Le Cercle Montesquieu célèbre ses 25 ans
Initialement pensé comme un lieu de rencontre pour les directeurs juridiques, le Cercle Montesquieu a su se positionner comme une association de premier plan pour la défense du droit. Il fête cette année un quart de siècle d’existence.
Créé en 1993 afin de pallier l’absence de structures rassemblant les directeurs juridiques, le Cercle Montesquieu a pour vocation et ce depuis sa création d’être un lieu d’échange et de promotion du droit et des juristes. Un rôle qui lui a permis de développer ses idées et de gagner en influence dans le paysage juridique français. Au cœur du fonctionnement du Cercle, on retrouve une douzaine de commissions, sectorielles comme celles consacrées aux « Affaires internationales » ou « Industrie-commerce » ; et fonctionnelles telles que « Justice économique » ou « DJ au féminin ». Tout au long de l’année, les membres de ces commissions travaillent pour élaborer une réflexion sur le fonctionnement des directions juridiques dans les entreprises françaises et apporter des analyses juridiques poussées, ce qui leur permet parfois de soutenir des propositions concrètes devant le législateur sur des projets de loi majeurs. On a pu le constater par exemple, lors de la loi Sapin 1 sur la thématique des programmes de conformité ou des actions de groupes, ou encore lors de la loi de modernisation de l’économie.
Au cours de ses 25 années d’existence, le Cercle s’est aussi vigoureusement attaché à faire évoluer le rôle du directeur juridique et du juriste en entreprise pour que celui-ci s’adapte à la société et au monde économique. Il a fallu intégrer pleinement le juriste à la stratégie et aux processus de l’entreprise, lorsqu’il était auparavant cantonné à des périmètres bien plus limités. Reste un défi majeur pour l’association : le statut du juriste d’entreprise en France puisqu’il reste interdit pour un salarié d’entreprise d’adopter le titre d’avocat. Si le sujet est délicat dans les instances de représentation des avocats et continue de nourrir de nombreux débats, le Cercle fait de son côté valoir les exemples de l’Espagne ou des États-Unis qui ont su marier les deux statuts sans que cela pose de problèmes d’indépendance ou de qualité de travail. Un sujet sur lequel le Cercle est largement rejoint par l’AFJE (Association française des juristes d’entreprises), dont la création d’un nouveau statut d’avocat salarié en entreprise représente une bataille de fond depuis de longues années.
De par leurs positions communes, le Cercle Montesquieu et l’AFJE ont su créer de fortes synergies pour défendre leurs intérêts. On se souvient notamment du Grenelle du droit, organisé en novembre 2017, grâce à un partenariat de ces deux associations. Après un premier quart de siècle à faire évoluer le rôle et l’image des directeurs juridiques et juristes d’entreprises, le Cercle Montesquieu semble décider à poursuivre sa mission en se plaçant comme un interlocuteur de référence du droit en entreprise, ce que précise Nicolas Guérin, président du Cercle Montesquieu et secrétaire général du groupe Orange.
Les Petites Affiches
Le Cercle Montesquieu célèbre son 25e anniversaire cette année, quels étaient les objectifs lors de sa création ?
Nicolas Guérin
En 1993, les juristes d’entreprises étaient déjà représentés par l’AFJE depuis de longues années. Mais certains directeurs juridiques déploraient l’absence d’association consacrée spécifiquement à leur profession ; ce sont ces derniers qui vont se rassembler et être à l’initiative de la création du Cercle Montesquieu. Dès le départ, le Cercle est pensé comme un lieu d’échanges entre des managers du droit, car les directeurs juridiques d’alors ont peu de contact entre eux et se connaissent plutôt mal. Il s’agit donc initialement plutôt d’un club fermé avec peu de membres et une certaine « austérité » dans la forme. Les membres fondateurs m’ont raconté que le premier président, Nicolas David (alors directeur juridique d’Elf Aquitaine), avait organisé la première réunion à 8 h du matin dans la tour Elf de la Défense [NDLR aujourd’hui tour Total Coupole]. Il était hors de question d’empiéter sur le temps de travail et tout s’est donc fait en l’espace d’une heure avec un rythme très cadencé afin d’aborder tous les sujets. Le Cercle Montesquieu a ainsi été conceptualisé un lundi matin en l’espace d’une heure.
LPA
Il y a donc eu beaucoup d’évolutions depuis…
N. G.
On peut en effet l’affirmer sans prendre de risques. Le fait est que chacun des présidents du Cercle Montesquieu a su apporter sa touche personnelle afin d’arriver à l’association très ouverte que nous sommes aujourd’hui. Les rôles ont largement évolué et le Cercle Montesquieu s’est professionnalisé pour devenir une véritable association professionnelle militante. Fort de nos 400 membres, nous sommes devenus un organisme qui a vocation à prendre position, mais aussi à faire de la formation et à s’impliquer dans l’évolution du droit.
LPA
Vous évoluez avec l’AFJE sur des terrains similaires dans le paysage juridique français, de quelle nature sont vos relations ?
N. G.
Il y a aujourd’hui deux grandes associations de juristes en France, l’AFJE et le Cercle Montesquieu, qui sont reconnues comme telles et savent se faire entendre. L’articulation entre nos deux organismes se fait naturellement, car nous sommes très complémentaires et possédons un tronc commun énorme : nous défendons les professions du droit en entreprises, le droit en France, le droit en Europe… Nous sommes même allés plus loin pour instaurer une passerelle institutionnelle entre nos deux associations puisque la présidente de l’AFJE est administratrice du Cercle Montesquieu et qu’inversement, je suis administrateur de l’AFJE. On peut également mentionner que des membres du Cercle siègent au sein de certaines commissions de l’AFJE et que nous organisons des événements majeurs ensemble tels que le Grenelle du droit. Ce n’était pas le cas il y a dix ans et nous avons travaillé pour en arriver là, le fait que nos deux associations travaillent main dans la main aujourd’hui les rend d’autant plus puissantes.
LPA
Vous organisez aussi régulièrement de nombreuses conférences et débats, quelles sont vos thématiques de prédilection ?
N. G.
Une grande partie de nos travaux sont réalisés dans des commissions thématiques : la commission CAC 40 par exemple, celle sur l’employabilité des directions juridiques ou encore sur les thèmes de la gouvernance et de l’éthique… Chacune de ces commissions organise des événements autour des sujets qui les intéressent. On retrouve donc à la fois des thématiques sectorielles et de management qui vont se croiser. Outre les commissions, nous avons un conseil d’administration réunissant tous les présidents de commissions et qui propose à nos membres des sujets qui dépassent le cadre juridique pur et collent de plus près à des sujets d’actualité. Cela se fait à travers trois grands événements annuels : un dîner d’été, un dîner d’hiver et ce que l’on appelle les Débats du Cercle. Récemment, on a pu évoquer la blockchain ou le RGPD, nous ne nous interdisons aucun sujet qui peut concerner le juriste d’entreprise ou son environnement. Pour le dîner d’hiver, par exemple, consacré aux conséquences du Brexit, nous avons eu trois conseillers d’Emmanuel Macron qui sont venus nous expliquer la politique européenne du président de la République.
Enfin, nous avons un dernier type d’événement, organisé avec ce que l’on appelle les Amis du Cercle (cabinets d’avocats, partenaires, etc.) et avec qui nous montons des conférences aux thèmes extrêmement variés. On y retrouve des sujets tels que la concurrence, les monnaies électroniques, etc. C’est l’occasion pour nos membres de venir échanger sur des sujets plutôt techniques. Notre particularité est que dans tous ces événements, il y a une totale liberté de parole et nous n’avons aucun tabou ou censure dans nos échanges.
LPA
Quelle peut être la portée de ces débats et l’intérêt pour notre droit ?
N. G.
Ce qui nous intéresse c’est le droit en tant que tel, son efficacité, et même sa beauté si j’ose dire ! Tout cela, nous pouvons y contribuer en apportant la vision de personnes qui sont les principaux usagers du droit en entreprises. En 2018, c’est par le biais des juristes que le droit entre dans l’entreprise, et ce sont les directions juridiques qui le font appliquer et défendent l’entreprise en cas de violation de ce droit. Nous souhaitons faire profiter le législateur et l’exécutif de cette expérience de terrain inestimable pour apporter notre jugement sur l’efficacité (ou l’inefficacité) de tel ou tel texte en étayant nos affirmations par des raisons juridiques. Nous n’irons jamais sur un jugement de valeur de l’objectif de telle ou telle loi, au contraire. Pour prendre un exemple, nous avons récemment travaillé sur la réforme des contrats où le Cercle Montesquieu a su apporter des propositions concrètes. Le statut du juriste d’entreprise est également un sujet qui nous tient à cœur et pour lequel nous continuons de militer.
LPA
Comment le rôle et l’influence des directeurs juridiques a-t-il évolué au cours du dernier quart de siècle ?
N. G.
Je vais forcer un peu le trait et tout le monde ne s’y reconnaîtra probablement pas, mais en 1993, la perception que l’on avait du rôle du directeur juridique restait cantonnée à l’écriture de notes prédictives et à l’extinction « d’incendies » en cas de crise. Au milieu, on retrouvait le juriste qui se débrouillait avec les contrats, en sachant que dans les années 90 on nous apprenait que le bon contrat était celui qui n’était jamais utilisé. C’est seulement s’il y avait un litige que l’on était alors obligé de le sortir.
Les choses sont évidemment radicalement différentes de nos jours et les juristes d’entreprises sont impliqués dans tous les projets et ce dès l’origine. Ils travaillent tout au long des différentes étapes en n’hésitant pas non plus à faire du lobbying juridique pour faire avancer les choses. Le juriste a donc acquis une fonction support indispensable aux entreprises, ce qui était loin d’être vrai il y a 25 ans. J’ai pu le constater personnellement au cours de ma carrière, à mes débuts, le juriste ne signait même pas une note, car seul le directeur juridique en avait la prérogative. Il a depuis été intégré à la stratégie et au process des entreprises, et son rôle se situe désormais aussi en amont, dans la prévention des éventuels problèmes juridiques, et plus uniquement dans leurs seules résolutions.
LPA
Comment voyez-vous l’avenir du Cercle ?
N. G.
Je suis dans ma dernière année de mandat, cela sera donc à mon successeur de travailler sur ce sujet. Nous avons cependant eu un séminaire avec le conseil d’administration pour évoquer ce thème et le mouvement que nous souhaitons porter est de continuer cette professionnalisation de l’association. Si nous obtenons un jour le statut d’avocat d’entreprise, il faudra que l’on ait une association professionnelle irréprochable et en capacité de traiter les sujets de la déontologie, de la formation obligatoire de la profession et de la représentation. Tout cela devra être fait en gardant la convivialité et l’aspect « club » que nous avons actuellement, car il n’y a rien de plus barbant qu’une profession qui se prend trop au sérieux et perd sa capacité à se remettre en question.
Le juriste doit respecter l’institution et rester dans l’humilité. Nous sommes une profession de service, que ce soit auprès des entreprises ou de nos concitoyens, et il est capital que le Cercle Montesquieu continue à s’intéresser à des sujets de société en dehors du périmètre de l’entreprise.