Victor Geneste, président du CNGTC : « La francophonie comporte un potentiel d’échanges juridiques énorme »

Publié le 03/10/2024

A partir du 3 octobre se tient le 136e Congrès du Conseil national des Greffiers de tribunaux de commerce. Son thème ? La francophonie. Mais bien d’autres sujets seront à l’honneur. Interview avec Victor Geneste, le président du CNGTC.

Actu-Juridique : Ce 136e Congrès aura pour thématique la francophonie. En quoi est-ce une notion stratégique ?

Victor Geneste : Il y a deux ans, nous avons créé l’Afrec (Alliance francophone des registres des entreprises et du commerce) à Djerba en Tunisie, une alliance qui compte 21 teneurs de registre et rassemble 18 pays. Nous avons toujours été convaincus que la langue française nous permettrait d’avoir des échanges nourris en matière juridique et économique avec les pays qui parlent la même langue que nous. Nous avons commencé à avoir ces échanges, et quand nous avons vu arriver le 19e sommet de la Francophonie, l’occasion était trop belle d’organiser notre congrès sur ce thème, en le jumelant au 2e congrès de l’Afrec. La francophonie peut paraître une notion abstraite pour les néophytes, mais ce que l’on veut démontrer, que ce soit en matière de coopération ou même sur la manière de dire le droit, c’est qu’elle permet des réalisations économiques et juridiques concrètes. Je me suis, par exemple, rendu récemment au Québec pour signer avec la sous-ministre en charge des registres un protocole d’entente sur une coopération entre registres. Comment faire en sorte de prendre le meilleur des deux systèmes ? Comment s’inspirer des autres pour améliorer, optimiser la gestion de notre registre de commerce ? Autant de questions qui se posent aujourd’hui pour les registres de commerce, et demain, pour celui des sûretés, améliorer la police économique, la lutte contre le blanchiment ou le financement du terrorisme… Lors de notre congrès, nous aurons, par exemple, une table ronde avec le secrétaire permanent de l’Ohada qui veille à l’harmonisation du droit des affaires entre pays africains. Mayatta Ndiaye Mbaye a répondu présent, car il a, lui aussi, conscience que la francophonie comporte un potentiel d’échanges juridiques énorme.

AJ : Est-ce aussi une façon d’aller à rebours des projections disant que le français est en perte de vitesse ?

Victor Geneste : Oui, c’est aussi une façon de promouvoir le français. Les langues espagnole et anglaise sont tellement présentes, mondialisées, qu’il pèse aujourd’hui un risque sur la langue française. Mais avec la Fondation du droit continental, dont nous faisons partie, cette alliance, nos échanges avec des pays francophones, nous pensons être capables de faire vivre cette langue francophone et de s’en servir pour promouvoir nos différents modèles. L’ordonnance de Villers-Cotterêts démontre l’ancienneté de cette langue française et la richesse de ses termes y compris en matière juridique et son usage dans 36 pays dans le monde en fait la langue idéale pour développer des partenariats privilégiés.

AJ : Les autres sujets ne manquent pas. Quid des difficultés liées au guichet unique ?

Victor Geneste : Il présente malheureusement toujours des dysfonctionnements, les mêmes que nous avons constatés dès son ouverture (au public, en janvier 2023 ; aux professionnels en juillet 2021). Nous avions eu des échanges en décembre 2023 au cours desquels Matignon avait demandé à l’INPI (l’opérateur du guichet unique) des obligations d’amélioration en termes de qualité. Je vous confirme à date que la qualité ne s’est pas améliorée, voire s’est dégradée, si l’on prend les chiffres que nous produisons sur les réclamations et les refus sur le guichet, qui permettent de mesurer combien de temps mettent les chefs d’entreprise pour immatriculer, modifier ou radier une entreprise. Avant, ils obtenaient un Kbis en 24 heures, aujourd’hui, cela peut atteindre 10 jours. Nous avons des remontées de dysfonctionnements tous les jours, nous sommes inondés de remontées des différents greffes et des déclarants eux-mêmes. L’INPI n’est pas en capacité de gérer ce guichet, raison pour laquelle nous nous proposons de nous substituer à lui pour améliorer et simplifier la vie des chefs d’entreprise. Le nouveau gouvernement, nous l’espérons, aura cette capacité de réfléchir à nouveau à cette gestion. Une prochaine réunion nous permettrait d’alerter sur ces trois ans de dysfonctionnements, sur l’explosion des coûts côté INPI et sur notre inquiétude – puisque la procédure de secours Infogreffe se terminera d’ici la fin de l’année, sans que nous sachions ce qu’il va se passer après, alors que ce sont près d’un million de formalités (plus 1/3 du flux) qui sont passées sur cette procédure de continuité en 2024.

AJ : Cela vous prend-il aussi beaucoup de temps ?

Victor Geneste : Oui, comme l’INPI n’a pas de guichet fixe, ceux qui accueillent les chefs d’entreprise sont les greffiers et leurs collaborateurs. Il y a aussi un accompagnement technique compliqué pour faire face aux errements de l’INPI. Enfin, cela a un coût : maintenir Infogreffe coûte 1,5 million d’euros par an, que nous avons porté à nos frais en soutien au gouvernement, car nous pensons que le guichet unique est une bonne idée même si le choix de l’opérateur a été mauvais.

AJ : Quelles seraient les pires conséquences ?

Victor Geneste : Le nouveau ministre de l’Économie a déclaré que notre travail était de faciliter la tâche aux chefs d’entreprise. Aujourd’hui, c’est tout l’inverse qui se produit. Le risque prend la forme d’un phénomène d’enlisement, que les chefs d’entreprise soient en difficulté, perdent un temps précieux, et que cela ait un coût supplémentaire. À plus grande échelle, il y a un risque sur l’attractivité de la France, sans oublier la fraude. Les dysfonctionnements peuvent entraîner des failles : il existe des personnes qui ne sont plus présentes au registre du commerce, mais qui ont quand même des numéros siren ou des documents officiels, entraînant des risques avérés de fraude, alors que le GAFI vient ré-inspecter la France l’année prochaine.

AJ : Quid de l’expérimentation du tribunal des activités économiques ?

Victor Geneste : Nous avons obtenu la liste des 12 tribunaux des activités économiques (Lyon, Le Mans, Paris, Marseille, Avignon, Auxerre, Saint-Brieuc, Nanterre, Versailles…) Le maillage territorial est relativement respecté, même si nous aurions souhaité plus de tribunaux. Les tribunaux choisis sont de tailles variées, avec de grandes et de plus petites juridictions. Nous avons pu organiser la création d’un groupe de travail côté greffiers, nous travaillons également main dans la main avec la Conférence des juges de commerce. Il y aura des formations à l’ENM pour les juges consulaires et les greffiers. Il y a également des développements techniques nécessaires pour intégrer les agriculteurs, les associations, les professionnels libéraux… dans nos logiciels. Il nous manque encore un texte sur la contribution pour la justice économique, qui va obliger certaines entreprises à payer pour avoir accès aux tribunaux afin de financer le budget de la justice. Nous sommes directement concernés puisque les greffiers seront en charge de récolter ces sommes avant de les reverser à l’État. L’emploi de ces sommes nous intéresse pour que cela puisse participer au fonctionnement de la justice consulaire, bénévole, mais qui a besoin de financements. Dès le 1er janvier 2025, nous serons prêts et mobilisés pour que l’expérimentation soit positive et étendue à l’ensemble des tribunaux français, après sa fin, d’ici 3 ou 4 ans. Ce qui est sûr, c’est que cette extension de nos compétences est historique.

AJ : Cela soulève-t-il un peu d’inquiétude du côté des nouveaux justiciables ?

Victor Geneste : Nous essayons de les rassurer, notamment les agriculteurs. Nous serons opérationnels au 1er janvier, et nous aurons à nos côtés des assesseurs agricoles, juges agricoles, qui devront se familiariser avec les tribunaux de commerce, mais qui connaissent bien la matière agricole et les us et coutumes, donc nous ne devrions pas connaître de période de latence.

AJ : Enfin, que dire du tribunal digital ?

Victor Geneste : Cette idée émane de Nicole Belloubet, lorsqu’elle était ministre de la Justice. Aujourd’hui, nous en sommes à la phase 2. Nous étendons le tribunal digital à l’ensemble des professionnels du droit qui interviennent dans la justice commerciale. D’abord, les avocats : nous sommes en passe d’obtenir une modification des textes pour les intégrer, qu’ils puissent saisir la juridiction de façon numérique, échanger entre eux et obtenir une décision signée électroniquement. Nous sommes aussi en train d’intégrer les commissaires de justice, qui pourront ainsi déposer l’assignation de manière dématérialisée et signifier électroniquement une décision rendue. Bientôt les AJMJ (convention en cours) pourront se connecter au portail de déclaration de créances, faire des requêtes, accompagner les chefs d’entreprise en difficulté. Le justiciable peut aussi faire une demande sur le portail, avec une connexion sécurisée. Enfin, les juges vont aussi y avoir accès, être ainsi destinataires de tous ces échanges et leur permettre de travailler à distance. Nous sommes en train de finaliser cette numérisation, mais elle ne restera qu’une option supplémentaire puisque le tribunal de commerce conservera la version papier des démarches.

AJ : Les greffiers sont engagés en faveur de la RSE. De quelle manière ?

Victor Geneste : La démarche RSE des entreprises a été initiée par tous les greffes fin 2023. Le CNGTC a signé charte numérique responsable (incluant des respects d’obligations sociétales en termes de RH, ressources naturelles, usage des technologies…). D’ici 2025, nous souhaitons être le tiers de confiance capable de certifier les données RSE données par les avocats, les experts-comptables ou les commissaires aux comptes. Cela fait aussi le lien avec la convention d’objectif signé avec l’ancien garde des Sceaux – tous ces sujets y étaient – mais aussi avec le livre blanc pour lutter contre criminalité financière : nous aurons bientôt accès à Ficoba pour contrôler la réalité d’un compte bancaire et en matière de bénéficiaire effectif, nous sommes en train d’obtenir des textes pour une éventuelle radiation des entreprises. Nous poursuivons nos échanges sur les associations, soumises à des règles anti-blanchiment et pour lesquelles il n’existe pas de véritables registres ou de contrôles. Même si le dispositif français est l’un des meilleurs du monde, cette faille doit être corrigée.

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