Retour sur la question de la donation entre époux excédant la vocation légale du conjoint survivant

Publié le 15/01/2018

Encourent la cassation, les juges du fond qui estiment que le conjoint survivant n’a droit qu’à un quart en pleine propriété en présence d’une libéralité consentie en application de l’article 1094 du Code civil.

Cass. 1re civ., 25 oct. 2017, no 17-10644, F–PB

1. C’est faire peu de cas de l’importante évolution que constitue la protection du conjoint survivant après les deux dernières réformes successorales et de la non moins immense difficulté posée par la question récurrente du conflit entre les enfants d’une précédente union et le conjoint survivant1. En l’espèce2, M. Christian X est décédé à la Seyne-sur-Mer le 23 août 2009, laissant pour lui succéder Mme Y, son épouse, donataire de la plus forte quotité disponible en vertu d’un acte notarié du 30 avril 1982, et ses deux enfants, Valérie et Jérôme, issus d’une première union. À l’occasion du règlement de la succession des difficultés se sont élevées lors des opérations de liquidation et de partage. La cour d’appel3 juge qu’en présence de deux enfants issus d’une première union, la veuve ne peut prétendre qu’au quart en pleine propriété des biens de la succession4. Les juges du fait sont censurés par la haute juridiction qui estime qu’en « jugeant que Mme Y n’a droit qu’à un quart en pleine propriété en présence de deux enfants issus d’une première union, la cour d’appel a violé, par refus d’application, les dispositions des articles 757, 758-6 et 1094-1 du Code civil ». Les droits légaux successoraux du conjoint survivant en présence d’enfants issus d’une précédente union (I) ne privent pas le conjoint de la donation consentie par le de cujus conformément à l’article 1094 du Code civil (II).

I – Les droits légaux successoraux du conjoint survivant

2. Dans l’arrêt annoté, la difficulté entre le conjoint survivant et les enfants de la précédente union portait sur l’étendue des droits légaux successoraux du conjoint survivant. Selon la cour d’appel d’Aix-en-Provence, la veuve ne peut prétendre qu’au quart en pleine propriété des biens de la succession (A) en présence d’enfants d’une précédente union (B).

A – Consécration légale d’un droit successoral au profit du conjoint survivant

3. On sait que dans le modèle familial du Code Napoléon, on avait pu remarquer que : « (..) le Code Napoléon emploie peu le mot “famille”, il lui préfère celui de “parenté”, c’est-à-dire ceux qui sont unis par le même sang, une même souche. Dans le Code Napoléon, la famille par le sang prime celle fondée sur l’alliance, comme l’atteste l’absence de vocation successorale du conjoint survivant, alors que, parmi les héritiers, la famille inclut les collatéraux jusqu’au 12e degré ! »5. Cela étant, au fil des réformes successorales successives il s’est nettement manifesté une tendance législative inverse visant à améliorer la vocation successorale du conjoint survivant. Certes, le conjoint survivant n’est pas un héritier comme les autres puisqu’il n’appartient pas à un ordre successoral précis.

4. Force est de remarquer que la loi n° 2001-1135 du 3 décembre 2001 relative aux droits du conjoint survivant et des enfants adultérins et modernisant diverses dispositions de droit successoral ainsi que la loi du 23 juin 2006 ont profondément amélioré les droits légaux du conjoint survivant en élevant ce dernier au rang des héritiers. En l’état actuel du droit positif, l’article 757 du Code civil issu de la loi du 3 décembre 2001 affirme que : « si l’époux prédécédé laisse des enfants ou descendants, le conjoint survivant recueille, à son choix, l’usufruit de la totalité des biens existants ou la propriété du quart des biens lorsque tous les enfants sont issus des deux époux et la propriété du quart en présence d’un ou plusieurs enfants qui ne sont pas issus des deux époux ». Certes, la détermination du conjoint successible est précisée par l’article 731 du Code civil qui dispose que « la succession est dévolue par la loi aux parents et au conjoint successibles du défunt ». De plus, l’article 732 du Code civil, issu de la loi du 23 juin 2006 précise qu’« est conjoint successible le conjoint survivant non divorcé »6.

5. C’est dans ce contexte que les enfants de la précédente union ont contesté non pas la qualité de conjoint survivant mais le fait que ce dernier ne pouvait cumuler les droits résultant de l’option permise par l’article 1094-1 du Code civil. Au cas d’espèce, il était précisé que : « Mme Y, conjoint survivant de Christian X et bénéficiaire d’une donation au dernier vivant qu’il lui avait consentie le 30 avril 1982 de la plus forte quotité disponible permise par la loi pour le cas où il laisserait des enfants d’un premier lit, a opté pour un quart en pleine propriété et pour les trois quarts en usufruit, conformément à ce que l’article 1094-1 du Code civil lui permet d’obtenir dans la succession, que les enfants du disposant soient communs ou non ».

B – Le conjoint survivant en présence d’enfants issus d’une précédente union

6. Il a été souvent question de connaître l’étendue des droits des héritiers issus d’une précédente union. C’est ainsi que dans le cas d’un couple n’ayant pas d’enfants communs et souhaitant effectuer une donation-partage conjonctive, une question a été posée au ministre de la Justice7. Il s’agissait de savoir si un couple n’ayant que des enfants d’unions précédentes pouvait faire une donation-partage conjonctive sur des biens communs. Plus précisément, l’article 1076-1 du Code civil prévoit qu’« en cas de donation-partage faite conjointement par deux époux, l’enfant non commun peut être alloti du chef de son auteur en biens propres de celui-ci ou en biens communs, sans que le conjoint puisse toutefois être codonateur des biens communs ». Un parlementaire souligne que s’il est certain que cet article a vocation à s’appliquer en présence d’enfants communs et non commun(s), la question se pose pour les couples n’ayant que des enfants issus d’une précédente union. Ces dispositions sont-elles également applicables aux familles « recomposées » qui n’ont que des enfants non communs (donc sans enfant commun), et dans l’affirmative, est-il indispensable que chaque parent ait au moins deux enfants non communs pour pouvoir consentir une donation-partage, ou bien s’il est également possible que l’un des parents (voire les deux) ait un enfant unique non commun8 ? La garde des Sceaux, ministre de la Justice, rappelle que l’article 1076-1 du Code civil, dans sa rédaction issue de loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités, consacre la validité de la donation-partage faite conjointement par deux époux, en présence d’un ou de plusieurs enfants non communs. Toutefois, elle précise que la libéralité-partage conjonctive, laquelle porte indistinctement sur les biens des époux, nécessite que les époux aient au moins deux enfants communs. Dans la mesure où l’enfant non commun ne peut être alloti que du seul chef de son auteur, la libéralité-partage consentie, qui est conjonctive à l’égard des enfants communs, est ordinaire à l’égard des enfants non communs. Par conséquent, l’article 1076-1 du Code civil précité ne peut recevoir application lorsque les époux n’ont pas d’enfants communs9. Force est de remarquer que la conclusion d’une donation-partage conjonctive de biens communs en présence d’enfants issus exclusivement d’unions précédentes du couple est inapplicable10. La famille recomposée est selon l’INSEE : « Une famille recomposée comprend un couple d’adultes, mariés ou non, et au moins un enfant né d’une union précédente de l’un des conjoints. Les enfants qui vivent avec leurs parents et des demi-frères ou demi-sœurs font aussi partie d’une famille recomposée »11.

7. Dans l’hypothèse d’un changement de régime matrimonial en présence d’enfants issus d’une précédente union, le législateur a consacré à l’article 1397 du Code civil l’action en retranchement12. En droit des successions, l’importante loi du 3 décembre 2001 a prévu l’hypothèse, de l’arrêt rapporté, qui est consacrée à l’article 757 du Code civil selon lequel en présence d’enfants de lits différents, le conjoint survivant a vocation à recueillir un quart de la succession en pleine propriété et les héritiers réservataires ont vocation à recueillir aux trois quarts en pleine propriété. Pourquoi le législateur a-t-il refusé au conjoint survivant la possibilité d’opter pour l’usufruit en présence d’enfants de lits différents ? Il est habituellement soutenu par la doctrine que : « l’option du conjoint est alors exclue, car le recours à l’usufruit est perçu comme une source de contentieux en présence d’enfants non issus des deux époux. Ces derniers peuvent être du même âge, voire plus âgés que le conjoint survivant lui-même, de sorte qu’ils se trouveraient condamnés à n’être que des nus-propriétaires ad vitam æternam. Dès lors, en présence d’enfants non communs, la loi indique que le conjoint n’a droit qu’à un quart en pleine propriété »13.

8. La pratique notariale habituelle consistant à recommander aux époux d’adopter une donation au dernier vivant est d’une réelle efficacité. On sait qu’en présence d’enfants de lits différents les droits légaux du conjoint survivant sont de un quart en pleine propriété de la succession du défunt qui peuvent être augmentés par une donation entre époux conformément à l’article 1094-1 du Code civil. Au cas d’espèce, le conjoint survivant de Christian X et bénéficiaire d’une donation au dernier vivant qu’il lui avait consentie le 30 avril 1982 de la plus forte quotité disponible permise par la loi pour le cas où il laisserait des enfants d’un premier lit. Cette dernière a opté pour un quart en pleine propriété et pour les trois quarts en usufruit, conformément à ce que l’article 1094-1 du Code civil lui permet d’obtenir dans la succession, que les enfants du disposant soient communs ou non. Or les juges du fond ont estimé que Mme Y n’a droit qu’à un quart en pleine propriété en présence de deux enfants issus d’une première union. La Cour de cassation casse l’arrêt de la cour d’appel a violé, par refus d’application, les dispositions des articles 757, 758-6 et 1094-1 du Code civil.

II – L’augmentation des droits légaux successoraux du conjoint survivant

9. La Cour de cassation en censurant les juges du fond par refus d’application des dispositions des articles 757, 758-6 et 1094-1 du Code civil revient sur la délicate question du cumul ou de la combinaison des droits successoraux avec libéralités consenties au conjoint survivant (A). Cette question est proche de la délicate articulation à opérer entre l’indivision post-communautaire, la nue-propriété et l’usufruit (B).

A – La vocation légale du conjoint survivant augmentée de la portion de la libéralité excédant cette vocation dans la limite de la quotité disponible spéciale entre époux

10. On relève, en effet, qu’avant l’importante réforme du droit des successions du 3 décembre 2001, le cumul partiel issu de la jurisprudence de la Cour de cassation du 26 avril 1984, impliquait que le total des libéralités ne doit en aucun cas excéder le disponible ordinaire majoré de ce que lui ajoute le disponible spécial14 Ainsi en combinant les articles 913 et 1094 du Code civil, on parvient à cantonner les libéralités dans le maximum suivant :

  • si le de cujus laisse un enfant le maximum, qu’a pu consentir le disposant est 12/24 pp + 12/24 us ;

  • si le de cujus laisse deux enfants le maximum, qu’a pu consentir le disposant est 2/6 pp + 4/6 us ;

  • si le de cujus laisse trois enfants et plus le maximum, qu’a pu consentir le disposant est 2/8 pp + 6/8 us15.

11. En d’autres termes, au disponible ordinaire uniquement en propriété, on ajoute ce que peut lui apporter le disponible spécial imputé sur l’usufruit de la réserve16. Avec la réforme du 3 décembre 2001, l’article 757 du Code civil a reconnu un droit successoral au profit du conjoint survivant. Si le de cujus laisse un enfant issu du couple le conjoint survivant pourrait opter pour 12/24 pp + 12/24 us au titre de son droit légal (si une libéralité lui a été consentie par le de cujus)17.

12. En l’espèce, les juges du fond ont jugé qu’en présence d’enfants issus d’une première union, le conjoint survivant ne peut prétendre qu’à ses droits légaux d’un quart en pleine propriété, sans pouvoir cumuler ces derniers avec la libéralité consentie en application de l’article 1094 du Code civil. Même si la solution nous semble frappée du bon sens juridique et la censure inévitable, il n’en demeure pas moins que cette opération juridique demeure complexe d’autant plus que la réforme du 3 décembre 2001 confère au conjoint survivant une option en vertu de l’article 757 du Code civil18.

B – Indivision post-communautaire, nue-propriété et usufruit

13. Ne sont pas moins fréquentes, les successions dans lesquelles le de cujus avait laissé à sa survivance son conjoint ainsi qu’un ou plusieurs enfants communs. C’est ainsi qu’une décision rendue par la Cour de cassation19 est révélatrice des difficultés liées à l’indivision post-communautaire. M. William X, marié sous le régime de la communauté légale, est décédé en laissant pour lui succéder Pierrette Y, son épouse, donataire de la plus forte quotité disponible entre époux et ayant opté le 14 août 1980 pour le quart en pleine propriété et les trois quarts en usufruit des biens composant la succession, et Bernard X, leur fils. Étant mariés sous le régime de la communauté légale réduite aux acquêts la liquidation du régime matrimonial peut être rapportée à huit huitièmes. Le boni de communauté permet d’attribuer au conjoint survivant sa moitié en pleine propriété du seul fait de la dissolution du régime matrimonial, soit quatre huitièmes. L’actif successoral de la succession du de cujus va comprendre les quatre huitièmes restants. Par ailleurs, le conjoint survivant étant donataire de la plus forte quotité disponible entre époux en vertu d’une donation au dernier vivant consentie par le défunt et ayant opté le 14 août 1980 pour le quart en pleine propriété et les trois quarts en usufruit des biens composant la succession. Soit un demi (ou quatre huitièmes) en pleine de propriété des biens de la communauté, plus un quart en pleine propriété des biens de la succession du de cujus soit (1/4 x 4/8 = 1/8). Donc la part en pleine propriété revenant au conjoint survivant est égale 4/8 +1/8 = 5/8. En vertu de la donation entre époux, le conjoint survivant a opté pour un quart en pleine propriété et les trois quarts en usufruit conformément à l’article 1094-1 du Code civil. Il en résulte que les trois quarts restants de la succession soit les trois huitièmes (8/8e droit de la communauté – 5/8e droit en pleine propriété du conjoint survivant = 3/8e) se répartissent entre le conjoint survivant et le fils en usufruit et en nue-propriété20 dans les proportions suivantes :

Pleine propriété

Nue-propriété

Usufruit

Pierrette Y (Conjoint survivant)

5/8

————

1,5/8

Bernard X (Fils)

————

1,5/8

————

Sous-total

5/8

3/8

TOTAL

8/8

14. Une précision importante s’impose pour conclure. Sur cette question très controversée de l’articulation des droits légaux du conjoint survivant en présence d’une libéralité consentie en application de l’article 1094 du Code civil, on voit bien que législateur légifère a minima alors qu’il devrait faire preuve d’audace en tenant compte de l’évaluation de la société française. Certes, la réforme du 3 décembre 2001 a consacré les droits du conjoint survivant en lui reconnaissant un droit d’option21. Pour le reste, la jurisprudence semble favorable au conjoint survivant dans le cadre d’un contentieux successoral des familles recomposées.

Notes de bas de pages

  • 1.
    V. aussi en droit international privé, Letellier H., « Premières analyses pratiques du nouveau règlement 650/2012 dit successions », Dr. & patr., n° 226, p. 61.
  • 2.
    Brémond V., « Quotité disponible spéciale entre époux et présence d’enfants d’une précédente union », Dalloz actualité, 10 novembre 2017.
  • 3.
    CA Aix-en-Provence, 16 nov. 2016, n° 15/05989.
  • 4.
    « Libéralités reçues du défunt par le conjoint survivant en présence de descendants », revue 2017, Lexis Nexis.
  • 5.
    Parquet M., Droit de la famille, 2e éd., 2007, Bréal, Lexifac Droit, p. 11.
  • 6.
    Les droits du conjoint survivant, in http://www.internet-juridique.net.
  • 7.
    Rép. min. QE n° 12920 : JOAN Q., 11 mars 2008, p. 2136 ; RLDC 2008, n° 48.
  • 8.
    Ibid.
  • 9.
    Ibid.
  • 10.
    JCl. Notarial Formulaire, V° Donation-partage, fasc. 22, Mathieu M.
  • 11.
    https://www.insee.fr/.
  • 12.
    Modifié par ord. n° 2016-131, 10 févr. 2016, art. 5, en ce qui concerne le 9e alinéa qui dispose : « Les créanciers non opposants, s'il a été fait fraude à leurs droits, peuvent attaquer le changement de régime matrimonial dans les conditions de l'article 1341-2. ».
  • 13.
    Leroyer A.-M., Droit des successions. Cours, 2014, Dalloz, p. 105, n° 118.
  • 14.
    Grimaldi M., « La combinaison de la quotité disponible ordinaire et de la quotité disponible entre époux », Defrénois 1985, n° 33565 ; Niel P.-L., « Les droits en concours en matière familiale : entre option et cumul de droits », LPA 11 juin 2015, p. 10.
  • 15.
    Grimaldi M., art. préc.
  • 16.
    Rép. civ. Dalloz, v° « Réserve héréditaire. Quotité disponible », Fongaro E. et Nicod M.
  • 17.
    Rapp. Chauvin M., cons. rapp., www.courdecassation.fr.
  • 18.
    Grimaldi M. (dir.), Dr. patr. famille, n° 264-111, in fine, Dalloz actualité, 2015-2016.
  • 19.
    Cass. 1re civ., 12 janv. 2011, n° 09-17298 : Brunaux G., « Indivision, démembrement de propriété, et action de partage », LPA 14 avr. 2011, p. 10.
  • 20.
    Brunaux G., art. préc.
  • 21.
    Niel P.-L., « Les droits en concours en matière familiale : entre option et cumul de droits », LPA 11 juin 2015, p. 10.
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