Reconstitution d’un procès : le collège Lucie Faure en immersion

Publié le 18/06/2019

Dans le collège Lucie Faure, au cœur du XXe arrondissement de Paris, un projet inédit a vu le jour en avril dernier. Une classe de 4e s’est immergée dans les dessous de la justice en rendant possible, dans l’enceinte de l’établissement, la reconstitution d’un vrai procès. Lancée conjointement par plusieurs de leurs professeurs et soutenus par un avocat engagé, les élèves ont pu découvrir le fabuleux et tragique théâtre de la justice.

Damien Roudeau

La voix de Sira est un peu hésitante. Elle commence à parler, se rétracte, saisit son menton de nervosité. Dans la vraie vie, Sira est une collégienne de 4e D, au collège Lucie Faure, à Paris. Mais en ce 16 avril, elle a pris quelques années et s’est dotée d’une robe d’avocat pour endosser le rôle d’une greffière. Si elle a un peu le « trac », c’est qu’elle doit ouvrir le début du procès qui se déroule dans la salle de classe. Tous les yeux sont braqués sur elle.

Le procès ? Oui, en cette matinée printanière, la banale salle de classe a effectué une mue qui durera le temps de quelques heures. Sur les tables, des papiers rédigés à la main, ont été déposés. « Greffe », « Défense », « Procureur », « Juge » ou encore « Huissière », autant d’acteurs de la justice, qui sont tous représentés. Les élèves, selon les rôles qui leur ont été distribués, ont rejoint les différents pôles auxquels ils appartiennent. L’affaire jugée ce jour est celle d’un tragique accident de la circulation, lors duquel un enfant a été renversé par un jeune chauffard. Il ne survivra pas.

Dans un coin, leur professeur d’histoire, l’un des enseignants à l’origine de ce projet de reconstitution de procès, veille avec tendresse sur ses ouailles, les encourage. Dynamique, multipliant les projets pédagogiques, Renaud Farella fait preuve d’une réelle appétence pour les sujets de justice et de droit. Il a déjà fait venir dans ses classes des avocats bénévoles au sein de l’association d’Initiadroit qui organise des interventions scolaires. Mais cette fois, les élèves donnent de leur personne en devenant eux-mêmes des acteurs de justice.

Un dossier basé sur des faits réels

L’idée de reconstituer un procès est née de la rencontre de plusieurs cerveaux. D’abord, dans l’esprit de Romuald Oumamar, leur professeur d’arts plastiques. Ce dernier avait pour ami l’avocat pénaliste, Julien Vernet. Lors d’une conversation, l’éventualité de reconstituer un procès est évoquée. Me Vernet, qui aurait rêvé de devenir professeur, confesse-t-il, aime transmettre, échanger avec les élèves. Il a déjà eu une expérience dans un établissement précédent, mais un peu trop courte pour aller au bout des choses. La bonne volonté de Renaud Farella va aider à concrétiser le projet. Car si le procès constitue un temps ludique par sa forme, il n’en reste pas moins un vrai moment d’apprentissage. « Je suis toujours étonné de constater à quel point les gens, même éduqués, n’ont finalement aucune idée du fonctionnement de notre système judiciaire », reconnaît l’avocat. Autant prendre le taureau par les cornes et enseigner les bases aux élèves, justiciables de demain. « Parfois je vois des classes qui viennent assister à des procès en correctionnel. C’est une fausse bonne idée, car face à des affaires financières ou de violences, ils ne connaissent pas les dossiers et ne comprennent pas les enjeux. Cela peut être rébarbatif. Pour avoir du ‘’vrai spectacle’’, il faut aller aux assises ! ».

En attendant, peut-être une sortie, la reconstitution de procès apparaît comme une solution intéressante. Afin d’aborder les choses avec pédagogie, l’avocat se met donc en quête d’un dossier qui « parlera » aux élèves. Si son choix se porte d’abord sur une affaire d’escroquerie, il estime dans un second temps que l’affaire est trop technique. Il pense alors à l’histoire d’un jeune homme qui renverse un enfant en voulant doubler un camion. Le dossier est réel : Me Vernet y avait défendu la partie civile : « J’ai dû retirer toute mention des noms, précise-t-il, afin de pouvoir s’en servir. Mais j’ai laissé tous les procès-verbaux tels quels, afin que les élèves puissent voir les notifications qui s’ajoutent les unes aux autres au fur et à mesure que l’affaire évolue, formant un véritable mille-feuille ». Eux qui peuvent avoir une image très figée de la justice, les voilà face à une matière littéralement vivante. « Pour les élèves, être confrontés à l’histoire d’un jeune homme de 22 ans peut leur parler. D’autant plus qu’il était consommateur de cannabis. Les questions d’addiction peuvent aussi en concerner certains », précise Renaud Farella. Car Me Vernet le répète. « J’ai voulu montrer à quel point cela pouvait arriver à tout le monde. Ce n’est pas un dossier impressionnant de braquage. C’est juste un jeune homme qui conduit une camionnette et qui est coincé dans les bouchons, derrière un camion. En retard, il décide de se déporter dans la file de bus, pour le dépasser. Il n’est pas le seul d’ailleurs à le faire : avant lui, six autres voitures ont eu la même idée. Seulement, lui va se retrouver avec un bus en face, et va devoir se rabattre. C’est dans ces conditions qu’il renverse l’enfant de 11 ans. Sa faute, sa vraie faute, dure 10 secondes ». Au final, deux familles sont détruites, des existences bouleversées.

Découvrir le monde de la justice

Une fois le dossier choisi, Me Julien Vernet se rend deux fois au collège. La première séance est l’occasion de rencontrer les élèves et de leur présenter le fonctionnement général de notre système judiciaire, les différents acteurs d’un procès, les rôles et missions de chacun. Puis, lors d’une seconde séance, les élèves étudient le dossier avec lui. Ils découvrent les pièces importantes du dossier. Puis ils rejoignent les différents groupes – défense, partie civile, juge, dessinateurs de presse ou greffiers – selon leurs affinités et souhaits. Les élèves préparent ensuite leur future prestation. « Ce qui est réjouissant, c’est le côté collectif du travail mené. Entre les collégiens « scolaires » qui étudient les dossiers et les élèves plus à l’aise à l’oral, chacun participe avec ses qualités… Comme ça se passe dans un cabinet d’avocat, d’ailleurs », remarque le pénaliste. Un procès ressemble étrangement à une scène de théâtre : les émotions les plus terribles se succèdent les unes aux autres, dans un étrange ballet, celui de la vie. Sans doute cette fascination est-elle la raison pour laquelle ces élèves, d’habitude volontiers bavards, glissent leurs professeurs, ont fait preuve d’un sérieux et d’une concentration étonnante… et réjouissante.

Le jour J arrive. Après l’ouverture du procès, les élèves vont chacun jouer leur rôle. Les phrases résonnent comme un écho à la réalité judiciaire. « Les faits qui vous sont reprochés sont homicide involontaire, conduite sous stupéfiant et blessures involontaires », invective le juge. Tandis que le procureur assène, vers la fin des échanges, que le prévenu est « un conducteur dangereux, indifférent, qui consomme encore des substances, qui rigole. Je ne suis pas convaincu de ses regrets ». La reconstitution se veut l’occasion d’un apprentissage continu. Au sein de chaque groupe d’élèves, se sont glissés des professionnels, avocats ou magistrats, afin d’aider les prises de parole, corriger les éventuelles erreurs de procédure… On entend ainsi quelques murmures et des paroles qui se reprennent. Parfois quelques hésitations. Mais la fluidité de l’exercice est étonnante, l’implication des élèves, très claire. Il faut dire, la robe aide. « Dès qu’ils l’ont mise, ils étaient enchantés. Cela transcende la fonction », explique Me Vernet… qui confie dans un rire avoir subtilisé les tenues de ses quinze collaborateurs les plus petits pour en fournir aux élèves !

Entre vertus scolaires et vertus citoyennes

Pour les collégiens, un tel projet est valorisant. Quel que soit le rôle endossé. Romuald Oumamar se réjouit notamment que les élèves plus timides et taiseux aient pu trouver aux aussi leur place en devenant des dessinateurs de presse, saisissant ici un signe de fatigue, un rictus de colère, un geste d’agacement. « J’avais réalisé un cours général pour présenter les particularités du croquis dessiné où tout va vite : la gestuelle, les proportions… Le dessinateur Damien Roudeau, qui avait joué un dessinateur de procès lors d’un tournage, est venu réaliser des croquis et a proposé des exercices pratiques aux élèves pour désinhiber le geste et ne s’attacher qu’au résultat. Au final deux élèves se sont portés volontaires pour réaliser les dessins lors du procès ». Comme dans la réalité. « Souvent, les photos sont prises avant l’audience. Mais dans les salles de procès, le dessin reste roi », justifie Romuald Oumamar.

Et tandis que les deux dessinateurs en herbe levaient sans cesse leurs yeux avant de les reposer sur leur feuille de papier pour dessiner les scènes du procès, d’autres élèves avaient rejoint le groupe des greffières. Là encore, pour les élèves moins à l’aise à l’oral, cette mission de l’écrit s’avérait essentielle. « Les greffières ont réalisé un super boulot. Elles se sont révélées être capables de tout noter, de réaliser des prises de notes en temps réel, de faire passer les informations. Impressionnant ! », analyse Renaud Farella.

Les « prestations » orales des élèves ont été saisissantes, spécialement le juge, plein de verve et de fougue. « Très sérieux », « bluffant », les adultes qui ont assisté au procès n’ont pas tari d’éloges. Pour Me Vernet, c’est aussi l’une des vertus de l’exercice. « Dans une société où les bons élèves sont ceux qui ne font pas de vagues et ne s’éloignent jamais de la norme, il est bon de montrer qu’avec sa personnalité, même si elle est différente, on peut trouver sa place, explique-t-il. Les Éric Dupont-Moretti et les Frank Berton n’étaient pas exactement ce qu’on appelle des élèves sages, mais plutôt grandes gueules. Pour réussir, il faut avoir une part d’indisciplinarité ! ». Et qui sait si, parmi les élèves, certains n’auront pas eu une épiphanie et ne souhaiteront pas, un jour, endosser, pour de vrai cette fois, la robe d’avocat ? Lors de la reconstitution, Yousra, 13 ans, jouait justement une avocate. « Ce n’est pas forcément le métier que je veux faire, mais je ferai peut-être des études de droit », lançait-elle juste avant le début du procès, plongée dans ses notes de plaidoirie. L’illusion était presque parfaite.

LPA 18 Juin. 2019, n° 145g8, p.4

Référence : LPA 18 Juin. 2019, n° 145g8, p.4

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