer les conditions d’un développement durable de la culture de l’amiable.

AJ : Pourquoi la France est-elle à la traîne concernant le recours à l’amiable par rapport à certains de ses voisins européens ?

Hirbod Dehghani-Azar : Je ne sais pas si l’on peut dire que la France est « à la traîne », la politique de l’amiable est ancienne en France et s’est fortement développée depuis la loi du 8 février 1995 relative à l’organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative. C’est surtout une question culturelle et c’est d’ailleurs pour cette raison que le garde des Sceaux souhaite que les études de droit ne soient plus seulement dédiées à l’enseignement du contentieux. Le réflexe de l’amiable doit s’installer dès l’université.

En réalité, en France, nous avons une pratique qualitative de l’amiable avec des conciliateurs et des médiateurs extrêmement bien formés. Toutefois, la culture du judiciaire est fortement imprégnée par la posture de confrontation et à travers les réformes successives nous pouvons dire que nous avons maintenant les outils pour mettre en œuvre une réelle stratégie judicaire sur-mesure mixant l’amiable, l’accès au juge, de l’administration de la preuve à l’execution.

Concrètement, je ne sais pas pourquoi mais je sais que maintenant nous avons les moyens de nous hisser au niveau des standards de nos voisins européens.

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