Trois lois pour restaurer « la confiance dans notre vie démocratique »

Publié le 27/06/2017

Suppression de la Cour de justice de la République, interdiction faite aux parlementaires de faire travailler des membres de leur famille, création d’une Banque de la démocratie, la réforme de la moralisation de la vie publique, présentée par le garde des Sceaux, François Bayrou, le 1er juin, mêle idées anciennes et vraies innovations.

François Bayrou avait dit qu’il irait vite, promesse tenue. À peine seize jours après son installation au ministère de la Justice, il a présenté son projet de moralisation de la vie publique, lequel ne s’appellera pas finalement projet de loi « sur la moralisation de la vie publique » mais « pour la confiance dans notre vie démocratique ». Qu’importe, a répondu François Bayrou au journaliste qui lui demandait s’il ne regrettait pas ce changement de nom concernant un projet qui lui tient tant à cœur, l’essentiel aux yeux du nouveau garde des Sceaux est que la réforme prenne vie. « Personne ne peut imaginer qu’un texte va rendre tous les acteurs de la vie publique ni tous les citoyens vertueux, car les institutions ne sont pas faites pour rendre les hommes vertueux, a-t-il souligné au début de sa présentation pour décrire l’esprit de ces textes. Mais sachant qu’ils ne le sont pas tous, et même qu’ils ne le sont pas généralement, les institutions sont faites pour éviter que les faiblesses humaines ne contaminent le corps social ». Prudent rappel alors que le ministre de la Justice savait pertinemment que les journalistes, venus en masse, allaient l’interroger sur les soupçons de conflit d’intérêts à l’encontre du ministre Richard Ferrand, cet embarrassant dossier qui pollue médiatiquement la réforme. « Il ne s’agit plus de se prononcer sur tel ou tel comportement individuel, ni d’adopter des demi-mesures en réaction à tel ou tel événement, et de les oublier ensuite, a encore insisté le garde des Sceaux. Le véritable enjeu est d’adopter une démarche globale de nature à restaurer la confiance des citoyens dans l’action publique ; un texte qui proscrive certaines pratiques, mais aussi un texte positif, j’oserai dire imaginatif dans certains de ses chapitres, qui renforce la transparence et soutienne le pluralisme dans la vie politique ». Les objectifs définis par le ministre sont au nombre de trois. D’abord en finir, selon ses termes, avec « un système où les responsables publics s’exonèrent des règles que les citoyens sont obligés de respecter ». Ensuite, mettre en place les règles nécessaires « pour prévenir ce qui est la plaie des démocraties mal régulées : ce qu’on appelle les conflits d’intérêts. Autrement dit, pour empêcher que la décision, qui doit être d’intérêt général, se trouve confisquée par des intérêts privés ». Et garantir enfin un exercice équilibré de la démocratie.

Une réforme constitutionnelle

Trois objectifs, débouchent ainsi sur trois lois : constitutionnelle, organique, ordinaire. La réforme institutionnelle prévoit la suppression de la Cour de justice de la République au profit du juge ordinaire. Le ministre a toutefois précisé que serait mise en place une commission de filtrage composée de magistrats de la Cour de cassation, du Conseil d’État et de la Cour des comptes pour éviter les mises en cause abusives ou instrumentalisées. Il n’a toutefois pas précisé quel serait le sort réservé aux dossiers en cours alors que, précisément, Édouard Balladur venait d’être mis en examen dans l’affaire Karachi le 29 mai par la commission d’instruction de cette Cour (un recours a été formé par l’ancien Premier ministre). Autre réforme qui était dans l’air du temps et trouve sa consécration, les anciens présidents de la République ne pourront plus être membres du Conseil constitutionnel. Depuis la création de la QPC, a expliqué le ministre de la Justice, certains d’entre eux peuvent être amenés à examiner une loi adoptée sous leur présidence, une situation à laquelle il estime nécessaire de mettre fin. Enfin, les élus ne pourront plus exercer plus de trois mandats identiques et successifs de député, sénateur ou d’exécutif local afin de permettre le renouvellement des représentants. S’agissant des petites communes où il est difficile de trouver des élus, un dispositif dérogatoire est prévu, appuyé sur un seuil qu’il appartiendra au Parlement de fixer. Par ailleurs, les ministres ne pourront plus exercer de fonction exécutive locale, ils auront deux mois pour abandonner l’une ou l’autre fonction.

L’actualité inspiratrice de la loi

Le deuxième axe de la réforme est constitué par la moralisation de la vie politique, notamment parlementaire. Les mesures préconisées renvoient directement à l’actualité récente. À commencer par l’affaire Fillon qui se traduit dans le projet par l’interdiction de recruter des membres de sa famille pour les membres du gouvernement comme pour les parlementaires et les collaborateurs de cabinet des élus locaux. On entend par famille, les ascendants, descendants et conjoints. En cas d’emplois croisés, c’est-à-dire par exemple si un parlementaire emploie le fils d’un autre, une déclaration devra être faite. Autre nouveauté, cette fois inspirée par les affaires Thévenoud et Cahuzac, les parlementaires qui ne justifient pas avoir satisfait leurs obligations fiscales ne pourront plus rester en fonction. En l’absence de régularisation, le Conseil constitutionnel déchoira le parlementaire concerné.

Par ailleurs, il est prévu de créer une peine d’inéligibilité de plein droit d’une durée maximale de dix ans pour toute personne ayant fait l’objet d’une condamnation pénale pour crime ou délit portant atteinte à la probité. Le juge conservera la faculté de ne pas prononcer cette peine. La mesure vient remplacer l’annonce faite par Emmanuel Macron qui envisageait à l’origine d’exiger un casier judiciaire vierge. S’agissant des conflits d’intérêts, les assemblées seront invitées à définir des règles et en particulier à tenir à disposition du public un registre des déports permettant de savoir quel parlementaire s’est déporté ou non sur quel texte comme cela existe déjà au Parlement européen. Il est également prévu, non pas d’interdire les activités de conseil aux parlementaires, le Conseil constitutionnel y fait obstacle, mais de l’encadrer. Ainsi, aucun parlementaire ne pourra débuter une activité de conseil en cours de mandat ni moins d’un an avant la date des élections. La règle est applicable à toutes les activités de conseil, y compris aux avocats. Autre mesure, qui, celle-là, a déclenché la polémique dès son annonce, la mise en place d’un système de remboursement au réel des frais de mandats des parlementaires. « Chaque assemblée déterminera le montant et la manière dont seront gérés ces frais de mandat ou ces indemnités de fonction, et sous le contrôle du bureau des assemblées et, nous le souhaitons, des déontologues des assemblées ou des comités de déontologie dont nous espérons qu’ils vont prendre une place importante dans la gestion de ces indemnisations », a précisé le ministre. Enfin, la réserve parlementaire sera supprimée.

Création d’une banque de la démocratie

Le troisième volet de la réforme consiste à assainir le financement public de la vie politique. François Bayrou imaginait d’imposer aux partis un payeur public, mais la mesure a été jugée excessive et les payeurs publics eux-mêmes n’étaient guère tentés par la mission. Finalement, le projet préconise la séparation des fonctions entre ordonnateur et payeur, le deuxième devant contrôler la régularité des dépenses ainsi que celle des prestations correspondantes. La Cour des comptes aura pour mission de certifier la régularité des comptes des partis et groupements politiques bénéficiant de financements publics. Les prêts des personnes morales autres que les banques européennes et les partis politiques seront interdits. S’agissant des dons des personnes physiques, ils devront être signalés à la Commission nationale des comptes de campagne. Enfin, les prêts des particuliers seront restreints et contrôlés. Il s’agit en l’espèce de lutter contre les donations déguisées sous forme de prêts non remboursés. Mais la mesure phare est la création d’une banque de la démocratie, adossée à la Cour des comptes, qui pourra accorder des prêts aux partis politiques et aux candidats dès lors qu’ils présenteront des garanties de solvabilité.

Interrogé par les journalistes sur la réforme de l’indépendance de la justice qu’il n’avait pas évoquée dans sa présentation, François Bayrou a répondu qu’elle serait présentée en même temps que la réforme constitutionnelle de la moralisation, à l’automne. L’Union syndicale des magistrats (modérée) s’est néanmoins émue que celle-ci ne figure pas officiellement dans le projet Moralisation. Dans un communiqué publié le jour même, l’USM rappelle que « la consécration de l’indépendance de la justice est un préalable indispensable à toute réforme visant à rétablir la confiance des citoyens “dans notre vie démocratique”. Les soupçons récurrents d’intervention du pouvoir exécutif dans le traitement des affaires démontrent que la crédibilité d’une telle réforme exige un Conseil supérieur de la magistrature rénové et une réelle indépendance des magistrats du parquet ». La justice s’est ainsi rappelée aux bons souvenirs de son nouveau ministre dont le premier acte politique ne lui était pas destiné et qui a malencontreusement omis de l’inclure dans la présentation de son plan de moralisation…

X