Procréation post mortem : vers une autorisation en France ?

Publié le 05/02/2025
PMA, don de gamètes
Christophe Burgstedt/AdobeStock

Interdite en France depuis l’adoption des lois de bioéthique en 1994, la procréation post mortem est autorisée en Espagne, bien que conditionnée. Pourra-t-on un jour créer la vie après la mort ? Une décision du Conseil d’État du 28 novembre 2024 a suscité le débat après l’autorisation de l’exportation de gamètes de l’autre côté des Pyrénées. Lors d’un symposium international, l’université de Lille a accueilli, le 18 décembre 2024, des professionnels du droit de la santé pour évoquer ce sujet.

La procréation post mortem (PPM) est, comme la procréation médicalement assistée (PMA), une intervention médicale consistant à augmenter les chances de conception d’un enfant. La loi du 6 août 2004 rappelle expressément que le décès d’un des parents met fin au processus médical. Comme son nom l’évoque, la PPM, elle, implique la mort du géniteur. La fécondation est effectuée in vitro ou l’embryon est artificiellement inséminé in utero après que le père est décédé. Si la PPM n’est pas autorisée dans l’hexagone, l’idée d’une légalisation fait déjà l’objet de vives réactions de la part des intervenants. La médecine interviendrait alors pour permettre la conception d’un enfant qui naîtra orphelin de père.

Yannis Constantinides, professeur d’éthique appliquée, s’inquiète d’un vacillement de la finalité thérapeutique de la PMA vers une reconnaissance d’un droit absolu à la maternité. Le professeur opère un parallèle entre le projet de loi sur la fin de vie, interrompu pour cause de dissolution de l’Assemblée nationale, et l’élargissement des droits à la procréation médicalisée. « On va de plus en plus vers la satisfaction de désirs individuels de mieux maîtriser son existence » en conclut-il. La loi du 2 août 2021 qui a étendu l’accès à la PMA aux couples de femmes, l’a aussi fait pour les femmes célibataires.

Outre les désirs individuels, cette ouverture est en adéquation avec la politique nataliste d’Emmanuel Macron qui souhaitait un « réarmement démographique » le 16 janvier 2024. Dans le même sens, le processus de PMA est déjà facilité par un remboursement de la sécurité sociale.

« L’élargissement d’AMP aux couples de femmes et aux femmes seules participe de la volonté d’augmenter le taux de la natalité, y compris en remédiant à l’infertilité sociale » explique Bérengère Legros, maître de conférences en droit privé. « La reproduction, dans nos sociétés occidentales, devient un problème de santé publique. L’accroissement de l’infertilité a été mis en lumière au niveau mondial pointant un déclin du nombre de spermatozoïdes ». Une étude publiée en octobre 2022 par Human reproduction update1 indique cette diminution.

Le 14 septembre 2023, la Cour européenne des droits de l’Homme, tout en laissant une marge d’appréciation à la France, s’est interrogée sur la cohérence de cet accès élargi, malgré l’interdiction de la PPM.

Le 28 novembre 2024, la plus haute juridiction de l’ordre administratif français n’a pas motivé sa décision dans un sens analogue au juge européen. L’autorisation d’un projet monoparental de PMA et l’interdiction de poursuivre un projet commun à cause du décès du géniteur n’est pas incohérent pour le Conseil d’État. La haute juridiction n’a pas adopté la même position que le Tribunal constitutionnel espagnol le 17 juin 1999 non plus. Le juge constitutionnel espagnol affirmait que la fécondation post mortem n’est pas inconstitutionnelle puisque le devoir d’assistance de l’enfant peut être assuré par un parent seul, quelle que soit la méthode de procréation utilisée.

Cependant, la liberté de circulation des personnes au sein de l’espace Schengen pourrait pousser les juridictions judiciaires, saisies pour la reconnaissance des filiations, à admettre des PPM transnationales (I), ce qui amènerait à s’interroger sur la question du consentement (II).

I – Une exportation de gamètes ordonnée vers l’Espagne

Le Conseil d’État a statué en faveur de la PPM, le 31 mai 2016, en ordonnant une exportation vers l’Espagne d’embryons après le décès du géniteur. En décidant ce transfert, la haute juridiction administrative a alors permis la délocalisation d’une pratique pourtant interdite en France. C’est la nationalité espagnole de la requérante qui a motivé sa décision.

Le tribunal administratif de Rennes, le 11 octobre 2016, est allé plus loin en jugeant que l’intérêt de l’enfant à naître est un objectif conforme au droit à la vie privée énoncé en l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme. Selon ce motif, l’exportation des gamètes vers un État membre de l’Union européenne autorisant la PPM a été ordonnée à l’établissement de santé français, sans qu’il soit considéré la nationalité étrangère de la mère.

Le 28 novembre 2024, le Conseil d’État considère que, même après la mort du géniteur, le transfert d’embryons en Espagne n’est pas de nature à porter atteinte aux droits contenus dans la Convention2. Cependant la haute juridiction ne fait pas droit à la demande de la requérante en considérant l’absence de lien avec un État autorisant la PPM. Cet arrêt réaffirme la position du Conseil d’État adopté en 2016, puisque seul un élément d’extranéité (comme la nationalité étrangère) justifie l’exportation de gamètes.

Les intervenants ont insisté sur l’influence des droits des États limitrophes dans l’intérêt supérieur de l’enfant à naître. Ce qui a pu avoir un impact sur le droit français dans le cas des gestations pour autrui (GPA) pourrait en avoir un pour la PPM.

L’autorisation à l’étranger de la GPA, qui est interdite en France, a des répercussions sur le droit national dans l’établissement de l’état civil français. L’enfant issu d’une GPA réalisée légalement à l’étranger a droit à une transcription complète dans l’acte de naissance de sa filiation3. Malgré l’interdiction de la GPA, son autorisation à l’étranger produit des effets en France parce que l’intérêt supérieur de l’enfant est retenu par le juge français.

II – Le consentement du géniteur minoré en Italie

Elisabetta Pulice, experte consultante en déontologie médicale auprès de la fédération des médecins en Italie, explique que, de l’autre côté des Alpes, le consentement à la PMA est irrévocable. C’est sur ce fondement que s’est appuyé le tribunal de Lecce, le 24 juin 2019, pour avoir autorisé une insémination d’embryon post mortem. Le tribunal de Santa Maria Capua Vetere a ensuite ordonné, le 27 janvier 2021, la possibilité pour une femme d’utiliser des embryons conservés contre le consentement de l’ex-partenaire.

En 2023, la Cour constitutionnelle italienne4 a considéré que la protection de l’embryon l’emporte sur le choix du géniteur. L’irrévocabilité du consentement du père est prévue parce que « la loi italienne est fondée sur la protection de l’enfant à naître ». Cette protection de l’enfant à naître dès l’état embryonnaire diffère des droits français et espagnol qui ont pour pierre angulaire le consentement.

Selon la loi espagnole, seul le futur père peut consentir, ante mortem, à la fécondation jusqu’à un an après son décès. La procréation médicalisée est donc davantage analysée du point de vue du géniteur dans la péninsule ibérique plutôt que du point de vue de l’enfant dans la péninsule italienne.

En France, le comité consultatif national d’éthique a émis un avis en 2011 sur un éventuel encadrement de la PPM. Il envisage le recueil du consentement du géniteur ainsi qu’un délai de réflexion pour la mère, après le décès du père, pour éviter qu’une décision ne soit prise sous le coup de l’émotion. La question se pose de savoir si le consentement du géniteur sera recueilli par un acte notarié. Un délai maximal devrait aussi être prévu afin que la fécondation n’ait pas lieu trop tardivement après la mort.

Qu’en serait-il alors du droit des successions ? En Espagne, Maria Belén Andreu Martinez, professeure de droit à l’université de Murcia, rapporte la complexité des successions à cause des PPM. En France, la limite à l’ouverture d’une succession est de six mois après le décès du défunt.

Selon la professeure Legros, les prélèvements sur cadavre sont autorisés au Canada dans le cadre d’une PMA post mortem. Dans ces États, le consentement du géniteur doit être expressément recueilli, précise-t-elle. L’actualité des conflits armés relance la PPM en raison de la mortalité des soldats au front. En février 2024, les pouvoirs publics ukrainiens ont autorisé la conservation des gamètes des militaires trois ans après leur décès, tout en prévoyant une évolution législative pour leur utilisation par les veuves. En Israël, des prélèvements sur des soldats décédés ont été effectués à la demande des parents afin qu’ils aient une descendance.

La baisse de la natalité, en Europe et ailleurs, suffira-t-elle à justifier un accès aux PMA, même après la mort du père ?

Notes de bas de pages

  • 1.
    https://lext.so/VfoaO1.
  • 2.
    https://lext.so/1UGusD.
  • 3.
    Cass. 1re civ., 18 nov. 2020, n° 19-50.043.
  • 4.
    https://lext.so/A-kDXY.
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