« Nous proposons que le tribunal de commerce devienne le tribunal de l’économie »
Georges Richelme a été élu à la présidence de la Confédération générale des juges consulaires de France le 15 décembre dernier par le conseil d’administration de l’association. Il avait présidé le tribunal de commerce de Marseille entre 2012 et 2016.
Association loi 1901, la Conférence générale des juges consulaires de France (CGJCF) est l’institution principale de représentation des juges des tribunaux de commerce. Ces derniers peuvent en effet y adhérer librement. Sa vocation première est de permettre à ses adhérents de disposer des formations et des documents nécessaires à l’exercice de leurs missions de juge. Le 15 décembre 2016, le conseil d’administration de la CGJCF a choisi Georges Richelme pour assurer le mandat de trois ans de président de la Conférence. À ce titre, il devient membre de droit du Conseil national des tribunaux de commerce, organe consultatif présidé par le garde des Sceaux. Son prédécesseur, Yves Lelièvre, avait fait ses adieux lors du congrès de Marseille qui s’est tenu les 8 et 9 décembre derniers.
Georges Richelme, 62 ans, a été président du tribunal de commerce de Marseille entre 2012 et 2016 et a notamment supervisé l’épineux dossier du redressement judiciaire de la SNCM. Juge consulaire depuis 1992, il a poursuivi en parallèle une carrière professionnelle au sein du groupe Eurocopter (désormais renommé Airbus Helicopters), dont il fut directeur juridique jusqu’en 2012. Pour ce mandat, le nouveau président a mis l’accent sur deux points essentiels : la présentation d’un plan d’action pour renforcer la présence institutionnelle de la Conférence générale et le développement de nouvelles activités pour les tribunaux de commerce. L’objectif avoué est de transformer le tribunal de commerce en futur tribunal de l’activité économique.
Les Petites Affiches – Quel est le rôle de la Conférence générale des juges consulaires ?
Georges Richelme – Il y a aujourd’hui sur le territoire français 3 240 juges consulaires qui se répartissent dans les 134 tribunaux de commerce. À cela il faut ajouter les sept chambres commerciales d’Alsace-Moselle qui ont un statut un peu particulier. La Conférence générale des juges consulaires de France est une association qui a pour vocation de représenter l’ensemble des juges, mais également de porter le message de la justice économique auprès des pouvoirs publics. Lors de son passage à Marseille le 9 décembre pour le congrès national, le garde des Sceaux a d’ailleurs réaffirmé que la compétence des tribunaux de commerce ne pouvait être contestée et a précisé que les juges consulaires étaient « les gardiens du tissu économique de notre pays ».
LPA – Quelles seront les priorités de votre mandat ?
G. R. – Les trois dernières années ont été l’occasion de nombreux conflits entre les pouvoirs publics et la Conférence des juges consulaires. Je pense notamment à la loi Macron qui a amené les tribunaux de commerce spécialisés (TCS) et où il a fallu défendre les intérêts des juges. Ou encore la loi Justice du XXIe siècle où l’on a voulu nous caler sur le statut des magistrats, ce qui était oublier une différence fondamentale : les juges consulaires sont bénévoles et ont un autre métier. Un chef d’entreprise n’a pas les mêmes contraintes qu’un juge dont c’est la seule activité. Nous serons vigilants sur les décrets d’application pour vérifier que l’on ne désorganise pas les tribunaux. Le mandat que le nouveau bureau du conseil d’administration et moi-même avons pris pour trois ans a la volonté de faire des propositions. Avec le texte Justice du XXIe siècle récemment adopté, nous souhaitons nous placer en force de proposition sur cette justice de demain.
LPA – Vous avez évoqué un plan d’action pour développer l’activité des tribunaux de commerce, pouvez-vous développer sur ce sujet ?
G. R. – Aujourd’hui, vous pouvez avoir une activité commerciale, donc soumise au droit de l’insolvabilité, et qui ne dépend pas du tribunal de commerce. Puisqu’on nous dit que la justice est en faillite, que les magistrats sont débordés et n’ont plus le temps, nous proposons que le tribunal de commerce devienne le tribunal de l’économie. Il faut que l’on rajoute dans les compétences de ce tribunal des sujets qui sont actuellement traités dans les tribunaux de grande instance au lieu d’être jugés chez nous comme le voudrait la logique. Un exemple : les baux commerciaux, éléments clés du fonds de commerce, se traitent au TGI. Transférer le contentieux des baux commerciaux au tribunal de commerce fait sens. Je pense aussi aux associations qui gèrent des centres de soins, ou l’insertion de personnes. Ces dernières peuvent concourir à des appels d’offres, mais s’ils déposent le bilan et sont en cessation de paiement, ils vont se rendre au TGI et pas au tribunal de commerce. Autre cas de figure, un agriculteur qui vend sa production directement grâce à son statut dépendra du TGI alors qu’il s’agit d’une activité économique. S’il passe demain en SARL pour avoir la même activité, il dépendra du tribunal de commerce. Ce sont des incohérences qui gagneraient à être résolues. La propriété intellectuelle est dans le même cas de figure. Nous proposons qu’il n’y ait qu’un seul tribunal de l’insolvabilité, et que cela soit le tribunal de commerce. Il faut une réflexion sur ces sujets accompagnée par une extension de l’activité des tribunaux de commerce.
LPA – Comment se portent les tribunaux de commerce aujourd’hui ?
G. R. – Les tribunaux de commerce ont un budget quasi inexistant. Les problèmes de moyens sont une réalité pour les tribunaux de toutes les juridictions, nous sommes cependant les parents pauvres de ce système. La différence avec notre juridiction est que le fonctionnement de l’administration de la justice consulaire est porté par le greffe qui est une charge. Les entreprises et justiciables paient des frais qui vont au greffe, cette partie ne pèse pas sur nous. En revanche, les frais de fonctionnement quotidien des juges sont problématiques. Si vous voulez payer des frais de déplacement à un commissaire qui doit aller voir le débiteur dans le cadre d’une procédure collective, il n’y a quasiment pas de budget.
LPA – La Commission européenne a récemment affirmé sa volonté de créer un droit des faillites européen. Quel impact cela peut-il avoir sur le droit français ?
G. R. – Les services de la Chancellerie ont en effet déjà commencé à faire un travail d’étude sur cette directive et mon prédécesseur a participé à des réunions sur le sujet. Au titre de son rôle d’institution de la justice consulaire, la Conférence générale souhaite évidemment être associée à la réflexion. Nous sommes les praticiens de la procédure collective, et la Conférence joue ici pleinement son rôle de représentation. Il est important que nous participions activement aux études sur le sujet en apportant notre aide et notre soutien. Je tiens à rappeler que les tribunaux de commerce ouvrent 60 000 procédures collectives par année, je pense que notre expertise sur le sujet ne peut être mise en doute.
LPA – Considérez-vous cette future directive comme une opportunité ou un risque ?
G. R. – En réalité il s’agit des deux. Lorsqu’on établit des textes au niveau européen, il y a toujours une sorte de confrontation entre deux systèmes juridiques : les pays du Nord de l’Europe ont des systèmes qui n’ont pas le même fonctionnement. Entre le système romano-germanique de droit civique et celui de l’Europe du Nord, il ne faut pas qu’il y en ait un qui prenne le pas sur l’autre. Notre système de procédure collective est plutôt efficace, même s’il nécessite d’être décomplexifié (la faute aux réformes qui ont été empilées depuis 1985). Nous ne souhaitons donc pas qu’il soit dénaturé par une directive européenne. Mais cette directive peut aussi être considérée, il est vrai, comme une opportunité pour le faire évoluer et le rendre plus simple sur certains aspects. Pour cela il faut cependant que l’on mette dans la boucle les gens qui le connaissent. Le juge consulaire est le juge de la procédure collective.
LPA – Les juges consulaires gardent une position atypique à mi-chemin entre le monde du droit et la vie économique. Comment choisit-on de s’engager dans cette carrière ?
G. R. – C’est une question intéressante, car beaucoup de personnes s’interrogent sur les raisons qui poussent à aller dans cette direction. Le mandat de juge consulaire est une mission qui demande beaucoup de travail et nécessite une formation. Bien sûr il y a un vrai intérêt intellectuel, mais c’est aussi une application de ce concept d’engagement citoyen dont on entend souvent parler aujourd’hui. Le juge consulaire est l’exemple du mandat citoyen : il s’agit d’un chef d’entreprise ou un cadre dirigeant qui va donner une partie de son temps à la collectivité et rendre, de manière bénévole, le service de la justice.