« Le droit est difficilement compréhensible pour 88 % des citoyens »

Publié le 19/05/2017

Jeune avocate inscrite au barreau de Paris en mars 2015, Alexa Chapotel est collaboratrice libérale au sein du cabinet BRJ Avocats, cabinet de droit des affaires franco-belge, au sein duquel elle est spécialisée en droit social conseil et contentieux, en droit de la sécurité sociale et en droit des contrats. Elle est depuis janvier 2016 présidente de l’AVIJED, qui promeut l’accès au droit. Pour les Petites Affiches, elle revient sur les missions de cette association.

Les Petites Affiches – L’AVIJED défend l’accès au droit. En quoi se distingue-t-elle d’autres associations ayant, a priori, le même objectif ?

Alexa Chapotel – Il y a deux aspects de l’accès au droit. Le premier consiste dans le fait de pouvoir accéder à la justice. L’octroi de l’aide juridictionnelle pour les personnes ayant des faibles revenus est là pour le garantir. L’autre versant de l’accès au droit, c’est la compréhension des textes et du langage juridique. En amont de tout conflit, il faut rendre le droit plus accessible, plus intelligible. C’est là la mission principale de l’AVIJED. Ces deux aspects sont complémentaires. Le cœur d’action de notre association est de rendre le droit plus compréhensible.

LPA – Le droit est-il donc si peu intelligible ?

A. C. – Lorsque l’on va chez le médecin, on ne pense pas connaître le vocabulaire médical. Il y a des mots que l’on ne comprend pas du tout, et l’on a intégré cela. C’est la même chose en ce qui concerne le droit, mais les gens s’en rendent moins compte… On a tendance à penser que le vocabulaire juridique est moins technique que le vocabulaire scientifique, or il n’en est rien. Certaines notions juridiques sont très difficiles à comprendre, alors même que nous sommes dans une société très juridique. C’est d’autant plus difficile que la recrudescence des lois et des dispositifs réglementaires complexifient le droit, contribuent à le rendre flou. Il y a ainsi eu dernièrement une réforme d’envergure sur la protection du consommateur mais elle n’a pas été expliquée. Or sa rédaction est parfois très complexe à comprendre et nécessite bon nombre d’interprétations ! Pour nous, juristes, qui passons dix heures par jour à travailler sur des questions de droit, il n’est pas toujours aisé de connaître toutes les modalités pour rendre un objet acheté sur internet. Alors imaginez ce qu’il en est pour un consommateur non-juriste…

LPA – Quelles sont les conséquences de cela ?

A. C. – Souvent, les citoyens n’arrivent pas à accéder aux sources. La conséquence immédiate, c’est qu’une partie des citoyens ne fait pas valoir ses droits. Les consommateurs ignorent généralement que lorsqu’un vendeur ne met pas de délai de rétractation lors de la vente d’un objet, ce délai est infini… une situation défavorable peut perdurer dans le temps jusqu’à ne plus pouvoir être rééquilibrée à cause des délais de prescription. En droit du travail, c’est source de bien des problèmes, car les salariés et les employeurs ont tendance à se poser les questions de droit simplement lorsqu’ils se retrouvent en situation de conflit. La clarification du droit est un enjeu important pour les citoyens et pour la société. Elle permettrait de rendre les choses plus fluides, d’éviter des contentieux.

LPA – Comment est née l’AVIJED ?

A. C. – L’origine de l’association réside dans la rencontre, en mars 2013, de Sabra Ghayour, avocate d’origine canadienne, et Névine Lahlou, alors étudiante en droit. Toutes les deux étaient conscientes du déficit d’information juridique dont pâtit la France. Sabra, qui a vécu au Canada, connaissait le travail d’Educaloi, association québécoise de vulgarisation juridique. Névine a été sensibilisée à ces questions au cours de ses études à la Sorbonne. Elles ont réalisé qu’il existait des entités qui travaillent sur l’éducation au droit dans beaucoup de pays, mais pas en France. Ce duo a rapidement été rejoint par Dominique Ankri, juriste d’entreprise expérimentée qui a voulu s’investir à leurs côtés pour soutenir l’action de l’AVIJED. J’ai pour ma part rejoint l’équipe de l’AVIJED en 2014. L’association compte aujourd’hui treize membres actifs.

LPA – Comment travaille l’AVIJED ?

A. C. – L’AVIJED travaille sur trois axes. Le premier est la promotion de l’accès au droit. Notre but est de construire aux côtés de nos partenaires québécois et belges un réseau d’experts internationaux francophones sur la vulgarisation juridique. Cette action a été initiée le 4 février 2016, lors du colloque « DroitClair ! » qui a permis de rassembler des experts africains, belges, suisses… Chacun a pu partager l’expérience développée en vulgarisation, ce fut très riche. Cet axe est complété par la promotion de la vulgarisation du droit en France. Nous échangeons avec des acteurs du droit car il est important de sensibiliser les acteurs qui légifèrent à l’importance d’une rédaction accessible du droit. Un autre axe, beaucoup plus concret, est celui de promouvoir la vulgarisation, en animant des ateliers qu’on essaye de rendre le plus ludique possible. Ainsi, en mai 2016, nous avons animé un atelier dans le cadre du festival du « quartier du livre », organisé par la mairie du Ve arrondissement de Paris. Des acteurs ont joué une saynète racontant l’histoire d’un couple qui avait acheté un canapé qui ne rentrait pas dans le salon. Pouvaient-ils ou non rendre ce canapé ? C’est un problème très concret qui relève du droit de la rétractation. Cet événement a été très bien reçu, nous allons chercher à en développer de plus en plus. Le troisième axe de travail de l’AVIJED est consacré à la recherche.

LPA – Un de vos grands projets consiste à développer une plate-forme juridique…

A. C. – Nous y travaillons en effet, en partenariat avec le ministère de la Justice qui soutient financièrement notre travail. La plate-forme sera déployée en juin 2017 et publiera des fiches juridiques sur des sujets prioritaires : le droit du travail, le droit de la famille, le droit de la consommation… Ces fiches seront accessibles gratuitement, contrairement à celles des plates-formes commerciales.

LPA – Vous avez aussi un projet de vulgarisation pensé pour les personnes sourdes…

A. C. – Nous avons constaté que rien n’était, à ce jour, pensé pour les personnes sourdes et malentendantes. Nous menons actuellement un projet de réalisation de vidéos d’information juridique simplifiée en langue des signes avec notre partenaire ART’SIGN. Ce projet, unique en son genre, pallie un vide important en matière d’accès de l’information juridique pour les personnes sourdes et malentendantes. Ces vidéos seront publiées en mai 2017 lors du lancement de notre plate-forme d’information juridique. Ce projet est soutenu par le ministère de la Justice et la Fondation de France.

LPA – Vous menez également des travaux de recherche. En quoi consistent-ils ?

A. C. – Cette dynamique a été insufflée par Névine Lahlou dès 2013. Nous avons mené une première enquête en 2013-2014, avec le Village de la justice, sur la compréhension des textes de lois. Elle avait révélé que 88 % des citoyens perçoivent le droit comme difficilement compréhensible. Nous travaillons actuellement sur la compréhension des décisions de justice. Nous sommes en cours de sélection de décisions de justice de première instance à cet effet.

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