Le don de gamètes : quelles questions pour le XXIe siècle ?

Synthèse du premier débat en vue de la révision des lois de bioéthique
Publié le 12/04/2018

Parmi les sujets débattus dans le cadre des États généraux de la bioéthique, l’assistance médicale à la procréation et le don de gamètes soulèvent de nombreuses questions. Un débat organisé à Caen, par l’Espace de réflexion éthique de Normandie, a permis de discuter des enjeux associés à une éventuelle levée de l’anonymat du don et à la possibilité d’accéder à certaines données informatives sur les donneurs de gamètes.

L’Espace de réflexion éthique de Normandie (EREN) a organisé, au CHU de Caen, une conférence-débat sur le don de gamètes et les questions éthiques qui en découlent dans le cadre des États généraux de la bioéthique.

Cet événement a pour but, premièrement, d’informer les citoyens concernant le don de gamètes, puis, de réfléchir sur les questions et évolutions émanant de cette pratique. Cette démarche s’inscrit dans le processus de révision des lois de bioéthique, qui aura lieu durant l’année 2018.

La présence du professeur Georges David, créateur des laboratoires de biologie de la reproduction en France et des Cecos, membre de l’Académie de médecine, ainsi que du professeur Pierre Jouannet, biologiste de la reproduction et membre du Comité d’éthique de l’Inserm, de professionnels, de personnes nées de don, et du public, a permis de découvrir l’aspect historique de cette pratique médicale et les questions qu’elle pose pour demain.

Un certain nombre de propositions et d’interrogations issues de ce débat sont exposées dans ce présent document. Elles font suite aux discussions animées par l’EREN sous la coordination du professeur Grégoire Moutel, directeur de l’EREN.

Le point central de ce débat a porté : 

– d’une part, sur la question de l’accès aux données informatives sur les donneurs de gamètes ;

– et d’autre part, sur la question des avantages, limites et conséquences d’une éventuelle levée de l’anonymat du don.

Les personnes présentes dans la salle ont toutes souhaité insister sur la différence entre ces deux situations, souvent mal comprises, confondues et mal expliquées dans le grand public, les médias, voire certains travaux académiques.

Ce débat permet in fine d’attirer l’attention des décideurs sur l’ensemble des conséquences en cascade, à prendre en compte et qu’il conviendra de gérer tant au plan éthique que logistique, dès lors que l’accès à des données concernant les donneurs, identifiantes ou non, serait rendu possible.

 

Tout d’abord, la projection d’un film retraçant la création des Cecos et la démarche du don de gamètes par le professeur Georges David a permis de bien cerner les enjeux historiques. Ce film remarquable retrace le parcours du professeur Georges David, faisant apparaître l’aventure exceptionnelle constituée par la mise en place des Cecos, et montre comment cette démarche singulière a su être à l’origine de plusieurs avancées médicales (ce film est visible sur You Tube).

Puis le débat citoyen s’est ouvert, amenant de nombreuses questions dont principalement : 

– La symbolique du don ;

– La filiation des enfants issus du don de gamètes et le secret sur le mode de procréation ; 

– L’accès ou non à des données (principalement médicales) concernant le donneur par les personnes nées de don ;

– La levée d’anonymat du donneur.

Il a été posé par tous le constat qu’une modification des lois sur un de ces points aurait forcément des répercussions sur les autres. Elle aurait aussi des répercussions sur les services en charge de la gestion du don et introduirait des obligations nouvelles pour tous les acteurs, en premier l’État qui devrait alors structurer différemment toute sa politique de gestion de ces dons.

De ce fait, il est apparu nécessaire de porter une réflexion sur l’ensemble de ces points et de recueillir non seulement les volontés des individus directement concernés ; mais aussi d’analyser les conséquences des choix possibles.

Le premier point développé lors de ce débat est la place du don de gamètes parmi les autres dons d’éléments du corps humain. Les modifications concernant le don de gamètes doivent être pensées à la lumière des autres types de dons. C’est alors que les questions suivantes se sont posées : 

– Quels arguments permettent de caractériser le don de gamètes comme un don particulier en regard de tous les autres types de dons concernant le corps humain ?

– Est-il possible de modifier les conditions du don de gamètes en restant aveugle face aux autres types de dons et les conséquences que cela pourrait engendrer ? 

Un argument est avancé, considérant le don de gamètes comme un don permettant de donner la vie opposant ainsi le don d’organes comme un don permettant la survie, de redonner la vie. Pour une grande partie des participants, si la visée du don est différente, il n’en reste pas moins que l’acte du don en lui-même reste altruiste, d’où la logique d’y associer les principes d’anonymat et de gratuité en se référant à une symbolique du don, historique dans notre pays, et qui se veut protectrice des donneurs et des receveurs, évitant tout lien transactionnel ou affectif entre les parties prenantes.

L’acte du don n’est pas anodin : il s’ancre dans les valeurs morales de l’individu tout en représentant une valeur morale en lui-même. De plus, ce geste est porteur de sens dans l’histoire de vie du donneur.

Il est donc important de définir la place de chaque acteur au sein de ce processus afin d’éviter toute source de confusion.

Cela passe par définir la volonté du donneur à travers son acte : le don est altruiste, fait par générosité et non par expression d’un désir de parentalité. Sinon, le don devrait être refusé.

En miroir, la même dynamique s’inscrit du côté des receveurs. La demande ne doit pas être faite dans le but de se prouver la capacité à surmonter l’infertilité mais révéler que malgré l’infertilité, le désir de parentalité est profond.

Il a été rappelé l’attachement à la gratuité du don qui traduit la confiance, la solidarité, l’égalité de tous.

Le second point a porté sur les questions « d’accès aux données sur le donneur et de levée de l’anonymat ». Il a été souligné à plusieurs reprises la nécessité de faire la différence entre ces deux situations, souvent mal comprises, confondues et mal expliquées dans le grand public, les médias, voire certains travaux académiques.

Aujourd’hui, le cadre législatif en France définit le don comme anonyme. Il a été souligné que l’anonymat permettait de respecter le droit des parents de construire librement leur histoire de famille, sans intrusion, même si, pour certaines personnes nées de don, ceci pouvait susciter débat quant au fait de connaître ou non le donneur. Ainsi, des individus et des associations militent pour la levée de ce secret.

Ce dernier dans le don de gamètes fait référence à deux notions : 

Le secret de l’identité du donneur : si celui-ci est aboli, plusieurs conséquences sont à évaluer.

Premièrement, une crainte (peut être non justifiée, mais qui mériterait des études approfondies avant de décider) sur la chute du nombre de donneurs. Il a été évoqué par certains qu’aux Pays-Bas, le nombre de donneurs aurait chuté suite à la levée d’anonymat. A contrario une évolution pourrait attirer d’autres types de donneurs.

Deuxièmement, la chute du nombre de demandeurs. Les parents ayant recours au don pourraient éprouver (si le don n’était plus anonyme) un sentiment d’insécurité, d’instabilité dans leur rôle, d’un manque de reconnaissance, de légitimité vis-à-vis du donneur biologique. Ils ne souhaiteraient pas faire intervenir le donneur dans leur équilibre, stabilité familiale.

Ici encore, s’illustre bien l’importance de définir la place de chacun dans l’acte du don.

Ici également, s’illustre le fait qu’en France nous manquons d’études et de travaux pour éclairer ces choix. Il pourrait apparaître étonnant que des décisions puissent être prises au regard de volontés individuelles et non majoritaires, de lobbying, ne tenant pas compte de tous les intérêts et acteurs en présence et ne reposant pas sur des études (enquêtes, sociologie…).

Il n’est pas question de remettre en cause le désir de compréhension de certains individus nés de don, à la recherche de leur origine biologique. Cette démarche est réalisée dans le but de savoir qui sont réellement ces donneurs afin de pouvoir se construire, se définir grâce à une réalité. Cette situation illustre l’importance de la connaissance et de la complémentarité de son origine à la fois biologique, culturelle et sociétale pour la construction d’une personne.

Pour certains, une réponse positive à cette demande ne solutionnerait pas cette quête de sens. Pour d’autres, la réponse mérite d’être modérée au regard des circonstances.

En pratique, comment faudrait-il encadrer une éventuelle rencontre entre donneur et personne née de don ? L’absence de toute obligation juridique entre ces personnes peut être encadrée par le droit sans difficulté. Mais que penser des obligations morales qui pourront se créer entre ces individus ? Certaines positives, mais aussi peut-être certaines négatives. La découverte de l’autre peut mettre en lumière des éléments positifs (partage, amitié) mais aussi violents (dépendance, personnalités complexes, personnalités envahissantes, obligations relationnelles ou matérielles…). Il faut en effet aborder ces questions sous l’angle de la réalité des complexités des vies humaines et non sous le seul angle d’un angélisme positif.

La question de la filiation de l’enfant issu du don de gamètes ne pose pas de problèmes aujourd’hui : les parents porteurs du projet sont les seuls existants et légitimes face à l’enfant, il n’y a pas existence d’un tiers. La levée d’anonymat peut déstabiliser cette question de la filiation symbolique, car si l’accès à l’identité complète du donneur est autorisé, l’enfant pourra faire intervenir le donneur comme un tiers dans la relation parents-enfant et dans ses relations sociales. Ceci peut se concevoir comme un acte de volonté, mais qui nécessite de définir le statut de chacun : l’existence de droits et de devoirs, du donneur envers l’enfant et de l’enfant envers le donneur sont à poser. Il faut alors considérer sous un angle non seulement juridique, mais aussi psychologique et sociologique la question de la création d’une relation entre le donneur de gamètes (qui n’est plus alors un seul support biologique, mais devient un être de relation) et de la place de cette relation par rapport aux parents légaux et affectifs. Les places respectives sont à penser et à organiser sous toutes leurs facettes : matérielles, financières, affectives, socio-éducatives, etc.

Par ailleurs cette question du droit à la levée de l’anonymat soulève de nouveau celle du secret du mode de procréation.

Si la levée de l’anonymat devenait un droit, il conviendrait de se demander si, au préalable, la connaissance de son mode de conception par la personne issue de don ne devrait pas aussi en devenir un ; c’est-à-dire de rendre obligatoire l’information des enfants nés de dons, sur le fait qu’ils ont été ainsi conçus.

Il faut se demander alors en quoi ceci ne pourrait pas faire violence à certains couples et se demander comment permettre le libre choix face à ce sujet. Le cas échéant des couples pourraient être conduits à renoncer à procréer ainsi. De ce fait, pour donner raison au droit à la connaissance des origines des personnes issues de don, on ferait perdre à des couples la possibilité d’accès au don, car ils ne pourraient accepter la levée du secret.

Il faut donc comprendre comment et pourquoi se constitue ce secret au sein des familles.

Première hypothèse, la non-acceptation de l’infertilité par le couple concerné. Si ce dernier n’est pas au clair avec lui-même sur ce sujet, une première difficulté se présente.

Deuxièmement, l’acceptation de l’infertilité au sein de l’entourage du couple. Ceci génère, on le sait, encore aujourd’hui des jugements, incompréhensions, ébranlements des valeurs. Autant d’éléments que l’on ne peut balayer d’un revers de main si l’on doit considérer ces situations avec respect et tolérance, et prendre en compte la diversité socio-culturelle de notre pays.

Des initiatives sont réalisées de la part des Cecos via la mise en place d’événements tels que des rencontres entre différents couples ayant eu recours au don, avec partage d’expériences, parfois de conseils. Ces moments permettent d’échanger sur les inquiétudes, les questionnements. Les couples débutant le parcours de demande de don de gamètes ou en cours de procédure sont demandeurs de ce genre de rencontres en lien avec les équipes médicales.

En parallèle, il a été souligné lors du débat que des campagnes d’informations, de promotions sur le don de gamètes et les dispositifs existants devraient être beaucoup plus développées afin d’élargir la connaissance au niveau de la population générale. L’ensemble de ces actions permettrait de considérer le don de gamètes et sa demande comme une nouvelle norme, d’éviter là un regard négatif, de contribuer à sa « banalisation » comme une pratique commune et répandue.

Pour aider les couples qui souhaitent sortir du secret vis-à-vis de leur enfant, une telle approche collective apparaît essentielle. De ce point de vue la puissance publique apparaît déficitaire.

Enfin a été souligné que la gestion d’un accès aux données et/ou de la possibilité de levée de l’anonymat nécessiterait une logistique importante de la part de la puissance publique ; en particulier avec les enjeux éthiques de la mise en place d’un registre.

Il a semblé que cette question d’un registre est plus complexe qu’il n’y paraît.

Durant les débats, il a été souligné qu’un tel registre pourrait être utilisé de différentes manières et avoir différentes finalités qu’il convient de discuter.

La levée de l’anonymat n’est pas la seule demande de la part des personnes nées de don, voire n’apparaît pas forcément comme la plus importante. Une autre demande concerne l’accès aux données de santé sur le donneur.

Il convient donc de bien distinguer, d’une part l’accès à des données concernant le donneur et d’autre part la levée de l’anonymat. Des questions majeures se posent alors et nécessitent des réflexions approfondies avant de décider et de faire des choix qui touchent à des éléments de liberté et de démocratie.

Tout d’abord, concernant les données de santé, un registre pourrait être consulté uniquement via des équipes médicales ou autre instance de régulation en lien avec la personne née de don.  L’accès pourrait être réservé uniquement à des données dès lors qu’elles pourraient être utiles à la prise en charge médicale de la personne issu du don (par exemples : antécédents familiaux ou personnels relevant de données essentielles dans de nombreuses pratiques médicales, données génétiques dans certaines pathologies qui pourraient se révéler des années après le don ; données sur le risque de consanguinité en cas de projet de vie en couple chez deux adultes issus de don et qui se posent la question de savoir s’ils sont issus ou non du même donneur). Dans ce contexte, l’anonymat en tant que tel n’est pas remis en cause. Mais faudrait-il alors introduire une contrainte (ou obligation) pour les donneurs :  qu’ils s’engagent à alimenter ce registre au fil de leurs vies ; tout au long de leurs existences, après le don, pour permettre une mise à jour de ces données de santé à chaque événement majeur qui viendrait à survenir et qui pourrait avoir une incidence pour les personnes issues du don. On voit là naître une obligation complexe, peut-être contraire à la liberté individuelle de dire ou de ne pas dire, et posant une question majeure en termes de secret médical.

Quelle responsabilité pourrait alors porter un donneur qui ne révèlerait pas des données de santé, qui surviendraient des années après le don et qui pourraient être importantes pour les personnes issues du don ? La question de l’alimentation du registre en continu par des informations cliniques devra-t-elle être considérée comme un devoir vis-à-vis de l’enfant né de ce don ? 

Une alternative pourrait être, dans le cadre de l’évolution du dossier médical partagé, de concevoir d’une part un consentement spécifique du donneur et d’autre part une procédure d’alimentation automatisée d’un registre national chargé de l’anonymisation et de la transmission des informations pertinentes aux donneurs. Mais ce consentement qui serait un préalable à une telle transmission serait-il définitif ou révocable ? Il est vraisemblable que ce consentement serait révocable ; se pose la question de la pression morale sur le donneur et de sa protection juridique.

À travers ce dispositif se poserait la question du degré d’information concernant le donneur rendue accessible à la personne issue du don. Il conviendrait alors de déterminer quelles informations peuvent avoir un intérêt direct pour la personne. On peut imaginer la complexité d’établir des critères ou une liste d’informations requises ; mais aussi les questions de responsabilité sous-jacentes.

Par effet conséquentialiste, certains dans le débat pointent alors la question de savoir, pourquoi, lors de l’accueil des donneurs, on ne réalise pas une analyse biologique génétique des maladies les plus courantes, voire du génome ? Certains soulignent que ceci simplifierait les choses et éviterait la lourdeur de gestion d’un registre.

Certains pointent la responsabilité de l’équipe médicale dans le non-usage des techniques de séquençage du génome ou autres techniques scientifiques pour détourner la transmission de pathologies génétiques. Ce fait pourra de facto et par ricochet remettre en question le mode de sélection actuel des donneurs. Il faut alors s’interroger pour savoir jusqu’où il faudra à l’avenir aller en termes d’analyse génétique de ces derniers, remettant en question la pratique actuelle d’un choix des donneurs qui ne s’accompagne pas d’une analyse du génome, mais uniquement d’éléments cliniques et familiaux permettant d’exclure des risques repérables et décelables par le seul entretien avec le donneur (rechercher des pathologies potentielles existantes, des prédispositions génétiques).

Enfin, le dispositif de registre engendrera aussi la question de la durée de conservation des données. Les données devraient-elles être conservées uniquement le temps de la vie du donneur, ou au-delà en post mortem le temps de la vie des personnes issues du don, ou au-delà encore pour la descendance ? 

Il y a là posés tous les éléments pour penser une éthique de la traçabilité à travers la mise en place d’un tel registre.

In fine, une liste de points pratiques liés à des choix éthiques de fond a été dégagée comme devant être prise en compte car nécessitant des réponses précises.

– Souhaite-t-on que tout enfant né de don connaisse son mode de conception de manière obligatoire ou maintient-on la liberté des parents de le révéler ou non à leur enfant ? 

– Tout donneur devrait-il accepter le principe général d’être contacté par la personne issue de son don ; ou bien ceci se ferait-il au cas par cas, selon la volonté de chacun, en particulier du donneur ? Le cas par cas pose alors la question de l’inégalité des enfants nés de don face à un éventuel droit de connaître son donneur.

– Ne faut-il pas aussi poser en miroir la question des droits des donneurs ? Auraient-ils le droit de demander à connaître les personnes issues de leur don ? Pourquoi cette unilatéralité de la demande ? Pourquoi cette non-réciprocité dans le droit ou non de savoir ? 

– Comment, si l’anonymat était levé, clarifier les statuts, droits et devoirs, ou non droits et non devoirs, de chacun des acteurs les uns vis-à-vis des autres ?

– Peut-on concevoir un organisme, sous l’égide de l’État, gérant un registre national d’informations sur les donneurs au moment du don, afin de pouvoir par la suite gérer l’éventuelle relation donneur/personne issue de don ? Quelles seraient les règles d’alimentation et de gestion de ce registre ?

Ce débat et les questions fondamentales qui ont été posées, montrent que les demandes des citoyens et de toutes les parties prenantes doivent être entendues avant de faire évoluer les lois de bioéthique.

Les évolutions qui seraient adoptées ne doivent en aucun cas répondre à des demandes singulières individuelles mais faire suite à des réflexions et analyses collectives permettant un choix responsable qui ne lèse aucune des parties.

 

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