Un « Pacte Justice » pour les candidats à la présidentielle

Publié le 13/02/2017

Le bâtonnier Frédéric Sicard a annoncé un « Pacte Justice » qui sera présenté aux candidats des élections présidentielles de 2017. Cet ensemble de six grandes propositions est inspiré par la consultation lancée en décembre par l’Ordre des avocats auprès des 28 000 avocats du barreau de Paris.

« Notre justice vit-elle encore à l’âge de pierre ? Il serait temps de faire le saut entre la préhistoire et le XXIe siècle ! », tonne le bâtonnier Frédéric Sicard en introduction de la conférence de presse. Maintenant que les candidats sont annoncés, l’Ordre des avocats a décidé de passer à l’offensive pour se faire entendre durant la campagne présidentielle. Entre les mois de décembre 2016 et janvier 2017, le barreau de Paris avait lancé auprès de ses avocats une grande consultation pour dégager des thématiques et priorités claires sur le thème de la justice. Les propositions finalisées étaient présentées ce 31 janvier sous la forme d’un « Pacte Justice » comportant six thématiques. Le document sera envoyé à chaque candidat à la magistrature suprême.

« Je pose la question de savoir quels engagements sont prêts à prendre les candidats à l’élection présidentielle pour sauver notre système judiciaire à bout de souffle », détaille le bâtonnier Frédéric Sicard. Même s’il admet avoir apprécié les efforts opérés par Jean-Jacques Urvoas pour augmenter le budget de la justice, ceux-ci ne restent à son sens qu’un premier pas vers une réforme plus importante de ses moyens : « Notre justice n’est peut-être plus à l’agonie, mais elle reste au bord de la faillite ». Il note avec déception que les candidats sont restés jusqu’à présent muets sur la situation de la justice et les solutions nécessaires qu’il faudra employer pour « la sauvegarder ». L’ambition de ces propositions est donc de placer le devenir de la justice sur le devant de la scène et l’intégrer aux futurs débats de la campagne présidentielle. « Ce pacte est pour nous l’occasion de débattre avec les candidats non seulement sur les grands enjeux liés aux questions de justice, mais aussi sur les réalités vécues par nos concitoyens, en attente d’une justice qui soit davantage à leur écoute et agisse dans des délais raisonnables », explique le bâtonnier, avant de souligner : « une affaire civile engagée en 2017 ne sera jugée qu’en 2021 ! Ce n’est pas digne de la justice du XXIe siècle ».

Six grands thèmes pour la justice

Pour interpeller les candidats sur l’état de la justice, le document de l’Ordre des avocats a été organisé en six chapitres. Le premier concerne les moyens donnés à la justice, il rappelle que la pénurie actuelle de magistrats crée une situation où la France compte 10 juges professionnels pour 100 000 habitants, soit deux fois moins que la moyenne européenne. Pour y remédier, le Pacte Justice propose d’engager deux fois plus de juges, dont la moitié par tour extérieur, avec un quota de répartition entre Paris et la province. Il souligne également les passerelles qui peuvent être créées entre les professions de magistrat et d’avocat, afin de rendre possibles ces recrutements.

L’aide juridictionnelle constitue le second volet de ce Pacte, un thème cher au barreau de Paris. En la matière, il réaffirme ses propositions de généralisation des contrats de protection juridique pour que tout Français gagnant jusqu’à 1 900 € nets par mois puisse bénéficier d’une aide financière (qui soit a minima partielle) pour accéder à la justice. « Un Français consacre en moyenne moins qu’un Albanais pour financer son aide juridictionnelle, ce n’est pas normal », développe Frédéric Sicard.

La troisième thématique est celle de l’accès à la justice pour le plus grand nombre. Pour se diriger vers cet idéal, l’Ordre des avocats suggère de mettre en place un crédit d’impôt pour l’accès à la justice. Une mesure destinée aux classes moyennes qui permettrait à une personne disposant de revenus supérieurs aux barèmes de l’aide juridictionnelle d’accéder au droit malgré tout.

Autre sujet cher au bâtonnat parisien : la constitutionnalisation du droit à un avocat dans le but de consacrer le droit à la défense de tout citoyen. Cet amendement de l’article 66 de la Constitution, déjà étudié plusieurs fois à l’Assemblée nationale, a été rejeté par les députés à chaque tentative. Le chapitre développe aussi la réforme de l’indépendance des magistrats du parquet en proposant d’inscrire dans la loi fondamentale la nomination des magistrats sur avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature.

Enfin, les deux derniers points du Pacte Justice abordent d’une part la promotion des qualités des procédures françaises, notamment avec les chambres internationales qui renforcent le rayonnement juridique de la France, mais aussi via le recours à la cyberjustice et la dématérialisation des procédures. Dernière préoccupation du barreau de Paris : le renforcement de la légitimité des ordres au niveau local et départemental. Sur ce sujet, le bâtonnier appelle d’ailleurs à « une clarification en ce qui concerne les rôles des différents ordres existant aujourd’hui ».

Des candidats renvoyés à l’âge de pierre

Pour illustrer son propos sur une justice qui n’est pas à la hauteur des enjeux de demain, le barreau de Paris a créé cinq visuels qui renvoient les principaux candidats à la préhistoire. Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon, Emmanuel Macron, Benoît Hamon et François Fillon, tous sont représentés en femme et hommes des cavernes sur une affiche qui reprend les principaux points du Pacte Justice et invite les candidats à prendre des engagements.

Les exemples du quotidien choisis (« Dans certains tribunaux, il y a plus de bassines que de juges tellement il y a de fuites d’eau » ou encore « Devons-nous ouvrir les tribunaux le dimanche pour rattraper le retard de la justice ? ») visent aussi à sensibiliser l’opinion publique sur la situation actuelle. Les visuels évolueront au fur et à mesure de la campagne et des réponses des candidats.

Enfin, sur la question du lancement presque simultané d’une initiative concurrente par le Conseil national des barreaux (une consultation des 65 000 avocats français a été lancée en décembre par le CNB avec la même optique), Frédéric Sicard répond : « Nous occupons le 219e bâtonnat recensé à Paris, il n’y a jamais eu de bâtonnier de Paris qui n’ait pas interpellé une autorité. Je suis heureux que le CNB ait également pris cette année l’initiative d’interpeller les candidats à la présidentielle. Plus nous sommes nombreux, plus nous serons à même de nous emparer des thématiques qui nous sont chères. Cependant je pense que notre liberté de parole au sein de l’Ordre est un avantage indéniable : nous n’hésitons pas à dire les choses désagréables et à pointer du doigt ce qui ne va plus ».

X