Raphaël Mayet, bâtonnier des Yvelines : après les JO, fédérer les avocats et se tourner vers les justiciables
Si 2024 a coïncidé avec les Jeux olympiques et paralympiques (JOP), 2025 marquera le bicentenaire du barreau des Yvelines. Une année encore chargée pour le bâtonnier, Raphaël Mayet, alors qu’il salue l’engagement sans faille de ses confrères et consœurs.
Actu-Juridique : Quel a été l’impact des Jeux sur les Yvelines ?
Raphaël Mayet : Le barreau de Versailles a été sollicité il y a plusieurs mois car les autorités avaient exprimé une crainte, celle d’une augmentation des infractions qui pouvaient être constatées en présence de nombreux spectateurs, dont des touristes étrangers. À l’origine de cette crainte, le souvenir de l’organisation de la finale de la Champion’s league au stade de France en 2022, dans une grande rapidité et sans trop de préparation, puisque l’invasion de l’Ukraine avait rendu cette organisation impossible en Russie. Des spectateurs étrangers, anglais avaient été victimes d’agressions, de vols, cela s’était mal passé.
Le département des Yvelines a été le 3e lieu d’accueil des Jeux. Nous avons eu beaucoup d’épreuves en milieu fermé, comme celle du cyclisme sur piste, du BMX, de l’équitation, mais aussi des épreuves ouvertes avec les courses cyclistes, les deux marathons ou, lors des paralympiques, du golf, rendant impossible de contrôler l’accès des spectateurs à la zone de passage des sportifs. Beaucoup de réunions ont été organisées à cette occasion, qui ont permis d’expliquer les restrictions de circulation qui auraient lieu pendant la période, comme de se préparer à l’éventualité d’une augmentation importante des procédures qui devraient être jugées, sachant que l’idée directrice était que ce qui se passait aux Jeux devait rester et être jugé pendant les Jeux.
A-J : Le système policier et judiciaire a-t-il été surdimensionné ?
Raphaël Mayet : Il y a eu des cas de malveillance sur les TGV, qui ont fait craindre que l’on puisse être en prise avec des événements organisés, sans oublier des craintes liées à l’actualité internationale ou encore d’actes terroristes à proximité des gares. Après coup on peut se dire : « On a prévu les grandes marées et on n’a même pas eu un clapot », mais on s’était préparé à une éventualité, sachant que ce n’était qu’une éventualité. Finalement, il faut se réjouir que ça se soit passé dans de bonnes conditions, mais je ne pense pas qu’il y ait eu surdimensionnement.
A-J : Comment vous êtes-vous organisé ?
Raphaël Mayet : Un dédoublement des structures susceptibles de juger directement les infractions qui pouvaient être constatées a été mis en place. Du côté du barreau, nous avions des avocats de renfort, volontaires, s’agissant d’une période où il y a traditionnellement moins d’activité. Les avocats ont répondu présents, certains souhaitant aussi rester pour assister aux épreuves. Finalement, ils n’ont été sollicités pour les renforts prévenus qu’une seule fois, et deux fois pour les renforts victimes. Nous avions dédoublé la permanence du tribunal, mais la mobilisation des magistrats et des policiers n’a pas engendré d’activité spécifique aux JO. En réalité, les épreuves se sont déroulées dans un très grand calme, comme nous en a vite convaincus la tenue d’épreuves un peu à risque comme le match Mali/Israël. La forte mobilisation des services de sécurité, avec une présence très visible des forces armées, y compris dans le centre-ville de Versailles, a sans doute permis d’éviter une augmentation de l’activité pénale. Peut-être a-t-on assisté à une contagion de l’esprit olympique, puisqu’il s’agissait d’une rencontre de tous les pays du monde, et non d’un pays contre un autre. Le département a été très mobilisé, dans une sorte de parenthèse enchantée dont il reste à déterminer si les effets seront positifs sur le long terme.
Au niveau du barreau, nous avons aussi créé un certain nombre d’affiches, placées dans différents lieux, contenant un QR code qui permettait d’avoir accès au site du barreau avec les langues pratiquées – de l’afghan à l’allemand –, idéal pour les clients étrangers, victimes ou poursuivis.
A-J : Finalement le bilan est positif pour le barreau ?
Raphaël Mayet : Nous avons vu l’enthousiasme des avocats pour l’événement en tant que tel, car la flamme olympique est passée en bas de la maison de l’avocat, à Versailles, le 23 juillet, et ils étaient nombreux à y assister. Ensuite, ils ont montré la volonté d’être présents s’il y avait des besoins. Il faut dire que l’année précédente, il y a eu une demande très brutale après les émeutes urbaines de juin 2023, qui n’était pas préparée. Les avocats avaient pu répondre spontanément. Cette année, nous étions prêts sans les besoins en face, mais ce n’est pas inutile de préparer une organisation pour qu’elle soit capable de répondre à des circonstances exceptionnelles.
A-J : Quels sont les enjeux pour 2025 ?
Raphaël Mayet : L’année 2024 a été marquée par les Jeux. 2025 sera marquée par le bicentenaire de notre barreau, forts de 754 avocats en exercice sur 900. Nous aurons à cœur de rassembler le barreau dans toutes ses composantes, d’âge et de situation. Il y a 20 ans, les avocats se voyaient constamment au palais de justice, mais aujourd’hui, avec la dématérialisation et le télétravail, ces données ont foncièrement évolué. L’ordre doit donc créer des ponts au sein de notre profession. Ainsi, les avocats honoraires, retraités mais qui assument encore beaucoup de missions pour l’Ordre et représentent souvent ce qui fait la tradition de la profession en nous mettant en garde contre ce qu’on croit être de bonnes idées, mais qui ont déjà été expérimentées avec difficultés par le passé, siègent désormais au conseil de l’ordre, avec voix consultative, ce qui était déjà le cas pour les jeunes avocats. Dès le début de l’année, nous avons aussi adopté la charte internationale des droits du jeune avocat, pour manifester que nous prenions en compte tous les avocats, quelles que soient leur ancienneté et situation d’exercice. Nous avons aussi mis en place un certain nombre d’activités fédératrices comme les activités sportives ou de loisirs. Il faut se prémunir contre le risque d’archipélisation.
A-J : Quid de la santé mentale des avocats ?
Raphaël Mayet : Nous avons pris conscience, comme d’autres barreaux, de l’état d’épuisement mental de certains de nos membres, abîmés par la crise sanitaire et les difficultés économiques qui en ont découlé. Depuis septembre, nous avons mis en place un cycle de consultations psychologiques, ce qui est une nouveauté. Jusque-là on considérait que l’avocat exerçait une profession indépendante, et que chacun était responsable de sa propre santé. En réalité, nous sommes bien une profession indépendante mais nous exerçons tous au sein d’un même ordre. Les personnes qui ont le plus besoin de soutien ne sont pas forcément celles qui vont prendre l’initiative elles-mêmes d’aller voir un professionnel, donc cette initiative dédramatise le recours au soutien psychologique et permet une vraie accessibilité de l’accompagnement psychologique.
A-J : Comment mieux se projeter vers les justiciables à l’occasion du bicentenaire ?
Raphaël Mayet : Force est de constater que certains restent aux marches du palais. Nous allons par exemple mettre en place des consultations accessibles aux personnes en situation de handicap d’ici décembre [la Journée mondiale des personnes handicapées est le 3 décembre, NDLR] car aujourd’hui la situation des cabinets ne permet souvent pas leur accueil. En partenariat avec l’association Droit pluriel, nous allons former les avocats au droit du handicap et à l’accueil des personnes en situation de handicap, visible ou invisible, ce qui va bien avec le coup de projecteur qu’ont permis les Jeux paralympiques, dont le rayonnement a été inédit. L’accès au droit passe par un droit et des professionnels accessibles.
Aussi, sur un département comptant des villes aisées, des banlieues défavorisées mais qui reste majoritairement rural et agricole, certains résidents ont moins d’accès au droit. Il existe déjà le bus de l’insertion dans les Yvelines, pourquoi ne pas s’y intégrer pour permettre un accès au droit itinérant ? À l’étude, nous avons aussi l’idée d’une exposition photo à Versailles afin d’être au cœur de la cité, et rencontrer ceux qui sont aux marches du palais. Le parent d’un enfant autiste, quand il ne sait pas quels sont ses recours face à l’hospitalisation de son enfant en hôpital psychiatrique parce qu’il n’y a pas de place ailleurs, en fait partie. Tout comme de nombreux autres justiciables, mais aussi des entreprises ou des collectivités. Nous communiquons aussi beaucoup sur LinkedIn ou Instagram, pour toucher différentes générations, et enfin nous procédons à l’explication du droit auprès des élèves, avec le tribunal ou lors du festival du film judiciaire. Cette année, par exemple, il comprenait un film sur le harcèlement scolaire. Il est très intéressant d’aller aux marches générationnelles du palais.
A-J : Vous accordez beaucoup d’importance à visiter les lieux de privation de liberté…
Raphaël Mayet : En effet. Depuis décembre 2021, la loi a confié aux bâtonniers un droit de visite qui existait jusque-là pour les parlementaires. Cela a constitué l’une de nos priorités, parce que le département des Yvelines compte quatre établissements pénitentiaires. Je trouve cette tâche essentielle car c’est la seule fois que la profession d’avocat se voit confier un rôle au-delà de l’organisation de sa propre profession. Nous avons là un rôle sociétal à jouer, qui est de dire ce qui se passe derrière des murs où les gens ne vont pas.
J’ai souhaité que les quatre établissements pénitentiaires soient visités avant juillet. À l’établissement pour mineurs de Porcheville, nous nous sommes intéressés à la question de l’interruption de l’éducation des mineurs pendant la période estivale, tandis qu’à la maison d’arrêt de Poissy, nous avons questionné la problématique de la réinsertion des détenus en très longue peine. Sur tous les établissements pénitentiaires, nous avons constaté une grave difficulté liée à la prise en charge de la santé mentale des détenus. Un surveillant pénitentiaire n’est pas un soignant et inversement. À Porcheville, il n’y a pas de pédopsychiatre référent et pas non plus d’infirmier de pratique avancée, alors que cela pourrait permettre de déceler des comportements inquiétants ou autoagressifs, et réduire le risque suicidaire. Le problème de surpopulation carcérale à Bois-d’Arcy est préoccupant, avec plus 150 détenus vivant à trois dans 9 m². Nous devons travailler en partenariat avec l’administration pénitentiaire et faire des propositions. Ainsi nous avons proposé de mettre en place un concours d’éloquence à Porcheville, idée qui a été acceptée à notre grande joie. Ce sera pour les jeunes l’occasion de se remettre à lire, à réfléchir, à s’exprimer et enfin de prendre confiance en soi, donc de briller en dehors de ce qui les a amenés à être détenu.
Référence : AJU015o8