Vers une nouvelle ère pour la Cour de cassation ?
Le 14 octobre dernier avait lieu l’audience solennelle de la Cour de cassation, qui devait donner lieu à l’installation de 39 nouveaux magistrats. Présidée par la nouvelle première présidente, Chantal Arens, et par le procureur général, François Molins, elle fut l’occasion de présenter les différentes fonctions de la Cour et d’appeler à une modernisation de ses services.
Une partie conséquente des effectifs de la Cour de cassation fut renouvelée lors de l’audience d’installation de la Cour de cassation, le 14 octobre dernier. Trente-neuf nouveaux magistrats furent alors installés. Ils s’apprêtaient à endosser différentes fonctions au sein de la plus haute juridiction française. Au cours de cette audience ont ainsi été installés, au sommet de la hiérarchie, deux présidents de chambres et deux premiers avocats généraux à la Cour de cassation, mais aussi des conseillers et avocats généraux, des conseilleurs référendaires. À ces postes concernant directement la Cour de cassation, s’ajoutaient les conseillers nommés pour exercer en province comme premiers présidents et avocats généraux près des cours d’appel, ainsi que la nomination d’un procureur national antiterroriste.
Avant de procéder à cette série d’installation, François Molins commença par un exercice un peu convenu de rappel de grands principes régissant la Cour de cassation et la justice française. Il répéta, comme il l’avait dit lors de l’audience de rentrée de septembre dernier, que la Cour de cassation doit avant tout être gardienne des libertés. « Cette ambition passe d’abord par le respect absolu de l’indépendance du juge et de la décision de justice qui constitue son cœur », posa-t-il. « Il paraît utile de rappeler, dans un temps où l’action judiciaire fait l’objet de polémiques, que cette ambition passe aussi par la protection dont doit bénéficier, dans une démocratie, l’acte de poursuite contre toute attaque ou pression d’où qu’elle puisse venir ».
Il y avait, parmi ces nominations, des personnalités bien connues du monde judiciaire. À commencer par Jean-Michel Hayat, ancien président du tribunal de grande instance de Paris, désormais premier président de la cour appel de Paris. Il fut très chaleureusement installé par Chantal Arens, qui avant de prendre le poste de première présidente de la Cour de cassation, occupait elle-même jusqu’en juillet dernier ces fonctions de première présidente de la cour d’appel de Paris. « Vous empruntez un chemin que je connais bien », lui dit-elle, avant de louer son professionnalisme, mettant à son crédit « le succès » du déménagement du TGI aux Batignolles, mais surtout l’organisation renouvelée « de grands procès criminels, économiques, sanitaires ou environnementaux que l’on aurait pu croire conjoncturel et qui sont devenus chroniques ».
Pour chacun des magistrats nommés, Chantal Arens et François Molins allaient se partager la parole, alternant présentation des fonctions et mise en avant des hommes et des parcours personnels de chacun. L’audience fut aussi l’occasion de rappeler la diversité des fonctions judiciaires liées à la Cour de cassation, pour certaines peu connues, et de redéfinir les missions de chacune d’entre elles.
Avant d’installer les nouveaux avocats généraux à la Cour de cassation, François Molins revint sur l’essence de la fonction de ces magistrats, « qui ne sont pas partis au procès et doivent être détachés de tout intérêt particulier, mais n’en ont pas moins une place centrale au sein de la Cour ». Leur rôle, rappela le procureur général, est de rendre des avis dans l’intérêt de la loi et du bien commun et éclairer la Cour sur la portée de la décision à venir, en lui apportant des éléments extérieurs, particulièrement dans les dossiers traitant de questions sociétales complexes, touchant à l’ordre public ou aux libertés individuelles. Ce magistrat, d’après François Molins, se doit d’être une « interface avec la société », une « fenêtre ouverte sur l’extérieur ».
L’audience a permis ensuite d’installer seize nouveaux conseillers et deux avocats généraux à la Cour, personnalités judiciaires principalement venues des cours d’appel. Des magistrats qui devront se fondre à la rédaction de rapports et au mode de délibéré collectif propre à la Cour de cassation. Ces magistrats, garants du lien avec les juridictions du quotidien, représentent pour Chantal Arens le « renouveau dont la Cour a besoin ». « Votre expérience récente dans les juridictions du fond rappellera à la Cour que le justiciable n’est jamais loin ; que derrière la question de droit, il y a toujours un cas d’espèce et que l’incidence de la solution retenue sur les parties aura toujours un retentissement concret, familial, financier, matériel ou médical important et, par delà, un retentissement juridique, culturel, social, éthique ou économique beaucoup plus vaste », a-t-elle rappelé.
Une fois faite l’installation des plus hauts postes de la Cour de cassation, vint le moment de procéder à celle des conseillers nommés pour exercer les plus hautes fonctions dans les cours d’appel. Deux conseillers et une conseillère furent ainsi installés pour présider les cours d’appel d’Agen, Angers et Dijon. Deux conseillères et un conseiller furent, eux, installés dans les fonctions d’avocat général près des cours d’appel de Versailles, Grenoble, Amiens et Montpellier. À ces conseillers appelés aux plus hautes fonctions judiciaires dans les cours d’appel du pays, Chantal Arens rappela leur mission, mêlant tâche judiciaire et logique managériale. « Aux tâches juridictionnelles qui vous sont traditionnellement dévolues, s’ajouteront des fonctions de gestion des moyens humains et matériels affectés à vos cours respectives comme une veille déontologique accrue des magistrats de votre ressort », prévint-elle. Elle leur a promis une collaboration étroite. « Cette audience est l’occasion, pour la Cour, de vous assurer de son soutien dans vos nouvelles attributions », déclara-t-elle, avant de rappeler qu’elle entendait nouer avec les cours d’appel, « des liens plus réguliers et plus étroits ». « Soyez assurés de mon écoute et de ma disponibilité comme de celle de l’ensemble des magistrats de la Cour pour accompagner les cours d’appel dans leur réflexion juridique, leurs actions juridictionnelles, dans l’intérêt des justiciables et de l’institution judiciaire », conclut-elle à leur égard.
François Molins s’adressa plus particulièrement à ces avocats généraux des cours d’appel et reprécisa leur fonction. « Vous jouerez un rôle souvent méconnu mais déterminant en matière de coordination régionale de la politique pénale et d’animation des parquets de votre ressort », leur dit-il avant de préciser qu’il leur appartiendrait de « fédérer l’action de vos parquets en les assistant dans la conduite d’une action publique préventive et répressive cohérente, lisible et adaptée aux problématiques du ressort », et qu’ils auraient également la responsabilité d’évaluer les magistrats des parquets de leur ressort.
L’audience, qui avait lieu dans la première chambre civile, une salle chargée de dorures et de boiseries anciennes, fut aussi l’occasion de faire vœu de changement et de modernité. Dans ce décor des plus traditionnels, François Molins et Chantal Arens mirent tous deux en avant leur volonté de moderniser la Cour de cassation. François Molins, dès le début de sa prise de parole, rappela ainsi qu’une nouvelle page de l’histoire de la Cour s’ouvrait, quelques semaines après l’installation de Chantal Arens comme première présidente. Il détailla en ces termes leur ambition commune : « poursuivre la modernisation de la Cour, pour lui permettre d’assurer toujours mieux sa mission de contrôle normatif sur le fond des décisions de justice et de contrôle disciplinaire sur la forme et la motivation, et ce, dans le souci constant d’une plus grande clarté et lisibilité pour les professionnels du droit et pour le justiciable. »
Cette mission de modernisation reposera en partie sur les épaules de Jean-Michel Sommer, installé lors de cette audience à la direction du Service de documentation, des études et du rapport de la Cour de cassation. Outre une mission classique de soutien aux chambres en termes de recherche documentaire et jurisprudentielle, ce magistrat aura la tâche de « mettre à disposition du public des décisions de justice telle que prévue par l’Open Data ». Une mission qui, a précisé Chantal Arens, « s’accompagnera d’une réflexion sur la réduction des divergences de jurisprudence », grâce à l’apport de l’intelligence artificielle.
Au cours de cette audience fut également installé un procureur général antiterroriste : Jean-François Ricard, ancien conseiller à la chambre criminelle de la Cour de cassation et spécialiste de longue date du crime organisé. François Molins lui adressa tous ses vœux de succès et mis également en avant l’ensemble de « l’incroyable équipe » de ce parquet antiterroriste, « qui a démontré ces dernières années sa force et son excellence ».
En fin d’audience, furent installés neuf nouveaux conseillers référendaires. « En devenant référendaire à la Cour de cassation, vous apprenez la rigueur du raisonnement syllogistique et de la technique de cassation ; vous vous essayez à la rédaction de l’arrêt », explicita Chantal Arens pour présenter les fonctions qui les attendait. « Haut lieu de réflexion et de création du droit, la Cour vous offre l’occasion d’approfondir les contentieux les plus techniques ; de résoudre des questions de droit nouvelles et pointues ; de faire avancer le droit à la lumière de considérations juridiques, éthiques ou socio-économiques », leur précisa-t-elle. Ils se pourraient que ces nouveaux conseillers passent de nombreuses années à la Cour de cassation. Bon nombre des magistrats installés au début de l’audience aux plus hautes fonctions de la Cour y avaient été eux aussi, quelques années auparavant, intronisés conseillers référendaires.