« Wake up (with) arbitration ! »

Publié le 01/08/2017

Spécialiste de l’arbitrage et du contentieux international, l’avocate Maria Beatriz Burghetto organise tous les deux ou trois mois, avec ses consœurs Valence Borgia et Caroline Duclerq, des petits-déjeuneurs/débats consacrés à des sujets liés à la pratique de l’arbitrage. Ces réunions informelles ont pour objectif de libérer la parole.

Les Petites Affiches – Qu’est-ce qui vous a mené à mettre en place ces petits-déjeuners ?

Maria Beatriz Burghetto – J’avais envie d’organiser des petites tables rondes pour discuter de sujets d’intérêt avec des spécialistes en arbitrage, mais je ne savais pas comment m’y prendre. En 2010, à un dîner de gala organisé par ArbitralWomen, j’ai sympathisé avec Caroline Duclerq, à qui j’ai parlé de cette envie. Sur le moment, ces considérations sont restées lettre morte. Deux ans plus tard, elle m’a rappelée pour me proposer de mettre ces petits-déjeuners en œuvre avec une autre consœur, Valence Borgia. Ce que nous avons fait à partir d’octobre 2012. Nous nous entendons très bien toutes les trois. Penser les sujets et trouver les bons intervenants génère une charge de travail qui n’est pas négligeable, mais nous faisons ce travail avec grand plaisir, ensemble. Cela fait maintenant cinq ans que nous organisons « Wake up (with) arbitration ! », un rendez-vous qui a lieu tous les deux ou trois mois environ à l’heure du petit-déjeuner. Nous accueillons à tour de rôle ces rendez-vous dans nos cabinets respectifs.

LPA – Comment fonctionnent ces réunions ?

M. B. B. – Sur un plan pratique, nous commençons à 8 h 30 et finissons à 10 h pile pour ne pas trop empiéter sur la journée de travail qui suit. Pour le débat, nous nous inspirons du style « Oxford », c’est-à-dire que nous organisons le débat en deux positions. La discussion se polarise entre une thèse affirmative et une thèse négative, en réponse à une question qui se pose autour d’un thème, normalement lié à la pratique de l’arbitrage. Nous désignons donc un des intervenants pour soutenir l’affirmative et l’autre la négative. C’est un exercice de style qu’on leur impose, les positions qu’ils défendent ne correspondant pas nécessairement à leurs positions réelles. Nous nous amusons d’ailleurs parfois à leur attribuer une thèse contraire à celle qu’ils auraient spontanément défendue ! Cela permet d’avoir un échange vivant. Le rendez-vous est minuté : dix minutes de prise de parole par intervenant, pour exposer tous les arguments qui vont dans le sens de la position qu’on leur a attribuée. Cet exposé est suivi d’une heure de débat avec les participants. Par ailleurs, nous avons instauré dès le début le principe de faire intervenir systématiquement un homme et une femme. Lors de la première édition, l’ancien secrétaire de la Cour internationale d’arbitrage de la Chambre de commerce internationale (CCI), Andrea Carlevaris avait « affronté » l’avocate Carole Malinvaud sur le thème « Gagne-t-on une affaire lors de l’audience ? ». Nous avons tout de suite vu que cela fonctionnait. Écouter débattre deux spécialistes qui défendent deux thèses opposées est très stimulant. C’est plus vif que les cours magistraux que l’on entend lors des conférences traditionnelles.

LPA – Qui sont les participants ?

M. B. B. – Nous avons un panel de trente personnes maximum, car nous organisons ces réunions à nos cabinets et avons donc une place limitée. Par ailleurs, nous trouvons intéressant d’être en petit comité, car cela laisse la possibilité d’avoir une discussion interactive dans la salle. On essaye vraiment de faire en sorte que ce soit convivial et que tout le monde participe activement. Avant chaque événement, nous lançons des invitations à l’adresse de ceux qui sont déjà venus ainsi que sur des plates-formes telles que LinkedIn ou Yahoo, fréquentées par des spécialistes de l’arbitrage. Nous accueillons uniquement des spécialistes, car le fait d’avoir une base commune permet d’aller plus loin dans la discussion. De la même manière que nous choisissons un homme et une femme pour les interventions, nous veillons à ce qu’il y ait une parité dans le public. Cette mixité est également générationnelle. Nous trouvons intéressant de croiser les témoignages d’arbitres et de praticiens qui ont de l’expérience avec ceux de « juniors » qui découvrent le métier.

LPA – Pourquoi est-ce si nécessaire d’insister sur la parité homme-femme ?

M. B. B. – Les femmes ont encore du mal à prendre toute leur place dans le monde de l’arbitrage. C’est encore un petit monde qui privilégie les hommes aux cheveux blancs ! Ils sont plus connus, plus occupés, et considérés à tort et même de manière inconsciente, comme meilleurs ou ayant plus d’autorité que les femmes. D’après les statistiques de la CCI pour 2016, des femmes ont été nommées arbitres seulement dans 20 % des cas, la plupart du temps en tant que co-arbitres, et pas en qualité de président du tribunal arbitral. Il en résulte que très peu de femmes parviennent à agir en tant qu’arbitre au même niveau que leurs homologues masculins les plus sollicités. Cela tend à s’améliorer : de plus en plus d’avocats proposent à leurs clients de nommer des arbitres femmes. Au Royaume-Uni et aux États-Unis, les clients insistent beaucoup pour favoriser la parité. En France, une charte de parité homme-femme dans l’arbitrage, le « Pledge », a été signée le 27 avril dernier pendant la Paris Arbitration Week par la vice-bâtonnière du barreau de Paris. Ce pledge est un appel à la communauté de résolution de différends à améliorer le profil et la représentation des femmes dans ce domaine. L’idée avait été lancée l’année dernière à Londres par de Mme Jacomijn van Haersolte-van Hof, directrice générale de la London Court of International Arbitration (LCIA). Elle a été soutenue dès le début par ArbitralWomen, un réseau créé aux mêmes fins en 1993 et qui existe en tant qu’association depuis 2005.

LPA – Quel est l’intérêt du fonctionnement en petit comité ?

M. B. B. – Il y a énormément de conférences sur l’arbitrage à Paris, mais peu d’entre elles sont interactives. On peut rarement y donner son avis et faire des commentaires, et ce sont toujours les mêmes personnes qui s’y expriment. Beaucoup de gens qui auraient pourtant des choses à dire sont inhibés et se taisent. À nos petits-déjeuners, le fait d’avoir un cercle restreint libère la parole. Nous souhaitions avant tout instaurer un dialogue, qui permette à chacun de partager son expérience. La plupart de nos échanges portent sur la pratique de l’arbitrage, sur du vécu et non sur de la théorie. Un petit comité apparaît comme plus favorable à ce type d’échanges.

LPA – Sur votre site internet, vous dites également permettre l’expression de points de vue « politiquement incorrects ». À quoi faites-vous référence ?

M. B. B. – Il peut arriver qu’on se censure dans nos échanges pour éviter d’être mal compris si l’on dénonce une mauvaise pratique ou si l’on parle de situations difficiles ou du moins curieuses que l’on a vécues dans notre pratique en tant qu’arbitre ou en tant que conseil. Dans un environnement restreint, on ose dire ce genre de choses. Cela ne veut évidemment pas dire que l’on passe notre temps à dire du mal de nos confrères ou à se plaindre pendant ces rendez-vous, mais disons que l’on échange sans tabou. Nous osons dire ce qui ne va pas, nous plaindre de certaines décisions, ou dire que nous aimerions que les arbitres soient plus courageux, par exemple.

LPA – Vous avez également adopté les règles de la Chatham House pour libérer la parole. Pouvez-nous nous expliquer en quoi cela consiste ?

M. B. B. – Le Chatham House est un think tank fondé à Londres en 1920 pour débattre des grandes questions internationales du moment. Une règle régit les échanges de ce think tank : on peut par la suite évoquer les informations ou opinions entendues pendant les débats mais seulement à condition de ne pas nommer la personne source ni son groupe d’appartenance. Cela a pour but de favoriser des échanges sans tabou. Nous avons repris cette règle, et après chaque petit-déjeuner, nous faisons un compte rendu des échanges, que nous mettons en ligne sur notre site internet. Dans cette synthèse, nous reprenons les arguments des intervenants et les observations du public, mais sans nommer qui que ce soit.

LPA – Vous avez consacré votre dernier rendez-vous aux legaltechs. Que vont-elles changer à l’arbitrage ?

M. B. B. – Nous avons en effet organisé un petit-déjeuner au moment de la première édition de la « Paris Arbitration Week », en avril dernier, au cours duquel nous avons soulevé la question de l’impact des legaltechs sur notre activité. Ce qui est ressorti de cet échange est que l’arbitrage n’est pas encore menacé, car c’est un domaine qui implique une très forte valeur ajoutée. L’arbitrage se justifie dans la plupart des cas car les affaires sont complexes. Il y a une diversité de droits applicables. L’arbitrage est un mélange de tradition civiliste et de common law. Par exemple, l’interrogatoire et le contre-interrogatoire à l’audience ne se pratiquent pas dans les contentieux commerciaux dans les pays de tradition civiliste, mais l’arbitrage le permet. C’est aussi une procédure internationale et flexible, puisque l’on peut se mettre d’accord avec l’autre partie sur les étapes procédurales. On traite de matières aussi différentes que la construction, l’énergie, les fusions-acquisitions, le contentieux après acquisitions… C’est cette variété qui fait tout l’intérêt de notre métier. C’est elle aussi qui fait qu’il est difficile d’imaginer que l’arbitre ou les conseils puissent être remplacés par une machine à terme. C’est en tout cas ce que nous voulons croire !

LPA – Quel est le poids de l’arbitrage à Paris ?

M. B. B. – La Cour internationale d’arbitrage de la CCI existe depuis 1923 et a favorisé la présence à Paris de spécialistes en arbitrage français et étrangers. Il y a, dans la capitale, des cabinets français et des cabinets américains et britanniques de différentes tailles dont des équipes travaillent à temps plein dans ce domaine. En tout, 500 professionnels de l’arbitrage ont été recensés à Paris en 2011. Tous ne sont pas avocats au barreau de Paris, car il n’est pas nécessaire d’être admis à un barreau pour exercer en tant que conseil ou arbitre. Parmi ces professionnels, on trouve aussi des experts-comptables ou des ingénieurs, par exemple. En 2011, la CCI, se trouvant mal logée, a menacé de déménager pour Vienne ou Genève, villes qui proposaient des avantages fiscaux non négligeables Beaucoup des professionnels de l’arbitrage parisiens se sont mobilisés pour empêcher ce départ, et la CCI est restée à Paris. Elle se trouve désormais place d’Iéna, dans le bâtiment du Conseil économique social et environnemental (CESE). C’est une bonne chose pour la ville, car les professionnels de l’arbitrage génèrent entre 300 et 500 millions d’euros de chiffre d’affaires par an, selon les statistiques de l’année 2011.

LPA 01 Août. 2017, n° 128a1, p.3

Référence : LPA 01 Août. 2017, n° 128a1, p.3

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