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Marché de l’art : réflexions autour du droit d’exposition

Publié le 22/03/2022
Exposition
Pavel Losevsky/AdobeStock

Des réflexions sont en cours à l’Assemblée nationale sur l’opportunité d’inscrire le droit d’exposition dans le Code de la propriété intellectuelle, une avancée considérable pour les artistes-auteurs. Doit-on inscrire ce droit dans le Code de la propriété intellectuelle ? Une cinquantaine de députés penchent pour l’affirmative et portent à cet effet la proposition de loi du 11 janvier 2022,  n° 4880.

Le constat du rapport Racine

En janvier 2020, le rapport Racine « L’auteur et l’acte de création » a mis en lumière la dégradation de la situation économique et sociale des artistes‑auteurs. Ainsi, ce rapport a relevé un phénomène déjà ancien de fragilisation des conditions de vie et de création des artistes-auteurs, phénomène aggravé récemment par des facteurs conjoncturels, tandis que les artistes-auteurs demeurent insuffisamment organisés pour faire entendre leur voix et que les pouvoirs publics ne les prennent qu’imparfaitement en considération dans leurs politiques. La dégradation de la situation économique et sociale des artistes-auteurs se traduit par une érosion de leurs revenus, en dépit de l’augmentation générale de la valeur créée. Pour conforter l’artiste-auteur au niveau individuel, le rapport Racine préconise notamment de conditionner toute  aide publique au respect des droits des artistes-auteurs, ce principe s’appliquant notamment à la mise en œuvre effective du droit de représentation dans le domaine des arts visuels et à la rémunération de certaines catégories d’auteurs dans les salons et festivals. Le ministère de la Culture a lancé un travail de fond pour améliorer leurs conditions de création sur la base de ce rapport. Le gouvernement souhaite notamment améliorer la rémunération du droit d’exposition des artistes par les structures publiques. Actuellement, le droit d’exposition ne fait pas toujours l’objet d’une cession, nécessaire au regard des dispositions du Code de la propriété intellectuelle, et rarement l’objet d’une rémunération, ce qui serait souhaitable au regard de l’économie des artistes. « Actuellement, de nombreux lieux d’exposition dans le domaine des arts visuels exonèrent de toute rémunération des artistes lorsqu’ils exposent leurs œuvres. De ce fait, la plupart des artistes en arts visuels sont à peine rémunérés pour leur travail, ce qui entraîne une précarisation de leurs conditions de vie et de création. La pratique artistique ne doit pas être réservée aux seules personnes qui en ont les moyens. La crise sanitaire et économique liée à la pandémie de Covid‑19, qui a entraîné la fermeture des lieux culturels, a accentué encore davantage ces difficultés financières », soulignent à cet égard les députés auteurs de cette proposition de loi.

La recommandation du ministère de la Culture

Le ministère de la Culture a publié, le 18 décembre 2019, une recommandation intitulée : « Une rémunération du droit de présentation publique » destinée à  remédier à cette situation. Cette recommandation préconise un minimum de rémunération au bénéfice des artistes en arts visuels au titre de la présentation publique de leurs œuvres dans le cadre d’une exposition monographique ou collective. Ce minimum repose sur une base volontaire, excepté pour les établissements et structures labellisées bénéficiant d’un soutien du ministère de la Culture. La recommandation est le résultat d’échanges entre les services – musées de France, arts plastiques – et les associations regroupant les Fonds régionaux d’art contemporain (FRAC) et d’échanges entre les centres d’art et les organismes de gestion collective, ainsi qu’avec les directions des musées et monuments nationaux. Il s’agit donc de mettre en œuvre un dispositif simple et lisible dans sa gestion. Ainsi, la fixation d’un minimum de rémunération vise à rendre effectif un droit. Les montants consacrés notamment par les institutions relevant de la Direction générale de la création artistique et de la Direction générale des patrimoines feront l’objet d’un suivi afin de mesurer la progression des montants dédiés au droit de présentation publique. L’extension et la généralisation de la rémunération au titre du droit d’exposition constituent un objectif, inscrit plus généralement dans la diffusion de bonnes pratiques en matière de rémunération des créateurs. Son observation, notamment dans le cadre de la mise en place du Conseil national des professions des arts visuels, devra faire l’objet d’un dialogue entre les organisations professionnelles et les collectivités publiques afin de concilier l’ambition d’une juste rémunération de la création et la dynamique des politiques de diffusion des arts visuels portée par ces collectivités publiques.

Un minimum de rémunération

Le minimum de rémunération s’applique aux expositions temporaires. Ce minimum repose sur une base volontaire et n’a pas vocation à s’appliquer de façon obligatoire à l’ensemble des musées de France. Toutefois, la rémunération du droit d’exposition des artistes vivants doit s’intégrer dans les obligations des établissements et des structures labellisées bénéficiant d’un soutien du ministère. En revanche, ce minimum n’exclut pas une rémunération plus favorable, en relation avec les moyens des structures bénéficiant d’une aide publique. L’instauration de ce minimum garanti s’inscrit dans une démarche réaliste et résolue d’augmentation de la rémunération du travail artistique. Les institutions bénéficiant de subventions du ministère de la Culture devront satisfaire à l’obligation de rémunérer le droit d’exposition selon ces modalités. Le minimum de rémunération est de 1 000 euros pour une exposition monographique, quelle que soit sa durée et quel que soit le nombre d’œuvres. Pour les expositions collectives, le minimum de rémunération est de 100 euros pour tout artiste dont au moins une œuvre est présentée dans le cadre d’une exposition collective, quelle que soit sa durée. Si l’exposition collective présente moins de dix artistes, un montant global de 1 000 euros par exposition devra être divisé par le nombre d’artiste (500 euros par artiste pour un duo, 250 euros pour une exposition de quatre artistes…). Si l’exposition présente plus de dix artistes, il est fait application d’un minimum de rémunération de 100 euros par artiste. Ces seuils de rémunérations ont été volontairement réduits afin qu’ils ne conduisent pas à réduire le nombre de nouvelles expositions, ou à privilégier des artistes extra-européens pour lesquels cette réglementation ne s’appliquerait pas ou des artistes décédés depuis plus 70 ans.

Une mesure d’exemplarité

Pour les députés, « si cette recommandation est un premier pas important vers la reconnaissance matérielle du travail artistique au travers de sa rémunération, son absence de caractère contraignant en limite la portée. Aussi, elle n’englobe pas les structures qui bénéficient d’un soutien de l’État mais dont la tutelle est assurée par d’autres ministères que le ministère de la Culture, dans les domaines militaire, scientifique, industriel, naturel (musées relevant du ministère des armées, de la recherche, ou encore de l’écologie) et du patrimoine ». Le premier objectif de cette proposition de loi est d’inscrire dans le Code de la propriété intellectuelle cette obligation de rémunération minimum des artistes exposant dans les structures qui bénéficient d’un soutien de l’État. Il s’agit d’une mesure d’exemplarité de l’État en matière de respect du droit de la propriété intellectuelle et artistique. L’attribution d’aides publiques doit être conditionnée à la garantie que les artistes exposés lors d’une exposition temporaire bénéficient d’une rémunération. L’article 1er propose de donner une valeur contraignante au principe de rémunération des artistes plasticiens exposant dans les établissements bénéficiant d’un soutien direct de l’État en l’inscrivant dans la loi, par l’introduction d’un article L. 122‑7‑1 au sein du code de la propriété intellectuelle. Cet article renvoie au pouvoir réglementaire la définition d’une grille tarifaire de rémunération minimale. Afin de veiller au respect de l’application de la législation et des bonnes pratiques professionnelles, la proposition de loi – article 2 – prévoit également la mise en place d’un service de médiation pour dénouer les litiges qui pourraient subvenir entre les artistes en arts visuels et les acteurs de l’aval ; les éditeurs, les producteurs ainsi que les diffuseurs.

Des difficultés d’applications spécifiques

L’article 3 de la proposition de loi prévoit que la cession gratuite des droits d’auteur doit faire l’objet d’une mention distincte au sein d’un contrat justifiant de l’intention libérale. En mars 2021, la ministre de la Culture, Roselyne Bachelot, s’était engagée à faire aboutir les travaux en cours concernant la rémunération du droit d’exposition des artistes par les musées et les FRAC. Pour ces institutions, le droit d’exposition pose des difficultés supplémentaires, car il leur incombe de verser des rémunérations pour l’exposition des œuvres qu’elles ont acquises. C’est pourquoi cet article 3 vise à garantir que les artistes‑auteurs ne puissent se voir imposer unilatéralement une cession gratuite de leurs droits d’auteur.  Un challenge à relever pour le législateur afin de sécuriser la rémunération des artistes-auteurs.

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