Paris (75)

Paul-Louis Netter : « Après le temps de la crise, arrive le temps du contentieux »…

Publié le 24/02/2022
Gestion de crise
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Conformément au Code de l’organisation judiciaire, l’audience de rentrée solennelle doit se tenir… Mais cette année, au tribunal de commerce de Paris, elle a été organisée sans public, du fait de la crise sanitaire qui ne permet pas d’accueillir des invités. Paul-Louis Netter, son président, revient sur le bilan de l’année 2021, entre l’adaptabilité nécessaire à la multiplication des cas de Covid, l’affirmation de certaines tendances et l’improbabilité du mur des faillites des entreprises.

Actu-Juridique : Que dire de cette année 2021 du point de vue du tribunal de commerce de Paris ?

Paul-Louis Netter : L’année 2021 n’a pas été similaire à l’année passée. Évidemment, en 2020, nous étions dans la sidération, du moins, au début. Nous avons été obligés de nous adapter dans l’urgence, nous n’avions pas le choix. Il nous a fallu trouver des solutions rapides. 2021 a été assez différente ; cette année a été contrastée. Nous avons eu recours à des possibilités procédurales, à certains moments, qui n’étaient plus possibles à d’autres – comme la visioconférence –, nous avons fait face à des protocoles sanitaires qui ont varié dans le temps. Nous n’avions cependant plus l’effet de surprise ressenti l’année précédente. Globalement, nous avons bien travaillé et retrouvé un rythme de travail normal, notamment grâce aux auxiliaires de justice, mandataires et administrateurs judiciaires.

AJ : Quels sont les contrastes que vous avez remarqués ?

P.L.N. : Le contraste est assez marqué entre l’activité des procédures collectives et l’activité contentieuse. Les procédures collectives ne comprennent pas ce que j’appelle le traitement des difficultés des entreprises. Lorsque je parle de procédures collectives, je cible la sauvegarde – à laquelle vous pouvez avoir recours lorsque vous n’êtes pas en cessation des paiements –, le redressement judiciaire ainsi que la liquidation judiciaire. Or cette partie-là a eu très peu de « clients », si je puis dire. En 2021, en effet, nous avons des chiffres de procédures collectives (2 079) inférieures à ceux de 2020 (2 463). En année « normale », comme en 2019, nous en avions eu 3 359.

Nous avons donc assisté à la poursuite de la baisse des procédures collectives.  J’ai voulu comparer la situation avec ce qui se passait il y a quelques années. Si l’on prend le chiffre de l’année 2021 – 2 079 – on peut noter un recul de 16 points par rapport à l’année 2020. Mais si l’on se réfère à l’année 2016, la baisse s’élève à 46 %. Cela nous donne l’impression d’être face à une véritable tendance.

AJ : Comment expliquer cette baisse ?

P.L.N. : Les créanciers fiscaux et sociaux (notamment l’Urssaf) sont peu actifs ; cela explique très largement cette baisse. Aujourd’hui, en somme, si vous ne payez pas vos charges, on ne vous poursuit pas. Certains observateurs pensent que cela pourrait se poursuivre sur, au moins, les six premiers mois de l’année 2022.

AJ : Vous soulignez également une autre tendance : le recours aux procédures amiables. Qu’en est-il ?

P.L.N. : Oui, il s’agit d’un autre élément important. Pour rappel, les procédures amiables comprennent la conciliation et le mandat ad hoc – pour l’essentiel, le mandat ad hoc. Ce sont des procédures confidentielles. Le principe de ces procédures – et c’est la raison pour laquelle on parle de procédures amiables et non collectives – c’est que vous ne négociez pas forcément avec l’ensemble des créanciers, mais avec certains d’entre eux, et les accords que vous passez sont effectués avec ceux qui ont participé à la négociation. Si un créancier n’a pas participé à la procédure, les décisions qui résultent de l’accord ne s’imposent pas à l’ensemble des créanciers, contrairement à ce qui se passe pour les procédures collectives.

Dans notre tribunal, les procédures amiables n’ont jamais baissé, et cette année, ont même augmenté. Alors certes, elles n’augmentent pas beaucoup, mais cela est quand même significatif ; il s’agit d’une augmentation de 11 % par rapport à l’année 2020. Au total, cela fait 313 procédures. Cela peut paraître assez peu mais c’est néanmoins la première fois que le cumul de ces procédures amiables dépasse le total cumulé des procédures de sauvegarde et de redressement judiciaire (237).

Je ne parle pas des liquidations judiciaires, puisqu’il s’agit évidemment des procédures les plus nombreuses, mais, en général, le nombre de salariés moyen par liquidation est d’un peu plus de un. Cela représente donc un nombre important de procédures mais, au final, assez peu de personnes.

AJ : Quelles conclusions tirez-vous de ce dépassement inédit des procédures amiables ?

P.L.N. : D’abord, il convient de noter que le volume des procédures collectives est à un niveau statistiquement bas : il y a, en effet, peu d’assignations des créanciers fiscaux et sociaux. Les procédures amiables, à l’inverse, ont tendance à être davantage utilisées. Cela s’explique par le fait que ces procédures fonctionnent bien et que leur culture s’implante progressivement. Pourquoi est-ce important ? Parce que lorsque vous faites la démarche d’ouvrir une conciliation ou un mandat ad hoc, c’est que vous venez solliciter l’aide d’un professionnel de la négociation car vous êtes conscient de vos difficultés tandis que, dans le cas d’une procédure collective, vous êtes obligé de venir car vous êtes en cessation des paiements et disposez donc d’un délai de 45 jours pour demander l’ouverture de cette procédure.

Cette culture de la procédure amiable progresse donc. On avait coutume de dire, il y a encore un an, que les procédures amiables étaient réservées aux entreprises disposant d’avocat(s), d’une direction financière capables de faire des prévisions. Mais, en 2021, nous avons vu des entreprises petites et moyennes utiliser ces procédures. Il y avait néanmoins des dispositions légales – les conciliateurs pouvaient suspendre les créances exigibles – ayant favorisé ces actions. Ainsi, ceux qui avaient des dettes savaient qu’ils avaient une possibilité d’obtenir l’étalement de ces dettes s’ils rentraient en conciliation. Cela les a aidés à franchir un cap.

Ce constat est important et mérite d’être suivi afin de voir si le tournant favorable envers les procédures amiables se dessine durablement.

Je parlais également de l’efficacité des procédures amiables ; lorsque vous êtes en redressement judiciaire, vous avez 30 % de chances de vous en sortir. En revanche, dans le cas d’une procédure amiable, c’est exactement l’inverse, vous possédez 70 % de chance de vous en sortir, puisque vous êtes venu plus tôt. Il s’agit donc de prendre appui sur un mandataire, sur un administrateur. Le tribunal est un lieu, non seulement d’exécution des peines, mais aussi de résolution des difficultés.

AJ : Quel est le poids du contexte actuel ?

P.L.N. : La véritable question est la suivante ; va-t-on retrouver notre vie normale un jour ? Oui, cela va arriver. Je pense que nous ne serons pas confrontés au mur des faillites puisque les entreprises ont du temps devant elles. Et si elles ne réussissent pas à s’en sortir, elles vont peut-être baisser leurs effectifs… Elles vont s’adapter.

AJ : Quels sont vos autres points d’attention ?

P.L.N. : Un autre élément important, c’est la croissance du contentieux ; cela m’a beaucoup frappé.

8 678 nouvelles affaires ont été introduites au contentieux – c’est-à-dire le litige au fond. Il peut s’agir d’une prestation mal exécutée ou d’une prestation qui a été exécutée et n’a pas été payée : toute occasion de conflit entre commerçants.

Ce chiffre est en augmentation de 23 % par rapport à l’année 2020. Mais cette année était un peu « déprimée » : pas mal de chefs d’entreprise pensaient que la priorité n’était pas de faire des procès mais de tenir la tête hors de l’eau. Ce qui est intéressant, c’est qu’il y a cependant eu, en 2021, une hausse de 12 % par rapport à l’année 2019, ce qui représente environ un millier d’affaires. Donc on a l’impression qu’après cette période, où la survie et la continuation économique de l’entreprise étaient prioritaires, les gens se sont dits « après tout, on me doit de l’argent… ». Selon moi, il y a un effet rattrapage. Au moment du Covid, le temps n’était pas celui du procès. Mais, suite à cela, il semble que ce qu’on pouvait admettre durant la crise n’est plus admissible aujourd’hui, et le temps du contentieux est arrivé.

AJ : Au-delà des chiffres, cela traduit-il un état d’esprit des chefs d’entreprise ?

P.L.N. : Les temps sont durs, et si vous considérez qu’une personne vous doit de l’argent, vous allez le réclamer. Par ailleurs, la crise a peut-être créé des tensions avec les actionnaires, des contrats ont certainement été rompus, ce qui a donné lieu à des actions en responsabilité pour rupture brutale du contrat, etc. On peut noter qu’il n’y a plus l’inhibition présente au début de la crise. Il va être intéressant de voir si la hausse du contentieux se maintient cette année. Pour moi, cela reste une interrogation.

AJ : À votre avis, l’année 2022 va-t-elle continuer à marquer l’affirmation de tendances lourdes, ou va, au contraire, constituer un retour à des chiffres plus habituels ?

P.L.N. : Est-ce que la croissance du contentieux va se maintenir ? N’était-ce qu’un rattrapage et les chiffres vont-ils redescendre ? Si on imagine que les procédures collectives vont être encore un peu déprimées cette année, que va-t-il se passer après ? Vont-elles reprendre ? Est-ce que la procédure amiable va continuer sa lancée ?

Tout cela dépend également de la façon dont nous retrouverons un rythme ainsi qu’une activité normale. À la fin des fins, en quoi le Covid aura-t-il modifié profondément nos comportements ? Et ceux des entreprises ?

Je discutais la dernière fois avec un juge consulaire dont les activités professionnelles l’amenaient normalement à l’autre bout de la planète. Il me racontait qu’au moins la moitié de ses réunions se faisait désormais en visioconférence. L’impact du télétravail sur la cohésion du corps social que représente une entreprise n’a pas encore été mesuré, cela rend notamment plus difficile le management. Il faut encore un peu de recul pour cela. Je ne crois pas au monde nouveau. Cependant, cela ne veut pas dire que certaines choses ne changeront pas…