Retraites à prestations définies : la France transpose la directive européenne

Publié le 20/09/2019

C’est à travers la loi Pacte et son ordonnance du 3 juillet dernier, que la France a procédé à la transposition de la Directive 2014/50/UE du 16 avril 2014  relative aux retraites à prestations définies. Emmanuelle Barbara, senior partner, Isabelle Hadoux-Vallier, collaboratrice counsel, et Boris Léone-Robin, avocat senior au cabinet August Debouzy, livrent leur analyse du nouveau cadre juridique.

Publiée en mai dernier, la loi Pacte (plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises) (L. n° 2019-486, 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, JORF n° 0119, 23 mai 2019) a servi de véhicule juridique à la France pour transposer la directive 2014/50/UE du 16 avril 2014 relative aux prescriptions minimales visant à accroître la mobilité des travailleurs dans l’Union européenne (UE) en améliorant l’acquisition et la préservation des droits à retraite.  L’ordonnance n° 2019-697 du 3 juillet 2019, relative aux régimes professionnels de retraite supplémentaire (JORF n° 0153, 4 juil. 2019), vient achever avec retard cette transposition qui devait intervenir avant le 21 mai 2018.

Emmanuelle Barbara, senior partner, Isabelle Hadoux-Vallier, counsel et Boris Léone-Robin, avocat senior au cabinet August Debouzy livrent leur analyse du nouveau cadre juridique.

LPA

Quel était l’objet de la transposition ?

Isabelle Hadoux-Vallier

La directive européenne invitait les États membres à plusieurs actions :

– supprimer tout système pour lequel un droit à retraite existant en raison d’une relation de travail est lié à la condition d’atteindre l’âge de la retraite ou à la satisfaction d’autres exigences ;

– autoriser des régimes prévoyant un délai d’attente avant d’y accéder et/ou une période d’acquisition avant d’accumuler des droits à retraite, sans que la période cumulée (délai d’attente et/ou période d’acquisition) ne puisse excéder trois ans ;

– encadrer les régimes dans lesquels tous les droits à pension risquent d’être perdus si le salarié quitte l’entreprise avant la fin d’une période d’affiliation ou avant un âge minimal requis (21 ans) ;

– permettre, lorsque le salarié quitte l’entreprise avant d’avoir accumulé des droits à pension acquis, le remboursement des cotisations versées ;

– garantir que les droits acquis par un salarié sortant puissent être conservés au sein du régime qui a permis cette acquisition et préserver ces droits à pension devenus dormants ;

– s’efforcer d’améliorer la transférabilité des droits acquis ;

– enfin, développer un système d’information clair et régulier auprès des bénéficiaires sur les droits acquis et les conséquences en cas de cessation d’emploi.

LPA 

Jusqu’à présent, quels étaient les dispositifs existants en France ?

Boris Léone-Robin

Les entreprises françaises disposaient de tout un arsenal de dispositifs à caractère collectif pour aider leurs salariés à se constituer des droits à retraite supplémentaire : d’une part, les régimes de retraite à cotisations définies et les Plan d’épargne pour la retraite collectif (Perco), et d’autre part les régimes de retraite à prestations définies par lesquels l’entreprise promet un montant déterminé de pension à percevoir au moment de leur retraite. Du fait d’un traitement social considéré comme favorable à l’origine, la très grande majorité de ces dispositifs conditionnait le versement de la pension de retraite à l’achèvement de la carrière dans l’entreprise.

Les premiers sont désormais complétés par les PER (plans d’épargne retraite) d’entreprise, issus de la loi Pacte. L’ordonnance précisant le régime juridique de ces dispositifs vient d’être publiée (Ord. n° 2019-766, 24 juil. 2019 portant réforme de l’épargne retraite JORF n° 0171, 25 juil. 2019). Les seconds se voient désormais interdits par la loi Pacte, transposant la directive UE de 2014 et complétée par l’ordonnance n° 2019-697 du 3 juillet 2019.

Emmanuelle Barbara

Au-delà de cette transposition, les nouvelles règles sont aussi l’occasion d’encadrer ces régimes de retraite à prestations définies qui, bénéficiant souvent aux mandataires sociaux, suscitent de temps à autre dans l’opinion publique quelque émoi du fait des montants de la provision mathématique.

LPA

Quelles sont les nouvelles règles du droit interne ?

I. H.-V.

Alors que les régimes de retraite à prestations définies n’existaient officiellement et quasiment que par les dispositions les régissant sur plan social (les régimes dits « article L. 137-11 du Code de la sécurité sociale »), l’ordonnance dote d’un cadre juridique les contrats de retraite professionnelle supplémentaire figurant dans les réglementations propres aux opérateurs gérant ce type de régime (assureurs et fonds de retraite professionnelle supplémentaire). Ces caractéristiques, qui figurent dans l’article 1er de l’ordonnance, sont le fruit de la transposition de la directive européenne.

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Quelles sont ces caractéristiques ?

E. B.

Tout contrat de retraite professionnelle supplémentaire souscrit par un employeur doit respecter les éléments suivants :

– prévoir des droits payables au bénéficiaire au plus tôt à la date de liquidation de sa pension dans un régime d’assurance vieillesse de base ou à l’âge minimum de départ en retraite (62 ans aujourd’hui) ;

– ne pas remettre en cause les droits du bénéficiaire du fait de son départ de l’entreprise  (pour un motif autre que la retraite). Il en résulte que ses droits sont acquis, ce qui constitue un changement radical avec les régimes de retraite à prestations définies existant à ce jour ;

– conditionner le cas échéant l’entrée dans le contrat à une durée minimale d’ancienneté et/ou le déclenchement de l’acquisition de droits (une fois à l’intérieur du régime) à une condition de durée minimale de cotisations. La somme de ces durées lorsqu’elles sont toutes les deux prévues par un même régime ne peut excéder 3 ans ;

– conditionner le cas échéant l’acquisition de droits à un âge minimal qui ne peut être supérieur à 21 ans ;

– prévoir, lorsque le bénéficiaire quitte l’entreprise avant d’avoir atteint la durée minimale d’acquisition de droits, le remboursement des cotisations à l’employeur et le cas échéant au bénéficiaire (qui peut donc se trouver à participer au financement de cette retraite – ce qui jusqu’ici n’était pas le cas puisque les droits des régimes actuels sont non individualisés et aléatoires) ;

– revaloriser annuellement les droits acquis du bénéficiaire sortant de la même manière que ceux des salariés encore dans l’entreprise ou selon le taux de revalorisation choisi pour les prestations de retraite servies ;

– l’assureur (et non l’employeur) doit remplir diverses obligations d’information : informer annuellement le bénéficiaire des conséquences d’une éventuelle cessation d’emploi sur les droits acquis et informer, sur demande, le bénéficiaire sortant ou les ayants droit d’un bénéficiaire décédé, du montant des droits acquis.

LPA

Les droits acquis dans ce cadre sont-ils portables ?

B. L.-R.

Non, l’ordonnance du 3 juillet n’évoque pas la possibilité, pour les bénéficiaires, de transférer individuellement leurs droits acquis vers un autre dispositif. Pourtant, le premier projet d’ordonnance le prévoyait expressément.

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À quel traitement social et fiscal le régime est-il soumis ?

B. L.-R.

Un nouvel article du Code de la sécurité sociale, l’article L. 137-11-2, met en place un traitement social spécifique. Le financement patronal, à savoir les cotisations versées par l’employeur à l’organisme gestionnaire, sera exempté de cotisations de sécurité sociale, de CSG-CRDS et de forfait social, mais il sera soumis à une contribution spécifique à la charge de l’employeur au taux de 29,7% (qui ne correspond ni plus ni moins qu’à l’addition de la CSG-CRDS et du forfait social).

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Et du côté du bénéficiaire ?

I. H.-V.

Pendant la phase de constitution des droits, le versement de l’employeur sera affranchi de l’impôt sur le revenu pour le bénéficiaire. Une fois le bénéficiaire retraité, la rente perçue sera également assujettie à la contribution spécifique de l’article L. 137-11-1 du Code de la sécurité sociale, soit la même que celle appliquée aux rentes issues des régimes à droits conditionnels actuels.

LPA

Quelle « population » dans l’entreprise peut en bénéficier ?

E. B.

Tout d’abord ces dispositifs peuvent être mis en place au bénéfice d’un ou de plusieurs salariés, ce qui est tout à fait nouveau et ne figurait pas dans les divers projets de l’ordonnance ayant circulé. Cette possibilité soulève d’ailleurs une question fiscale pour l’entreprise : comment articuler le caractère collectif du régime exigé pour la déductibilité fiscale alors qu’il est aujourd’hui affirmé que ce régime peut avoir un seul bénéficiaire ? Le recours à une catégorie composée d’un seul bénéficiaire serait-il suffisant ?

Ensuite, le dispositif peut être mis en place pour les mandataires sociaux visés expressément par l’ordonnance selon la forme juridique de leur société ; cette référence explicite est heureuse car les dirigeants ne relèvent pas du champ d’application de la directive européenne de 2014.

B. L.-R.

Rappelons que l’institution d’un tel régime ne sera possible que si par ailleurs tous les salariés de l’entreprise bénéficient d’au moins l’un des dispositifs suivants : Perco ou régime de retraite supplémentaire à cotisations définies collectif et obligatoire, les futurs PER (de la loi Pacte) mis en place par l’entreprise à savoir les PER d’entreprise collectif et les PER obligatoires.

LPA

Quelle sera la forme de la prestation retraite ?

I. H.-V.

Elle doit prendre la forme d’une rente viagère qui peut être définie indépendamment des montants perçus des autres régimes de retraite du bénéficiaire (régimes additifs) ou sous déduction de ces mêmes montants (régimes différentiels).

LPA

Sera-t-il possible d’acquérir des droits à retraite supplémentaires ?

I. H.-V.

Oui, il est prévu une acquisition de droits à retraite supplémentaires, année après année, sans qu’il soit possible au moment du déclenchement de cette acquisition de recouvrer des droits passés, de manière rétroactive au travers d’une reprise d’ancienneté par exemple. Ces droits supplémentaires sont exprimés en pourcentage de la rémunération du bénéficiaire soumise à cotisations de sécurité sociale pour l’année considérée. Rappelons que la rémunération de référence était jusqu’ici librement définie par l’entreprise dans le règlement de retraite formalisant son engagement.

LPA

À quelles limites sont soumis les droits supplémentaires ?

E. B.

Une première limite est posée puisque ce pourcentage ne peut dépasser 3 % de la rémunération par an. Ce qui correspond à la règle posée pour les dirigeants des sociétés anonymes cotées (SA), bénéficiaires de régimes de retraite à prestations définies depuis la loi n° 2015-990 du 06 août 2015 dite loi Macron et issue précédemment des recommandations AFEP-MEDEF. Une autre limite est aussi introduite puisqu’il est prévu que les droits acquis et cumulés pour un même bénéficiaire, et tous employeurs confondus, sont plafonnés à 30 « points ».

I. H.-V.

La mise en œuvre de ce plafond global ne se fera pas sans difficulté : qu’entend-on par « tous employeurs confondus » ? Qui sera habilité à vérifier ce plafond ? Quelle sera la sanction en cas de dépassement ? Certes il est prévu que l’employeur notifie annuellement via la DSN (Déclaration sociale nominative) l’identité des bénéficiaires et le montant des droits supplémentaires acquis par chacun mais rien ne dit que l’Urssaf soit équipée pour ce type de contrôle.

LPA

Est-ce que l’acquisition de droit peut être conditionnée par les performances professionnelles ?

B. L.-R. 

L’ordonnance s’est inspirée de la règlementation sur les retraites à prestations définies applicable depuis la loi n° 2007-1223 du 21 août 2007 en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat dite loi Tepa, aux dirigeants de sociétés anonymes cotées, pour subordonner l’acquisition de droits supplémentaires au respect de conditions liées aux performances professionnelles. La nouveauté réside dans le fait que cette condition est étendue tant aux mandataires sociaux des sociétés anonymes non cotées, des sociétés à responsabilité limitée (SARL) et des sociétés par actions simplifiée (SAS) lorsqu’ils sont bénéficiaires, mais aussi tous les salariés dont la rémunération perçue sur l’année considérée est supérieure à 8 PASS (324, 192 euros pour 2019).

E. B.

Il sera là aussi intéressant d’examiner la mise en œuvre pratique de cette règle : comment formaliser ces objectifs individuels ? L’Urssaf ira-t-elle vérifier, et selon quels moyens, la réalisation de ces performances ?

LPA

Que deviennent les régimes de retraite à prestations définies et à droits conditionnels visés par l’article L. 137-11 du Code de la sécurité sociale ?

I. H.-V.

Le législateur, face aux injonctions de la directive UE de 2014 pouvait supprimer purement et simplement ces régimes, ou les rendre obligatoires ou encore les fermer et les laisser perdurer tels quels ou après certaines modifications, avec une incitation  à les transformer  en régimes à droits acquis. C’est cette dernière alternative qui a été choisie. Elle risque néanmoins d’être assez complexe à mettre en œuvre en pratique. Ainsi par le seul fait de la publication de l’ordonnance, le 4 juillet 2019, tous les régimes actuels sont fermés. Il va sans dire qu’à compter de cette même date, aucun nouveau régime de retraite à prestations définies à droits conditionnels ne peut être institué.

LPA

En pratique, comment se traduit cette fermeture ?

B. L.-R.

Elle opère en deux étapes. Ainsi, aucune personne ne peut être déclarée bénéficiaire potentiel des régimes existants à partir du 4 juillet 2019 et aucun nouveau droit supplémentaire conditionnel à prestations ne peut être « acquis » au sein de ce régime au titre de périodes d’emploi postérieures au 1er janvier 2020.

Sur ce dernier point, l’ordonnance précise que le fait de calculer, sur le salaire de fin de carrière, les droits constitués au titre des périodes d’emploi antérieures au 1er janvier 2020 dans les conditions prévues au régime n’est pas considéré comme un droit supplémentaire. Cette précision permet ainsi d’être plus en phase avec le mécanisme de ces retraites souvent calculées sur une rémunération des dernières années d’activité.

E. B.

Un élément un peu perturbateur a été glissé dans cette version définitive de l’ordonnance : l’article 6 qui était consacré à la date d’entrée en vigueur de l’ordonnance elle-même est devenu une disposition qui interpelle. Il est ainsi prévu que pour les contrats de retraite professionnelle en cours d’exécution au 4 juillet 2019, l’article 1er s’applique aux droits afférents aux périodes d’emploi accomplies à compter du 1er janvier 2020.

A priori, les contrats de retraite professionnelle en cours visent les régimes de retraite à droits conditionnels de l’article L. 137-11 du Code de la sécurité sociale ayant fait l’objet de la souscription d’un tel contrat. Ne seraient donc pas concernés les régimes encore gérés en interne par les entreprises (car antérieurs à 2010). Or l’article 1er vise les caractéristiques juridiques des nouveaux régimes à droits certains. Par déduction, on pourrait conclure que les régimes actuels généreront encore des droits supplémentaires pour les périodes d’emploi postérieures au 1er janvier 2020 mais ces droits doivent être acquis selon les nouvelles normes.

Ce qui concrètement amène à l’avènement de régimes de retraite à prestations définies à droits mixtes en partie conditionnels donc soumis à l’achèvement de la carrière dans l’entreprise et en partie acquis… Les employeurs et les organismes gestionnaires vont avoir fort à faire…

LPA

Les engagements existants à droits conditionnels sont-ils transférables vers des nouveaux dispositifs à droits certains ?

B. L.-R.

Oui, l’ordonnance permet à l’employeur de procéder – selon des conditions techniques, fiscales et sociales précises – à un transfert collectif des engagements existants dans les régimes à droits conditionnels vers un nouveau régime de retraite à prestations définies et à droits certains. Encore faudra-t-il trouver un intérêt à cette opération. Il n’est pas interdit de croire que la Direction de la sécurité sociale publiera une circulaire sur les nouveaux régimes ou sur la transformation des anciens régimes vers les nouveaux.

I. H.-V.

Ces transformations et créations de régimes ne manqueront pas d’avoir un impact sur les passifs sociaux des entreprises au titre des avantages post-emploi que sont les régimes de retraite à prestations définies. Ces derniers représentent déjà, en tant que dispositifs à droits aléatoires, des sommes significatives dans la comptabilisation des engagements des entreprises. Le fait de créer ou de devenir des régimes à droits acquis devrait alourdir sensiblement ces valorisations. Les questions en suspens sont encore nombreuses et complexes.

LPA 20 Sep. 2019, n° 147t4, p.4

Référence : LPA 20 Sep. 2019, n° 147t4, p.4

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