À l’UPEC, « le congé menstruel est une révolution symbolique » !
Depuis la rentrée de septembre 2024, les étudiantes de l’université Paris-Est Créteil (UPEC) peuvent être dispensées de cours lorsqu’elles souffrent de règles douloureuses. Un changement important dans cet établissement, fréquenté par une large majorité de jeunes femmes. Anne de Rugy, vice-présidente de la Vie étudiante et engagement de l’UPEC, présente pour Actu-Juridique ce dispositif innovant. Entretien.
Actu-Juridique : Comment est née l’idée d’un congé menstruel à l’université de Paris-Est Créteil ?
Anne de Rugy : Cela répond à une demande étudiante, venue à la fois des associations et de la troisième session de notre convention citoyenne étudiante, un dispositif qui permet la participation des étudiants à la gouvernance de l’université. Les deux dernières sessions portaient sur l’avenir social et écologique de l’université. Les étudiants ont travaillé avec des experts dans le cadre d’ateliers pédagogiques et formulé des propositions mises en débat. Une motion demandant l’instauration d’un congé menstruel a été votée en conseil de la commission de la formation et de la vie universitaire, un des conseils centraux de l’université. Nous avons réunit, au sein de l’université, un groupe de travail avec des représentants des personnels, des directeurs de formations, des IUT, des étudiants, des médecins du centre de santé universitaire. Il n’y a pas eu de conflit sur cette mise en place. Tout le monde a estimé que c’était une bonne idée et qu’il fallait trouver un compromis pour créer le dispositif.
AJ : En quoi consiste le dispositif ?
Anne de Rugy: Le compromis trouvé a été d’établir un congé menstruel sur la base d’un maximum de 12 jours par an et de 2 jours par mois, avec une attestation médicale annuelle. Ce congé entre dans la catégorie des absences justifiées, au même titre qu’un arrêt médical ou pour des problèmes familiaux. Les étudiantes n’ont pas besoin de fournir un certificat pour chaque arrêt. Une attestation annuelle suffit. C’est là que réside l’innovation.
AJ : Pourquoi fallait-il une attestation ? Les étudiantes n’auraient-elles pas pu simplement déclarer qu’elles n’avaient pas la capacité de suivre le cours ?
Anne de Rugy: En effet, cela n’a pas de sens de s’obliger à aller en cours si on ne peut pas suivre les enseignements correctement. Ce n’est pas que nous n’aurions pas cru les étudiantes sur parole. Mais une simple déclaration ne les aurait pas incitées à entrer dans un parcours de soins. On ne pouvait pas se contenter de leur dire de rentrer chez elle et de souffrir en silence ! Les médecins, tant ceux de la faculté de santé que ceux du centre de santé universitaire, nous ont poussés à imaginer ce système d’attestation annuelle pour que la dispense de cours soit l’occasion d’entrer dans un parcours de soins. Il faut parler de la douleur des règles. C’est une question médicale. Il peut y avoir des investigations à faire lorsqu’on évoque des symptômes de règles douloureuses et parfois même invalidantes. On sait, par exemple, que l’endométriose est mal et sous-diagnostiquée. Elle le serait peut-être moins si les jeunes femmes souffrant lors de leurs règles avaient le réflexe de consulter. Les médecins avec lesquels nous avons travaillé ont aussi estimé que ce serait une manière de sensibiliser le corps médical au sujet de la question des règles douloureuses. Car tous ne sont pas encore habitués à rédiger des attestations pour ce type de pathologie. Le dispositif est néanmoins bien plus léger que les certificats ou justificatifs demandés pour chaque absence ou maladie. Avant, il n’y avait rien entre l’absence non justifiée et le congé médical. Avec l’instauration du congé menstruel, une attestation vaut pour toute l’année. Cela permet d’alléger la tâche des médecins de ville déjà très sollicités et évite aux étudiantes de devoir trouver chaque mois des rendez-vous médicaux que l’on sait difficiles à obtenir. Là, c’est annuel mais il y a quand même un suivi.
AJ : Combien d’étudiantes ont demandé ce congé menstruel ?
Anne de Rugy: Cette mesure a été votée en juin 2024 et mise en place en septembre 2024. Nous n’avons aucune remontée quantitative à ce jour. On sait que des étudiantes ont déjà saisi le dispositif mais on ignore combien. Nous sommes dans les échanges avec les composantes de notre université, on regarde si tout se passe bien, si l’information circule. Potentiellement, cela concerne beaucoup d’étudiantes. L’UPEC accueille 42 000 étudiants dont 65 % de femmes. Cela pourrait dans l’absolu engendrer beaucoup de demandes. Mais savoir que le dispositif existe ne veut pas dire que l’on s’en saisit. On fera le bilan au bout d’un an. Avant de mettre en place le congé à Créteil, nous avons regardé ce qu’avaient fait l’université d’Angers, pionnière en la matière, mais aussi les mairies de Saint-Ouen, de Bagnolet, et le département de Seine-Saint-Denis, qui ont également mis en place un tel congé récemment. La mesure n’a pas suscité une vague d’absentéisme. Alors que, dans les mairies, cela concerne non seulement les règles douloureuses mais aussi la ménopause.
AJ : Comment les étudiantes peuvent-elles rattraper les cours ?
Anne de Rugy: Comme pour les absences justifiées, cela dépend de chaque enseignant et de chaque formation. Certains professeurs mettent l’intégralité de leur cours en ligne, d’autres ne le souhaitent pas. Cela dépend des choix pédagogiques de chacun et des formations concernées. En ce qui concerne les examens, une absence, même si elle est justifiée, reste pénalisante, qu’il s’agisse d’un congé menstruel ou de n’importe quel motif. Pour les examens, la deuxième session peut permettre des rattrapages, elle est là pour cela. Pour le contrôle continu cela dépend du fonctionnement de chaque formation.
AJ : Y a-t-il eu des résistances à l’idée de ce congé ?
Anne de Rugy: Pas tellement. Il y a eu un très bon accueil au niveau des étudiants et étudiantes. L’assiduité est un sujet sensible pour certains enseignants mais ils ont compris l’intérêt du dispositif et sont conscients du problème des règles douloureuses. Les personnels de l’université lui ont également réservé un accueil favorable. Les difficultés rencontrées sont davantage d’ordre administratif : il faut une procédure pour recueillir les certificats, comptabiliser les absences, informer l’ensemble du corps enseignant.
AJ : On imagine difficilement qu’un tel congé aurait pu être mis en place il y a quelques années. Est-ce une petite révolution ?
Anne de Rugy : Oui, bien sûr. C’est d’abord une révolution symbolique. Mettre la question des règles dans l’espace public, c’est considérer qu’il s’agit d’une question collective, politique même. Avant, cela se gérait de manière individuelle. C’est une rupture avec la culture de l’indifférenciation qui régnait jusqu’alors à l’université. Quand je repense à mes années d’études, le sujet était invisibilisé à tel point qu’on ne nommait même pas les règles dans la sociabilité ordinaire, dans les interactions quotidiennes. On utilisait des métaphores ! On assiste à la reconnaissance d’une pathologie très répandue, particulièrement chez les jeunes femmes. Cela a un écho positif car cela parle à tout le monde. J’observe que les langues se délient. Tout le monde est vraiment touché, a fait cette expérience pour soi, pour ses proches ou ses filles et sait à quel point cela peut être invalidant. Désormais, les femmes osent le dire. Le secret médical est respecté, on peut bien sûr toujours avoir accès un parcours d’études aménagé pour endométriose comme cela existait déjà auparavant ou obtenir un congé médical sans mention de la pathologie. C’est un droit en plus, pas en moins !
AJ : Est-ce que le congé mis en place à Créteil inspire d’autres établissements ?
Anne de Rugy: Oui, cela a inspiré et donné lieu à des échanges au moment de sa mise en place avec un certain nombre d’universités qui ont fait de même, à Toulouse, à Bordeaux. D’autres universités y réfléchissent tout comme l’EPF en Île-de-France. Certaines universités préfèrent rester sur un modèle de justificatif médical classique mais le sujet est devenu visible.
Référence : AJU016a4