La Cour de cassation continue de se réformer
La rentrée solennelle de la Cour de cassation s’est déroulée le 14 janvier dernier en présence de la ministre de la Justice, Nicole Belloubet. L’occasion pour le premier président, Bertrand Louvel, de dresser un premier bilan de sa présidence alors qu’il s’apprête à quitter ses fonctions le 30 juin prochain.
Un haut magistrat arrive, un autre part… Alors que le nouveau procureur général, François Molins a été installé dans ses fonctions le 16 novembre dernier, Bertrand Louvel s’apprête à quitter celles de premier président de la Cour de cassation le 30 juin prochain. C’était donc sa dernière rentrée solennelle et d’une certaine manière l’heure de dresser un premier bilan de sa présidence.
Indépendance
Durant les quatre années qu’il a occupé la première présidence, Bertrand Louvel s’est battu sur deux grands sujets : l’indépendance de la magistrature et la modernisation de la Cour. Lors de la rentrée de l’an dernier, qui s’était déroulée en présence d’Emmanuel Macron, le premier président et le procureur général, Jean-Claude Marin, avaient tous les deux centré leurs interventions sur la réforme constitutionnelle, plaidant l’un et l’autre pour une indépendance du parquet renforcée. Las ! Un an après, la réforme semble tombée aux oubliettes. Bertrand Louvel partira sans doute sans la voir… De même qu’il ne verra pas, mais il devait s’en douter – tant le projet semble de longue haleine – la création du Conseil de justice qu’il appelle de ses vœux. Ce Conseil, sorte de super Conseil supérieur de la magistrature (CSM) qui cumulerait la gestion du budget de l’institution judiciaire, la formation, la nomination et la discipline des magistrats, consacrerait l’indépendance du pouvoir judiciaire. Au moins pourra-t-il se consoler en rapatriant la Cour, pour l’instant disséminée sur plusieurs sites, à l’intérieur du Palais de la Cité. Ce sera l’un des grands chantiers de 2019, a-t-il annoncé lors de son intervention. Au passage, le premier président a émis le souhait que le CSM vienne s’y installer aussi, de même que l’ENM pourrait y centraliser certaines de ses activités. Ce regroupement géographique n’est pas seulement affaire de commodité. Rassembler le CSM et l’ENM dans ce lieu hautement symbolique qu’est le palais de la Cité, n’est-ce pas déjà poser les prémisses du Conseil supérieur de justice ?
Modernisation
L’autre grande ambition de Bertrand Louvel consistait à moderniser la Cour de cassation. Elle s’est traduite par le lancement de deux réformes : le filtrage des pourvois et l’enrichissement de la motivation des arrêts. Pour Bertrand Louvel, la Cour de cassation ne peut pas être un troisième degré de juridiction, ce n’est pas « conforme à sa fonction de contrôle de la bonne application de la loi par le juge du fond ». Il s’agit donc de mettre en place un mécanisme de « sélection des pourvois utiles », dont le projet a été rendu public en mars 2018. Et Bertrand Louvel de préciser « le filtrage des pourvois devant la Cour de cassation (…) ne se conçoit que dans le cadre global d’un réexamen de l’architecture du procès civil, de la place que doit y tenir chacune des voies de recours, le pourvoi comme l’appel et chacun des degrés de juridiction. Par ailleurs, la construction à élaborer est elle-même inséparable des perspectives ouvertes par l’intelligence artificielle qui sera, dans un avenir proche, pleinement appliquée à la masse des décisions de justice ».
Au mois de décembre, une commission a été instituée par la ministre de la justice, Nicole Belloubet, sous la présidence de l’ancien garde des Sceaux, Henri Nallet, pour mettre en œuvre la réforme. Celle-ci prend forme au moment précisément où le nombre de pourvois connaît une chute significative. La Cour a enregistré en effet 25 000 pourvois en matière civile en 2018 contre 30 000 en 2017. Les professionnels anticiperaient-ils le prochain filtrage ?, s’est interrogé le premier président. Il y a lieu d’en douter tant les avocats sont hostiles à cette réforme qu’ils analysent comme une restriction de l’accès au juge. Les affaires pénales, quant à elles, ne marquent qu’un léger retrait en tombant sous le seuil de 7 500 affaires nouvelles. Les cassations demeurent de l’ordre de 9 % en matière pénale ce que Bertrand Louvel attribue à l’absence de représentation obligatoire par avocat en la matière. En revanche, elles ont grimpé à 31 % en matière civile, soit 5 points de plus que l’année précédente.
L’autre grande réforme de la Cour, à savoir l’enrichissement de la motivation pour répondre aux critiques sur l’inintelligibilité de ses arrêts est déjà mise en œuvre. Elle a donné lieu à un rapport interne sur les évolutions rédactionnelles proposant aux chambres le cadre conceptuel et les moyens techniques de développement des motivations, lequel sera prochainement publié, a annoncé Bertrand Louvel.
Parmi les chantiers 2019, figure également le rapport Cathala sur l’attractivité des métiers de la cour, ainsi que la mise en place d’un projet de structure commune entre avocats et magistrats pour gérer de concert les questions déontologiques susceptibles de surgir entre les deux professions. Autre chantier, qui sera amorcé dès le début de l’année, le positionnement du parquet général. Comme le rappelait Jean-Claude Marin lors d’un colloque en juin 2017 « le parquet général de la Cour de cassation n’est pas un parquet. Initialement soumis aux mêmes règles que les autres parquets de France, le parquet général s’en est progressivement distingué. Est-il encore nécessaire de dire ici cette évidence que le parquet général de la Cour est étranger à la hiérarchie du ministère public, qu’il n’exerce pas l’action publique, qu’il n’est pas partie au procès, qu’il ne requiert pas de peine ? Il sert le droit, et le droit seul ». Et c’est précisément sur la manière de remplir au mieux cette mission que portent les réflexions.
Un procureur sur Twitter
Pour François Molins, il s’agit de détecter le plus en amont possible les affaires dont les enjeux dépassent ceux d’une simple procédure, en particulier dans les dossiers traitant de questions sociétales majeures ou touchant à l’ordre public et aux libertés individuelles. Ensuite, il convient de cultiver une plus grande ouverture sur l’extérieur par l’organisation de réunions mensuelles thématiques avec des intervenants extérieurs, mais aussi par l’approfondissement des relations avec les rapporteurs publics du Conseil d’État dans les domaines où les dimensions judiciaires et administratives s’imbriquent étroitement. Il prône enfin une plus grande visibilité de l’action du parquet général notamment par la publication de certains de ses avis par les éditeurs juridiques. Deux nouveaux outils de communication sont déjà en place. Le parquet général a une rubrique dédiée sur le site de la cour et le procureur général a, par ailleurs, ouvert un compte twitter le 9 janvier qu’il a inauguré par ce tweet : « Dans le cadre de mes nouvelles fonctions en qualité de procureur général près la Cour de cassation et souhaitant que le parquet général soit ouvert sur l’extérieur, je crée aujourd’hui mon compte Twitter ». Depuis lors, François Molins a posté son discours de rentrée solennelle ainsi que plusieurs extraits de celui-ci. Le 15 janvier son compte Twitter comptait déjà 28 000 abonnés ce qui est très important, surtout en si peu de temps. Par comparaison, la ministre de la Justice a 25 000 abonnés, le célèbre blogueur Eolas 342 000 ! François Molins a par ailleurs annoncé que le parquet général adresserait tous les deux mois une dizaine d’arrêts rendus dans des contentieux intéressant le ministère public en matière de droit pénal et procédure pénale, d’état civil, de droit des personnes et de filiation, d’étrangers, d’hospitalisation sous contrainte et de procédures collectives, avec un bref commentaire sur les apports de la décision et l’évolution de la jurisprudence de la Cour.
Parquet en péril
François Molins n’a pas oublié qu’avant d’être à la Cour de cassation, il avait mené toute sa carrière au parquet. Il a donc rappelé lors de son intervention les difficultés du parquet français « Notre ministère public souffre aujourd’hui d’un malaise profond et d’une crise identitaire ; ses magistrats souffrent de se voir encore parfois dénier la qualité de membres à part entière de l’autorité judiciaire malgré les décisions répétées sur ce point du Conseil constitutionnel ». (…) Sur ce point, la réforme constitutionnelle prévoyant l’avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature pour les nominations au parquet et l’alignement de la procédure disciplinaire sur celle des magistrats du siège, fait aujourd’hui l’unanimité. Elle est rendue indispensable par l’accroissement des pouvoirs du parquet. Elle garantira et renforcera l’unité du corps. Nul ne comprendrait qu’elle n’aboutisse pas dès lors rapidement ». Mais c’est aussi un problème de moyens, ce que rappellent régulièrement les rapports de la CEPEJ.
La France est en effet le pays qui a le moins de magistrats du parquet alors que c’est aussi celui qui lui confie le plus de missions. François Molins a salué l’initiative de la ministre de confier une mission à l’Inspection générale sur ce sujet, qui conclut précisément à la nécessaire augmentation des moyens. Pour François Molins, c’est aussi une question d’organisation : « Les moyens étant nécessaires mais pas suffisants, il est indispensable de travailler en parallèle sur l’organisation des parquets et sur les modalités de mise en œuvre du traitement en temps réel dont l’organisation reste beaucoup trop hétérogène selon les groupes de juridictions. Il faut enfin certainement mieux prendre en compte la dimension managériale dans la nomination, la formation et l’évaluation des procureurs et des procureurs généraux et donc aussi renforcer l’attractivité de ces fonctions au regard des responsabilités qu’elles impliquent ». Gageons que ses collègues du parquet lui sauront gré d’avoir consacré une large partie à porter leur parole devant la ministre…