À Créteil, SOS Médecins examine les personnes placées en garde à vue
Les gardés à vue ont, d’après le Code de procédure pénale, le droit d’être examinés par un médecin qui se prononce sur la compatibilité de leur état de santé avec la garde à vue. Mais comment garantir ce droit dans un territoire où les médecins manquent ? Depuis plusieurs années, la juridiction de Créteil était confrontée à ce dilemme. « C’était un sujet de grande préoccupation », confie le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Créteil, Stéphane Hardouin. Jusqu’à ce qu’une convention soit signée avec SOS Médecins en février dernier. Explications avec Stéphane Hardouin.
Actu-Juridique : Dans quel cadre les personnes gardées à vue peuvent-elles voir un médecin ?
Stéphane Hardouin : Les personnes gardées à vue peuvent demander à voir un médecin au moment du placement en garde à vue ou de sa prolongation. Cet examen est obligatoire quand il s’agit de mineurs de moins de 16 ans. C’est un droit qui doit être exercé effectivement. Dans le délai de 3 heures, les enquêteurs doivent avoir entrepris les diligences pour trouver un médecin. Auparavant, l’unité médico-judiciaire de Créteil (UMJC) en plus de sa mission fondamentale qui est de s’occuper des victimes (en réalisant des examens pour évaluer une infirmité, une incapacité de travail ou un traumatisme psychologique) se déplaçait dans les commissariats, ce qui permettait de respecter l’obligation légale et de préserver le temps d’enquête.
Actu-Juridique : Pourquoi les unités médico-judiciaire (UMJ) ont changé de pratique et cessé d’assurer cet examen ?
Stéphane Hardouin : Les demandes de visites médicales par les personnes gardées à vue sont assez massives : entre février 2023 et fin septembre 2023, 6 000 examens de ce type ont été pratiqués. Sur l’ensemble de l’année 2022, 23 000 personnes ont été placées en garde à vue. Intuitivement, je dirais donc que près d’un gardé à vue sur deux formule cette demande. Cela représentait une charge exponentielle pour les UMJ, ce d’autant que la lutte contre les violences intrafamiliales a eu pour conséquence d’accroître l’activité de ces unités médico-judiciaires. Cet accroissement de l’activité est arrivé dans un contexte où l’UMJ était en sous-effectif et faisait face à des difficultés de recrutement. La structure, dont le service était apprécié par tous, s’est retrouvée dans une impossibilité de poursuivre ces examens de compatibilité avec la garde à vue, qui sont des examens assez basiques, sans grande valeur ajoutée médico-légale. L’UMJ a cessé d’assurer cette mission pour se recentrer sur son cœur de métier. Le résultat est qu’en février 2022, il n’y avait plus d’examen de compatibilité de gardés à vue dans le Val-de-Marne sauf en cas de pathologie manifeste ou pour certaines affaires.
Actu-Juridique : Quelles étaient les conséquences de cette absence d’examen médical ?
Stéphane Hardouin : Il en a résulté un risque majeur d’abord pour les gardés à vues. L’objectif de cet examen est d’abord de permettre de prendre les mesures appropriées pour les personnes gardées à vue ayant des problèmes de santé, le cas échéant en levant la garde à vue ou en la poursuivant en milieu hospitalier. Sur ce point, je me suis refusé à faire des choix en fonction de la gravité des affaires. L’UMJ avait une capacité de traitement que nous aurions pu réserver aux affaires les plus graves : mais il peut y avoir des affaires qui ne sont pas graves avec des gardés à vue qui ont une santé fragile ! À ce risque pour la santé des gardés à vue s’ajoutait un risque procédural : un avocat pouvait parfaitement soulever que nous n’avions pas respecté l’obligation légale et faire « tomber » ainsi la procédure. Toutefois, selon la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation, il s’agit d’une obligation de moyens et non de résultat. À l’impossible, nul n’est tenu ! Cela obligeait donc l’officier de policier judiciaire à faire état dans un procès-verbal de toutes ses diligences pour caractériser un état d’impossibilité absolue. Il fallait donc multiplier les démarches, souvent sans succès, au risque de perdre un temps précieux dans les investigations de fond.
Actu-Juridique : Quelles solutions ont été envisagées ?
Stéphane Hardouin : Ma prédécesseur, Laure Beccuau, avait déjà pris de nombreuses initiatives, en se rapprochant notamment des services d’urgence. Il faut dire qu’en matière de santé, il existe de nombreux interlocuteurs AP-HP, établissements publics, privés, ordre des médecins, ARS. Ces initiatives ont permis de traiter les situations les plus urgentes ou difficiles. Mais il fallait ensuite trouver un système durable où des équipes médicales mobiles se déplacent dans les commissariats pour limiter les escortes qui se font au détriment de la sécurité publique.
Actu-Juridique : D’autres départements en France ont-ils été confrontés au même problème ?
Stéphane Hardouin : Ce problème existe ailleurs en France. Il y a 10 ans, j’étais procureur à Compiègne, où il existait un problème de désert médical. Ce n’est pas le cas du Val-de-Marne, qui compte une cinquantaine d’établissements de santé. Nous avons d’ailleurs discuté au sein de la conférence des procureurs de l’opportunité de recourir à la télémédecine pour pallier ces carences qui impactent l’activité judiciaire.
Actu-Juridique : Pourquoi avez-vous choisi de faire appel à SOS Médecins ?
Stéphane Hardouin : Il fallait un opérateur pourvu d’équipes mobiles. SOS Médecins nous demandait de nous engager sur un minimum d’interventions. Il était facile de calculer cela, en prenant la moyenne basse des gardes à vue sur l’année. L’opérateur souhaitait également ne pas avoir à « tourner » dans tous les commissariats, où des gardes à vue peuvent commencer toutes les heures. Nous avons donc décidé de centraliser ces examens à l’hôtel de police de Créteil. Il y a deux créneaux d’examen, à partir de 11 heures et de 17 heures. Depuis la convention, cela marche très bien. Avec le président du tribunal, nous avons estimé à 700 000 euros notre budget de réquisitions à l’année. Nous avons obtenu le soutien et l’accord des chefs de cour au vu de l’importance du sujet.
Actu-Juridique : Comment fonctionne l’UMJ aujourd’hui ?
Stéphane Hardouin : L’UMJ intervient encore dans des cas pathologiques ou qui peuvent apparaître d’urgence médicale, concernant par exemple des enfants, des femmes enceintes, des personnes diabétiques ou cardiaques. En dehors de ces cas précis, l’UMJ de Créteil a été délestée de cet examen de compatibilité et a pu se recentrer sur sa mission de médecine légale. Pour les médecins légistes, il est plus intéressant d’intervenir sur de vraies questions médico-légales, telles que l’évaluation d’une ITT ou d’un traumatisme. Cela leur a permis d’examiner les victimes dans de meilleurs délais. C’est une bonne chose : quand une personne porte plainte pour viol dans un commissariat, elle doit pouvoir avoir rapidement rendez-vous à l’UMJ pour que les preuves et lésions puissent être constatées et qu’un accompagnement psychologique soit proposé. Il est normal qu’une UMJ se recentre sur cette mission primordiale.
Référence : AJU011m2