Paris juridiction internationale

Publié le 11/01/2018

Le contexte du Brexit crée des opportunités dans de nombreux secteurs. C’est notamment le cas de la justice commerciale internationale, et Paris est, à ce titre, aux premières loges. Grâce aux soutiens de nombreux acteurs du monde du droit, la cour d’appel de Paris pourrait d’ailleurs accueillir une chambre spécialisée dans les litiges internationaux dès l’année prochaine.

Ce 13 décembre 2017, la première chambre de la cour d’appel de Paris accueillait « Paris juridiction commerciale internationale ». La conférence se voulait une tribune offerte aux nombreux juristes qui souhaitent le développement vers l’international de la place de droit parisienne. Comme le soulignait la garde des Sceaux, Nicole Belloubet (qui patronnait cette journée), le contexte est particulièrement opportun : « La sortie du Royaume-Uni de l’UE pourrait lui faire perdre son accès à l’espace judiciaire commun », a-t-elle rappelé en soulignant que « les juridictions londoniennes verraient ainsi leur attractivité diminuer et peuvent être supplantées par d’autres juridictions implantées dans l’espace européen ».

Londres, place historique de la justice commerciale internationale. En matière commerciale, financière ou économique, les parties se soumettant à un contrat international ont le libre choix de la juridiction devant laquelle sera porté un éventuel litige. Un principe qui avait permis à Londres de devenir un acteur majeur en ce qui concerne la résolution des litiges commerciaux et financiers internationaux. Outre la qualité de ses juges et l’usage de l’anglais, langue des affaires, c’est aussi la présence du Royaume-Uni dans l’UE qui jouait en sa faveur : les décisions des tribunaux britanniques bénéficiaient automatiquement de la reconnaissance et de l’exécution automatique au sein des pays de l’Union européenne. « La plupart des contrats commerciaux sont écrits en common law aujourd’hui », explique Guy Canivet, premier président honoraire de la Cour de cassation, pour qui « cette concentration est le résultat d’une stratégie politique du Royaume-Uni pour avoir un droit puissant au niveau international ». Si d’autres places de droit, telles que les Pays-Bas ou Dubaï, ont cherché à promouvoir leurs juridictions, celle de Paris est longtemps restée inactive sur le sujet. La création de l’association Paris Place de droit en 2015 (avec le soutien de nombreux partenaires tels que la CCI de Paris, le Cercle Montesquieu ou l’Association française des juristes d’entreprises) et un certain volontariat de la part du barreau de Paris a permis de rectifier le tir. Il faut aussi noter l’existence d’une chambre internationale au sein du tribunal de commerce de Paris depuis 2010. Mais comme le faisait remarquer son président Jean Messinesi, il s’agissait jusqu’à maintenant de la seule chambre en France où les parties peuvent plaider en anglais si elles en conviennent.

L’obstacle de la langue. Il est vrai que l’héritage de l’ordonnance de Villers-Cotterêts (qui impose le français comme langue de procédure) a pu représenter un obstacle majeur au développement international de la place parisienne. Il est cependant loin d’être indépassable selon Chantal Arens, première présidente de la cour d’appel de Paris. « En deux mois, le barreau de Paris et la cour d’appel ont parfaitement compris qu’il fallait s’adapter à l’article 2 de la Constitution. Un protocole qui permet d’intégrer une langue étrangère au procès est tout à fait envisageable ». Un point qu’a également souligné la ministre de la Justice, « afin d’éviter une mesure d’inconstitutionnalité, le juge ne s’exprimera qu’en français, mais l’on peut mettre en place une traduction dans une langue étrangère choisie par les parties ». La garde des Sceaux a également suggéré l’installation de cabines d’interprétariat, comme l’on peut en trouver à la Cour de justice de l’Union européenne. Une autre piste résolument futuriste a aussi été évoquée : celle d’un système de traduction automatisée permettant d’assurer l’interprétation en direct des débats qui se tiendraient en langue étrangère. Cela demanderait cependant l’usage de logiciels de transcription vocale et de traduction automatique dont les solutions actuelles ne sont pas complètement éprouvées, selon Nicole Belloubet.

Le rapport Guy Canivet. Le 4 mai 2017, Guy Canivet apportait une pierre importante à l’édifice en remettant au garde des Sceaux Jean-Jacques Urvoas un rapport visant à la création de chambres commerciales internationales. Le président du haut comité juridique de la place financière de Paris et ancien membre du Conseil constitutionnel suggérait notamment que cette nouvelle chambre puisse utiliser la langue anglaise dans l’examen des preuves, l’échange des écritures et la conduite des débats. Il faudrait également aménager les règles de procédures (en concertation avec les avocats spécialisés) pour établir des usages adaptés et faciliter la production de pièces et l’audition de témoins ou d’experts à l’audience. Guy Canivet préconisait enfin une gestion rigoureuse des délais, un examen approfondi et contradictoire des éléments de preuve et une instruction orale complète à l’audience afin de rendre cette chambre attractive au niveau international. Présent à la conférence du 13 décembre dernier, il affirmait : « il s’agit d’adapter le droit commercial français à celui du commerce international » détaillant que « la concurrence internationale s’impose aux tribunaux français. Ils doivent la prendre en compte s’ils veulent continuer à être reconnus par les grands opérateurs mondiaux ».

La place de Paris possède de nombreux avantages et tient toutes les cartes en mains pour devenir une véritable juridiction internationale en mesure d’attirer les opérateurs mondiaux. Outre une justice de qualité et peu onéreuse, Paris possède déjà une communauté de juristes hautement qualifiés pour juger des litiges internationaux complexes et habitués à la pratique de droits et de langues étrangères. D’après la Chancellerie, la chambre internationale de la cour d’appel de Paris pourrait tenir ses premières audiences courant mars 2018. Jacques Bouyssou, fondateur de Paris Place de droit, revient pour les Petites Affiches sur cette nouvelle opportunité pour Paris.

Les Petites Affiches

Pourquoi avoir organisé cette conférence « Paris juridiction commerciale internationale »?

Jacques Bouyssou

L’objectif initial était de donner une tribune à Guy Canivet qui a fait un excellent rapport pour le haut comité juridique de la place financière de Paris où il préconise la création d’une juridiction spécialisée pour traiter des litiges internationaux en matière de droit des affaires. La globalisation des affaires a créé un véritable mouvement autour de certaines places de droit qui sont devenues des forums internationaux de règlement des litiges et qui se sont imposées comme une alternative à l’arbitrage. D’autres places ont cherché à s’imposer comme Singapour ou Dubaï qui ont su créer une offre sur le marché. Ce sont toutes des places anglophones qui ont une légitimité évidente, mais qui, de façon assez paradoxale, ne sont pas en mesure de faire la même offre que Paris.

LPA

Justement, qu’est-ce que Paris peut apporter que les autres places de droit mondiales n’ont pas ?

JB

Londres est la capitale financière mondiale et une importante place de droit anglophone, mais c’est une ville dont les juristes ne sont pas habitués à travailler dans une autre langue ou un autre droit que le leur : ils travaillent uniquement en common law et en anglais. C’est la même chose pour Dubaï. Singapour a eu l’intelligence de recruter des juges de nombreux pays (France, Espagne, Brésil, etc.) pour montrer leur capacité à résoudre des conflits dans toutes les cultures. Mais Paris a d’autres avantages uniques : il s’agit tout d’abord d’une des villes de droit parmi les plus anciennes au monde, l’un des berceaux du droit civil et de la culture des droits de l’Homme. Le barreau de Paris est aussi celui au monde où l’on retrouve la plus forte culture internationale. Cela en partie grâce au fait qu’il s’agit également d’une place d’arbitrage : on trouve des avocats argentins, irakiens, sud-africains, anglais, etc. Il est aussi important de souligner que nous avons en France une justice de très haut niveau, extrêmement efficace et gratuite puisqu’il n’y a que les droits de timbre à régler. À Londres et dans les autres places, c’est beaucoup plus cher. Notre personnel est habitué à la vie des affaires, je pense par exemple au tribunal de commerce de Paris qui est composé de juges élus par leurs pairs. Enfin, il faut noter l’intérêt de notre présence dans l’Union européenne. Cela permet les facilités offertes par le droit communautaire pour l’exécution d’un jugement, ce qui est valorisé dans un certain nombre de litiges internationaux.

LPA

Le rapport de Guy Canivet sera-t-il suivi par le ministère de la Justice ?

JB

Il ne sera pas suivi dans toutes ses propositions, car certaines risquent d’avoir du mal à s’inscrire dans la culture française. Cependant, la ministre de la Justice a entendu le message de Guy Canivet et a décidé de créer une chambre internationale à la cour d’appel de Paris. Le problème principal reste celui de la langue à l’audience, car la langue de la procédure est et restera le français. On pourra admettre des moyens de preuve dans d’autres langues, mais la langue de l’assignation et des conclusions restera le français conformément à l’application de l’ordonnance de Villers-Cotterêts. Il y aura cependant des juges spécialisés en droit international qui comprennent l’anglais ; avoir un contrat en anglais ne sera plus une difficulté et sera admis. Cela permettra de proposer une véritable offre de service en expliquant aux acteurs du commerce international qu’il y a à Paris une juridiction qui peut trancher les litiges dans votre droit national ou dans celui qui est choisi dans le contrat.

LPA

Le Brexit a-t-il accéléré ce mouvement de fond vers une juridiction internationale ?

JB

L’idée existait avant le Brexit, mais celui-ci a évidemment créé une opportunité historique. Un certain nombre de litiges qui allait à Londres uniquement parce que l’anglais est la langue des affaires pourront aujourd’hui venir à Paris. Ils auront la possibilité d’être traités en langue anglaise et conserveront tous les avantages qu’offre l’Union européenne pour l’exécution des jugements. Un nombre important de dossiers internationaux sont déjà traités à Paris, mais nous voulons développer ce volume. Tout cela ne sera cependant pas du jour au lendemain, car cela demande à ce que les juristes qui rédigent des contrats décident de faire des clauses attributives de compétence à Paris plutôt qu’à Londres ou à Singapour. Et les contrats qui sont rédigés en 2018 ne viendront pas devant les tribunaux avant 2020 ou 2022.

LPA

Avec quelles autres villes européennes Paris est-elle en concurrence ?

JB

Il y a Francfort et Bruxelles qui sont deux concurrents avec des atouts très différents. Francfort est la place financière européenne, mais ne dispose pas du personnel de juristes internationaux dont nous disposons ni de la culture internationale. Bruxelles de son côté propose une offre moins ambitieuse et capitalise sur le fait qu’elle soit capitale de l’Union européenne. Malgré tout, je reste persuadé que nous avons toutes nos chances pour nous imposer : c’est un très beau projet avec une vraie ambition. Avoir une place de droit forte à Paris et un forum de règlements des litiges internationaux est important pour le rayonnement de la France, l’idée s’est désormais imposée et il y a un fort soutien de la part de tous les acteurs juridiques.

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