Les subventions aux entreprises, piliers de leur dynamisme

Publié le 30/10/2018

Au sein de leur cabinet Primo Finance, Clara et Clément Moreau interviennent sur le conseil en subventions européennes, françaises et certificats d’économie d’énergie auprès d’entreprises. S’ils reconnaissent la difficulté pour leurs clients de s’y retrouver dans un très grand nombre de dispositifs (il en existe plusieurs milliers en France), ils ne remettent pas en question la valeur ajoutée économique de ces dispositifs, même si certains sont plus efficaces que d’autres. À l’occasion des dix ans de leur cabinet, ils ont fait réaliser une étude exclusive sur un peu plus de 10 millions d’euros de subventions obtenues par leur soin par des entreprises françaises. Les résultats sont clairs : 10,3 millions d’euros de subventions se sont adossés à 29,9 millions d’investissement ; l’obtention d’une subvention augmente de 22 % en moyenne le chiffres d’affaires des entreprises ; 171 emplois nets ont été créés dans les entreprises aidées. Enfin, 43 démarches en innovations et 66 actions environnementales ont pu voir le jour. En somme, les subventions sont indispensables aux entreprises et soutiennent leur dynamisme comme les démarches éco-responsables. Pourtant, Bruno Le Maire, ministre de l’Économie et des Finances, a rappelé vouloir réaliser 1 milliard d’économies sur les subventions. Alors que les résultats d’une étude commandée par Bercy devrait être dévoilée en septembre, Clara Moreau revient en détails sur les mécanismes des aides et leurs effets sur les entreprises.

Les Petites Affiches

Dans quelle mesure les aides sont-elles indispensables aux entreprises ?

Clara Moreau

Depuis toujours on entend parler des subventions. C’est un sujet assez controversé. Il faut savoir qu’il y a 6 000 dispositifs d’aides différentes en France. Pour certaines aides, on parle d’effet d’aubaine, car les montants ne sont pas forcément significatifs. On peut alors se poser la question de l’« incitativité » de la subvention. Par exemple si l’on parle de 1 000 euros pour un recrutement, la question se pose : est-ce que l’entreprise recruterait quand même sans cette aide ou pas ? On peut penser que malgré tout, elle le ferait, même sans la subvention.

Ma position est claire : aujourd’hui, il y a beaucoup d’aides et je pense que c’est une bonne chose de les repenser pour mesurer leur efficacité. Certes, certaines subventions ne seront pas déterminantes pour une entreprise qui veut recruter, mais en revanche pour des subventions qui touchent à des investissements lourds en matériel – je ne dis pas que recruter n’est pas lourd – cela peut être déterminant. Par exemple, dans le domaine agroalimentaire où nous intervenons principalement, les investissements vont servir à acheter des chambres froides, financer des extensions de bâtiments, des bâtiments neufs. Je pense que les subventions, pour qu’elles aient vraiment un rôle incitatif, doivent être significatives. Si sur un projet de 3 millions, on obtient 900 000 euros de subventions, cela aura un vrai rôle incitatif. Car avec cette aide, l’entreprise va pouvoir aller beaucoup plus vite, faire son investissement plus rapidement. Peut-être que dans son plan de financement ou son prévisionnel, elle avait prévu de faire son projet en deux ou trois étapes et aurait commencé dans un an et demi. Mais finalement elle peut le faire tout de suite car elle sait qu’elle va avoir les financements. Cela peut aider à obtenir le financement bancaire ou au moins, à avoir de la trésorerie. Car une fois que la chaîne de production a été mise en place, il y a toujours un moment où l’entreprise doit rembourser le prêt sans le chiffre d’affaires qui va avec, donc les subventions permettent d’apporter une bouffée d’oxygène à un moment délicat. Les subventions permettent aussi de faire des projets plus importants que prévu. Car quand l’entreprise réalise qu’elle peut avoir un plan important de subventions, elle va éventuellement construire un bâtiment plus grand. Souvent, les dirigeants font une extension de bâtiment qui correspond exactement à leurs besoins du moment, car cela coûte déjà cher. Mais les subventions peuvent rendre possible d’agrandir plus vite. En résumé, les aides permettent de faire plus vite, plus grand et aussi plus écologique, notamment sur la récupération de chaleur. Les entreprises agroalimentaires sont en effet de grosses consommatrices de froid (avec les chambres froides, il y a paradoxalement de la déperdition de chaleur) et ils peuvent récupérer cette chaleur pour chauffer de l’eau, pour nettoyer, etc. Or ce système de récupération de chaleur a un certain coût, et le fait d’avoir ces subventions facilite justement à mettre en place ces installations. À terme, l’entreprise réalise des économies d’énergies et d’argent, tout en créant un cercle vertueux.

LPA

Que vouliez-vous montrer avec votre étude ?

C. M.

Depuis dix ans, nous avons dû traiter plus de 450 dossiers, et nous voyons chaque jour l’impact des aides sur les entreprises. Nous sommes convaincus de l’efficacité des aides. Cela faisait longtemps qu’on voulait mettre en avant leurs retombées positives. Mais il y a eu deux événements qui ont été déclencheurs : l’annonce que les aides de la PAC doivent être réduites de 5 %, et Bruno Le Maire qui a indiqué vouloir revoir les dispositifs d’aide.

Pour notre étude, nous avons donc pris 30 dossiers que nous avons accompagnés, sur lesquels nous avions assez de chiffres sur les retombées. Ces 30 dossiers essentiellement agroalimentaires, correspondaient environ à 30 millions d’euros d’investissement. Tous les impacts ne sont pas liés seulement aux subventions, mais ils sont liés à un contexte favorable à l’entreprise en lui donnant l’énergie de se développer. Par exemple en termes d’augmentation de chiffre d’affaires, c’est un cercle vertueux, dans le sens où grâce aux subventions, l’entreprise va aller plus vite dans son développement, aller plus vite sur d’autres marchés ou aller plus vite sur d’autres produits, ou bien gagner une meilleure gestion des flux de personnes ou des flux de marchandises. Les investissements vont aider le développement de l’entreprise et donc aider à augmenter le chiffre d’affaires des sociétés qui ont été aidées.

LPA

Quid de l’automatisation des métiers ? Cela pourrait pourtant supprimer des emplois…

C. M.

L’automatisation fait que des emplois qui étaient sur une ancienne ligne de production, par exemple, vont monter en compétences. À titre personnel, nous n’avons jamais vu un licenciement sur les 450 dossiers que nous avons traités et pour cause : l’entreprise, pour obtenir les aides, doit être en phase de recrutement et non en phase de restructuration. C’est une montée en compétences dans le sens où les gens qui étaient affectés à l’ancienne ligne de production ne vont pas être affectés sur la nouvelle, mais plutôt évoluer dans l’entreprise ou apprendre un autre métier, mais ils ne seront jamais licenciés. C’est juste une évolution où l’on demande à ces personnes plus de responsabilités et d’autonomie sur des postes à plus grande valeur ajoutée. Ces subventions sont bonnes également sur les actions environnementales, comme pour la sphère de récupération de chaleur, l’achat de machines moins énergivores qui consomment moins mais coûtent cher car elles sont de dernière génération, des chambres froides en eau glycolée (qui utilisent moins de fluide frigorigène) ou encore des installations en CO² ou ammoniaque, qui sont beaucoup plus coûteuses mais davantage en faveur de l’environnement.

Mais ce que nous voyons surtout, c’est de l’innovation produit, ce qui peut comprendre également les SIQO (labels bio, IGP, AOC, Label Rouge…). Par exemple, une entreprise qui veut se développer sur le bio doit respecter un cahier des charges très strict. Il faut notamment être en mesure de bien séparer les marchandises bio des marchandises conventionnelles. Cela signifie que la chambre froide doit être dédiée au bio. Cela nécessite de créer une nouvelle chambre froide, idem pour la ligne de production. Le bio est en plein développement, les consommateurs veulent plus de qualité, c’est pourquoi, l’agroalimentaire souhaite de plus en plus aller vers davantage de qualité, ce qui signifie des investissements et des innovations.

Pour obtenir des subventions, il faut que l’entreprise soit impliquée d’un point de vue local, une façon de soutenir l’agriculture française. Dernier point : les démarches RSE sont boostées par les subventions. On le voit de plus en plus, les entreprises qui sont engagées dans ce genre de démarches sont soit plus enclines à être subventionnées, soit peuvent obtenir plus que prévu.

LPA

Comment voyez-vous les conséquences d’une baisse des subventions de la part de Bercy ?

C. M.

Je ne sais pas comment Bercy réalise son étude. Nous avons envoyé un communiqué au cabinet de Bruno Le Maire. J’aurais bien voulu pouvoir en discuter avec lui, présenter des études, lui parler d’exemples concrets, et pourquoi pas l’emmener dans les entreprises. Car pour nous, tout cela est très concret. Nous sommes au plus près des entreprises, nous savons exactement à quoi servent les subventions. Nous nous occupons beaucoup de fonds européens adossés aux fonds français. Je suis convaincue qu’il faut étudier les fonds européens comme un effet de levier. Si la partie des fonds français diminue sur les subventions, cela va diminuer d’emblée les fonds européens, car on ne peut utiliser des fonds européens que s’il y a une contrepartie nationale ou locale. Si la contrepartie diminue, cela peut diminuer la subvention globale et l’impact sera moins significatif pour l’entreprise.

Je pense qu’il faut observer à la loupe tous les dispositifs, et voir ceux qui sont réellement incitatifs. Mais je serais très surprise qu’on coupe les budgets sur les sujets productifs. Les entreprises ont besoin d’être soutenues au niveau des investissements.

LPA

La France avec ses 6 000 dispositifs d’aides est-elle un cas particulier ?

C. M.

Je ne saurais vous dire… Mais ce que je sais, et qui revient comme un grand sujet pour beaucoup de nos clients, c’est l’injustice des subventions européennes en France et par exemple en Pologne. En Pologne, les entreprises de l’agroalimentaire sont beaucoup plus soutenues, elles obtiennent sur certains sujets jusqu’à 70 % de subventions sur leurs investissements. Il y a quelques jours, j’étais chez un expéditeur de pommes français, un assez gros acteur du secteur. Il me disait que c’était une catastrophe car en Pologne, les producteurs ont un coût de main-d’œuvre moins important, mais sont très soutenus. Ils ont donc des stations fruitières dernières générations hyper bien équipées, ultra performantes. Le gros souci, c’est que les pommes polonaises sont beaucoup moins chères à la vente, et qu’il est dur de s’en sortir pour les producteurs français, qui sont à un prix plancher qu’ils ne peuvent pas abaisser davantage.

Dans le cas des champignonnières, énormément ont disparu ces dernières années. C’est particulièrement rude car le champignon de Paris, qu’il soit produit en France ou en Pologne, s’appellera toujours le champignon de Paris. L’appellation n’a pas été déposée. Donc les champignonnières françaises subissent une concurrence contre laquelle elles ne peuvent rien faire. Cet exemple démontre par ailleurs l’impact fort des subventions : en Pologne les producteurs sont tellement soutenus qu’ils deviennent leaders sur des sujets, grâce aux aides.

LPA 30 Oct. 2018, n° 139e3, p.4

Référence : LPA 30 Oct. 2018, n° 139e3, p.4

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