Faire confiance et faire simple. Portée et limites de la loi du 10 août 2018 pour un État au service d’une société de confiance

Publié le 29/01/2019

Au cœur de l’été, une loi, aux enjeux et à la portée potentiellement considérables, a été adoptée par les représentants de la nation. Venant compléter de manière générale, les relations entre l’Administration et les citoyens, elle vise à parachever un processus d’amélioration des relations entre ces deux protagonistes de la vie économique et sociale. Elle comporte aussi une série de dispositions visant à renforcer la confiance mutuelle dans les relations entre l’Administration et les citoyens en général et des domaines aussi essentiels que les questions fiscales ou d’urbanisme.

« Fait au Fort de Brégançon le 10 août 2018 »1. C’est au mois d’août, et sans contrôle de constitutionnalité exercé a priori, faute de saisine par les autorités compétentes2, que la loi, rapidement nommée « loi sur le droit à l’erreur » ou encore loi ESSOC pour un État au service d’une société de confiance, a été promulguée depuis la résidence d’été du président de la République.

Lors du Conseil des ministres du 27 novembre 2017, la philosophie du texte finalement promulgué en août 2018, était ainsi exprimée, « ce texte instaure le principe du “droit à l’erreur” et porte une série de dispositions concrètes s’inscrivant dans la démarche de transformation de l’action publique voulue par le président de la République et le Premier ministre ». Ce projet de loi est une nouvelle pierre mise à l’édifice d’un État acteur de la transformation de notre société, moteur de progrès pour tous nos concitoyens et au service d’une société de confiance. Il s’adresse à tous les usagers – particuliers comme entreprises – dans leurs relations quotidiennes avec les administrations. Il repose sur deux piliers3 : « Faire confiance », à travers l’instauration d’un droit à l’erreur pour chacun et une série de mesures concrètes, qui visent à encourager la bienveillance dans les relations entre les Français et leurs administrations ; « Faire simple », par la mise en place des dispositions visant à réduire la complexité des parcours administratifs, alléger les normes et accélérer la dématérialisation des procédures, au bénéfice des usagers comme des agents du service public. Ce projet de loi est l’une des composantes d’un processus qui a vocation à se poursuivre tout le long du quinquennat, notamment dans le cadre du programme « Action publique 2022 », et à irriguer chaque niveau de l’action publique. Le texte affirme ainsi un certain nombre de grands principes qui seront au fondement de cette nouvelle relation de confiance. En face de chacun de ces principes sont ainsi proposées dans le projet de loi des mesures d’application générale ou des mesures expérimentales.

Après une étude d’impact4 de près de 250 pages, passant en revue chacun des éléments du projet de loi, un avis du Conseil d’État en date du 23 novembre 2017 et rendu public, selon la possibilité existant depuis 20155, une adoption en première lecture par l’Assemblée nationale le 30 janvier 2018, une adoption par le Sénat, le 20 mars 2018, avec un changement de titre retenant « Projet de loi renforçant l’efficacité de l’administration pour une relation de confiance avec le public », une nouvelle lecture par l’Assemblée nationale, respectivement les 25 juin et 26 juillet 2018, la loi est finalement adoptée une dernière lecture par l’Assemblée nationale le 31 juillet 2018.

Cette procédure n’a pas été un long fleuve tranquille comme en atteste en premier lieu l’avis rendu par le Conseil d’État. Celui-ci a dans un premier temps estimé l’étude d’impact insuffisante au regard du grand nombre de domaines concernés par cette loi de grande ampleur. Il a continué à pointer une étude d’impact insuffisante malgré la révision de la copie. Il souligne ainsi que « le gouvernement a, par la saisine rectificative du 22 novembre 2017, complété et approfondi l’étude d’impact initiale sur plusieurs points ». Toutefois, le Conseil d’État constate que, dans certains cas, cette étude reste en-deçà de ce qu’elle devrait être, de sorte qu’il incombe au gouvernement de l’améliorer encore avant le dépôt du projet de loi au Parlement6. L’avis du Conseil d’État a conduit à l’adoption de plusieurs précisions, notamment relatives à la notion nouvelle de droit à l’erreur7. De même, plusieurs insuffisances avaient été relevées par le Conseil d’État sur l’usage des circulaires8 et la généralisation du rescrit9, ainsi que sur plusieurs aspects du texte relatifs à l’expérimentation.

Finalement, la loi pour un État au service d’une société de confiance est définitivement adoptée le 10 août 2018 et publiée au Journal officiel du 11 août 2018. Il s’agit d’une loi dense, qui, outre la notion de droit à l’erreur comme mesure emblématique du dispositif, apporte de nombreuses modernisations dans les relations entre l’Administration et les citoyens. L’absence de saisine du Conseil constitutionnel n’empêchera sans doute pas l’existence de contentieux et de questions prioritaires de constitutionnalité.

La loi est constituée de trois titres organisant les 74 articles. Le premier s’intitule « Une relation de confiance : vers une administration de conseil et de service ». Le deuxième porte sur une « action publique modernisée, simple et efficace ». Le troisième enfin vise à un « dispositif d’évaluation renouvelé ». S’agissant des relations entre les administrations et les citoyens, cette loi s’inscrit dans la liste des lois et décret remontant aux années 1970, qu’il s’agisse des lois relatives aux fichiers informatiques, au médiateur de la République, à la motivation des décisions administratives défavorables, à l’accès aux documents administratif ou encore aux relations administrations et citoyens, ou encore du décret de 1983 qui avait employé le terme de « public » au lieu d’administré, l’objectif de ces lois est d’instaurer une relation de confiance. En cela, les titres des chapitres du titre I de la loi organisent les relations entre les administrations et les citoyens autour de trois grands principes que sont une Administration qui accompagne (I), une Administration qui s’engage (II), et une Administration qui dialogue (III).

I – Ce que signifie l’Administration qui accompagne

Le titre I de la loi mérite que l’on s’attarde sur les termes employés, pour en mesurer la portée. Le titre s’intitule « une relation de confiance : vers une Administration de conseil et de service ». Confiance, conseil et service sont les trois maîtres mots de la révision du Code des relations entre le public et l’Administration que porte cette loi. Si ces trois termes, pris isolément, pouvaient sans doute être déjà présents dans les relations entre l’Administration et les citoyens, à la fois, dans des lois, de la jurisprudence et de la pratique, leur réunion au sein d’un titre vise à systématiser ces trois éléments et, in fine, à changer le prisme d’un plateau traditionnellement vu comme inégalitaire entre l’administration et son pouvoir, mû par l’intérêt général, et les citoyens, devant se soumettre à des procédures parfois complexes et au traditionnel principe dit du « privilège du préalable ». Parmi les avancées emblématiques se trouve le « droit à l’erreur et ses corollaires (A), avec des applications spécifiques à la matière fiscale (B).

A – Le droit à l’erreur et ses corollaires

C’est le nouvel article L. 123-1 du Code des relations entre l’Administration et le public qui consacre la notion de droit à l’erreur (1). Dans le thème de l’accompagnement, que la loi cherche à promouvoir, se trouve aussi l’idée de s’assurer, auprès de l’Administration, de la validité d’un acte. C’est ce que la loi consacre à travers le droit au contrôle et à l’opposabilité du contrôle (2). Dans le même sens d’une Administration qui aide, un nouvel article vise à renforcer les devoirs de l’Administration en cas de pièces manquantes dans une demande formulée par un citoyen (3).

1 – L’article L. 123-1 du Code des relations entre l’Administration et le public

La philosophie générale qui sous-tend la notion de droit à l’erreur est inhérente au principe d’intelligibilité de la règle de droit10. Parce que le droit est souvent complexe, le citoyen peut commettre des erreurs. Lorsque celles-ci sont commises de bonne foi, alors, une tolérance se voit mise en place. L’article L. 123-1 nouveau du Code des relations entre l’Administration et le public précise ainsi, qu’une personne ayant méconnu pour la première fois une règle applicable à sa situation ou ayant commis une erreur matérielle lors du renseignement de sa situation ne peut faire l’objet, de la part de l’Administration, d’une sanction, pécuniaire ou consistant en la privation de tout ou partie d’une prestation due, si elle a régularisé sa situation de sa propre initiative ou après avoir été invitée à le faire par l’Administration dans le délai que celle-ci lui a indiqué.

Ce même article réserve cependant les cas de fraude ou de mauvaise foi, dans son deuxième alinéa. En effet, la sanction peut toutefois être prononcée, sans que la personne en cause ne soit invitée à régulariser sa situation, en cas de mauvaise foi ou de fraude.

L’article L. 123-1 comporte enfin, dans son troisième alinéa, une série d’exceptions au droit à l’erreur. Il faut retenir que les dispositions relatives au droit à l’erreur, telles que la loi l’envisage, ne concernent pas les sanctions requises pour la mise en œuvre du droit de l’Union européenne. Elles ne sont pas non plus applicables aux sanctions prononcées en cas de méconnaissance des règles préservant directement la santé publique, la sécurité des personnes et des biens ou l’environnement. La loi prévoit aussi qu’elles ne sont pas applicables aux sanctions prévues par un contrat. Enfin, ces mêmes dispositions relatives au droit à l’erreur ne sont pas non plus applicables aux sanctions prononcées par les autorités de régulation à l’égard des professionnels soumis à leur contrôle.

2 – Le droit au contrôle et à l’opposabilité du contrôle

Selon l’article L. 124-1, sous réserve des obligations qui résultent d’une convention internationale et sans préjudice des obligations qui lui incombent, toute personne peut demander à faire l’objet d’un contrôle prévu par les dispositions législatives et réglementaires en vigueur. La demande précise les points sur lesquels le contrôle est sollicité.

« L’Administration procède à ce contrôle dans un délai raisonnable, sauf en cas de mauvaise foi du demandeur, de demande abusive ou lorsque la demande a manifestement pour effet de compromettre le bon fonctionnement du service ou de mettre l’Administration dans l’impossibilité matérielle de mener à bien son programme de contrôle ».

Selon l’article L. 124-2, sous réserve des droits des tiers, toute personne contrôlée peut opposer les conclusions expresses d’un contrôle effectué en application de l’article L. 124-1 à l’administration dont elles émanent. L’article précise que ces conclusions expresses cessent d’être opposables dans plusieurs cas. Il en est ainsi en cas de changement de circonstances de droit ou de fait postérieur de nature à affecter leur validité, ou encore lorsque l’Administration procède à un nouveau contrôle donnant lieu à de nouvelles conclusions expresses.

Ces éléments ne peuvent faire obstacle à l’application des dispositions législatives ou réglementaires préservant directement la santé publique, la sécurité des personnes et des biens ou l’environnement.

Le texte prévoit enfin que lorsque l’Administration constate, à l’issue de son contrôle, une méconnaissance des règles applicables à la situation de la personne contrôlée, celle-ci peut régulariser sa situation dans les conditions prévues aux articles L. 123-1 et L. 123-2.

3 – La demande facilitée

Le Code des relations entre l’Administration et le public précise les conditions de réponse à une demande formulée par un citoyen en vue de l’obtention d’un droit. La loi de 2018, renforce les devoirs d’accompagnement de l’Administration.

Selon l’article L. 114-5 du code, qui existe avant la loi de 2018, lorsqu’une demande adressée à l’Administration est incomplète, celle-ci indique au demandeur les pièces et informations manquantes exigées par les textes législatifs et réglementaires en vigueur. Elle fixe un délai pour la réception de ces pièces et informations. Le délai mentionné à l’article L. 114-3 au terme duquel, à défaut de décision expresse, la demande est réputée acceptée ne court qu’à compter de la réception des pièces et informations requises.

Le délai mentionné au même article au terme duquel, à défaut de décision expresse, la demande est réputée rejetée est suspendu pendant le délai imparti pour produire les pièces et informations requises. Toutefois, la production de ces pièces et informations avant l’expiration du délai fixé met fin à cette suspension. La liste des pièces et informations manquantes, le délai fixé pour leur production et la mention des dispositions prévues, selon les cas, au deuxième ou au troisième alinéa du présent article figurent dans l’accusé de réception prévu à l’article L. 112-3. Lorsque celui-ci a déjà été délivré, ces éléments sont communiqués par lettre au demandeur.

Selon le nouvel article L. 114-5-1 l’absence d’une pièce au sein d’un dossier déposé par un usager en vue de l’attribution d’un droit ne peut conduire l’Administration à suspendre l’instruction de ce dossier dans l’attente de la transmission de la pièce manquante. Si la pièce fait toujours défaut au moment de la décision d’attribution du droit concerné, cette attribution n’est effective qu’après la réception par l’Administration de cette pièce.

La loi exclut de ces exigences le cas où la pièce manquante est indispensable à l’Administration pour instruire valablement le dossier.

B – Les applications spécifiques à la matière fiscale

Une série d’articles du Code général des impôts est modifiée. On ne saurait être exhaustif et citer l’ensemble des dispositions modifiées. Il faut retenir une série de points essentiels, dans le sens d’un pouvoir de rectification et de sanctions limitées dans les contextes de bonne foi.

En premier lieu, il faut souligner que le domaine de la régularisation des erreurs est étendu, la notion de bonne foi étant, de nouveau, au cœur du dispositif. Ainsi, la réparation spontanée d’une erreur commise de bonne foi dans une déclaration fiscale ou douanière sera assortie d’un intérêt de retard réduit de moitié, soit 0,10 % par mois pour les intérêts courus jusqu’au 31 décembre 2020, en vertu des articles 5 et 14 de la loi ici commentée, modifiant l’article 1727 du Code général des impôts. Par ailleurs, la procédure de régularisation en cours de contrôle, permettant de réduire à 70 % le montant de l’intérêt de retard, est étendue. Cette procédure étant jusqu’à présent réservée aux procédures de vérification de comptabilité et d’examen de comptabilité. Désormais, elle s’applique pour les avis, propositions de rectification ou demandes adressées à compter du 11 août 2018, dans le cadre d’un contrôle sur pièces ou d’un examen de la situation fiscale personnelle, en vertu de l’article 9, point I, de la loi du 10 août 2018.

En deuxième lieu, il faut relever que deux mesures concernent les possibilités de régulariser certaines omissions sans pénalités. La doctrine fiscale qui permet de régulariser le défaut de déclaration des honoraires et commissions au titre des trois années précédentes est légalisée. La base juridique en est désormais l’article 1736, I, 1, du Code général des impôts. L’article 7 de la loi prévoit même que cette régularisation peut avoir lieu au cours d’un contrôle fiscal.

La loi vise aussi à limiter les amendes en cas de défaut de production de certains documents, prévus à l’article 1763 du Code général des impôts. L’amende de 5 % prévue se voit supprimée dans les cas où les omissions sont réparées soit spontanément, soit à la première demande de l’Administration avant la fin de l’année qui suit celle au cours de laquelle le document devait être présenté.

La loi s’attache aussi à renforcer la sécurité juridique des entreprises. Ainsi lorsque, dans le cadre d’un examen ou d’une vérification de comptabilité ou d’un examen contradictoire de la situation fiscale personnelle, l’Administration a pris position sur les points du contrôle, y compris tacitement par une absence de rectification, le contribuable pourra invoquer la garantie contre les changements de doctrine. Il s’agit là d’une garantie s’inscrivant dans l’accroissement de la protection de la sécurité juridique des opérateurs dans la mesure où l’Administration ne pourra pas ultérieurement redresser le contribuable sur les points sur lesquels elle a pris position, y compris sur ceux qui n’ont pas fait l’objet d’une rectification. De nouveau, la bonne foi est l’élément cardinal du dispositif. Les articles 9 et 11 de la loi du 10 août 2018, précisent bien que cette garantie de sécurité n’est applicable que si l’Administration a pu se prononcer en toute connaissance de cause et si le contribuable est de bonne foi. Les points contrôlés seront indiqués sur la proposition de rectification ou sur l’avis d’absence de rectification. On soulignera que le Conseil d’État utilise déjà la notion de bonne foi en matière. Pour donner des exemples récents, le juge administratif a ainsi précisé que « lorsqu’il statue sur un recours dirigé contre une décision rejetant une demande de remise gracieuse d’un indu de revenu de solidarité active, il appartient au juge administratif d’examiner si une remise gracieuse totale ou partielle est justifiée et de se prononcer lui-même sur la demande en recherchant si, au regard des circonstances de fait dont il est justifié par l’une et l’autre parties à la date de sa propre décision, la situation de précarité du débiteur et sa bonne foi justifient que lui soit accordée une remise »11 ; ou encore que « l’article 1729 du Code général des impôts dispose : “les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l’indication d’éléments à retenir pour l’assiette ou la liquidation de l’impôt ainsi que la restitution d’une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l’État entraînent l’application d’une majoration de : a. 40 % en cas de manquement délibéré (…)”. En déduisant de la constatation, non arguée de dénaturation, de l’importance du rehaussement par rapport aux revenus initialement déclarés et des liens étroits existant entre M. B. et la société HCP Healthcare Publications Limited, qui lui a versé les sommes en cause sur ses comptes personnels, que l’Administration devait être regardée comme apportant la preuve de l’absence de bonne foi du requérant, la cour, qui a suffisamment motivé son arrêt, a exactement qualifié les faits de la cause et n’a pas commis d’erreur de droit12 ».

La loi intègre encore dans le droit positif la doctrine fiscale qui autorise le contribuable à formuler une demande de prise de position au cours de la vérification et avant l’envoi de la proposition de rectification13. La garantie instituée par la loi concerne les demandes écrites présentées par les contribuables qui font l’objet d’un examen ou d’une vérification de comptabilité, avant l’envoi de toute proposition de vérification. La demande doit porter sur les points examinés au cours du contrôle, en vertu des articles 9 et 13 de la loi.

Enfin l’article 17 de la loi prévoit d’habiliter le gouvernement à prendre par ordonnance, dans un délai de neuf mois à compter du 11 août 2018, date de la promulgation de la loi, toute disposition relevant du domaine de la loi modifiant le Code général des impôts ou le livre des procédures fiscales en vue de renforcer la sécurité juridique des entreprises soumises à des impôts commerciaux. Il est prévu de créer un régime permettant d’examiner sur demande des entreprises la conformité de leurs opérations à la législation fiscale, comme cela a été mis en place dans l’expérimentation de la relation de confiance.

La loi comporte diverses mesures facilitant les relations entre l’Administration et les contribuables. Les contribuables personnes physiques qui résident dans des zones où aucun service mobile n’est disponible sont dispensés de l’obligation de télédéclaration de leurs revenus et de télépaiement de leurs impôts jusqu’au 31 décembre 2024. Selon l’article 12 de la loi, les contribuables qui font l’objet d’un contrôle sur pièces ont la possibilité d’exercer un recours hiérarchique contre la proposition de rectification. Sont exclus du bénéfice de ce recours les contribuables qui font l’objet d’une taxation ou d’une évaluation d’office.

L’article 13 de la loi étend la transparence des marchés financiers et immobiliers, afin de concourir à la transparence des marchés fonciers et immobiliers, l’administration fiscale rend librement accessibles au public, sous forme électronique, les éléments d’information qu’elle détient au sujet des valeurs foncières déclarées à l’occasion des mutations intervenues au cours des cinq dernières années. Un décret précisera les modalités d’application de cette disposition.

La loi prévoit plusieurs cas d’expérimentation. Ainsi, pour une durée de 4 ans dans les régions Hauts-de-France et Auvergne-Rhône-Alpes, l’ensemble des contrôles opérés par les administrations à l’encontre d’une entreprise de moins de 250 salariés et dont le chiffre d’affaires annuel n’excède pas 50 millions d’euros ne peut dépasser, pour un même établissement, une durée cumulée de neuf mois sur une période de trois ans. Un décret précisera les modalités d’application de cette disposition prévue à l’article 32 de la loi14.

Ainsi le titre I est consacré à la notion d’« Administration qui accompagne ». Il s’agit effectivement de l’idée d’accompagnement, au regard des dispositions que nous venons de mentionner, mais il s’agit aussi et surtout d’une nouvelle relation de confiance que le législateur vise à établir. La voie est cependant étroite entre la confiance, mue par la bonne foi, du côté du citoyen ou de l’opérateur économique et la confiance réciproque, matérialisée par les certificats ou autres formes de rescrits. Si la logique est à saluer dans le sens d’une tranquillité accrue des acteurs, les risques de contentieux sont nombreux car la question de la bonne foi n’est pas d’application toujours évidente. Le deuxième grand thème de la loi est consacré à l’Administration qui s’engage.

II – Le sens d’une Administration qui s’engage

Sous la rubrique, portant le terme générique et assez imprécis, d’une « Administration qui s’engage », se trouvent une série de dispositions relatives aux documents administratifs (A), et d’autres plus spécifiquement consacrées à l’urbanisme (B).

A – Les précisions apportées quant aux documents administratifs et aux certificats d’information

Désormais, le premier alinéa de l’article L. 312-2 du Code des relations entre le public et l’Administration précise que « les instructions et circulaires sont réputées abrogées si elles n’ont pas été publiées, dans des conditions et selon des modalités fixées par décret ». Cette formule vient compléter la précédente selon laquelle, font l’objet d’une publication les instructions, les circulaires ainsi que les notes et réponses ministérielles qui comportent une interprétation du droit positif ou une description des procédures administratives.

La loi ajoute un nouvel article L. 312-3, selon lequel toute personne peut se prévaloir des documents administratifs mentionnés au premier alinéa de l’article L. 312-2, émanant des administrations centrales et déconcentrées de l’État et publiés sur des sites internet désignés par décret. Toute personne peut se prévaloir de l’interprétation d’une règle, même erronée, opérée par ces documents pour son application à une situation qui n’affecte pas des tiers, tant que cette interprétation n’a pas été modifiée. La loi précise que ces dispositions ne peuvent pas faire obstacle à l’application des dispositions législatives ou réglementaires préservant directement la santé publique, la sécurité des personnes et des biens ou l’environnement ».

Dans la philosophie de l’Administration qui s’engage doit aussi être citée la possibilité d’obtenir, dans certains domaines, des certificats d’information. L’article 23 de la loi du 10 août 2018 crée ainsi un nouvel article L. 114-11 au Code des relations entre le public et l’Administration, selon lequel « tout usager peut obtenir, préalablement à l’exercice de certaines activités, une information sur l’existence et le contenu des règles régissant cette activité. L’administration saisie délivre à l’usager mentionné au premier alinéa un certificat d’information sur l’ensemble des règles qu’elle a mission d’appliquer. Toute information incomplète ou erronée figurant dans le certificat à l’origine d’un préjudice pour l’usager engage la responsabilité de l’Administration ».

« Un décret dresse la liste des activités mentionnées au même premier alinéa, le délai de délivrance du certificat d’information, qui ne saurait être supérieur à cinq mois ainsi que ses conditions et modalités de délivrance. »

Cette relation de confiance crée de nouvelles possibilités de protection en amont au bénéfice des citoyens. La notion de confiance légitime sous-tend ce dispositif et pourrait conduire le juge administratif, en cas de contentieux, à dégager ce principe qui ne fait pas partie à ce jour de la tradition des principes généraux du droit en droit français.

B – Les précisions apportées en matière d’urbanisme

C’est la notion de rescrit qu’il convient de mettre ici en évidence. Le rescrit administratif se définit, selon les termes du Conseil d’État, dans son étude de 2014 consacrée à ce sujet, comme « une prise de position formelle de l’Administration, qui lui est opposable, sur l’application d’une norme à une situation de fait décrite loyalement dans la demande présentée par une personne et qui ne requiert aucune décision administrative ultérieure.

L’étude recense les dispositifs répondant à cette définition, dresse le bilan de leur mise en œuvre puis un panorama des systèmes apparentés existant à l’étranger. L’étude met en exergue l’originalité de ce mécanisme de garantie au sein de la palette diversifiée des instruments de sécurité juridique15 ».

La loi a pour objectif d’étendre des procédés qui avaient déjà en partie été instaurés par des lois antérieures. Ainsi il faut rappeler qu’une procédure de rescrit avait déjà été instituée pour le versement pour sous-densité par l’article L. 331-40 du Code de l’urbanisme. Ce dispositif avait créé par l’article 28, V, de la loi du 29 décembre 2010 de finances rectificatives pour 201016. Le législateur vise à généraliser ces types de rescrits.

Sur ce point, et en lien avec ce qui a été dit en introduction, sur les péripéties connues par le projet de loi, l’article 10 initial du projet introduisait ainsi un article L. 141-1 dans les relations entre le public et l’Administration un rescrit général, renvoyant à un décret le soin de préciser le champ d’application de ce dispositif général. Cependant, il a pu apparaître, au cours de la procédure, qu’une telle disposition pouvait engendrer une incompétence négative était de nature à soulever un problème de constitutionnalité au regard des articles 34 et 37 de la constitution. C’est dans ce contexte que la commission des lois du Sénat a adopté un amendement, repris et présenté par le gouvernement, qui a défini le champ exact d’application auquel la procédure de rescrit s’appliquera et constituera donc un rescrit-créance au sens que lui donne le Conseil d’État17, en en limitant cependant par la suite les effets dudit rescrit en fonction de l’importance des projets concernés.

Plusieurs taxes se trouvent concernées par le nouveau rescrit d’urbanisme. Le rescrit créé par l’article 21 de la loi de loi du 10 août 2018 prévoit ainsi quatre nouveaux dispositifs de rescrit dans les quatre secteurs suivants : la fiscalité d’aménagement ; la taxe perçue par la région Île-de-France en application des articles et suivants du Code de l’urbanisme ; les redevances des agences de l’eau ; la redevance d’archéologie préventive.

Les nouveaux articles L. 331-20-1 du Code de l’urbanisme, relatif à des projets supérieurs à 50 000 m2 de surface taxable et L. 520-13-1 du même code concernant des projets supérieurs à 50 000 m2 de surface de construction précisent que l’Administration de l’État doit répondre de manière motivée dans un délai de trois mois. On pourra s’interroger sur la valeur du silence de l’Administration si elle ne répond pas dans le délai imparti. Cependant, il est possible de se référer l’article L. 331-40 du Code de l’urbanisme sur le rescrit en matière de sous-densité, qui prévoit expressément, dans son premier alinéa, qu’à défaut de réponse dans le délai de trois mois, les propositions de solution présentées par le contribuable dans sa demande sont opposables à l’Administration. Il est possible de penser alors qu’il s’agit d’un nouveau cas de décision implicite d’acceptation. Cependant, dans le cadre de la recherche d’une lisibilité accrue, d’une volonté de « faire simple », pour reprendre un des leitmotivs de la loi ici commentée, la précision mériterait d’être dans la loi, ou au moins dans un décret d’application. Dans le cas contraire, il reviendra au juge administratif de préciser les conséquences du silence de l’Administration dans ce nouveau cas de rescrit.

Il faut enfin souligner que ce nouveau rescrit est limité à deux titres. En premier lieu, seuls les projets supérieurs à 50 000 m2 sont concernés. En second lieu, s’agissant à l’opposabilité du rescrit, seules les administrations de l’État sont concernées. Cet élément est de nature à créer des interrogations si la position prise par l’Administration d’État est de nature à impacter les droits et créances de collectivités territoriales. En effet, les collectivités territoriales disposent aussi de compétences en matière d’urbanisme et de la fiscalité afférente. Un rescrit par nature ne peut porter que sur la relation entre le contribuable et l’administration concernée et ne peut étendre ses effets sur les droits des tiers étrangers qui ne peuvent être liés et tenues par la position prise par l’administration concernée. Enfin, il a pu être souligné qu’une telle situation pourrait être de nature à porter atteinte, dans certains cas, au principe de libre administration des collectivités territoriales posée par l’article 72, troisième alinéa, et au principe d’autonomie financière définie par l’article 72-2 de la constitution18.

De nouveau, ces nouvelles dispositions précisent que la procédure de rescrit n’est applicable que si le contribuable est de bonne foi. Le troisième grand volet est celui du dialogue entre l’Administration et le citoyen.

III – La portée du dialogue entre le citoyen et l’Administration et le champ des expérimentations

La notion de dialogue avec l’Administration n’est pas récente. Les nombreuses lois visant à l’amélioration des relations entre l’Administration et les citoyens visent en effet à mettre en place un dialogue. À ce titre, la loi du 12 avril 2000, par l’expression même de relations entre citoyens et l’Administration, marque cette volonté de dialogue et d’association du citoyen aux décisions administratives. La loi du 10 août 2018 s’inscrit dans cette logique. Outre l’absence de numéro surtaxé, la loi prévoit la mise en place d’expérimentation dans plusieurs domaines. Si la méthode de l’expérimentation a déjà pu être utilisée dans d’autres domaines, elle connaît cette fois une ampleur à souligner.

Parmi les expérimentations prévues, il est remarquable que le législateur a prévu d’expérimenter la procédure contentieuse du rescrit juridictionnel. Cette expérimentation a pour objet de permettre, à un bénéficiaire d’un acte ou à l’administration qui l’a délivré, de pouvoir saisir le juge administratif pour en apprécier la légalité externe. L’appréciation de la légalité de l’acte pourra être opposée aux tiers, lesquels auront cependant toujours la possibilité de déposer un recours auprès du juge pour demander l’annulation de ce dernier.

D’une durée de trois ans, l’expérimentation porte sur le droit de l’urbanisme ainsi que sur le droit de l’expropriation et sur le droit de la santé publique.

Le rescrit juridictionnel s’apparente à un recours contentieux préventif. Il s’agit d’un mécanisme contentieux qui a été souvent proposé mais jamais encore adopté. Il est destiné à être utilisé afin de consolider juridiquement des opérations complexes.

L’article 54 de la loi pour une société de confiance détaille le contenu et la portée de cette expérimentation. Selon cet article en effet, « l’article 54 de la loi mérite d’être mis particulièrement en évidence. Selon cet article, I. – À titre expérimental, le bénéficiaire ou l’auteur d’une décision administrative non réglementaire entrant dans l’une des catégories définies au deuxième alinéa du présent I peut saisir le tribunal administratif d’une demande tendant à apprécier la légalité externe de cette décision.

Le premier alinéa du présent I est applicable aux décisions précisées par le décret en Conseil d’État prévu au V, prises sur le fondement du Code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, du Code de l’urbanisme ou des articles L. 1331-25 à L. 1331-29 du Code de la santé publique et dont l’éventuelle illégalité pourrait être invoquée, alors même que ces décisions seraient devenues définitives, à l’appui de conclusions dirigées contre un acte ultérieur.

Le premier alinéa n’est pas applicable aux décisions prises par décret.

II. – La demande en appréciation de régularité est formée dans un délai de trois mois à compter de la notification ou de la publication de la décision en cause. Elle est rendue publique dans des conditions permettant à toute personne ayant intérêt à agir contre cette décision d’intervenir à la procédure. La demande est présentée, instruite et jugée dans les formes prévues par le Code de justice administrative, sous réserve des adaptations réglementaires nécessaires. Elle suspend l’examen des recours dirigés contre la décision en cause et dans lesquels sont soulevés des moyens de légalité externe, à l’exclusion des référés prévus au livre V du Code de justice administrative.

Le tribunal statue dans un délai fixé par voie réglementaire. Il se prononce sur tous les moyens de légalité externe qui lui sont soumis ainsi que sur tout motif d’illégalité externe qu’il estime devoir relever d’office, y compris s’il n’est pas d’ordre public. III. – La décision du tribunal n’est pas susceptible d’appel mais peut faire l’objet d’un pourvoi en cassation.

Si le tribunal constate la légalité externe de la décision en cause, aucun moyen tiré de cette cause juridique ne peut plus être invoqué par voie d’action ou par voie d’exception à l’encontre de cette décision. Par dérogation à l’article L. 242-1 du Code des relations entre le public et l’Administration, l’autorité administrative peut retirer ou abroger la décision en cause, si elle estime qu’elle est illégale, à tout moment de la procédure et jusqu’à l’expiration d’un délai de deux mois après que la décision du juge lui a été notifiée. IV. – L’expérimentation est menée, pour une durée de trois ans à compter de la publication du décret en Conseil d’État prévu au V, dans le ressort des tribunaux administratifs, au nombre maximal de quatre, désignés par ce décret. V. – Elle fait l’objet d’une évaluation dans les conditions fixées par le même décret.

V. – Un décret en Conseil d’État précise les décisions entrant dans le champ du deuxième alinéa du I et pouvant faire l’objet d’une demande en appréciation de régularité, en tenant compte notamment de la multiplicité des contestations auxquelles elles sont susceptibles de donner lieu.

Le décret prévu au premier alinéa du présent V fixe également les modalités d’application du présent article, notamment les conditions dans lesquelles les personnes intéressées sont informées, d’une part, des demandes tendant à apprécier la régularité d’une décision et de leurs conséquences éventuelles sur les recours ultérieurs et, d’autre part, des réponses qui sont apportées à ces demandes par le tribunal ».

Plusieurs éléments essentiels sont contenus dans cet article. Il faut d’abord mettre en évidence que les sujets pouvant engager cette procédure sont le bénéficiaire de la décision ou l’administration qui l’a prise. Il est précisé que le dispositif ne concernera que des décisions administratives non règlementaires et qu’il ne pourra précisément pas porter sur des décrets. Il faut ensuite souligner que la loi précise les domaines de l’expérimentation : « Le premier alinéa du présent I est applicable aux décisions précisées par le décret en Conseil d’État prévu au V, prises sur le fondement du Code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, du Code de l’urbanisme ou des articles L. 1331-25 à L. 1331-29 du Code de la santé publique et dont l’éventuelle illégalité pourrait être invoquée, alors même que ces décisions seraient devenues définitives, à l’appui de conclusions dirigées contre un acte ultérieur ».

Les décisions visées par l’expérimentation du rescrit juridictionnel concerneront des décisions prises sur le fondement du Code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, du Code de l’urbanisme ou des articles L. 1331-25 à L. 1331-29 du Code de la santé publique. Il revient ainsi au décret d’application de préciser la liste précise de ces décisions. Il faut encore souligner que l’expérimentation concernera au plus le ressort de quatre tribunaux administratifs.

Il faut souligner ensuite que la demande en appréciation de régularité de la décision administrative est enserrée dans un délai. Elle doit en effet être formée dans un délai de trois mois à compter de sa notification ou de sa publication. La demande est rendue publique dans des conditions permettant à toute personne ayant intérêt à agir contre cette décision d’intervenir à la procédure. La demande a pour effet de suspendre l’examen des recours dirigés contre la décision en cause et dans lesquels sont soulevés des moyens de légalité externe. Cependant, ces nouvelles procédures sont sans préjudice des procédures de référés.

Le tribunal administratif saisi se prononce sur tous les moyens de légalité externe qui lui sont soumis. Il n’est pas enserré dans les règles interdisant au juge de statuer ultra petita puisqu’il peut se saisir tout motif d’illégalité externe qu’il estime devoir relever d’office, y compris s’il n’est pas d’ordre public, comme le moyen tiré de l’incompétence de l’auteur d’un acte. La demande devrait ainsi permettre de lever des illégalités qui ne sont pas nécessairement soulevées par les parties à l’instance. Une fois l’acte jugé légal, la légalité externe dans son ensemble sera validée.

Les effets de ce rescrit pré-juridictionnel sont d’une grande importance en termes de sécurité juridique. En effet, si le tribunal administratif constate que la décision sur laquelle son appréciation est sollicitée est légale, le rescrit a pour conséquence qu’aucun moyen tiré de la légalité externe de l’acte ne pourra désormais être invoqué à l’encontre de cette décision, et ce, quelles que soient les procédures engagées.

L’appréciation que l’on peut avoir sur cette innovation, qui s’apparente à une procédure de garantie pré-juridictionnelle, ne peut être que nuancée, voire dubitative. En effet, si la sécurité juridique est recherchée, elle n’est que partielle. Car la légalité interne restera passible de recours juridictionnel. En outre, même sur le domaine de légalité externe où la recherche de stabilité des situations juridiques est sans doute à louer, la question de la mise en cause de la légalité externe, dans d’autres procédures, en appel, ou en cassation. Sur ce point, le texte précise que la décision rendue par le juge de première instance est susceptible non d’appel mais de cassation. Mais en l’absence de cassation, au moment de la procédure de rescrit, il semble surprenant d’empêcher toute contradiction par les juges d’appel et de cassation, lors d’autres instances, qu’il s’agisse de voie d’action ou d’exception.

S’agissant du déroulé de la procédure de rescrit, avant la décision du juge, l’autorité administrative peut retirer ou abroger la décision en cause, à tout moment de la procédure et jusqu’à l’expiration d’un délai de deux mois après que la décision du juge lui a été notifiée. Cet élément est, lui aussi, de nature à créer des ambiguïtés et des exigences de précisions en termes d’articulation entre la jurisprudence dite Ternon de 2011 et cette nouvelle procédure. En effet, selon la jurisprudence Ternon, « que, sous réserve de dispositions législatives ou réglementaires contraires, et hors le cas où il est satisfait à une demande du bénéficiaire, l’Administration ne peut retirer une décision individuelle explicite créatrice de droits, si elle est illégale, que dans le délai de quatre mois suivant la prise de cette décision19 ». Ainsi si cette mesure offre des possibilités à l’Administration de retrait et d’abrogation, elle risque aussi d’avoir un effet dissuasif quant à l’utilisation du rescrit juridictionnel par le bénéficiaire de la décision, par crainte d’étendre le délai de retrait.

Outre cette interrogation, demeure aussi celle des conséquences d’une illégalité externe constatée par le juge. L’abrogation ou le retrait ne semblent pas inéluctables, dès lors que peuvent exister des régularisations dans les domaines concernés par l’expérimentation, comme notamment en droit de l’urbanisme.

La loi renvoie enfin au pouvoir règlementaire le soin de fixer le délai dans lequel le tribunal administratif devra statuer. Seul un délai bref sera de nature à ne pas faire perdre toute utilité à cette procédure. La question des moyens se posera alors nécessairement.

En somme, on peut estimer que, même si sa portée sera limitée et qu’elle sera susceptible de soulever des interrogations, cette disposition créée par la loi du 10 août apporte une innovation à travers la notion de rescrit juridictionnel. Son expérimentation devrait en mesurer les effets réels, et éventuellement ouvrir une nouvelle approche du contentieux administratif20.

Comme on l’observe, cette loi est riche de nombreuses innovations. Outre les domaines d’expérimentation, elle porte aussi autorisation du gouvernement d’adopter des ordonnances dans une série de domaines. L’article 17 de la loi le prévoit en matière fiscale en prévoyant que « dans les conditions prévues à l’article 38 de la constitution, le gouvernement est habilité à prendre par ordonnances, dans un délai de neuf mois à compter de la promulgation de la présente loi, toute disposition relevant du domaine de la loi modifiant le Code général des impôts ou le Livre des procédures fiscales en vue de renforcer la sécurité juridique des entreprises soumises à des impôts commerciaux. Ces dispositions définissent, à cet effet, le régime permettant à l’Administration d’examiner, le cas échéant sur place, sur demande des entreprises, la conformité de leurs opérations à la législation fiscale et de prendre formellement position sur l’application de celle-ci. Ces dispositions précisent les modalités d’accompagnement par l’Administration ainsi que les moyens de publicité adaptés permettant la reconnaissance, notamment sous forme de labellisation, des entreprises engagées dans ce régime. Elles fixent, aux fins d’assurer un équilibre entre l’objectif de sécurité juridique poursuivi et les exigences de bonne administration, les critères permettant de définir les entreprises ou les catégories d’entreprises susceptibles de bénéficier de ce dispositif, en fonction notamment de leur taille, du caractère innovant ou complexe de leur activité ainsi que des enjeux fiscaux significatifs de leurs opérations. Un projet de loi de ratification est déposé devant le Parlement dans un délai de trois mois à compter de la publication de l’ordonnance ». L’article 37 de la loi du 10 août 2018 le prévoit aussi en matière de droit social en précisant que « dans les conditions prévues à l’article 38 de la constitution, le gouvernement est autorisé à prendre par ordonnances, dans un délai de douze mois à compter de la promulgation de la présente loi, toute mesure relevant du domaine de la loi et visant à : 1° Permettre aux bénéficiaires des prestations sociales et des minima sociaux d’exercer, à l’occasion de la notification des indus qui leur est faite et préalablement à l’engagement d’un recouvrement ou d’un recours gracieux, un droit de rectification des informations les concernant lorsque ces informations ont une incidence sur le montant de ces indus ; 2° Harmoniser et modifier les règles relatives au contenu des notifications d’indus afin d’y inclure la possibilité d’exercer le droit à rectification mentionné au 1° et d’en faciliter la compréhension par les bénéficiaires. Ces mesures ne peuvent faire obstacle à ce que, après l’exercice du droit de rectification, les sommes indues soient ensuite recouvrées dans les délais et selon les procédures prévues par les dispositions en vigueur. II. – Un projet de loi de ratification est déposé devant le Parlement dans un délai de trois mois à compter de la publication des ordonnances ». L’article 38 de cette même loi prévoit des dispositions similaires s’agissant des conditions dans lesquelles des établissements du réseau des chambres d’agriculture assurent, au bénéfice des exploitants agricoles, une mission d’information sur la réglementation nationale et européenne qui leur est applicable et sur les contrôles susceptibles d’être réalisés à ce titre, d’appui au dépôt des demandes d’aides par ces exploitants et d’assistance à leur mise en conformité avec la réglementation ; ainsi que les conditions dans lesquelles les chambres régionales d’agriculture qui le souhaitent exercent à titre exclusif, en lieu et place des autres établissements du réseau de leur circonscription, tout ou partie des missions attribuées à ceux-ci ; et de transfert aux chambres régionales d’agriculture, ou de la mise à la disposition de ces dernières, de personnels employés par d’autres établissements du réseau de leur circonscription.

L’article 46 de la loi permet aussi le recours aux ordonnances en matière d’état civil en précisant que « dans les conditions prévues à l’article 38 de la constitution, le gouvernement est autorisé à prendre par ordonnances, dans un délai de douze mois à compter de la promulgation de la présente loi, les mesures relevant du domaine de la loi nécessaires pour permettre à titre expérimental, pendant une durée maximale de trois ans à compter de la publication de l’ordonnance, et dans un objectif de simplification et de sécurisation des démarches des usagers, la dématérialisation de l’établissement, de la conservation, de la gestion et de la délivrance des actes de l’état civil dont le service central d’état civil du ministère des Affaires étrangères et les autorités diplomatiques et consulaires sont dépositaires, dans des conditions garantissant la sécurité, l’intégrité et la confidentialité des traitements automatisés des données de l’état civil mis en œuvre.

L’ordonnance détermine les conditions dans lesquelles l’établissement, la conservation, la gestion et la délivrance des actes de l’état civil continuent d’être assurés, pendant la période d’expérimentation, sur support papier ou sur support électronique conformément à l’article 40 du Code civil. Elle précise les conditions d’un éventuel retour à ces seules modalités au terme de cette période et les conditions de l’évaluation de l’expérimentation.

Les résultats de l’évaluation de cette expérimentation sont transmis au Parlement.

Un projet de loi de ratification est déposé devant le Parlement dans un délai de trois mois à compter de la publication de l’ordonnance ». L’article 50 de la loi prévoit encore le recours aux ordonnances dans le domaine de l’organisation de l’accueil de la petite enfance21. L’article 55 de la loi renvoie aussi au recours aux ordonnances dans des domaines du droit de la consommation, l’article 63 le prévoit aussi concernant certains domaines du droit des entrepreneurs du spectacle vivant ; et l’article 67 dans le domaine du Code minier.

Cet ensemble donne une impression à la fois de recherche de plus grande confiance accordée au citoyen. Cependant ces bonnes intentions sont quelque peu desservies par une certaine complexité de la loi et une série d’incertitudes qui devront être levées par les décrets d’application, qui ne sont pas encore tous adoptés et par les interprétations juridictionnelles.

On soulignera, pour conclure, l’importance de la notion de bonne foi, qui tend à se développer dans plusieurs champs du droit. Ainsi, la loi relative aux lanceurs d’alerte avait déjà largement insisté sur la notion de bonne foi. Cette dernière est de nouveau, dans la loi ici commentée, au centre de la philosophie, plusieurs dispositions préexistantes étant modifiées afin d’y adjoindre des références à la bonne foi. Ainsi, par exemple, dans le Code de la sécurité, sociale, le principe de bonne foi apparaît désormais comme un facteur d’exemption de sanction, sans le cadre de l’article L. 114-17 du Code de la sécurité sociale. Selon cet article en effet, peuvent faire l’objet d’un avertissement ou d’une pénalité prononcée par le directeur de l’organisme chargé de la gestion des prestations familiales ou des prestations d’assurance vieillesse, au titre de toute prestation servie par l’organisme concerné : l’inexactitude ou le caractère incomplet des déclarations faites pour le service des prestations, sauf en cas de bonne foi de la personne concernée ; l’absence de déclaration d’un changement dans la situation justifiant le service des prestations, sauf en cas de bonne foi de la personne concernée22.

Enfin, l’annexe de la loi du 10 août 2018 donne une sorte de mode d’emploi à la loi et de guide pour l’action publique. L’annexe précise que l’Administration est au service des personnes, qu’elle conseille loyalement et accompagne dans leurs démarches. Les prérogatives et les moyens qui lui sont conférés pour la mise en œuvre des politiques publiques sont employés au bénéfice de ces personnes. L’autonomie et la protection des agents publics dans leurs relations avec les usagers sont garanties. Cette annexe rappelle encore que les personnes intéressées sont associées aux politiques publiques dans des conditions adaptées à chaque domaine d’intervention. Lorsqu’une telle association est décidée pour une action déterminée, la décision prévoit les moyens nécessaires à cette association.

L’annexe semble apporter un résumé de la philosophie contemporaine des relations entre l’Administration et le public en posant le principe selon lequel lorsqu’une personne est soumise par la loi ou le règlement à une obligation, elle est réputée s’y être conformée dans sa relation avec l’Administration. L’annexe précise encore, dans ce sens, que l’Administration accompagne les usagers qui la sollicitent pour les aider dans la bonne application des règles qui les concernent. L’Administration leur facilite l’accès aux données les concernant strictement. Les rapports entre le public et l’Administration sont fondés sur les principes de loyauté, de simplicité et d’adaptation. L’Administration développe les modalités non contentieuses de traitement des contestations, notamment la médiation.

L’annexe précise encore que l’Administration prend en compte la capacité financière du contribuable dans le cas d’un recouvrement fiscal ou administratif. Sur la notion de médiation, il convient de rappeler les textes récents en la matière, que l’annexe à la loi de 2018 vise à promouvoir. La médiation est un processus par lequel les parties essaient de résoudre de manière amiable leur différend avec l’aide d’un médiateur. La médiation porte sur tout ou partie d’un litige. Selon la loi du 18 novembre 2016, pour plusieurs contentieux, (tel celui de la fonction publique, certaines décisions concernant les aides sociales, le logement ainsi que la radiation de la liste des demandeurs d’emploi), la procédure de médiation préalable est obligatoire du 1er avril 2018 au 18 novembre 2020. Plus précisément, sous le titre II « Favoriser les modes alternatifs de règlement des différends », l’article 5 de la loi n° 2016‐1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle complète le titre Ier du livre Ier par un chapitre III « La médiation » : les nouveaux articles L. 213‐1 à L. 213‐10 du Code de justice administrative.

Les innovations essentielles de cette loi portent sur le recours à la médiation qui est, désormais, un mode de « droit commun » de résolution des différends, qui peut être à l’initiative des parties ou sur la suggestion du président de la formation de jugement ; le recours à un processus de médiation préalablement à la saisine du juge interrompt les délais de recours contentieux (qui recommencent à courir à zéro après la médiation) et suspend les prescriptions (qui recommencent à courir pour le délai restant après la médiation) ; la procédure de mise en œuvre d’une médiation est précisée (modalités de désignation du médiateur, de sa rémunération…). La loi du 18 novembre 2016 a été complétée par le décret 18 avril 201723.

Le II de l’annexe pose la perspective d’une action publique modernisée, simplifiée, décentralisée et plus efficace : l’action publique fait l’objet d’évaluations régulières, notamment quant à son efficacité, son mode d’organisation et sa capacité à satisfaire les usagers dans leurs demandes de conseils et de services. Les statistiques sur la mise en œuvre des pénalités sont publiées, en distinguant celles figurant dans les propositions de rectification ou les notifications de bases imposées d’office de celles maintenues à l’issue de la procédure de redressement.

L’annexe pose aussi le principe selon lequel les missions de l’Administration sont régulièrement évaluées, y compris de manière indépendante, notamment quant à leur pertinence pour répondre aux nouveaux besoins de la société. L’évaluation de l’Administration associe les personnes intéressées, dont les propositions sont prises en compte pour l’organisation et l’adaptation de l’action publique. L’organisation de l’Administration s’adapte constamment à l’évolution de ses missions en tenant compte des nécessités de l’aménagement du territoire.

Les agents publics bénéficient régulièrement d’une formation et d’un accompagnement leur permettant de s’adapter aux évolutions des missions de l’Administration.

L’organisation administrative prend en considération la diversité et la spécificité des territoires.

Les moyens pour mener à bien l’action publique sont déterminés en fonction de leur adaptation aux objectifs, quantitatifs et qualitatifs, à atteindre. L’annexe précise, conformément au principe de proportionnalité, que l’action publique n’entraîne l’édiction d’une norme que si celle-ci est strictement nécessaire à sa réalisation.

L’action publique doit permettre la réduction des délais administratifs.

Toute décision publique prend en compte le coût qu’elle implique pour son auteur, ses destinataires et les tiers ainsi que la complexité des règles particulières qu’ils doivent appliquer et respecter. Ce coût et ces règles doivent être limités au strict nécessaire et proportionnés aux objectifs à atteindre. L’Administration prend en considération les contraintes horaires du public dans ses horaires d’ouverture et met en œuvre les moyens nécessaires permettant d’organiser un accueil téléphonique efficient. La proximité territoriale doit permettre à l’Administration d’assurer le service public sur tout le territoire de la République, notamment grâce à l’implantation des maisons de service au public. L’Administration doit assurer, notamment aux personnes vulnérables ou n’utilisant pas l’outil numérique, des possibilités de communication et de médiation adaptées à leurs besoins et à leur situation. Tout usager des services publics doit pouvoir consulter l’état de sa situation administrative et de l’avancement du traitement de ses démarches et demandes.

Le gouvernement se fixe, selon l’annexe de la loi, pour objectifs, s’agissant de l’Administration de l’État : 1° La dématérialisation de l’ensemble des démarches administratives, en dehors de la première délivrance d’un document d’identité, d’ici à 2022, avec la prise en compte des besoins d’accompagnement des citoyens ayant des difficultés d’accès aux services dématérialisés. L’institution du droit pour toute personne de ne pas être tenue de produire à l’Administration une information déjà détenue ou susceptible d’être obtenue auprès d’une autre administration. L’État, les collectivités territoriales et leurs groupements ainsi que les autres personnes publiques et les personnes morales de droit privé chargées d’une mission de service public administratif concourent à la mise en œuvre de la présente stratégie nationale.

En conclusion, la loi du 10 août 2018 est une loi venant modifier plusieurs dispositions antérieures, et notamment le Code des relations entre le public et l’Administration. L’appréciation existante, tant que les mesures d’applications ne sont pas encore pleinement adoptées et que les effets de la loi ne sont pas mesurés, ne peut être que nuancée. En effet, si l’on ne peut que saluer les bonnes intentions dans le sens d’une confiance renforcée, d’une écoute accrue, deux défauts majeurs peuvent d’emblée être relevés. En premier lieu, la loi est difficile à lire, par les champs multiples qu’elle concerne et la pluralité des dispositions qu’elle modifie. En second lieu, l’absence de contrôle de constitutionnalité avant promulgation, qui doit se lire au miroir du cheminement de la loi devant le Conseil d’État, laisse penser que des nids à contentieux ne sauraient être exclus. Qu’il s’agisse de la notion même de « droit à l’erreur », qui devra sans doute faire l’objet de précisions règlementaires et jurisprudentielles, ou encore, de manière corrélée, de la « bonne foi », ou encore de l’idée de rescrit juridictionnel que la loi met en place, les incertitudes sont nombreuses. Les expérimentations sont aussi très nombreuses, et la lisibilité peu aisée. Entre avancées et innovations juridiques d’un côté et accessibilité incertaine de ces droits nouveaux, la pratique dira si l’équilibre se fera, comme il devrait se faire, au bénéfice de droits et garanties renforcés pour les citoyens.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Ce sont les derniers termes figurant au bas de la loi, promulguée par le président de la République sur son lieu de villégiature. Cette mention, si elle n’est pas inédite, est rare. On en trouve notamment un exemple, pour une loi de finances rectificative, en août 2012, sous la présidence de François Hollande : https://www.legifrance.gouv.fr/jo_pdf.do ?id=JORFTEXT000026288927&oldAction=rechExpTexteJorf.
  • 2.
    On trouve encore un exemple en décembre 2001 sous la présidence de Jacques Chirac : https://www.legifrance.gouv.fr/jo_pdf.do ?id=JORFTEXT000026288927&oldAction=rechExpTexteJorf.
  • 3.
    Selon l’article 61 de la constitution, les lois organiques, avant leur promulgation, les propositions de loi mentionnées à l’article 11 avant qu’elles ne soient soumises au référendum, et les règlements des assemblées parlementaires, avant leur mise en application, doivent être soumis au Conseil constitutionnel, qui se prononce sur leur conformité à la constitution.
  • 4.
    Aux mêmes fins, les lois peuvent être déférées au Conseil constitutionnel, avant leur promulgation, par le président de la République, le Premier ministre, le président de l’Assemblée nationale, le président du Sénat ou soixante députés ou soixante sénateurs.
  • 5.
    Dans les cas prévus aux deux alinéas précédents, le Conseil constitutionnel doit statuer dans le délai d’un mois. Toutefois, à la demande du gouvernement, s’il y a urgence, ce délai est ramené à huit jours.
  • 6.
    Dans ces mêmes cas, la saisine du Conseil constitutionnel suspend le délai de promulgation.
  • 7.
    https://www.economie.gouv.fr/droit-erreur.
  • 8.
    https://www.legifrance.gouv.fr/affichLoiPreparation.do;jsessionid=9711F5137DB4EC61251CA9F1C7573866.tplgfr26s_1 ?idDocument=JORFDOLE000036100205&type=general&typeLoi=proj&legislature=15.
  • 9.
    V. notre ouvrage Le Conseil d’État, acteur et censeur de l’action publique, 2017, Lextenso.
  • 10.
    https://www.legifrance.gouv.fr/Droit-francais/Les-avis-du-Conseil-d-État-rendus-sur-les-projets-de-loi/2017/Projet-de-loi-pour-un-État-au-service-d-une-societe-de-confiance-CPAX1730519L-27-11-2017.
  • 11.
    Idem : le projet de loi insère un nouveau chapitre III au sein du titre II du livre Ier du CRPA, comprenant un article unique (CRPA, art. L. 123-1) qui entend reconnaître un « droit à l’erreur » au bénéfice de l’usager de l’administration en cas de méconnaissance d’une règle applicable à sa situation, y compris lorsque celle-ci conditionne le bénéfice d’une prestation. Lorsque la personne en cause régularise sa situation, de sa propre initiative ou après y avoir été invitée par l’Administration, le projet de loi prévoit qu’elle ne pourra faire l’objet d’une sanction pécuniaire ou être privée d’une prestation si, remplissant les conditions auxquelles celle-ci est subordonnée, la personne y a effectivement droit.
  • 12.
    Le gouvernement a fait le choix, que l’étude d’impact justifie insuffisamment, de reconnaître un droit à l’erreur général dans les procédures déclaratives plutôt que d’identifier, comme c’est déjà le cas en matière fiscale, celles des procédures dans lesquelles une invitation à régulariser avant sanction devrait être créée. Ce choix oblige à créer des exceptions pour tenir compte de la variété des obligations déclaratives et ne pas reconnaître ce droit dans des hypothèses qui ne correspondent pas aux objectifs recherchés. Il est donc nécessaire de spécifier que le mécanisme du droit à l’erreur n’est pas applicable :
  • 13.
    - aux sanctions requises pour la mise en œuvre du droit de l’Union européenne ;
  • 14.
    - aux sanctions prononcées en cas de méconnaissance des règles protégeant la santé publique, la sécurité des personnes et des biens ou l’environnement ;
  • 15.
    - aux sanctions prévues par un contrat ;
  • 16.
    - et, enfin, à celles qui sont prononcées par les autorités de régulation à l’égard des professionnels soumis à leur contrôle ; cette dernière réserve permet d’exclure du champ d’application de la loi les professionnels en cause, qui connaissent et maîtrisent les règles de droit applicables, peuvent se faire assister d’un conseil juridique et ne sont donc pas concernés par le mécanisme du droit à l’erreur.
  • 17.
    L’état actuel du droit subordonne la mise en œuvre des circulaires et instructions ministérielles à leur publication sur internet et le projet de loi prévoit, par une modification de l’article L. 312-2 du CRPA, la généralisation de cette obligation en réputant abrogée toute circulaire ou instruction non publiée dans un certain délai. Il est en outre possible à un usager d’invoquer, sous certaines conditions, la doctrine de l’Administration et d’être garanti contre ses changements, dans certains domaines, en particulier fiscal (article L. 80 A du livre des procédures fiscales) ou social (CSS, art. L. 243-6-2). Le projet de loi entend, avec l’article L. 312-2-1 du CRPA, généraliser ce droit à l’égard de la doctrine administrative ministérielle ne faisant pas l’objet de dispositions spéciales, dès lors que cette doctrine est publiée sur un site internet spécialisé et que la préservation de la santé publique, de la sécurité des personnes et des biens ou de l’environnement n’est pas en cause.
  • 18.
    Le Conseil d’État déplore, s’agissant de la généralisation de l’invocabilité des circulaires et de la garantie contre les changements de doctrine, les lacunes de l’étude d’impact, muette sur les domaines, autres que les prélèvements fiscaux et sociaux, dans lesquels la mesure serait susceptible de produire des effets et, par suite, notamment sur d’éventuels effets négatifs à l’égard des tiers de la garantie contre les changements de doctrine donnée à un usager. Il ne retient pas les dispositions relatives à la responsabilité de l’Administration en cas d’illégalité des instructions et circulaires qui, n’ajoutant rien à l’état du droit jurisprudentiel, sont susceptibles de créer de vains litiges et des incompréhensions dommageables.
  • 19.
    À partir notamment de l’exemple du rescrit en matière fiscale prévu par l’article L. 80 B du Livre des procédures fiscales, ont été développés des rescrits – c’est-à-dire une prise de position formelle de l’Administration sur l’application d’une norme à une situation de fait décrite loyalement, qui lui est opposable – dans plusieurs domaines, en particulier à la suite de l’étude du Conseil d’État : « Le rescrit : sécuriser les initiatives et les projets » de novembre 2013. Le projet de loi entend généraliser cette garantie en l’étendant à d’autres domaines et expérimenter dans ces mêmes domaines la possibilité pour les usagers d’obtenir en cas de silence de l’administration sur un projet de prise de position formelle une réponse favorable correspondant à ce projet.
  • 20.
    Le Conseil d’État constate, pour le regretter, que le gouvernement, tout en souhaitant généraliser cette garantie, ne s’est pas donné les moyens – par la présentation dans l’étude d’impact d’un bilan de l’utilisation des rescrits existants, d’une recherche des procédures ou domaines nouveaux dans lesquels ils pourraient être créés et d’une évaluation des avantages et inconvénients corrélatifs – de concevoir des mesures adaptées aux besoins. Il ne peut retenir la disposition, qu’il estime entachée d’incompétence négative, renvoyant au pouvoir réglementaire le soin de définir les domaines dans lesquels ce nouveau rescrit pourrait être institué. La création de cette garantie ayant pour effet de dispenser l’Administration de son obligation d’appliquer la loi, elle ne peut intervenir que dans des cas et conditions définis de manière suffisamment précise par le législateur lui-même. À défaut de pouvoir désigner précisément les domaines d’intervention, le Conseil d’État modifie la rédaction du projet de loi pour que ce rescrit, qui ne pourra résulter, sauf dans sa version expérimentale, que d’une position expresse de l’administration ne puisse intervenir que dans les domaines dans lesquels une telle garantie n’existe pas, et sauf dans les cas où les droits des tiers, la préservation de la santé publique, de la sécurité des personnes et des biens ou de l’environnement sont susceptibles d’être affectés.
  • 21.
    Selon le considérant n° 13 de la décision du Conseil constitutionnel n° 99-421 du 16 décembre 1999, « que l’urgence est au nombre des justifications que le gouvernement peut invoquer pour recourir à l’article 38 de la constitution ; qu’en l’espèce, le gouvernement a apporté au Parlement les précisions nécessaires en rappelant l’intérêt général qui s’attache à l’achèvement des neuf codes mentionnés à l’article 1er, auquel faisait obstacle l’encombrement de l’ordre du jour parlementaire ; que cette finalité répond au demeurant à l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi ; qu’en effet l’égalité devant la loi énoncée par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen et “la garantie des droits” requise par son article 16 pourraient ne pas être effectives si les citoyens ne disposaient pas d’une connaissance suffisante des normes qui leur sont applicables ; qu’une telle connaissance est en outre nécessaire à l’exercice des droits et libertés garantis tant par l’article 4 de la Déclaration, en vertu duquel cet exercice n’a de bornes que celles déterminées par la loi, que par son article 5, aux termes duquel “tout ce qui n’est pas défendu par la loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas” ».
  • 22.
    CE, 17 août 2017, n° 400606.
  • 23.
    CE, 18 oct. 2018, n° 407943.
  • 24.
    BOFiP-CF-PGR-30-20-12/09/2012.
  • 25.
    http://revuefiduciaire.grouperf.com/depeches/42003.html.
  • 26.
    http://www.conseil-etat.fr/Decisions-Avis-Publications/Etudes-Publications/Rapports-Etudes/Le-rescrit-securiser-les-initiatives-et-les-projets.
  • 27.
    L. n° 2010-1658, 29 déc. 2010.
  • 28.
    V. https://www.village-justice.com/articles/nouveau-rescrit-urbanisme-apport-loi-aout-2018,29516.html.
  • 29.
    https://www.village-justice.com/articles/nouveau-rescrit-urbanisme-apport-loi-aout-2018,29516.html.
  • 30.
    https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriAdmin.do ?idTexte=CETATEXT000008072768.
  • 31.
    http://www.arnaudgossement.com/archive/2018/08/20/loi-pour-une-societe-de-confiance-experimentation-du-rescrit-6073500.html.
  • 32.
    Selon cet article : « Dans les conditions prévues à l’article 38 de la constitution, le gouvernement est autorisé à prendre par ordonnances, dans un délai de dix-huit mois à compter de la publication de la présente loi, toute mesure relevant du domaine de la loi afin de faciliter l’implantation, le développement et le maintien de modes d’accueil de la petite enfance :
  • 33.
    1° En simplifiant et en assurant une meilleure cohérence des législations applicables aux modes d’accueil de la petite enfance, au regard de leurs spécificités respectives ;
  • 34.
    2° En prévoyant les conditions dans lesquelles ces législations peuvent donner lieu à des dérogations, justifiées par la spécificité des situations et des enjeux locaux, dès lors que des garanties équivalentes sont apportées en termes de qualité d’accueil, s’agissant notamment du nombre et de la qualification des adultes encadrant les enfants, et de respect de l’intérêt de l’enfant ;
  • 35.
    3° En permettant à l’une des autorités compétentes en la matière, dont les organismes débiteurs des prestations familiales, de prendre, au nom de chacune ou de certaines d’entre elles et après leur accord, tout ou partie des actes nécessaires à l’implantation, au développement et au maintien de modes d’accueil de la petite enfance ainsi qu’à leur financement, en vue notamment de :
  • 36.
    a) Proposer un guichet administratif unique facilitant les démarches des porteurs de projets de modes d’accueil de la petite enfance à chaque étape de leur activité ;
  • 37.
    b) Favoriser la cohérence des actes pris par les autorités compétentes en la matière, au regard notamment des diagnostics, des schémas, des plans d’action et plus généralement de toutes démarches locales de coordination dans le champ des modes d’accueil de la petite enfance.
  • 38.
    Pour l’application des 1° et 2°, les ordonnances peuvent prévoir le recours à des expérimentations d’une durée ne pouvant être inférieure à deux ans ni supérieure à cinq ans, donnant lieu à un rapport d’évaluation remis par le gouvernement au Parlement avant leur terme.
  • 39.
    Pour l’application du 3°, il est recouru à une expérimentation, sur la base du volontariat des autorités compétentes de chaque territoire impliqué, dont la durée maximale ne peut être inférieure à deux ans ni supérieure à cinq ans, donnant lieu à un rapport d’évaluation remis par le gouvernement au Parlement avant son terme.
  • 40.
    Un projet de loi de ratification est déposé devant le Parlement dans un délai de trois mois à compter de la publication de l’ordonnance ».
  • 41.
    Le chapitre IV ter du titre Ier du livre Ier du Code de la sécurité sociale est ainsi modifié :
  • 42.
    1° Les 1° et 2° du I de l’article L. 114-17 sont complétés par les mots : «, sauf en cas de bonne foi de la personne concernée » ;
  • 43.
    2° Le II de l’article L. 114-17-1 est ainsi modifié :
  • 44.
    a) Au 1°, la première phrase est complétée par les mots : «, sauf en cas de bonne foi de la personne concernée » et la seconde phrase est supprimée ;
  • 45.
    b) Après le même 1°, il est inséré un 1° bis ainsi rédigé :
  • 46.
    « 1° bis L’inobservation des règles mentionnées au 1° du présent II lorsque celle-ci a pour effet de faire obstacle aux contrôles ou à la bonne gestion de l’organisme ; »
  • 47.
    c) Le 2° est complété par les mots : «, sauf en cas de bonne foi de la personne concernée ».
  • 48.
    D. n° 2017-566, 18 avr. 2017 codifié au CJA, art. R. 213‐1 et s.
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