Aide à mourir : un inquiétant dispositif pénal

Publié le 26/05/2025 à 14h52

La proposition de loi sur l’aide à mourir, actuellement en cours de débat, soulève une quantité de questions juridiques, politiques, philosophiques et morales qu’il est non pas difficile, mais tout simplement impossible de résumer en quelques lignes. Je me concentrerai donc sur un seul point :  les sanctions pénales prévues pour ceux qui tenteraient de s’opposer à la mise en place de ce dispositif. 

Aide à mourir : un inquiétant dispositif pénal
Photo : ©AdobeStock

Sanctionner pénalement toute opposition à l’aide à mourir

L’article 17 de cette proposition de loi, dispose qu’« est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende le fait d’empêcher ou de tenter d’empêcher de pratiquer ou de s’informer sur l’aide à mourir par tout moyen, y compris par voie électronique ou en ligne, notamment par la diffusion ou la transmission d’allégations ou d’indications de nature à induire intentionnellement en erreur, dans un but dissuasif, sur les caractéristiques ou les conséquences médicales de l’aide à mourir ». Il précise également que les poursuites pourront être demandées par « toute association régulièrement déclarée (…) dont l’objet statutaire comporte la défense des droits des personnes à accéder à l’aide à mourir ».

Le texte ne sanctionne donc pas seulement les violences, les menaces et les perturbations diverses et variées susceptibles de s’exercer sur les établissements de santé ou le personnel médical mettant en œuvre l’aide à mourir, mais même la simple « transmission d’allégations ou d’indications », c’est-à-dire le débat et les interrogations sur la fin de vie.

Un danger pour la liberté d’expression

Le danger de ces dispositions a fait l’objet de débats à l’Assemblée Nationale, notamment lors de la séance du 24 mai 2025. M. Gérault Verny (Union des droites pour la République), a déclaré à cette occasion : « Cet article (…) vise à créer une disposition dangereuse, reposant sur des critères flous et subjectifs qui, en pratique, ouvrent la voie à des interprétations très larges. Une telle mesure aboutirait d’abord à pénaliser l’expression d’un simple avis. Affirmer publiquement son opposition à l’euthanasie, mettre en cause ou pointer les failles du cadre juridique prévu relève pourtant du débat démocratique. (…) Cependant, le plus grave est ailleurs : en l’état, cet article permettrait de poursuivre un proche, un parent, un frère, un ami qui tenterait de retenir un être cher, non par dogme ni par pression, mais par attachement, par désespoir, par amour ! Venant d’un proche, une telle parole ne serait pas une manœuvre dissuasive, mais un cri humain, et la criminaliser reviendrait à rendre l’émotion délictuelle ; ce serait confondre influence et affection, opposition et douleur. S’agissant d’une procédure aussi intime, les propos tenus par l’entourage du patient ne peuvent risquer une incrimination pénale aussi imprécise. La justice ne peut trancher ce qui relève parfois d’un silence, d’un regard ou d’un refus de dire adieu ».

Dans son roman Le Père Goriot, Balzac met en scène ce père de famille qui s’est ruiné pour permettre à ses deux filles de réaliser leur rêve d’ascension sociale. Au moment de sa mort, elles négligent de lui rendre visite ; le vieillard, désespéré, s’exclame devant Rastignac : « Envoyez-les chercher par la gendarmerie, de force ! ». Bien évidemment, son vœu restera sans suite : la pitié filiale ne peut pas être ordonnée par la loi. Pourrait-elle, dorénavant, être sanctionnée… ?

Père Goriot

Compte tenu de l’actuelle hystérisation des débats politiques, et afin d’éviter qu’on me colle des étiquettes dans lesquelles je ne m’identifie pas, je tiens à rappeler ici que des députés de gauche ont aussi manifesté leur opposition à cette proposition de loi, dont le contenu dépasse largement les clivages politiques : je mentionnerai M. Dominique Potier (Parti Socialiste), M. Pierre Dharreville (Parti Communiste) et Mme Elisa Belluco (Ecologiste).

Vers une « guérilla judiciaire » déstabilisante

Pour ma part, j’ai confiance dans les tribunaux et dans le bon sens des juges, et je pense que ces plaintes seront classées sans suite : mais je suis conscient, aussi, que cela participera du harcèlement, non seulement judiciaire, mais aussi médiatique, psychologique et, qui sait, professionnel, dont feront l’objet toutes les personnes opposées au suicide assisté. Car je rappelle que, pour ce qui concerne le personnel médical, la clause de conscience n’a été acceptée qu’au profit des médecins, toutes les autres catégories (et notamment les infirmiers, qui accompagnent au quotidien les malades), se la voyant refuser.

Si cette proposition de loi est adoptée, on peut donc envisager l’instauration d’une véritable « guérilla judiciaire », qui sera lancée, avec constance, par des associations bénéficiant d’aides financières publiques, lesquelles multiplieront les recours dans l’espoir d’obtenir, un jour, un jugement qui leur sera favorable et à partir duquel on pourra justifier, aussi, des procédures disciplinaires comportant, éventuellement, le licenciement du personnel médical ayant tenté de dissuader un malade ou son entourage, de recourir au suicide assisté.

Au-delà du débat médical stricto sensu, cette proposition de loi constitue donc une menace grave pour la liberté de conscience et un risque de désordre social et de tensions de toutes sortes, qu’on se devrait de prendre en compte tant qu’il en est encore temps.

 

 

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