Incompatibilités de la profession d’avocat : attention aux interprétations extensives !

Publié le 17/04/2023

Le 29 mars 2023, la première chambre civile de la Cour de cassation a rendu un arrêt qui ferme la voie à une conception trop extensive de l’exercice d’activités additives pouvant être adossées à l’activité exercée traditionnellement par l’avocat, jugeant à l’occasion que l’activité d’avocat est incompatible avec celle d’agent sportif. L’analyse de Me Patrick Lingibé. 

Incompatibilités de la profession d'avocat : attention aux interprétations extensives !
Photo : ©AdobeStock/r Stefan Schurr

Par délibération du 2 juin 2020, prise en application de l’article 17, alinéa 1er, de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 modifiée, le conseil de l’ordre des avocats au barreau de Paris a ajouté, au règlement intérieur du barreau, un article P.6.3.0.3. rédigé comme suit :

« L’avocat peut, en qualité de mandataire sportif, exercer l’activité consistant à mettre en rapport, contre rémunération, les parties intéressées à la conclusion d’un contrat, soit relatif à l’exercice rémunéré d’une activité sportive ou d’entraînement, soit qui prévoit la conclusion d’un contrat de travail ayant pour objet l’exercice rémunéré d’une activité sportive ou d’entraînement. L’avocat agissant en qualité de mandataire sportif ne peut être rémunéré que par son client. Cette activité doit donner lieu à une convention écrite qui peut, le cas échéant, stipuler que le joueur donne mandat au club sportif de verser, en son nom et pour son compte à l’avocat, les honoraires correspondant à sa mission. »

Saisie le 10 juillet 2020 par la procureure générale, par un arrêt rendu le 14 octobre 2021 la cour d’appel de Paris a annulé la disposition contestée en indiquant que celle-ci est contraire aux dispositions de l’article 10 de la loi du 31 décembre 1971 modifiée.

Le conseil de l’ordre de Paris a formé un pourvoi auquel se sont joints plusieurs associations et syndicats.

Par la décision commentée, le Juge du quai de l’Horloge a confirmé la position du juge parisien.

Cette décision est intéressante parce qu’elle fixe une ligne de démarcation entre la profession d’avocat et les activités additives qui peuvent être exercées en parallèle.

Il y a une problématique de fond qui est posée car une interprétation très extensive des activités dérogatoires ou connexes risque de vider de son sens premier la profession d’avocat et le statut protecteur qui doit nécessairement s’y adosser.

Nous nous proposons donc d’aborder cette décision sous deux angles.  Nous rappellerons sous le premier angle ce que recouvre la profession d’avocat (I). Sous le deuxième angle, nous aborderons la solution donnée par la Cour de cassation (II).

I. Le statut de l’avocat et son indépendance native 

Plusieurs dispositions lient le statut d’avocat à sa nécessaire indépendance intellectuelle, organique et financière notamment dans l’intérêt de son client.

L’article 1er de la loi du 31 décembre 1971 modifiée dispose en troisième alinéa que « La profession d’avocat est une profession libérale et indépendante ». Cette ADN libérale et indépendante est confortée par plusieurs autres textes de droit interne.

L’article 2 du décret du 12 juillet 2005 reprend le texte de 1971 modifié en 1990 en y ajoutant le fait que celle-ci est indépendante du mode d’exercice : « La profession d’avocat est une profession libérale et indépendante quel que soit son mode d’exercice. ». Cette indépendance est en même temps matérielle, morale et intellectuelle.

Le Règlement Intérieur national reprend de son côté à l’article 1.1 intitulé Profession libérale et indépendante le texte décrétal de 2005 ; « La profession d’avocat est une profession libérale et indépendante quel que soit son mode d’exercice. »

 Au niveau européen, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a consacré, à travers plusieurs décisions rendues, cette indépendance qui doit être au cœur de la profession d’avocat.

Ainsi, notamment dans son arrêt rendu le 6 septembre 2012 à propos d’avocats polonais, elle a jugé dans son attendu n° 23 :

« …/… la conception du rôle de l’avocat dans l’ordre juridique de l’Union qui émane des traditions juridiques communes aux États membres, et sur laquelle l’article 19 du statut de la Cour se fonde, est celle d’un collaborateur de la justice appelé à fournir, en toute indépendance et dans l’intérêt supérieur de celle-ci, l’assistance légale dont le client a besoin. »

(CJUE, 6 septembre 2012, Prezes Urzedu KomPAR unikaccji Elektronicznej et République de Pologne contre Commission européenne, Affaires jointes C-422/11 P et, C-423/11 P.

L’indépendance de l’avocat est une garantie intrinsèque à l’exécution de sa mission de défense. Elle ne se limite pas au client mais est également un marqueur caractérisant une société démocratique puisque par essence l’avocat c’est l’art de déplaire, y compris et surtout le pouvoir en place.

 C’est donc en vue de préserver cette indépendance et surtout de prémunir l’avocat de tout conflit d’intérêts risquant d’affaiblir celle-ci que deux articles du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 modifié organisant la profession d’avocat sont venus fixer les incompatibilités de la profession d’avocat.

 Le premier article est l’article 111 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 modifié organisant la profession d’avocat, dans sa version originelle toujours applicable.

« La profession d’avocat est incompatible :

 a) Avec toutes les activités de caractère commercial, qu’elles soient exercées directement ou par personne interposée ;

b) Avec les fonctions d’associé dans une société en nom collectif, d’associé commandité dans les sociétés en commandite simple et par actions, de gérant dans une société à responsabilité limitée, de président du conseil d’administration, membre du directoire ou directeur général d’une société anonyme, de gérant d’une société civile à moins que celles-ci n’aient, sous le contrôle du conseil de l’ordre qui peut demander tous renseignements nécessaires, pour objet la gestion d’intérêts familiaux ou professionnels. »

Sur la base de ce texte, la jurisprudence a jugé de l’impossibilité pour un avocat de présider une SA d’HLM même si cette présidence présentait une nature familiale.

Le deuxième article est l’article 115 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 modifié organisant la profession d’avocat :

« La profession d’avocat est incompatible avec l’exercice de toute autre profession, sous réserve de dispositions législatives ou réglementaires particulières.

 La profession d’avocat est compatible avec les fonctions d’enseignement, les fonctions de collaborateur de député ou d’assistant de sénateur, de membre assesseur des tribunaux pour enfants ou des tribunaux paritaires de baux ruraux, de conseiller prud’homme, de membre des tribunaux des affaires de sécurité sociale, ainsi qu’avec celles d’arbitre, de médiateur, de conciliateur ou de séquestre. »

L’interprétation de ces deux dispositions a donné lieu à des avis rendus par des instances nationales dont la pertinence a pu être discutée au sein même de la profession.

Par exemple, la commission déontologie et exercice professionnel de la Conférence des Bâtonniers de France, présidée par Monsieur le bâtonnier Jacques DEMAY, a considéré, dans le prolongement d’avis similaires rendus par la commission règles et usages du Conseil national des barreaux, qu’au titre de l’article 115, l’activité d’enseignement de reiki était parfaitement compatible avec la profession d’avocat (Avis déontologique du 22 février 2023).

L’activité d’enseignement mentionnée à l’article 115 a conduit à une interprétation très extensive et très éloigné de l’activité juridique première de l’avocat : ont été ainsi considérées comme compatibles avec la profession d’avocat les activités d’enseignement de ski alpin ou de yoga.

II.  Le prisme d’appréciation posé par la Cour de cassation sur les activités additives de l’avocat 

Plusieurs moyens étaient soulevés par le conseil de l’ordre de Paris à l’appui de son pourvoi.

Nous nous limiterons à l’essentiel.

Il était fait grief à l’arrêt de la cour d’appel de Paris d’avoir annulé l’article litigieux du règlement intérieur du barreau de Paris, alors que les avocats peuvent, dans le cadre de la réglementation qui leur est propre, représenter, en qualité de mandataire, l’une des parties intéressées à la conclusion d’un contrat soit relatif à l’exercice rémunéré d’une activité sportive ou d’entraînement, soit qui prévoit la conclusion d’un contrat de travail ayant pour objet l’exercice rémunéré d’une activité sportive ou d’entraînement.

Il en déduisait que les avocats pouvaient, en la matière, exercer l’activité consistant à mettre en rapport les parties intéressées à la conclusion des tels contrats.

De cette interprétation, il ressortait pour lui qu’en énonçant au contraire que l’avocat, en qualité de mandataire, ne peut exercer l’activité de mise en rapport des joueurs et des clubs, qui est une activité commerciale principale, ni intervenir dans la phase d’élaboration des contrats, avant que les sportifs et les clubs aient été préalablement mis en relation par un agent sportif, la cour d’appel a nécessairement violé les articles 6 ter de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 modifiée et L. 222-7 du Code du sport par refus d’application, ensemble les articles 11 et 115 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 et l’article 6.2, alinéa 7, du règlement intérieur national de la profession d’avocat.

Pour le conseil de l’ordre parisien, l’avocat pouvait donc commercialiser en toute hypothèse, à titre accessoire, des biens ou services connexes à l’exercice de la profession d’avocat si ces biens ou services sont destinés à des clients ou à d’autres membres de la profession.

Il convient de relever que dans sa décision rendue le 29 mars 2023, la Cour de cassation ne vise ni l’article 111 ni l’article 115 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 modifié sur lesquels pourtant le conseil de l’ordre de Paris citait expressément dans ses moyens de cassation.

La Cour de cassation ne se réfère donc pas à cet article 111 pour juger de la nature de l’activité accessoire en cause, en l’espèce celle d’agent sportif.

En réalité, la haute cour judiciaire ne fait référence dans son arrêt qu’à trois textes précis, ayant décidé de se placer sur un autre plan pour juger de la compatibilité professionnelle en cause.

Le premier est l’article L. 222-7, alinéa 1er, du Code du sport qui a trait à l’activité de l’agent sportif :

 « L’activité consistant à mettre en rapport, contre rémunération, les parties intéressées à la conclusion d’un contrat soit relatif à l’exercice rémunéré d’une activité sportive ou d’entraînement, soit qui prévoit la conclusion d’un contrat de travail ayant pour objet l’exercice rémunéré d’une activité sportive ou d’entraînement ne peut être exercée que par une personne physique détentrice d’une licence d’agent sportif. »

 Le deuxième se rapporte à l’article 6 ter, 1er alinéa, de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 modifiée qui concerne le statut de mandataire de l’avocat dans le domaine sportif :

 « Les avocats peuvent, dans le cadre de la réglementation qui leur est propre, représenter, en qualité de mandataire, l’une des parties intéressées à la conclusion de l’un des contrats mentionnés au premier alinéa de l’article L. 222-7 du Code du sport. »

 Enfin, l’article 10, alinéa 6, de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 modifiée est relatif aux conditions de fixation des honoraires de l’avocat mandataire sportif :

 « Dans le mandat donné à un avocat pour la conclusion de l’un des contrats mentionnés au premier alinéa de l’article L. 222-7 du Code du sport, il est précisé le montant de ses honoraires, qui ne peuvent excéder 10 % du montant de ce contrat. Lorsque, pour la conclusion d’un tel contrat, plusieurs avocats interviennent ou un avocat intervient avec le concours d’un agent sportif, le montant total de leur rémunération ne peut excéder 10 % du montant de ce contrat. L’avocat agissant en qualité de mandataire de l’une des parties intéressées à la conclusion d’un tel contrat ne peut être rémunéré que par son client. »

 La Cour ne fait donc comme nous l’avons indiqué aucune référence, contrairement à la cour d’appel de Paris, aux dispositions du quatrième alinéa de l’article 111 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 modifié, alors que dans le pourvoi le conseil de l’ordre de Paris y faisait notamment référence dans ses moyens.

Il convient de rappeler que l’article 4-2 du décret n° 2016-882 du 29 juin 2016 relatif à l’exercice de la profession d’avocat sous forme d’entité dotée de la personnalité morale autre qu’une société civile professionnelle ou qu’une société d’exercice libéral ou de groupement d’exercice régi par le droit d’un autre État membre de l’Union européenne a introduit in fine deux alinéas qui tempèrent les incompatibilités posées initialement par l’article 111 :

« Les incompatibilités prévues aux alinéas précédents ne font pas obstacle à la commercialisation, à titre accessoire, de biens ou de services connexes à l’exercice de la profession d’avocat si ces biens ou services sont destinés à des clients ou à d’autres membres de la profession.

L’avocat ou la société d’avocat qui fait usage de la dérogation prévue au b ou au quatrième alinéa en informe par écrit, le conseil de l’ordre du barreau dont il ou elle relève dans un délai de trente jours suivant le début de l’activité concernée. Le conseil de l’ordre peut lui demander tous renseignements ou documents utiles pour lui permettre d’apprécier si une telle activité est compatible avec les règles de déontologie de la profession. »

 Ces dispositions devraient permettre donc à un avocat de pouvoir commercialiser une activité accessoire ou connexe en relation avec sa fonction principale.

En prenant le soin d’éviter de se référer à l’article 111, la Cour a donc préféré pose un prisme global d’analyse et de lecture des activités additives qui satellisent aujourd’hui, par touches successives, la profession d’avocat.

En premier lieu, elle prend le soin de détailler avec précision l’activité d’agent sportif après avoir relevé que celle-ci ne peut être exercée que par une personne physique détentrice d’une licence d’agent sportif. C’est donc une profession à part entière qui exige une activité à plein temps dans un secteur très encadré.

En deuxième lieu, la Cour rappelle l’activité native des avocats, lesquels peuvent dans le cadre de leur profession particulière, représenter en qualité de mandataire une des parties intéressées à la conclusion dans le domaine sportif, activité distincte de celle d’agent sportif.

En troisième lieu, la première chambre civile constate que ces deux activités sont éloignées l’une de l’autre et conclut que le statut de l’avocat ne peut lui permettre, tant à titre principal qu’à titre accessoire, exercer l’activité d’agent sportif.

En quatrième lieu sur la rémunération, elle rappelle une exigence légale et déontologique : l’avocat agissant en qualité de mandataire ne peut être rémunéré que par son client identifié et identifiable et jamais par un tiers, tel le club de son client, sauf exception légalement prévue (cas de l’assurance juridique d’un justiciable qui prend en charge les honoraires de l’avocat pour le compte de son assuré).

En cinquième lieu, il y a un aspect qui apparaît en filigrane dans la décision rendue. Il a trait au nécessaire risque de conflit d’intérêts qui naît d’un cumul entre deux activités différentes.

Il faut convenir d’un constat objectif : plus l’avocat exerce d’activités additives plus il s’expose mécaniquement à des risques de conflits d’intérêts puisqu’il s’écarte par effet induit de sa zone d’activités professionnelles exercées à titre principal.

Une question reste cependant en suspens, à savoir celle de l’appréciation de l’activité additive : quand doit-on estimer et qui estime qu’une activité nécessite de s’investir à titre principal pour l’exercer et ne peut être qualifiée d’accessoire ou de connexe ?

 La Cour ne donne pas d’éléments d’appréciation sur ce point puisqu’elle s’est placée sur le terrain d’une incompatibilité générale qui est celle de l’avocat avec toute activité commerciale.

La finalité des règles régissant la profession est somme toute d’assurer dans l’intérêt de son client qu’un avocat est organiquement et intellectuellement indépendant et au-dessus de tout conflit d’intérêts.

Cet arrêt invite implicitement les autorités ordinales à effectuer un contrôle des activités accessoires et connexes au regard de leur réelle compatibilité avec le statut sacramentel de l’avocat.

Le rapport adopté le 7 avril 2023 par l’assemblée générale du Conseil national des barreaux et présenté le même jour par Madame le bâtonnier Laurence JUNOD-FANGET, présidente de la commission règles et usages du CNB, conclut très justement à l’intervention et au contrôle des bâtonniers dans ce domaine complexe, appelant certainement des approches sériées au cas par cas.

De cet arrêt, nous pouvons en dégager une réflexion sur le statut de l’avocat et de son évolution au regard d’activités exogènes : à trop vouloir chercher à permettre à l’avocat d’exercer, de manière extensive, des activités accessoires ou connexes à son activité principale, ne risque-t-on pas, par des interprétations libérales et audacieuses, d’entraîner à terme une novation de l’ADN de l’avocat, avec le danger de perdre ce qui fait de lui un véritable avocat libéral et indépendant, avec par-delà ce qu’il est devenu dans notre société actuelle de contraintes de police : une sentinelle des libertés ?

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