Concours professionnel d’accès à la magistrature : « La DSJ a manqué de clarté et de lisibilité »

Publié le 31/03/2025 à 15h15

Le nouveau concours professionnel d’accès à la magistrature a lieu ce mercredi 2 avril. Sur les 1500 candidats, 700 ont été rejetés par la Direction des services judiciaires. Certains avaient pourtant eu le droit de concourir les années précédentes avec le même dossier. Ils sont donc plusieurs dizaines à avoir saisi le Conseil d’état pour contester la décision de la Chancellerie à leur encontre.  Me Rémy Dandan, avocat au barreau de Lyon, qui défend plusieurs candidats, nous explique en détail les questions soulevées par ces dossiers concernant l’organisation du nouveau concours. 

Concours professionnel d'accès à la magistrature : "La DSJ a manqué de clarté et de lisibilité"
Me Rémy Dandan, avocat au Barreau de Lyon

Actu-Juridique : Un important contentieux en référé mobilise depuis plusieurs jours le Conseil d’état concernant le nouveau concours professionnel d’accès à la magistrature qui a lieu le 2 avril (notre article ici). Vous en avez défendu une partie, pouvez-vous nous expliquer ce qu’il se passe ?

Rémy Dandan : Comme vous l’indiquez, il existe un nouveau concours professionnel. Il est important de noter qu’il s’agit d’un nouveau concours et pas d’un remplacement partiel du concours complémentaire

Induits en erreur par les larges appels à candidature lancés par l’école nationale de la magistrature (ENM), de nombreux candidats ont légitimement considéré que leur profil pouvait être admis à concourir car ils mobilisaient au moins sept ans d’expérience particulièrement qualifiante à l’exercice des fonctions judiciaires, si l’on en croit les profils similaires admis à concourir avant cette année 2025.

Malheureusement, la direction des services judiciaires, qui instruit désormais les demandes de concourir, a eu une lecture très restrictive de la notion d’expérience « particulièrement qualifiante » à l’exercice des fonctions judiciaires. Résultat : près de 50 % des professionnels souhaitant concourir se sont vu opposer un refus de concourir (700 profils sur les 1 500).

Ces candidats se sont retrouvés et regroupés via les réseaux sociaux et m’ont fait l’honneur de la défense de leurs intérêts. C’est à ce titre que j’ai saisi le Conseil d’État de requêtes en référé-suspension afin qu’il se prononce en urgence, ce qu’il n’a pas manqué de faire. Nos requêtes font grief à la direction des services judiciaires d’avoir insuffisamment motivé ses refus (la motivation était identique pour l’essentiel des recalés), d’avoir rompu l’égalité entre candidats (d’année en année, mais également entre les profils retenus cette année), d’avoir commis une erreur de droit (en appliquant des critères innovants et privés de fondements textuels) et en ayant commis une erreur manifeste d’appréciation quant à l’évaluation des compétences des aspirants candidats.

En effet, contrairement à ce qui a été indiqué aux candidats dans des campagnes de communication de l’école nationale de la magistrature (ENM), de nombreux profils n’ont pas été considérés comme issus d’une expérience « particulièrement qualifiante » aux fonctions judiciaires, alors qu’ils étaient reconnus comme tel les années précédentes dans le cadre de l’ancien concours. Tel est, par exemple, le cas des CPIP, des juristes d’entreprise, et de nombreux autres profils.

Au-delà de ces profils considérés comme ne bénéficiant pas d’une expérience « particulièrement qualifiante » aux fonctions judiciaires, plusieurs candidats se sont vus refuser le droit de concourir au motif qu’ils n’auraient pas correctement rempli le formulaire d’inscription au concours professionnel du second grade. Ces candidats soupçonnent un bug informatique puisque tous se rappellent avoir rempli un formulaire afin de passer le concours du second grade, mais ont reçu un formulaire correspondant à une inscription au concours du premier grade. Ces candidats ne se sont pas trop inquiétés car la deuxième étape de l’inscription consistait à remplir un formulaire sur le site « démarche simplifiées » et qu’ils avaient alors reçu une attestation de prise en compte de leur demande d’inscription au concours du second grade. La direction des services judiciaires a toutefois répondu à leur demande en considérant qu’elle était une demande d’inscription au concours du premier grade et a reproché à ces candidats leur manque de vigilance, ce qui a été retenu par le Conseil d’État, à ce stade.

Enfin, d’autres candidats se sont vus opposer une limite d’âge qui se fonde sur une présomption d’incapacité à remplir l’obligation de service cinq ans. Il est reproché leur âge avancé qui ne leur permettrait pas de satisfaire à l’obligation de service pour une durée minimal de cinq ans. Cet argument sous-entend (sans l’affirmer) que ces candidats pourraient partir à la retraite dès lors que leurs droits seraient ouverts alors que la circonstance que leurs droits leur soient ouverts ne signifient pas qu’ils prendront effectivement leur retraite sans satisfaire leur obligation de servir.

Actu-Juridique : Juridiquement, quelles sont les critiques que l’on peut apporter à la manière dont les dossiers ont été traités ?

RD : À l’évidence, la direction des services juridiques a eu à analyser environ 1 500 demandes de candidature dans un délai extrêmement bref et tardif compte tenu du contexte politique de la fin d’année 2024 (instabilité gouvernementale et parlementaire du fait de la dissolution de l’Assemblée nationale).

Cette nécessité d’instruire plus de 1 500 demandes de candidature dans un délai très court a, vraisemblablement, conduit la direction des services judiciaires à analyser les profils avec une logique de mots-clés. À titre d’illustration, un candidat cadre pouvait être admis à concourir alors qu’il apparaît que les candidats techniciens ne le pouvaient pas car la DSJ considère qu’un cadre a une autonomie qu’un technicien n’a pas. Si la DSJ nie cela, c’est en affirmant qu’elle peut analyser avec précision chaque expérience, alors même que les pièces demandées ne le permettant pas suffisamment.

Mais surtout, ce que nous reprochons à la direction des services judiciaires est un manque de clarté et de lisibilité dans la grille d’analyse des profils et, plus particulièrement, de l’appréciation de l’expérience « particulièrement qualifiante » aux fonctions judiciaires dans les domaines juridique, administratif, économique et social.

Une ordonnance du Conseil d’État rendue en 2024 mettait en évidence la nécessité de prendre en compte l’autonomie, la polyvalence et la technicité des fonctions exercées pour retenir le caractère particulièrement qualifiant des expériences dont se prévalent les professionnels. Toutefois, il apparaît que les dossiers demandés au candidat étaient trop avares en informations pour permettre à la direction des services judiciaires d’apprécier la réalité des fonctions exercées ainsi que le niveau d’autonomie, de technicité et de polyvalence assumée par les aspirants candidats.

Actu-Juridique : Combien de décisions vous ont donné raison, sachant que le pouvoir du juge des référés dans le cadre d’un référé-suspension sont limités ?

RD : Effectivement, dans le cadre du référé-suspension, le Conseil d’État doit se limiter à un contrôle restreint, c’est-à-dire à un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation. En somme, le Conseil d’État doit se limiter à suspendre la décision de la direction des services judiciaires lorsqu’il est évident que cette dernière a commis une erreur d’appréciation des faits ou des règles de droit. Dans le cadre des dossiers que j’ai pu porter devant le conseil d’État, seul un a bénéficié d’une ordonnance de référé favorable ordonnant à la direction des services judiciaires de réexaminer la situation de ma cliente afin qu’elle puisse être admise à concourir quelques jours plus tard.

Toutefois, au regard des débats que nous avons eus toute la semaine au Conseil d’État, et au regard des éclairages que nous avons pu obtenir de la part de la direction des services judiciaires ainsi que des problématiques mises en avant devant le conseil d’État, j’ai bon espoir d’obtenir des résultats favorables pour beaucoup plus de candidats lorsque le Conseil d’État ne sera plus limité par ce contrôle restreint mais qu’il pourra également aller sur les terrains de l’erreur de droit, de la rupture d’égalité et de l’appréciation affiné du caractère particulièrement qualifiant opposé à mes clients.

Actu-Juridique : Comment se sont déroulé les audiences et quels enseignements vous en retirez concernant l’examen des dossiers par la DSJ ?

RD : Les audiences ont permis de mettre en avant la grande difficulté de la direction des services judiciaires de cerner la réalité des fonctions des professionnels sur la base des dossiers demandés. Les pièces justificatives demandées n’étaient pas suffisamment éclairantes sur la réalité des fonctions exercées et par conséquent sur le caractère particulièrement qualifiant de ces dernières aux fonctions judiciaires.

Les audiences ressemblaient à une séance de commission de présélection ou le candidat exposait son parcours professionnel et la réalité des missions exercées afin de convaincre la direction des services judiciaires et le Conseil d’État du caractère particulièrement qualifiant aux fonctions judiciaires de son expérience professionnelle pendant une durée au moins égale à sept ou quinze ans en fonction du concours souhaité.

Elles ont également permis de constater la problématique de la motivation stéréotypée des refus de concourir opposé par la direction des services judiciaires qui ne permettait pas au candidat de comprendre la ou les expériences professionnelles qui n’étaient pas retenues dans leur parcours souvent pluriel.

En somme, elles ont révélé les modalités manifestement obscures de sélection des professionnels admis à concourir manquer de clarté dans les critères de sélection et dans la motivation des décisions.

Actu-Juridique : La réforme de 2023 prétendait ouvrir plus largement l’accès à ce concours, est-ce que l’on constate en pratique ?

RD : Non, la sélection opérée par la direction des services judiciaires ne traduit pas une ouverture par rapport à l’avant réforme puisqu’aujourd’hui des profils retenus avant la réforme ne sont plus retenus. C’est, par exemple, le cas des CPIP qui ont pourtant fait l’objet d’une communication importante de la part de l’ENM qui les a incités à concourir.

Actu-Juridique : Vous allez agir également au fond, pensez-vous avoir davantage de chances de réussite ?

RD : Oui j’en suis convaincu. En effet, les audiences de référé ont été limitées à un contrôle restreint opéré par le Conseil d’État là où ce contrôle sera approfondi au fond. Dès lors, si le large pouvoir d’appréciation de la direction des services judiciaires a été retenu en référé, cette dernière n’aura pas d’autre choix que de justifier de l’objectivité de sa sélection au fond.

La direction des services judiciaires devra ainsi démontrer qu’elle a fait une stricte application des textes et qu’elle n’a pas innové en ajoutant des critères qui ne sont pas prévus par le législateur organique.

Au fond, il sera à mon sens nécessaire pour la direction des services judiciaires qu’elle fournisse une cartographie des profils retenus et des critères mis en exécution afin de favoriser la communication et la transparence concernant les modalités de sélection des profils admis à concourir et considérée comme particulièrement qualifié à l’exercice des fonctions judiciaires.

En somme, je pense que le contrôle restreint auquel est soumis le Conseil d’État en référé a bénéficié à la direction des services judiciaires qui va désormais devoir fournir un véritable travail de démonstration de son objectivité par la transparence sans quoi ses décisions encourent l’annulation.

En tout état de cause, j’espère que l’ensemble de ses affaires auront le mérite de rendre plus transparente la sélection opérée par la direction des services judiciaires afin d’éviter de décevoir des générations de professionnels qui renoncent parfois à leurs emplois pour concourir dans les meilleures conditions.

Actu-Juridique : Le Conseil d’état semble considérer en l’état que la DSJ dispose d’un large pouvoir d’appréciation. Que faudrait-il pour que les candidats ne ressentent pas un sentiment d’injustice dans le traitement de leur dossier, en particulier ceux qui ont déjà été admis et dont on a cette année rejeté la candidature ? Que pensez-vous notamment des trois critères évoqués dans une décision de 2024 : autonomie, variété de l’expérience, technicité ?

RD : Pour que les candidats ne ressentent pas un sentiment d’injustice dans le traitement de leur dossier il faudrait d’abord la direction des services judiciaires publie une cartographie des profils retenus. En effet, il est manifeste que les profils retenus à concourir cette année sont plus restreints que les profils retenus les années précédentes et que nombre d’expériences considérées comme « particulièrement qualifiantes aux fonctions judiciaires » les années précédentes ne le sont plus depuis ce nouveau concours.

Ensuite, je pense qu’il est important que la direction des services judiciaires publie un guide interprétant sa grille de critères afin que les candidats puissent savoir si leur expérience a des chances d’être admise ou non comme étant particulièrement qualifiante aux fonctions judiciaires.

Enfin, l’autonomie, la variété de l’expérience et la technicité ne sont pas des critères mais des indices permettant d’apprécier le caractère particulièrement qualifiant à l’exercice des fonctions judiciaires des missions exercées le professionnel. Je pense que ces critères sont bons, mais que la difficulté réside dans l’insuffisance des dossiers et pièces demandées par la DSJ qui ne lui permettent pas d’apprécier la réalité des expériences à analyser.

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