3e Commission

Le conjoint survivant à l’international : une notion à géométrie variable

Publié le 24/05/2019

Mon conjoint est-il bien mon conjoint ? Le droit international privé perturbe parfois nos certitudes. Les droits d’hériter du survivant dans le couple peuvent varier en fonction du lien les unissant et de la loi successorale applicable. Les notaires de la 3e commission du 115e Congrès des notaires de France, s’amusent à nous présenter des qualifications déstabilisantes.

Lorsqu’il travaille à l’international, le notaire doit acquérir de nouveaux réflexes : se méfier des mots, les mêmes mots pouvant faire référence à des notions différentes.

Pour un notaire français, la notion de « conjoint survivant » fait appel immédiatement à la notion de conjoint qui était marié au moment du décès, alors que des droits successoraux peuvent être accordés dans certaines législations à des concubins, à des partenaires ou encore à plusieurs épouses dans le cas de la polygamie. À l’international, le notaire se doit d’étendre la définition du conjoint survivant. Le doyen Carbonnier disait : « Nous ne comptons pas par mariages mais par couples ou par ménages »1.

Union libre. En présence d’un couple de Péruviens vivant en union libre au Pérou et propriétaire d’un bien immobilier en France, le notaire français doit prendre en considération le fait qu’au décès de l’un d’eux, le concubin survivant pourra faire valoir des droits dans la succession du pré-décédé conformément à la loi péruvienne si celle-ci s’applique à la succession.

Si ces droits successoraux en faveur du concubin survivant ne semblent pas poser de difficulté au regard du droit civil et ne pas contrarier l’ordre public international en France, il en sera autrement sur le plan fiscal. En l’absence de convention entre les deux pays, le bien immobilier situé en France, s’il revient en totalité ou en partie au concubin survivant, fera l’objet d’une taxation à 60 %, d’où la nécessité de conseils de la part du notaire français.

Polygamie. Le conjoint survivant est parfois conjugué au pluriel dans le cas de la polygamie. En France, certains effets de la polygamie peuvent être reconnus. La Cour de cassation juge régulièrement que la seconde épouse d’un homme peut venir à la succession de son mari, sans que l’exception d’ordre public puisse lui être opposée2.

En la matière, la jurisprudence française repose sur une distinction régulièrement réaffirmée. L’ordre public s’oppose à la célébration en France d’un mariage polygamique même si la loi personnelle des intéressés l’autorise. Mais l’ordre public ne fait pas obstacle à la reconnaissance en France d’un mariage polygamique valablement célébré à l’étranger conformément à la loi personnelle des époux. L’ordre public est dans ce cas atténué.

Partenariat. Le conjoint survivant peut être un partenaire survivant. Certains partenariats confèrent des droits successoraux similaires à ceux d’un conjoint marié, comme aux Pays-Bas par exemple.

Conjoint séparé de corps. La vocation successorale ab intestat peut être accordée à un conjoint survivant séparé de corps, comme en Suisse ou en France, alors que cette séparation de corps pourrait anéantir toute vocation successorale ab intestat du conjoint dans d’autres pays comme en Belgique.

« Mariage » entre plusieurs personnes. De façon inédite, le 3 juin 2017, le « mariage » entre trois hommes en Colombie, par la signature devant notaire d’une trieja, néologisme créé pour l’occasion à partir du mot espagnol pareja, qui signifie couple, a défrayé la chronique3.

Cet acte constitutif d’une famille comporte les effets patrimoniaux du mariage et a été assimilé à un mariage. En cas de décès de l’un des trois, les deux autres pourraient hériter et, de manière générale, les trois hommes seront considérés comme mariés. Le mariage entre personnes de même sexe a été autorisé en Colombie en 2016.

La question se posera naturellement de la réception de cette trieja dans les autres pays. Nombre d’entre eux lui opposeront sans nul doute l’exception d’ordre public pour ne pas lui donner d’effet sur leur territoire. En France, à supposer que cette trieja n’ait pas fait l’objet de recours entachant sa validité en Colombie, il devrait logiquement être fait application de l’ordre public atténué, ce qui aurait pour conséquence de lui faire produire certains effets en France.

Conjoints divorcés. Enfin, dans certains États et malgré le divorce prononcé entre les époux, l’ex-époux survivant « dans le besoin » pourra se voir reconnaître des droits alimentaires sur la succession, comme en Italie par exemple4.

Ces exemples montrent que la notion de conjoint se décline sous différentes acceptions et que le notaire, plus que jamais, se doit dans un contexte international de se montrer curieux de la vie des personnes, mais aussi attentif aux effets juridiques attachés par d’autres législations à la situation du couple ou des personnes en couple.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Flexible droit, 2013, LGDJ.
  • 2.
    V. par ex. Cass. 1re civ., 3 janv. 1980, Bendeddouche c/Boumaza : JDI 1980, p. 327, note Depitre S.
  • 3.
    D. 2017, p. 1608, note Labée X.
  • 4.
    C. civ., art. 585 : en cas de décès du conjoint créancier d’aliments, le tribunal peut attribuer au conjoint survivant dans le besoin une allocation périodique à la charge de l’héritage. Cette allocation est à quantifier en fonction du montant déjà dû, de l’ampleur du besoin, de l’éventuelle pension de réversibilité, des actifs héréditaires, du nombre et de la qualité des héritiers et de leurs conditions économiques.
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