« Nous avons en commun la volonté d’amener le droit aux justiciables »

Publié le 10/10/2024
Concept de droit, justice, loi
Irene/AdobeStock

D’un côté, Allaw, une jeune plateforme de mise en relation avec des professionnels du droit. De l’autre, Droits d’urgence, une association de terrain presque trentenaire qui défend l’accès au droit en Île-de-France. En juin 2024, ces deux structures ont noué un partenariat pour défendre leur ambition commune : permettre à toutes et tous, et en particulier aux personnes vulnérables, de bénéficier facilement d’une aide juridique. Ludovic Stang, cofondateur de la startup Allaw, et Gwenaëlle Thomas-Maire, directrice de Droits d’urgence, détaillent les modalités de ce partenariat. Entretien.

AJ : Vos structures, la plateforme Allaw et l’association Droits d’urgence, peuvent sembler différentes. Pouvez-vous les présenter ?

Ludovic Stang : Allaw est une plateforme d’intermédiation qui permet facilement aux particuliers de prendre rendez-vous avec un notaire, un avocat, ou un commissaire de justice. Elle est en ligne depuis janvier 2024 et sa vocation est de rendre le droit accessible. Elle a une double ambition : faciliter l’accès aux parcours de justice pour les citoyens et accompagner la digitalisation des professionnels du droit. À ces derniers, nous apportons de la visibilité et de nouveaux clients. Nous avons beaucoup de jeunes professionnels récemment installés qui n’ont pas de collaborateur. Nous leur donnons la possibilité d’avoir un secrétariat externalisé grâce à la plateforme. Une dizaine de professionnels rejoint Allaw chaque semaine. On a bénéficié d’une levée de fonds de 500 000 euros et sommes en chemin pour une deuxième levée de fonds de plus de 2 millions d’euros pour installer la marque sur tout le territoire. À ce jour, Allaw est surtout présente à Nantes et en région parisienne.

Gwenaëlle Thomas-Maire : L’association Droits d’urgence existe depuis près de 30 ans. Elle accompagne chaque année 80 000 personnes à travers 12 000 permanences implantées dans une centaine de lieux, principalement à Paris. En 1994, les principales associations œuvrant contre l’exclusion proposaient un accompagnement social, mais pointaient l’absence d’accompagnement juridique. À cette époque, dans les années quatre-vingt-dix, quelques permanences d’accès au droit existaient en mairie ou dans les tribunaux. C’était un barrage : quand on ne dispose pas d’un titre de séjour en règle, franchir les portes d’un tribunal fait peur. Droits d’urgence s’est construite dans une dynamique d’« aller vers ». Nous approchons le droit du justiciable car l’inverse n’aura pas lieu. En 1994, une des premières permanences a été créée pour les personnes sans abris dans les sous-sols de la gare de Lyon. Nous avons depuis l’origine une approche généraliste. Quand quelqu’un vient nous voir pour un problème de titre de séjour, nous regardons sa situation de manière globale pour voir si s’ajoutent d’autres problématiques de droit concernant le travail, la famille, le logement ou le surendettement, par exemple. Nous avons alors ouvert d’autres permanences sur les sites où sont reçues des personnes en situation d’exclusion : centres d’hébergement et d’accueil, centres sociaux, hôpitaux, prisons. Nous travaillons main dans la main avec les équipes de ces lieux de vie dans lesquels nous nous implantons. Nous avons ensuite conclu des partenariats plus institutionnels, avec la ville de Paris, le tribunal judiciaire et le barreau de Paris, en gardant toujours cette dynamique d’aller vers. Nous partageons cet ADN avec Allaw, qui à sa manière va également vers les justiciables.

AJ : Comment s’est faite la rencontre entre vos deux structures ?

Ludovic Stang : Notre entreprise s’est construite autour de l’ambition de mettre la tech au service du plus grand nombre. Notre valeur première est l’accessibilité au droit. Nous avions conscience que tous nos publics n’avaient pas accès aux outils digitaux. Nous nous sommes mis en quête d’associations qui pouvaient les accompagner. Nous avons aimé le côté généraliste de Droits d’urgence. L’accès au droit pour tous est notre fer de lance. Nous avons beaucoup de points d’adhésion et une vision commune du sujet. Nous voulons nous inscrire comme entreprise à mission sur le sujet. L’accès à la justice tout comme l’accès au soin nous semblent des piliers fondamentaux de la démocratie.

Gwenaëlle Thomas-Maire : Nous recevons des fonds publics, car nous avons une mission d’intérêt général. Ces fonds sont cependant susceptibles de varier, et nous avons besoin de diversifier nos sources de financement. Nous sommes donc toujours à la recherche de partenaires privés : entreprises ou cabinets d’avocats avec lesquels nous partageons des valeurs. Les valeurs communes que nous partageons avec Allaw sont évidentes. Même si nous nous adressons avant tout à un public en situation d’exclusion et que Allaw vise un public plus large, nous avons une ambition commune d’améliorer l’accès au droit.

AJ : En quoi consiste ce partenariat ?

Ludovic Stang : Nous nous sommes inspirés du modèle philanthropique 1-1-1 rendu célèbre par le concepteur de logiciel américain, Salesforce. Il s’agit de reverser à l’association partenaire 1 % du chiffre d’affaires de l’entreprise et 1 % du temps de travail des collaborateurs, soit une semaine par employé pendant laquelle chacun dans son domaine de compétence accompagne l’association, sur la communication ou sur l’informatique, par exemple. À terme, nous souhaitons également pouvoir offrir 1 % de nos produits, sous forme de licences. Par exemple, quand Droits d’urgence organise des événements, nous pouvons leur proposer des licences pour organiser ces rencontres de manière fluide. Ce partenariat nous permet d’embarquer nos collaborateurs et de donner du sens à leur action. Cela crée de la cohésion à l’intérieur de l’entreprise.

Gwenaëlle Thomas-Maire : Allaw nous apporte des fonds, c’est important, car cela nous permet de consolider nos fonds propres. Mais cette entreprise nous accompagne aussi sur les « compétences support » : les associations ont toujours du mal à les financer. Chez Droits d’urgence, nous sommes 50 salariés, avec 4 personnes pour organiser leur travail et celui de 300 bénévoles. Nous avons besoin de compétences extérieures sur les questions informatiques et de communication notamment.

AJ : Quel constat fdressez-vous l’un et l’autre en matière d’accès au droit ?

Ludovic Stang : 25 millions de Français font appel à un notaire chaque année. Près de la moitié des Français a déjà consulté un avocat. Pour autant, plus de 70 % des Français estiment que l’accès au droit est difficile et 84 % qu’il faut le faciliter. D’ordinaire, les LegalTechs sont pensées par des avocats pour des avocats. Nous avons fait l’inverse en nous mettant dans la position du justiciable qui ignore le type de professionnel du droit qui doit l’accompagner, et le champ de compétence de chaque avocat. La plateforme intègre l’intelligence artificielle, qui va vous orienter vers un notaire, un commissaire de justice ou l’avocat qui exerce dans le bon champ de compétence nécessaire en fonction des réponses données au questionnaire.

Gwenaëlle Thomas-Maire : Nous vivons aujourd’hui dans un contexte juridique qui se complexifie. L’accès au droit est devenu très difficile, et l’intervention d’aidants sur le terrain devient fondamentale. Plus vous êtes en situation de précarité, plus vous êtes éloigné du droit. Or le droit est dans toute notre vie : nous avons tous un acte d’état civil, un loyer, un contrat de travail… Il n’y a aucun parcours de vie sans droit. Quand une rupture de droit se fait, elle peut entraîner des pertes en cascade. Les gens ne sont pas tous connectés. Nous veillons à toujours garder une présence de terrain. Même auprès des jeunes, supposés connectés : on va distribuer des tracts et sensibiliser au droit dans les festivals, les lieux de distribution alimentaire, on tient des permanences à la maison des étudiants à Paris.

AJ : Justement, les plateformes n’accentuent-elles pas cette dématérialisation que vous craignez ?

Gwenaëlle Thomas-Maire : La société se déshumanise avec la dématérialisation des services publics. Mais l’idée d’Allaw n’est pas de remplacer les avocats mais au contraire d’amener les gens vers des personnes ressources. Droits d’urgence a également lancé en 2018 la plateforme DroitsDirects (www.DroitsDirects.fr), destinée aux victimes de violences conjugales et à leur entourage. C’est une plateforme d’information et d’orientation vers les bonnes personnes ressources. C’est la même logique que celle d’Allaw. Beaucoup de gens ne savent pas comment saisir un professionnel du droit.

Ludovic Stang : Nous nous contentons d’orienter les justiciables et n’avons en effet aucune velléité à remplacer les professionnels du droit. Nous croyons très fort au pouvoir des rencontres dans le domaine juridique. Je préviens toujours qu’un bon notaire pour quelqu’un ne le sera peut-être pas pour quelqu’un d’autre. La dimension humaine de nos métiers est fondamentale.

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