Chronique de droit des patients n° 4 (1re partie)

Publié le 01/07/2019

Cette chronique est assurément placée sous le double signe de la variété et des recoupements interdisciplinaires.

La gynécologie-obstétrique fait l’objet de nombreux développements. Rodolphe Bigot, dans son panorama jurisprudentiel en matière de responsabilité civile, met en lumière des décisions de la Cour de cassation relatives à la faute caractérisée d’un gynécologue n’ayant pas décelé un handicap de l’enfant à naître pendant la grossesse (Cass. 1re civ., 5 juill. 2017), à l’intervention tardive d’un praticien ayant procédé en urgence à une césarienne à l’issue de laquelle le nourrisson a présenté des séquelles irréversibles (Cass. 1re civ., 22 juin 2017) et au préjudice moral des parents lié à la stérilité de leur fille exposée pendant la grossesse aux effets néfastes d’un médicament, le Distilbène (Cass. 1re civ., 11 janv. 2017 et Cass. 2e civ., 8 juin 2017).

Cécile Manaouil, en conclusion de son article sur « les violences gynécologiques et obstétricales », doute de l’utilité de nouvelles règles en la matière : « Plutôt que de vouloir légiférer contre les violences obstétricales et modifier le Code de déontologie médicale, il faudrait déjà connaître et appliquer la législation et la règlementation existante ». C’est aussi à propos d’une décision de la première chambre civile de la Cour de cassation du 5 avril 2018, rendue à propos des suites d’un accouchement difficile ayant entraîné de graves troubles neurologiques au nouveau-né, qu’Audrey Margraff, dans son commentaire, met en avant une sorte de rétroactivité in mitius civile au profit du médecin « fondé à invoquer le fait qu’il a prodigué des soins conformes à des recommandations émises postérieurement ».

Les grandes affaires sanitaires de ces dernières années sont aussi au rendez-vous de cette chronique, que ce soit en matière civile (affaire du Médiator, Cass. 1re civ., 20 sept. 2017 et affaire du Distilbène, Cass. 1re civ., 11 janv. 2017 et Cass. 2e civ., 8 juin 2017) traitées par Rodolphe Bigot ou en matière pénale (affaire AZF, CA Paris, 31 oct. 2017) abordée par Mikaël Benillouche.

Ce dernier évoque aussi dans son panorama de responsabilité pénale, notamment l’épilation au laser qui est un acte médical (Cass. crim., 27 févr. 2018) et les compléments alimentaires pouvant relever « de pratiques commerciales trompeuses liées aux allégations nutritionnelles fallacieuses » et aux « allégations de santé non autorisées » (Cass. crim., 20 mars 2018).

Enfin, Jacqueline Flauss-Diem s’intéresse au périlleux équilibre auquel le juge anglais est confronté entre préceptes religieux et intérêt d’un patient, déficient mental.

Bonne et intéressante lecture !

Georges FAURÉ

I – Droit des « personnes patientes »

Le juge anglais et les obligations religieuses d’un patient déficient mental

Court of Protection, 12 juin 2017. Jusqu’à quel point l’obligation de respecter la religion d’un patient souffrant de graves troubles mentaux peut-elle s’imposer – ou être imposée – au personnel soignant ? Si, en France, le respect de la religion des patients hospitalisés est prévu depuis quelques années1, c’est au travers du prisme de la laïcité qu’il est traité2 ; en revanche, en Angleterre, le multiculturalisme avec son principe de tolérance a œuvré à l’intégration de la religion dans la sphère publique3 et a fait admettre plus facilement les revendications de communautés liées à leur religion4. Le domaine de la santé offre un terrain privilégié à cette porosité entre ce qui relève de la vie privée – les croyances du patient – et la vie publique – le fonctionnement d’une institution de soins. Aussi n’est-il point surprenant qu’un juge anglais ne soit pas amené qu’à trancher des affaires où l’enjeu est vital comme dans le cas des transfusions sanguines5 mais aussi des questions plus banales, telle celle de savoir si un patient hospitalisé doit respecter le jeûne du ramadan ou d’autres préceptes dictés par une appartenance religieuse. La réponse est d’autant plus délicate à donner lorsque le patient est un déficient mental qui n’en demeure pas moins bénéficiaire de la protection de l’article 9 de la convention EDH comme toute autre personne ainsi que l’a rappelé la plus haute juridiction britannique, siégeant en formation élargie de sept membres6.

Une décision rendue le 12 juin 2017 par la Court of Protection mérite de retenir l’attention car le juge Cobb, à la demande de l’autorité locale intervenant à l’instance, a autorisé la publication de son jugement afin que celui-ci serve de guide pour les autorités sanitaires ayant en charge des adultes mentalement incapables quant au respect de préceptes religieux par ces patients, notamment pour les musulmans vu le nombre important d’habitants de cette confession au Royaume-Uni7. Ainsi en général, sur tous les organismes sanitaires ou sociaux qui prennent en charge des adultes, dont le discernement est atteint, pèse une obligation de mettre en place un environnement qui respecte la religion du patient et de faciliter l’observation de rites et d’usages religieux par celui-ci8. Cette obligation reste limitée à ce qui est raisonnablement faisable ainsi que par l’intérêt du patient9 car, comme le rappelle le juge, chaque cas doit être résolu en fonction des faits propres à déterminer au mieux les intérêts du patient en cause10. Ces lignes de conduite étant posées, comment le juge Cobb a-t-il procédé dans le litige qu’il lui était demandé de trancher ?

L’affaire concernait un homme de 39 ans, I. H. qui, bien que né au Pakistan, avait toujours vécu en Angleterre dans sa famille. Cet homme a le développement intellectuel d’un enfant de 1 à 3 ans, souffre d’un autisme atypique, de microcéphalie, d’hémiparésie, d’une faiblesse de tout le côté droit du corps, de pertes d’équilibre intermittentes, de troubles de l’humeur et est doublement incontinent. Devant l’aggravation de son état, en août 2013, il fut confié à une institution non confessionnelle, ce qui avait déjà provoqué une saisine de la Court of Protection par les parents, et qui déboucha sur un compromis : autorisation judiciaire de privation de liberté pour I. H. et droit de visite pour la famille11. Dans l’espèce de 2017, le juge était saisi de deux requêtes prétendant l’une et l’autre défendre le meilleur intérêt du patient ; l’une émanait de l’Official Sollicitor, représentant I. H. et demandant que celui-ci n’ait pas à observer le jeûne du ramadan, la seconde du père de I. H. qui demandait que les poils du pubis et des aisselles de son fils soient rasés conformément aux exigences du rite sunnite observé par les hommes de la famille. Requêtes quelque peu surprenantes pour un juge français mais le juge de la Court of Protection n’hésitera pas à admettre tout comme à faire siennes les interprétations qui seront données des règles de l’islam par le spécialiste religieux appelé en soutien. Le jugement présente ainsi un insolite mélange de règles d’origine étatique, religieuse et d’appréciation personnelle. Cette coexistence apparaît aussi bien dans la recherche de l’état mental du patient en matière de religion que dans l’analyse de l’intérêt du patient au regard de l’observance de préceptes religieux.

I./ L’état mental du patient et la religion

Pour le juge, il s’agit ici de savoir si le patient dispose de facultés mentales suffisantes pour appréhender le concept de croyance et ses implications, mais également si la religion à laquelle on le dit appartenir prévoit cette situation. Pour répondre à la première interrogation, le juge se tourne vers le monde médical mais pour la seconde interrogation, il va recourir à un expert en études arabes et islamiques.

Le rapport médical établit clairement que, en raison de son handicap mental, I. H. est incapable de comprendre quoique ce soit en matière de religion car il ne peut s’exprimer sur des questions abstraites. D’une manière générale, il communique plus par langage corporel ou par signes, mais une approbation marquée par un signe de tête peut aussi parfois signifier un refus selon le personnel soignant. I. H. n’est pas plus apte à comprendre la signification et l’implication de rites religieux comme le jeûne, quand bien même il a pu apprécier la régularité des prières lorsqu’il vivait chez ses parents, ce qui correspond au besoin de routine qu’implique sa maladie. Outre cette position médicale tranchée, le juge va s’enquérir de la position qu’adopte l’islam sur les altérations de facultés mentales.

Pour ce faire, le juge va demander à un enseignant en études arabes et islamiques à l’université de Cardiff de l’éclairer. Tout d’abord, selon cet expert, les graves troubles mentaux privent la personne de sa capacité juridique. La capacité étant présumée, il faut qu’un tribunal déclare l’incompétence, ce qu’il fait généralement en s’alignant sur les rapports médicaux. Autrement dit, en l’espèce, le rapport présenté par le médecin expert est suffisant en droit islamique pour considérer que I. H. est incapable, ce dont conviennent toutes les parties12. Or les personnes dépourvues de capacités sont considérées comme étant perpétuellement dans un état élevé de spiritualité et sont en conséquence exemptées des rites principaux de l’islam, y compris ceux constituant les cinq piliers de l’islam dont le jeûne du ramadan fait partie, tout comme de ceux qui sont de simples pratiques recommandées, tel le rasage des poils dans un objectif de pureté. Néanmoins, même si I. H. est incapable de prendre des décisions en matière de religion, n’est-il pas dans son intérêt d’en suivre les préceptes ?

II./ L’intérêt du patient et l’observance de préceptes religieux

Le juge commence par reprendre une définition plus globale de l’intérêt du patient inapte mentalement, comprenant non seulement l’aspect médical mais également social et psychologique13. Cette démarche se retrouve dans la détermination de l’intérêt du patient qui est bien le seul intérêt à prendre en considération pour trancher.

C’est l’article 4 du Mental Capacity Act de 2005 qui énumère les éléments à prendre en compte pour déterminer ce qui est au mieux dans l’intérêt du patient. Ces éléments ont déjà été explicités dans des chroniques antérieures et, en l’occurrence, en matière de religion, seuls certains méritent d’être retenus « dans la mesure du raisonnable »14. Il s’agit des souhaits et sentiments passés et présents du patient, des croyances et valeurs qui auraient pu influencer la décision du patient eût-il été capable, de tout autre élément que le patient aurait pu prendre en compte s’il en avait été apte et, enfin, des points de vue de la famille et des soignants du patient15. En l’espèce, s’agissant « des souhaits et sentiments passés et présents du patient », s’ils ont pu être pris en compte dans certaines affaires16, ils ne pouvaient être retenus puisque I. H. a été mentalement inapte tout au long de sa vie et n’a jamais pu exprimer une opinion cohérente. Le point de vue de la famille fut particulièrement important ici et le juge, s’appuyant sur les dires de l’expert, va amoindrir leurs exigences.

Ainsi, le père reconnaît qu’en raison de son état mental, alors même que I. H. vivait dans sa famille, ce dernier ne fut jamais contraint de respecter le jeune diurne du ramadan ni de prier régulièrement. D’ailleurs son père avait dû cesser de l’amener à la mosquée car, son comportement désordonné perturbait l’assemblée17. Dont acte ! Ce qui conduit le juge à dispenser I. H. de l’obligation de jeûne pendant le ramadan. Mais le père parvenait à raser I. H. et il demande que cette « pratique recommandée » chez les musulmans se poursuive en établissement. Le recours à un rasoir électrique ou à l’épilation est envisagé par l’équipe soignante puisque toute méthode d’élimination des poils semble acceptable selon l’expert religieux. De plus, alors qu’un musulman ne peut montrer ses parties génitales, l’absence de discernement de I. H., combinée à la nécessité de lui prodiguer des soins de toilette, ne contrevient pas à la Charia dès lors que sa dignité est préservée18. En outre, l’un des soignants, lui-même de confession musulmane, se proposait pour accomplir cette tâche car, en effectuant un geste charitable, il en tirait bénéfice sur le plan religieux. Mais le juge va répondre que l’intérêt de ce soignant, tout comme celui du père précédemment cité ne le concerne pas, il n’a à examiner que le seul intérêt de I. H.19. Or le fait que l’épilation nécessiterait la présence de deux à trois personnes dans la salle de bains éveillerait la claustrophobie de I. H., ceci joint à la résistance physique de I. H. pour lever les bras lors de soins d’hygiène conduirait à des accès d’agressivité du patient, dangereux pour lui-même et le personnel soignant. Aussi le juge, s’appuyant sur un principe fondamental de la bioéthique de l’islam, « No hurt, no harm »20, estime que le respect de cette pratique n’ajouterait que du stress dans la vie de I. H. et n’est pas conforme à son intérêt. Qui plus est, alors que depuis son arrivée dans l’établissement il y a 3 ans, il n’a pas été rasé, ses parents ont continué à lui rendre visite et à montrer leur affection, de sorte que l’intérêt du patient dans son sens large est préservé. En conclusion, pas de jeûne pendant le ramadan pour I. H., patient inapte mentalement, ni d’élimination des poils de son pubis et des aisselles au cours de son séjour en établissement.

Jacqueline FLAUSS-DIEM

II – Expertise et droit des patients

Les violences gynécologiques et obstétricales

Marlène Schiappa, secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes a commandé à l’été 2017, un rapport au Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE) sur le phénomène des « violences obstétricales ». Le HCE a remis le 29 juin 2018, son rapport « Les actes sexistes durant le suivi gynécologique et obstétrical », à Marlène Schiappa21. On remarque le changement de vocabulaire moins stigmatisant que les « violences obstétricales ». Pourtant, c’est bien ce terme qui a été repris dans les médias et les publications.

Les violences gynécologiques et obstétricales sont des actes sexistes commis lors du suivi gynécologique (durant toute la vie de la femme) et obstétrical (lors de la grossesse et de l’accouchement). Ce sont des gestes, propos, pratiques et comportements non appropriés ou non consentis, exercés par un professionnel de santé sur une patiente au cours du suivi gynécologique et obstétrical. Ils peuvent prendre des formes très diverses, des plus anodines en apparence aux plus graves, et sont le fait de soignants femmes et hommes, qui n’ont pas nécessairement l’intention d’être maltraitants.

Selon le rapport, les actes sexistes sont largement ignorés : les droits et les procédures de signalement sont méconnus des patientes et les procédures disciplinaires inadaptées.

Le HCE souhaite une « prise de conscience » des professionnels et des pouvoirs publics et propose 26 recommandations pour « prévenir [ces actes], faciliter leur signalement et leur condamnation ». Le HCE propose de « reconnaître dans le Code de déontologie médicale l’interdit des actes sexistes »22 et prévoir une procédure spécifique devant les ordres professionnels, excluant toute médiation, pour ne pas confronter les victimes à leur agresseur désigné23  et « systématiser la transmission à la justice des plaintes relatives à des pratiques réprimées par la loi, dès lors que la victime a donné son accord ». Mais alors pourquoi n’est-ce pas à la victime de déposer plainte elle-même ? Et si la victime est mineure, faut-il l’accord de ses parents ? Et si la victime est sous tutelle, faut-il l’accord du mandataire judiciaire à la protection des majeurs ?

En premier lieu, le HCE propose de réaliser une enquête pour déterminer l’ampleur réelle du phénomène et informer les femmes de leurs droits en lançant une campagne d’information.

Parmi les principaux actes dénoncés, le recours sans consentement à l’épisiotomie24 a été particulièrement abordé. D’une maternité à l’autre, sa pratique est très variable : de 0,3 % à 45 %, là où l’Organisation mondiale de la santé préconise un taux à 10 %. Cependant, les choses évoluent concernant les taux d’épisiotomies ou de césariennes, comme l’a montré la dernière enquête nationale périnatale de 201625. Le HCE propose de rendre publiques les données par maternité (épisiotomie, césarienne, déclenchement) afin de permettre la comparaison.

Le HCE identifie six types d’actes sexistes de la part des personnels soignants, qui n’ont d’ailleurs pas forcément l’intention d’être maltraitants : non prise en compte de la gêne d’une patiente liée au caractère intime de la consultation ; propos porteurs de jugements sur la sexualité, le poids, le désir d’enfant renvoyant à des injonctions sexistes ; injures sexistes ; actes exercés sans consentement ; actes ou refus d’actes non justifiés médicalement ; violences sexuelles.

Un entretien postnatal, obligatoire et pris en charge par la sécurité sociale, pourrait également permettre « d’améliorer les pratiques » et de libérer la parole.

L’académie de médecine a également publié un rapport sur le sujet26. Les auteurs estiment notamment que les défauts dans la qualité de prise en charge pourraient « entraîner des perturbations psychologiques majeures analogues à un état de stress post-traumatique (SPT) qui nécessitera une prise en charge psychosomatique complexe (…) qui toucherait près de 5 % des patientes ».

Nous nous interrogeons sur l’émergence de ce concept de violences obstétricales et cette prise de conscience : pourquoi maintenant et pourquoi se restreindre à la santé des femmes et aux professions médicales ? Puis, nous chercherons les réponses à apporter par l’étude des textes législatifs et réglementaires et de la jurisprudence sur le sujet.

I./ Le caractère réducteur de la prise de conscience

En novembre 2014, une étudiante en pharmacie lance l’hashtag #PayeTonUterus sur Twitter pour dénoncer les pratiques de certains gynécologues. Dans les 24 heures qui ont suivi, plus de 7 000 femmes ont dénoncé des propos porteurs d’injonction sur leur poids ou leur sexualité, sur leur volonté ou non d’avoir un enfant, des examens vaginaux brutaux ou des actes pratiqués sans leur consentement, jusqu’à des violences sexuelles. Depuis, la parole des femmes s’est libérée concernant les violences gynécologiques et obstétricales.

« Internet a permis à des mamans seules chez elles avec leur bébé de confronter leur vécu », observe Marie-Hélène Lahaye, auteure du blog Marie accouche là27. Sur des blogs ou sur internet28, des patientes racontent leur expérience douloureuse d’accouchement29.

En 40 ans, alors que le nombre de naissances annuelles reste stable, autour de 800 000, le nombre de maternités est passé de 1 747 à 517. Cette diminution, souvent de petites structures au profit de maternités de grande taille, est vécue par certains soignants comme un véritable frein à une relation bientraitante et bienveillante.

On peut s’interroger sur le caractère réducteur de la gynécologie-obstétrique car le comportement de certains médecins pourrait être décrit de la même façon, notamment des oncologues, des chirurgiens, des cardiologues… On pourrait imaginer un rapport similaire pour la prise en charge des patients atteints de cancer. La Commission nationale consultative des droits de l’Homme a adopté un avis sur « les maltraitances dans le système de santé » qui n’est pas limité à la gynécologie et regrette l’absence d’enquêtes de victimisation spécifiques aux « maltraitances » par les soignants30.

Le caractère intime de l’examen n’est pas réservé au domaine de la gynécologie : le patient atteint par exemple d’un cancer du côlon ou de la prostate devra également subir des examens intimes. Cependant, ici l’écho rencontré est lié au fait que toute femme, même non malade, consultera de très nombreuses fois des gynécologues durant toute sa vie31.

Ce sont surtout les médecins et dans une moindre mesure les sages-femmes qui sont mis en cause. Pourtant, les paramédicaux, dont les infirmiers et des kinésithérapeutes32, peuvent aussi être brutaux ou humiliants, dans leurs gestes et leurs propos.

La déontologie précise que « la sage-femme doit prodiguer ses soins sans se départir d’une attitude correcte et attentive envers la patiente, respecter et faire respecter la dignité de celle-ci »33. Quant au médecin, il exerce sa mission « dans le respect de la vie humaine, de la personne et de sa dignité »34.

Le professionnel de santé « ne doit pas abuser de sa position notamment du fait de la vulnérabilité potentielle du patient, et doit s’abstenir de tout comportement ambigu (regard, parole, geste, attitude, familiarité inadaptée…) en particulier à connotation sexuelle »35.

En obstétrique, la femme est hospitalisée non pas pour être soignée mais pour un « heureux événement ». Cela rend plus complexe l’information de la patiente. Habituellement, on raisonne sur les bénéfices et les risques de tout acte médical pour obtenir un consentement et le patient a la possibilité de refuser les soins. Mais on ne demande pas à une femme si elle consent à accoucher. La parturiente peut refuser une anesthésie par péridurale, voire la césarienne, mais l’accouchement est inévitable ! La naissance ne peut pas se décider ou se refuser, contrairement aux actes chirurgicaux.

Un arrêt du Conseil d’État du 27 juin 201636 rappelle que : « La circonstance que l’accouchement par voie basse constitue un événement naturel et non un acte médical ne dispense pas les médecins de l’obligation d’informer la femme enceinte des risques ». De même, le 23 janvier 2019, la Cour de cassation retient un préjudice moral autonome d’imprégnation lorsque le médecin omet d’informer sa patiente sur les risques encourus lors de son accouchement par voie basse, lorsque l’un de ces risques se produit. La Cour de cassation reprend les termes du Conseil d’État : « La circonstance que l’accouchement par voie basse constitue un évènement naturel et non un acte médical ne dispense pas le professionnel de santé de l’obligation de porter, le cas échéant, à la connaissance de la femme enceinte les risques qu’il est susceptible de présenter eu égard notamment à son état de santé, à celui du fœtus ou à ses antécédents médicaux et les moyens de les prévenir »37.

Ainsi, la particularité de l’obstétrique (la grossesse n’est pas une maladie et l’accouchement peut être naturel et non médicalisé), n’exonère pas le professionnel de santé de son devoir d’information.

L’information de la patiente doit être « loyale, claire et appropriée »38 afin d’obtenir un consentement « libre et éclairé »39.

C’est au professionnel de santé exerçant en libéral ou à l’établissement public de santé de prouver que l’information a bien été donnée à la patiente. Réaliser un acte médical sans le consentement de la patiente est en soi une violence. En cas de dérive, le dommage est surtout d’ordre moral et une situation vécue comme violente par la patiente entraînera souvent une rupture de confiance.

En obstétrique, il faut tenir compte de l’avis de la mère mais aussi du père de l’enfant à naître. La convergence des opinions du père et de la mère devrait être en principe acquise mais dans la pratique, les soignants peuvent être confrontés à des avis divergents. En médecine périnatale, la multiplicité des intervenants (obstétriciens, sages-femmes, anesthésistes réanimateurs, pédiatres…) et des lieux (maternité, réanimation, service de néonatologie…) peut être responsable de contradictions et d’incohérences dans les discours et la prise en charge. Les « sensibilités professionnelles » peuvent diverger entre le pédiatre qui se préoccupe essentiellement de l’enfant et l’obstétricien qui se préoccupe avant tout de la patiente.

Certains soignants sont réticents à suivre des patientes homosexuelles qui ont bénéficié d’une procréation médicalement assistée (PMA) à l’étranger. Les soignants doivent rester neutres et ne pas faire part de leurs jugements de valeur. Il est possible de donner des conseils diététiques à une patiente obèse, d’inciter une femme enceinte à arrêter de fumer, d’expliquer l’intérêt de l’allaitement maternel, sans pour autant humilier la patiente.

Il existe une clause de conscience pour les médecins et les sages-femmes40 concernant les interruptions volontaires de grossesse (IVG). Il en est de même pour une interruption de la grossesse pratiquée pour motif médical41. Mais l’application de cette clause de conscience ne doit pas s’accompagner de propos désobligeants vis-à-vis de la femme.

Un médecin42, une sage-femme43 ou un infirmier44 ont le droit de refuser des soins pour des raisons professionnelles ou personnelles mais hors le cas d’urgence et sous réserve de ne pas manquer à leurs devoirs d’humanité ou à ses obligations d’assistance. Le motif du refus ne doit pas relever d’une discrimination45 et le professionnel doit s’assurer que la patiente sera soignée. « Le médecin doit écouter, examiner, conseiller ou soigner avec la même conscience toutes les personnes quels que soient leur origine, leurs mœurs et leur situation de famille, leur appartenance ou leur non-appartenance à une ethnie, une nation ou une religion déterminée, leur handicap ou leur état de santé, leur réputation ou les sentiments qu’il peut éprouver à leur égard »46.

Le refus de soigner n’est pas une solution et doit rester exceptionnel.

La parole a été libérée concernant des comportements inappropriés en particulier dans le domaine de la gynécologie-obstétrique. Qui peut alors prévenir ces comportements et les sanctionner ? Le législateur doit-il élaborer un nouveau texte ou tout simplement appliquer l’existant ?

II./ Comment répondre aux attentes des patientes ?

Dans la pratique routinière de leur exercice, les professionnels de santé peuvent oublier que ce qui leur est habituel, comme une échographie endovaginale, ne l’est pas du tout pour les patientes. C’est même un acte transgressif pour la patiente d’autant qu’un préservatif est souvent déroulé sur la sonde d’échographie. Par exemple réaliser une échographie endovaginale, en présence du jeune enfant d’une patiente, n’est pas approprié.

Le Conseil d’État, en septembre 201447, a confirmé le blâme d’un gynécologue, qui avait imposé la présence d’un technicien de laboratoire lors d’une colposcopie. Lorsqu’une patiente s’est rendue le 12 octobre 2009 à la consultation du gynécologue, pour subir une colposcopie, elle a été informée de ce que l’établissement était engagé dans un protocole de recherche requérant l’utilisation d’un appareil de colposcopie modifié et l’assistance d’un technicien. La patiente a refusé de participer à ce protocole. Le gynécologue lui a indiqué qu’il serait alors procédé à une colposcopie classique avec le même appareil. Il s’est absenté momentanément pour aller chercher un instrument. Durant son absence, la patiente a demandé au technicien de sortir de la salle d’examen. Ayant trouvé à son retour le technicien à l’extérieur de la salle, le gynécologue est revenu avec lui auprès de la patiente et a expliqué à cette dernière, qui s’était alors déshabillée en vue de l’examen, que, compte tenu des modifications subies par l’appareil de colposcopie pour les besoins du protocole de recherche, l’assistance du technicien était indispensable même s’il était procédé à une colposcopie classique. L’examen a alors été pratiqué en présence du technicien.

Pour le conseil national de l’ordre des médecins (CNOM), vu le caractère intime de l’examen et l’opposition de la patiente à la présence du technicien, l’information tardive délivrée par le gynécologue à la patiente, qui s’est faite en présence du technicien dont la présence faisait litige et alors que la patiente était déjà déshabillée, ne peut être regardée comme « loyale et appropriée ». Le gynécologue a été sanctionné par un blâme, en première instance et son appel devant la section disciplinaire nationale du CNOM48 a été rejeté ainsi que son pourvoi devant le Conseil d’État.

En 2015, une polémique sur les touchers vaginaux effectués par des étudiants sur des patientes sous anesthésie générale a enflammé les médias49. Un rapport du professeur Jean-Pierre Vinel, alors président de la Conférence des doyens des facultés de médecine, a été remis le 27 octobre 2015 à la ministre des Solidarités et de la Santé50. Selon ce rapport, entre 20 % et 33 % des touchers vaginaux et rectaux réalisés sur des patients sous anesthésie générale par des étudiants en médecine, seraient effectués sans le consentement préalable explicite de la personne. On peut s’interroger sur ce chiffre fondé uniquement sur un questionnaire adressé au doyen de chaque faculté. Il fallait cocher une case oui/non pour savoir si les examens pelviens (sans distinguer le toucher vaginal et le toucher rectal) sont réalisés chez un patient anesthésié, après demande de son accord. Comme s’il était possible de répondre de façon binaire dans tous les cas et quel que soit le service. La pratique étant forcément disparate d’un service à l’autre, mais également d’un médecin encadrant des étudiants à un autre, ces statistiques fondées sur la déclaration d’un universitaire ne peuvent pas être le témoin de la réalité. Pour connaître réellement les pratiques, il faudrait interroger les étudiants en médecine et les étudiants sage-femme à l’issue de leur formation et ce, de façon anonyme.

On rappelle que la loi dispose que « l’examen d’une personne malade dans le cadre d’un enseignement clinique requiert son consentement préalable »51. Les professionnels de santé doivent être des exemples pour leurs étudiants stagiaires qui « doivent être au préalable informés de la nécessité de respecter les droits des malades »52.

La ministre des Solidarités et de la Santé de l’époque, Marisol Touraine a annoncé « des mesures concrètes pour y mettre un terme » et le lancement d’une nouvelle mission d’inspection au sein des établissements de santé « afin d’approfondir les résultats de l’enquête ». Une instruction devait être également envoyée aux directeurs des établissements de santé qui accueillent des étudiants « pour leur rappeler leurs obligations légales, notamment en matière de droits des patients, et leur demander de veiller à leur complète application ». Depuis 2015, aucun rapport ni mesures concrètes n’ont été rendus publiques.

Les touchers pelviens sur une patiente anesthésiée n’ont pas lieu d’être en l’absence d’information de la patiente et de son consentement préalable. Ce consentement paraît difficile à obtenir dans la pratique. Soyons réalistes, quelle femme acceptera de subir des touchers pelviens par un ou plusieurs étudiants durant une anesthésie ?

Une pénétration digitale dans le vagin ou dans l’anus, à l’insu de la patiente pourrait être qualifiée de viol, selon les termes de l’article 222-23 du Code pénal. C’est un acte de pénétration par surprise, alors même que la patiente n’était pas consciente et sans consentement préalable. De plus, le viol commis lors d’un examen médical peut s’accompagner de circonstances aggravantes53. Il est envisageable d’engager des poursuites au pénal, mais aussi au civil en cas de toucher vaginal sans consentement de la patiente. On rappelle que c’est au professionnel de santé d’apporter la preuve qu’il a recueilli le consentement de la patiente54.

Le toucher vaginal constitue un paradoxe. Pratiqué avec le consentement de la patiente, dans un contexte de soins avec des gants et par un professionnel de santé, c’est un acte médical, d’ailleurs réservé aux seuls médecins et aux sages-femmes. Par ailleurs, c’est un acte à connotation sexuelle. Le professeur Israël Nisand55 s’interroge sur ce qui distingue un toucher vaginal d’un geste de pénétration sexuelle qui sera considéré comme un viol. Il écarte le consentement de la patiente car il existe des condamnations même si la patiente avait donné son accord pour être examinée. Pourtant, le consentement à un examen gynécologique n’est pas un consentement à une pénétration de nature sexuelle. Si un médecin pratique un toucher vaginal sans gants et de façon prolongée, accompagné d’une palpation abdominale ou de la poitrine, vécue comme des caresses, ce n’est pas un acte médical à l’évidence. La difficulté majeure est d’apporter la preuve du caractère inapproprié du toucher vaginal. L’indice le plus important reste, dans ce contentieux, la pluralité des plaignantes. Si plusieurs femmes rapportent des violences par un même soignant, les poursuites seront facilitées.

Le professeur Israël Nisand indique que le médecin qui pratique un toucher vaginal, n’a aucun intérêt personnel autre que celui de poser un diagnostic pour la patiente et n’a aucun désir de nature sexuelle et n’y prend aucun plaisir. On pourra cependant objecter que les violeurs non plus, ne prennent pas forcément de plaisir. La frontière peut être subtile pour le médecin ou le maïeuticien56 et c’est pourquoi, il faut rester très professionnel en particulier pour les hommes qui examinent des femmes57. Si un médecin se sent attiré par une patiente et qu’il ressent du plaisir à palper sa poitrine ou à effectuer un toucher pelvien, il doit la confier à un autre professionnel de santé. Un médecin peut tomber amoureux d’une patiente mais devrait alors l’exprimer en dehors du cabinet médical et éviter de continuer à la suivre en tant que patiente. Le CNOM a publié un communiqué de presse en mars 201858 au sujet des relations médecins-patients et des abus à caractère sexuel. C’était pour répondre à une pétition visant à inscrire dans le Code de déontologie médicale, un article supplémentaire qui interdirait toute relation sexuelle, même librement consentie, entre un médecin et sa patiente. Le CNOM estime (à juste titre à notre avis) qu’une telle disposition, et son inscription dans un texte réglementaire, serait une intrusion dans la vie privée de personnes libres et consentantes. Cependant, en décembre 2018, le CNOM a modifié le commentaire disponible sur le site internet de l’article R. 4127-2 du Code de la santé publique consacré au respect de la vie et de la dignité de la personne, afin d’y introduire plusieurs paragraphes sur les inconduites à caractère sexuel. Il est indiqué dix conseils à respecter par le médecin « pour se prémunir de toute inconduite notamment à caractère sexuel »59.

Beaucoup de médecins hommes, généralistes ou urgentistes notamment, sont réticents à pratiquer des examens gynécologiques ou ne le font qu’en présence d’un tiers, ce que l’on peut comprendre. Le port de la blouse blanche, la disposition de la salle d’examen et son mobilier avec son environnement médical participent à l’acceptation du geste par la femme. Il faut admettre que pour les professionnelles de santé, la question ne se pose quasiment pas.

Des étudiants peuvent assister à des accouchements, mais il faut au préalable obtenir le consentement de la patiente et respecter sa dignité. La Cour EDH, le 9 octobre 2014, dans l’affaire Konovalova c./ Russie, a estimé à l’unanimité que le fait d’autoriser la présence d’étudiants à assister à l’accouchement d’une patiente sans qu’elle y ait expressément consenti, constitue une violation de l’article 8 de la Convention EDH garantissant le respect de la vie privée. En l’espèce, une femme de nationalité russe demande la réparation de son préjudice du fait de la présence d’étudiants en médecine lors de son accouchement. Les juges ont reconnu une ingérence dans sa vie privée, même si une brochure d’information relative à la participation des patients au programme de formation clinique de l’établissement a été remise à la patiente le jour de son admission à la maternité. « La participation des étudiants en médecine était prévue au cours du processus d’examen, sans qu’en soient précisés la portée et le degré. Or la naissance d’un enfant est un évènement suffisamment délicat pour entrer dans le domaine du respect de la vie privée et familiale ».

C’est naturellement devant le conseil de l’ordre compétent que les patientes devraient se tourner lorsqu’elles considèrent avoir été l’objet d’actes sexistes ou de propos de dénigrement. Pourtant, il existe une suspicion d’appartenance de groupe entre professionnels et le contentieux est finalement peu fréquent. Il est retrouvé de 2007 à 2016, 104 plaintes à connotation sexuelle devant la chambre disciplinaire nationale du CNOM60. En 2016, le CNOM a instruit 48 plaintes au niveau régional et rendu 15 décisions en appel au niveau national pour des faits relevant d’agressions sexuelles et de viols61. Le HCE souhaite que le CNOM mette en place une procédure spécifique dédiée aux violences sexuelles. Le rapport du HCE pointe les difficultés rencontrées par les victimes à différentes étapes de la procédure disciplinaire62. Il faut rappeler qu’une réunion de conciliation est obligatoire dans le cadre d’une plainte par un patient auprès d’un conseil départemental de l’ordre pour tous les professionnels63. Cela est critiqué et serait contraire à la convention d’Istanbul du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique ratifiée par la France le 4 juillet 201464. Il est fait référence à l’article 48 de la Convention EDH « les parties prennent les mesures législatives ou autres nécessaires pour interdire les modes alternatifs de résolution des conflits obligatoires, y compris la médiation et la conciliation, en ce qui concerne toutes les formes de violence couvertes par le champ d’application de la présente convention ». Il convient de réfléchir avant de faire évoluer la procédure ordinale. La conciliation (qui se fait à l’échelon du conseil départemental) permet actuellement d’éviter des procédures devant la chambre disciplinaire de première instance (à l’échelon du conseil régional). Souvent, en cas de propos désobligeants, les excuses présentées par le professionnel de santé suffiront aux plaignantes. En l’absence de conciliation, on aboutirait à une augmentation du contentieux à gérer par les instances ordinales. Le simple fait pour un médecin d’être convoqué devant la chambre disciplinaire de première instance est une source de stress importante, d’une remise en cause professionnelle et nécessite parfois de grands déplacements, d’autant que les chambres régionales sont actuellement regroupées du fait de la nouvelle carte des régions.

Le législateur voudrait que la relation soignant-patiente soit une relation d’égal à égal, aboutissant à une codécision65 concernant les soins mais pourtant cette relation reste asymétrique puisque l’un dispose du savoir et de son expérience professionnelle, alors que la patiente, même bien informée, est impliquée dans son intimité et sa santé et parfois celle de son enfant à venir. L’examen gynécologique est en soi une intrusion qui peut être vécue comme violente s’il n’est pas accompagné de la parole et d’une attitude professionnelle adaptée. Les soignants doivent rester dans une attitude d’empathie y compris devant les patientes « non idéales » qui peuvent être fatigantes, désagréables, agressives, non observantes… Des limites doivent être fixées avec professionnalisme mais toutes les attitudes considérées comme insupportables de la part des patientes sont parfois expliquées par la vulnérabilité liée à la grossesse et une réponse aux comportements inappropriés de certains soignants. Il n’est pas utopique de considérer que la bientraitance peut-être réciproque et que si on respecte une patiente, elle sera elle-même plus respectueuse des soignants. Après plus d’1 heure d’attente pour une consultation sur rendez-vous, on peut comprendre qu’une patiente soit contrariée.

Il est proposé de pénaliser des comportements à la frontière des règles du savoir-vivre et de l’infraction pénale mais on ne peut pas sanctionner pénalement toute attitude désinvolte ou tout comportement inapproprié. Le savoir-vivre et le savoir-être d’un professionnel de santé doivent s’apprendre au fil de la formation mais peuvent difficilement faire l’objet d’infractions en cas de non-respect. Le professionnel ne doit pas lever les yeux au ciel ou souffler à l’écoute de la plainte d’une patiente mais cela ne relève pas du droit pénal. Doit-on sanctionner les regards moqueurs, les gestes d’énervement ou d’impatience ? Certes, cela peut, à juste titre, être jugé humiliant ou offensant pour la patiente, mais relève plutôt de la déontologie et donc du CNOM, avec toute la difficulté d’apporter la preuve.

En vertu du principe de nécessité et de proportionnalité des délits et des peines, le législateur doit s’abstenir de créer des infractions inutiles ou démesurées. Comment réprouver des « sifflements » ou des « questions intrusives sur la vie sexuelle », et même l’attitude provocante de certains hommes avec les jambes écartées dans un transport en commun66. Le débat parlementaire67 a été compliqué pour la création de la contravention d’outrage sexiste68, d’abord appelé harcèlement de rue.

Comme pour tout sujet, ce sont les dérives et les manquements qui sont rapportés par les médias et sur les réseaux sociaux, parfois de façon impulsive et sans aucun discernement ni recul, plutôt que les avis élogieux. Des avis négatifs apparaissent sur internet sans aucune régulation et sont publiés sous pseudonyme, ce qui entraîne un sentiment de malaise chez les professionnels de santé.

Le CNOM a publié une fiche pratique pour aider les médecins à gérer leur e-réputation, par exemple sur la manière de demander à Google la suppression d’avis inappropriés69 puis en octobre 2018, un guide et un tutoriel interactif destinés à aider les médecins à préserver leur réputation numérique70.

Conclusion. Il faut agir et ne pas attendre de voir augmenter les plaintes adressées au CNOM pour manque de compassion, propos déplacés ou absence de prise en charge des douleurs éprouvées.

Il ne faudrait pas penser que les pratiques violentes dénoncées sur les réseaux sociaux soient généralisées. Plutôt que de vouloir légiférer contre les « violences obstétricales » et modifier le Code de déontologie médicale, il faudrait déjà faire connaître et appliquer la législation et la réglementation existantes.

Plus une loi est spécialisée, plus grand est le risque de susciter de nouveaux contentieux pour intégrer le champ d’application de cette loi. Ce ne serait pas équitable vis-à-vis des violences commises dans le système de santé hors du champ de la gynécologie. On a vu les difficultés à légiférer sur le domaine des violences sexuelles pour aboutir à la loi n° 2018-703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes. Des débats passionnés ont eu lieu dans les médias mais souvent les arguments relèvent du militantisme sans fondement juridique. Légiférer, à la suite de polémiques autour de quelques affaires et sous la pression médiatique n’est jamais favorable à une réflexion en profondeur. Souvenons-vous de Montesquieu : « Il ne faut toucher aux lois que d’une main tremblante ».

Cécile MANAOUIL

III – Responsabilité et droit des patients

A – L’appréciation de la faute du professionnel de santé eu égard à des recommandations émises postérieurement aux faits

B – Responsabilité civile : panorama législatif et panorama jurisprudentiel

1 – Panorama législatif

2 – Panorama jurisprudentiel

a – Les frontières de la responsabilité et de la solidarité

b – Le fait générateur

c – Le lien de causalité

d – Le préjudice

e – Les causes d’exonération de la responsabilité civile médicale

f – L’assurance de responsabilité civile médicale

C – Responsabilité pénale : panorama jurisprudentiel

(À suivre)

Notes de bas de pages

  • 1.
    À propos de l’exercice du culte, v. CSP, art. R. 1112-46 issu d’un D. du 27 mai 2003, abrogeant D. n° 74-27, 14 janv. 1974, relatif aux règles de fonctionnement des centres hospitaliers et des hôpitaux locaux, ayant la même rédaction ; adde Circ. n° DGS/DH/95, 6 mai 1995, relative aux droits des patients hospitalisés et comportant une charte du patient hospitalisé : « un patient doit pouvoir, dans la mesure du possible, suivre les préceptes de sa religion : recueillement, présence d’un ministre du culte, nourriture, liberté d’action et d’expression ».
  • 2.
    V. not. Circ., 5 juill. 2011, la laïcité à l’hôpital ; Observatoire de la laïcité (services du Premier ministre), Guide Laïcité et gestion du fait religieux dans les établissements publics de santé, 23 févr. 2016, v. www.laicite.gouv.fr.
  • 3.
    Est-il besoin de rappeler le statut de chef de l’Église anglicane de la Reine ?
  • 4.
    V. Lassalle D., « Royaume-Uni. Les avatars du multiculturalisme britannique », Pages Europe, 13 mai 2015, La Documentation française et l’entretien de l’auteur avec Flandrin A. in « Le Royaume-Uni, du multiculturalisme à l’intégration », 17 juin 2017, Le Monde.
  • 5.
    À titre illustratif, v. le film My Lady de Richard Eyre, sorti sur les écrans au cours de l’été 2018, tiré du roman de Ian McEwan, The Children Act (2014, traduit et publié chez Gallimard, L’intérêt de l’enfant, 2015), adaptation romancée du travail d’une juge de la High Court confrontée, not., au refus de transfusion d’un adolescent Témoin de Jéhovah.
  • 6.
    V. P (by his litigation friend the Official Solicitor) v Cheschire West and Chester Council ; P and Q (by their litigation friend the Official Solicitor) (affaire jointe) [2014] AC 896 ; [2014] UKSC 19.
  • 7.
    IH (Observance of Muslim Practice)) [2017] EWCOP 9 § 6.
  • 8.
    En l’espèce, par ex., même si le patient est incapable d’en comprendre la signification, l’établissement ne lui fournit que de la nourriture halal.
  • 9.
    V. Cobb J. in IH (Observance of Muslim Practice), [2017] EWCOP 9, § 33.
  • 10.
    V. IH (Observance of Muslim Practice), [2017] EWCOP 9, § 6.
  • 11.
    V. IH (Observance of Muslim Practice), [2017] EWCOP 9, § 12.
  • 12.
    V. IH (Observance of Muslim Practice), [2017] EWCOP 9, § 27.
  • 13.
    Perspective avancée par la Supreme Court dans Aintree University Hospitals NHS Trust v James [2013] UKSC 67, § 39.
  • 14.
    Art. 4, (6), du MCA 2005.
  • 15.
    Ce qui correspond respectivement aux dispositions de l’art. 4, (6), (a), (b), (c) et 4, (7), (b), du MCA 2005.
  • 16.
    V. Briggs v Briggs, [2016] EWCOP 53 : confrontation entre le caractère sacré de la vie et le principe d’autodétermination à propos d’un accidenté de la route qui n’avait pas laissé de directives anticipées. Les témoignages de l’épouse, de proches et de collègues quant à ce que le patient pensait de ces situations d’assistance totale permanente emporteront la conviction du juge que l’homme n’aurait pas voulu vivre dans de telles conditions.
  • 17.
    V. IH (Observance of Muslim Practice), [2017] EWCOP 9, § 10.
  • 18.
    V. IH (Observance of Muslim Practice), [2017] EWCOP 9, § 29.
  • 19.
    V. IH (Observance of Muslim Practice), [2017] EWCOP 9, § 47.
  • 20.
    Nous reproduisons le principe tel que l’a formulé en anglais le juge Cobb au paragraphe 29 de son jugement.
  • 21.
    HCE, Les actes sexistes durant le suivi gynécologique et obstétrical. Des remarques aux violences, la nécessité de reconnaître, prévenir et condamner le sexisme, rapp. n° 2018-06-26-SAN-034, 26 juin 2018.
  • 22.
    C’est préconisé pour les médecins dans le rapport du HCE, mais alors pourquoi ne pas modifier le Code de déontologie des sages-femmes, des infirmiers, des kinésithérapeutes ? Il faut rappeler que ces Codes de déontologie sont en fait insérés dans le Code de la santé publique (recomm. n° 10 du rapp. du HCE, p. 12).
  • 23.
    Recomm. n° 23 du rapp. du HCE.
  • 24.
    Incision du périnée lors de l’accouchement.
  • 25.
    INSERM et DREES, Enquête nationale périnatale. Rapport 2016. Les naissances et les établissements. Situation et évolution depuis 2010, 11 oct. 2017.
  • 26.
    Rudigoz R.-C. et a., De la bientraitance en obstétrique. La réalité du fonctionnement des maternités, rapp. rendu public le 25 sept. 2018
  • 27.
    Lahaye M.-H., « Des témoignages de violences obstétricales et du mépris des médecins », 31 oct. 2016, Marie accouche là.
  • 28.
    Via les hashtags #payetongynéco, #payetonutérus et le tumblr (plate-forme de microblogage) Je n’ai pas consenti, v. http://jenaipasconsenti.tumblr.com/.
  • 29.
    « Ils m’engueulaient parce que je ne poussais pas ». « La sage-femme m’a interdit de crier car ça la déconcentrait ». « La meilleure contraception, c’est de fermer les cuisses ». « On ne voit rien à l’échographie à cause de votre obésité ». « Un stérilet à 28 ans ? Il serait plutôt temps de penser à faire un enfant ».
  • 30.
    Avis, 22 mai 2018, « Agir contre les maltraitances dans le système de santé : une nécessité pour respecter les droits fondamentaux », NOR:CDHX1814532V.
  • 31.
    50 consultations gynécologiques et obstétricales entre ses 15 et 45 ans selon le rapp. de l’HCE.
  • 32.
    Qui pratiquent de la rééducation périnéale en post partum (après l’accouchement).
  • 33.
    CSP, art. R. 4127-327.
  • 34.
    CSP, art. R. 4127-2 (CSP, art. R. 4321-53 pour le masseur-kinésithérapeute).
  • 35.
    Commentaires accompagnant CSP, art. R. 4127-2 sur le site du CNOM.
  • 36.
    CE, 5e-4e ch. réunies, 27 juin 2016, n° 386165 : AJDA 2016, p. 1316, note Poupeau D.
  • 37.
    Cass. 1re civ., 23 janv. 2019, n° 18-10706 : D. 2019, n° 4, 204 ; Gaz. Pal. 12 févr. 2019, n° 342b8, p. 37.
  • 38.
    Ces termes figurent à CSP, art. R. 4127-35 (déontologie médicale) et non dans CSP, art. L. 1111-2.
  • 39.
    CSP, art. L. 1111-4.
  • 40.
    CSP, art. L. 2212-8.
  • 41.
    CSP, art. L. 2213-2.
  • 42.
    CSP, art. R. 4127-47.
  • 43.
    CSP, art. R. 4127-328.
  • 44.
    CSP, art. R. 4312-12.
  • 45.
    CSP, art. R. 4127-7 pour les médecins et on trouve à C. pén., art. 225-1, les différents motifs de discrimination.
  • 46.
    CSP, art. R. 4127-7 et article similaire pour les sages-femmes : CSP, art. R. 4127-305.
  • 47.
    CE, 19 sept. 2014, n° 361534.
  • 48.
    Déc., 18 févr. 2011, de la chambre disciplinaire de première instance de l’ordre des médecins d’Île-de-France confirmée le 31 mai 2012 par la chambre disciplinaire nationale.
  • 49.
    Béguin F., « Le gouvernement veut empêcher les touchers pelviens sans consentement », 27 oct. 2015, Le Monde.
  • 50.
    Communiqué de presse du ministère des Solidarités et de la Santé du 27 oct. 2015 à propos du rapport sur la formation clinique des étudiants en médecine, v. http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/154000754/index.shtml.
  • 51.
    CSP, art. L. 1111-4.
  • 52.
    CSP, art. L. 1111-4.
  • 53.
    C. pén., art. 222-24 : « 2° Lorsqu’il est commis sur un mineur de 15 ans ; (…) 5° Lorsqu’il est commis par une personne qui abuse de l’autorité que lui confèrent ses fonctions et sur des enfants ».
  • 54.
    CSP, art. L. 1111-2.
  • 55.
    Professeur Nisand I., « La juste distance entre médecins et patients », discours prononcé au cours de la conférence de presse de présentation des 41e journées du CNGOF, qui ont eu lieu à Lille du 6 au 8 déc. 2017.
  • 56.
    Homme qui exerce la profession de sage-femme.
  • 57.
    Chvetzoff R., « Médecins, patients et leur relation amoureuse : Erôs contre Anterôs », Médecine & Droit 2017, p. 104-107.
  • 58.
    « Relations médecins-patients et abus à caractère sexuel », communiqué de presse du CNOM du 27 mars 2018.
  • 59.
    https://www.conseil-national.medecin.fr/article/article-2-respect-de-la-vie-et-de-la-dignite-de-la-personne-226.
  • 60.
    HCE, Les actes sexistes durant le suivi gynécologique et obstétrical. Des remarques aux violences, la nécessité de reconnaître, prévenir et condamner le sexisme, rapp. n° 2018-06-26-SAN-034, 26 juin 2018, p. 152.
  • 61.
    HCE, Les actes sexistes durant le suivi gynécologique et obstétrical. Des remarques aux violences, la nécessité de reconnaître, prévenir et condamner le sexisme, rapp. n° 2018-06-26-SAN-034, 26 juin 2018, p. 5.
  • 62.
    HCE, Les actes sexistes durant le suivi gynécologique et obstétrical. Des remarques aux violences, la nécessité de reconnaître, prévenir et condamner le sexisme, rapp. n° 2018-06-26-SAN-034, 26 juin 2018, p. 150.
  • 63.
    CSP, art. L. 4123-2, pour les médecins et les sages-femmes. Cet article est rendu applicable aux infirmiers par CSP, art. L. 4312-3 et aux masseurs-kinésithérapeutes par CSP, art. L. 4321-18.
  • 64.
    https://www.coe.int/fr/web/istanbul-convention.
  • 65.
    CSP, art. L. 1111-4.
  • 66.
    Saenko L. et Detraz S., « Les femmes et les enfants d’abord ! », note sous L. n° 2018-703, 3 août 2018, renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes : D. 2018, p. 203.
  • 67.
    L. n° 2018-703, 3 août 2018, renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes.
  • 68.
    C. pén., art. 621-1.
  • 69.
    « Que peut faire un médecin devant un avis le concernant sur internet ? Et que fait l’ordre ? », mai 2017, note disponible sur le site internet du CNOM.
  • 70.
    CNOM, Préserver sa réputation numérique. Guide pratique, sept. 2018.
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