Droit des produits de santé : actualités de l’année 2016 (Suite et fin)

Publié le 05/07/2017

Cette chronique annuelle du droit des produits de santé présentée par les chercheurs du Centre de droit privé et droit de la santé (EA 1581) de l’université de Paris Lumières (Paris VIII) souligne les points importants de l’année 2016 au plan national et européen en fonction des thèmes sélectionnés : définition du médicament, monopole pharmaceutique, brevets et marques de médicaments, vente en ligne de médicaments sur internet, contentieux concurrence, recherche biomédicale…

I – Définition du médicament

II – Monopole pharmaceutique, exercice illégal de la pharmacie : Cass. crim., 16 févr. 2016, n° 14-88052

III – Autorisation de mise sur le marché AMM et RTU (CE, 29 juin 2016, n° 387890, LEEM, Sté Roche et Novartis Europharm Ltd)

IV – Propriété industrielle et produits de santé

A – Validité (CA Paris, 12 janv. 2016, n° 13/13050, Clinipro c/ The General Hospital Corporation)

B – Accès aux médicaments des pays du Sud (Règlement 2016/793 du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2016 visant à éviter le détournement vers des pays de l’Union européenne de certains médicaments essentiels)

C – CCP

D – Déchéance d’une marque pharmaceutique (Cass. com., 6 sept 2016, n° 14-22005)

E – Importations parallèles et droit des marques (CJUE, 10 nov. 2016, n° C-297/15, Ferring Laegemidler A/S c/ Orifarm A/S)

V – Commerce électronique de médicaments (arrêtés du 28 novembre 2016)

A – La jurisprudence est illustrative des problèmes soulevés (CA Paris, 25 mars 2016, n° 14-17730)

B – Deux arrêtés du 28 novembre 2016 viennent compléter le cadre juridique du commerce électronique de médicaments

VI – Prix du médicament

A – Sénat, le médicament à quel prix ? (Rapport d’information de MM. Gilbert Barbier et Yves Daudigny, fait au nom de la commission des affaires sociales, n° 739 (2015-2016) – 29 juin 2016)

B – Rapport du 30 août 2016, les entreprises du médicaments (Leem) : « Bilan économique, Édition 2016 »

C – Proposition de rapport du Parlement européen sur des options de l’UE pour améliorer l’accès aux médicaments, 12 octobre 2016

D – Rapport adopté le 8 novembre 2016 par la Commission juridique du Parlement européen

E – Rapport du groupe de haut niveau sur l’accès aux médicaments aux Nations unies, 14 septembre 2016

F – Jurisprudence

VII – Dispositif médical

VIII – Médicament et recherche biomédicale

IX – Contentieux, concurrence, produits de santé

Si l’on écarte d’emblée deux décisions de l’Autorité de la concurrence rendues certes dans le secteur pharmaceutique, mais à l’intérêt réduit car rejetées par l’Autorité pour défaut d’éléments probants, l’année 2016 aura été marquée par une série de décisions et avis touchant à deux sujets fondamentaux pour la chaîne économique de l’industrie pharmaceutique, à savoir l’exploitation et la défense de ses droits de propriété industrielle pour ce qui concerne les laboratoires (I), et la commercialisation des médicaments par internet pour ce qui concerne les pharmacies (II).

I. Exploitation et défense des droits de propriété industrielle : des décisions majeures

A. Une confirmation intéressante en matière de licence de droits de propriété industrielle

L’on notera en premier lieu un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 7 juillet 2016, qui concerne un contentieux entre Hoechst, Sanofi Aventis et Genentech, même si son sujet n’est pas spécifique au secteur pharmaceutique1.

En l’espèce, le brevet sur lequel une licence avait été accordée fut ultérieurement annulé et le licencié cessa en conséquence de payer les redevances. Saisie de ce contentieux, la cour d’appel de Paris a interrogé la Cour de justice de l’Union européenne sur le point de savoir si ce contrat de licence était contraire au droit des ententes (TFUE, art. 101) en ce qu’il continuait d’imposer au licencié le paiement de redevances pourtant désormais dépourvues de cause et infligeait [donc] à celui-ci un « désavantage dans la concurrence ».

En réponse, la Cour a étendu et précisé une position qu’elle avait déjà adoptée en 1989, en validant l’obligation de continuer à payer une redevance après l’expiration du brevet (licence et clause de redevance à durée illimitée), en jugeant que cela ne constitue pas en soi une restriction à la concurrence au sens de l’article 101 § 1 TFUE.

Son analyse consiste en substance à considérer que les parties ont pu estimer que la licence (et donc la redevance à payer) a une valeur supérieure à la seule durée du droit de propriété intellectuelle : « l’obligation de payer une redevance, y compris après l’expiration de la durée de validité du brevet sous licence, peut procéder d’un jugement d’ordre commercial sur la valeur attribuée aux possibilités d’exploitation conférées par l’accord de licence, en particulier lorsque cette obligation est contenue dans un accord de licence conclu avant l’octroi dudit brevet [et par le fait que] cette redevance constitue le prix à payer pour exploiter commercialement la technologie sous licence avec l’assurance que le concédant n’exercera pas ses droits de propriété industrielle ».

Dès lors, « l’article 101, paragraphe 1, TFUE n’interdit pas d’imposer contractuellement le paiement d’une redevance pour l’utilisation exclusive d’une technologie qui n’est plus couverte par un brevet, à condition que le licencié puisse librement résilier ce contrat ». Autrement formulé, lorsque le licencié peut librement résilier l’accord moyennant un préavis raisonnable, une obligation de payer des redevances pendant toute la durée de validité de l’accord, même si le brevet a expiré ou a été annulé, ne saurait relever du champ d’application de l’interdiction édictée par l’article 101, paragraphe 1, TFUE.

B. Des arrêts de référence s’agissant de la défense de son droit de propriété industrielle et d’une stratégie de riposte d’un princeps face à l’arrivée d’un générique

L’on retiendra surtout, en second lieu, s’agissant du droit de la concurrence appliqué au secteur pharmaceutique, une série d’arrêts majeurs du Tribunal de l’Union européenne rendus en septembre 2016 2, portant sur la problématique dite des « patent settlements » (ou « transactions amiables sur brevet »).

Le contexte est bien connu : le brevet d’un médicament d’un laboratoire princeps arrive à expiration, et des génériques s’apprêtent à entrer sur le marché. Mettant en avant une atteinte à ses droits de propriété industrielle, le laboratoire princeps conclu un accord transactionnel avec le génériqueur afin de mettre un terme au différend qui les oppose. Une telle situation peut par exemple survenir lorsque le laboratoire princeps détient initialement des brevets sur le principe actif et des brevets de procédés, puis que le premier expire, mais que les seconds demeurent valables. Les génériques peuvent alors entrer sur le marché du médicament, mais sont à la merci de contrefaire un brevet de procédé.

Le risque est que l’action en contrefaçon débouche sur un règlement amiable destiné en réalité à « geler » le marché en payant le génériqueur pour suspendre son arrivée sur le marché, en s’apparentant davantage à un accord de non-concurrence 3. Ainsi, dans le secteur pharmaceutique, est-il considéré que « Les règlements amiables en matière de brevets constituent un sujet de préoccupation important car ils peuvent retarder l’entrée sur le marché de médicaments génériques »4.

Cette situation fait l’objet d’une toute particulière attention de la Commission européenne depuis son enquête sur le secteur pharmaceutique de 2009, et a ainsi notamment donné lieu à l’ouverture d’une procédure à l’encontre des laboratoires danois Lundbeck en 2010. Celle-ci a débouché sur une décision de condamnation, la Commission estimant que Lundbeck et quatre laboratoires de produits génériques s’étaient entendus pour retarder l’entrée sur le marché du générique au médicament phare de Lundbeck, le Citalopram. Pour obtenir ce résultat, plusieurs moyens avaient été mis en œuvre : paiement direct, achat de stocks du générique pour destruction, octroi de bénéfices garantis dans le cadre d’accords de distribution, le tout aboutissant, selon la Commission, à un retard de deux ans de l’entrée du générique sur le marché 5.

Ces entreprises ayant formé un recours, l’affaire Lundbeck est devenue la référence en droit européen, en ce qu’elle est la première à avoir donné lieu à un arrêt d’une juridiction européenne.

Ces arrêts apportent trois réponses majeures :

  • un laboratoire princeps et un laboratoire générique doivent être considérés a minima comme des concurrents potentiels même plusieurs années avant l’expiration du brevet IPA (1) ;

  • certaines transactions amiables passées entre ces deux opérateurs s’analysent comme des répartitions de marchés entre concurrents et sont donc illicites (2) ;

  • de tels accords sont anticoncurrentiels par objet, c’est-à-dire sans même qu’il soit besoin de faire une démonstration de leurs effets (3).

1) L’affirmation de la situation de concurrence potentielle entre un princeps et des génériqueurs

Il s’agit là d’une question fondamentale, car comme l’a rappelé le TUE, « l’article 101, paragraphe 1, TFUE est uniquement applicable dans les secteurs ouverts à la concurrence, eu égard aux conditions énoncées par ce texte relatives à l’affectation des échanges entre les États membres et aux répercussions sur la concurrence ».

Afin de vérifier si une entreprise constitue un concurrent potentiel sur un marché, il faut rechercher si, en l’absence de conclusion de l’accord en cause, auraient existé des possibilités réelles et concrètes que celle-ci intégrât ledit marché compte tenu de la structure du marché et du contexte économique et juridique régissant son fonctionnement et concurrençât les entreprises qui y étaient établies (possibilités réelles et concrètes que les entreprises concernées se fassent concurrence entre elles ou qu’un nouveau concurrent puisse entrer sur le marché en cause et concurrencer les entreprises établies). Un tel sujet avait déjà donné lieu à débats dans le secteur pharmaceutique, dans l’affaire Astrazeneca 6.

Or, dans l’affaire Lundbeck, la question de la relation de concurrence potentielle fut de nouveau au cœur des débats, et plus exactement celle de savoir si l’on pouvait considérer une possibilité d’entrée sur le marché en prenant des risques juridiques (contrefaçon) comme une concurrence potentielle ou si seule la « concurrence licite », pour reprendre l’expression des parties, devait être retenue. Validant l’approche de la Commission européenne, le TUE a contourné l’argumentation de Lundbeck (et donc, ce faisant, le Tribunal évite de répondre à la question de la concurrence potentielle seulement si elle est licite…), en mettant en avant que « l’argument des requérantes repose sur la prémisse erronée selon laquelle, d’une part, les entreprises de génériques violaient sans aucun doute leurs brevets et, d’autre part, ces brevets auraient certainement résisté aux exceptions d’invalidité qui auraient été soulevées par celles-ci dans le cadre d’éventuelles actions en contrefaçon. En effet, s’il est vrai que les brevets sont présumés valides jusqu’à ce qu’ils soient expressément révoqués ou invalidés par une autorité ou une juridiction compétente à cet effet, une telle présomption de validité ne saurait équivaloir à une présomption d’illégalité des produits génériques valablement mis sur le marché dont le détenteur d’un brevet estime qu’ils violent celui-ci ».

Conclusion pratique que l’on peut en tirer : il peut exister une concurrence potentielle même en présence de brevets, notamment puisque tout autre procédé n’est pas nécessairement contrefaisant, qu’il n’est pas certain que le titulaire du brevet intente une action en contrefaçon, qu’il n’est pas certain qu’il l’emporte s’il en initie une… On peut penser alors qu’il s’agit au moins en partie d’une appréciation au cas par cas, selon que le risque de contrefaçon, et d’action en contrefaçon avec succès, sont manifestes ou non. Il ne s’agit toutefois apparemment que d’un élément parmi d’autres, « tels que les investissements et les efforts importants déjà accomplis par les entreprises de génériques afin de préparer leur entrée sur le marché, le fait qu’elles avaient déjà obtenu des AMM ou fait les démarches nécessaires afin d’en obtenir une dans un délai raisonnable, que les requérantes avaient reconnu qu’il existait un certain nombre de procédés disponibles pour produire du Citalopram sans violer leurs brevets (…) le fait que les requérantes aient décidé de payer des sommes importantes aux entreprises de génériques pour les maintenir hors du marché pendant la durée des accords litigieux démontre aussi que ces dernières étaient des concurrents potentiels, puisqu’elles étaient perçues par elles comme une menace exerçant une pression concurrentielle sur leur position sur le marché » 7.

Le TUE a ainsi validé l’identification de deux phases au cours desquelles la concurrence potentielle pouvait s’exprimer dans ce secteur : « La première phase peut commencer plusieurs années avant l’expiration du brevet sur un IPA, lorsque les producteurs de génériques qui souhaitent lancer une version générique du médicament concerné commencent à développer des procédés de production viables débouchant sur un produit qui répond aux exigences réglementaires. Ensuite, dans une seconde phase, afin de préparer son entrée effective sur le marché, il faut qu’une entreprise de génériques obtienne une autorisation de mise sur le marché (…), qu’elle se procure des comprimés auprès d’un ou de plusieurs producteurs de génériques ou les produise elle-même, qu’elle trouve des distributeurs ou mette en place son propre réseau de distribution, c’est-à-dire qu’elle fasse une série de démarches préliminaires, sans lesquelles il n’y aurait jamais de concurrence effective sur le marché.

Dans le cadre de ces deux phases de concurrence potentielle, les entreprises qui produisent des médicaments génériques ou qui envisagent de vendre ceux-ci font souvent face à des questions de droit des brevets et de propriété intellectuelle. Néanmoins, elles trouvent en général un moyen pour éviter toute infraction à des brevets existants, tels que des brevets de procédé ».

Il est à cet égard intéressant de relever que la Commission européenne a recensé huit voies d’entrée sur le marché :

  • lancer le produit « à risque » en faisant face à d’éventuelles actions en contrefaçon de la part du princeps ;

  • faire des efforts pour « lever les obstacles » avec le laboratoire princeps, avant d’entrer sur le marché ;

  • demander une déclaration de non-contrefaçon devant une juridiction nationale, avant d’entrer sur le marché ;

  • faire valoir l’invalidité d’un brevet devant une juridiction nationale, dans le cadre d’une demande reconventionnelle faisant suite à une action en contrefaçon de la part du laboratoire princeps ;

  • contester un brevet devant les autorités nationales compétentes ou devant l’OEB, en demandant de révoquer ou de limiter ce brevet ;

  • collaborer avec le producteur d’IPA actuel ou son fournisseur afin de modifier le procédé du producteur d’IPA de façon à éliminer ou à réduire le risque de contrefaçon des brevets de procédé du laboratoire de princeps ;

  • se tourner vers un autre producteur d’IPA dans le cadre d’un contrat d’approvisionnement existant ;

  • se tourner vers un autre producteur d’IPA, en dehors d’un contrat d’approvisionnement existant.

2. Une transaction amiable entre un laboratoire princeps et un générique peut être une entente anticoncurrentielle

Dans le principe, la CJCE a affirmé assez tôt qu’une transaction, à tout le moins amiable, constituait un accord pouvant tomber sous le coup du droit des ententes 8, ce qu’a répété expressément le TUE dans ses arrêts de 2016 : « la jurisprudence n’exclut nullement l’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE aux accords à l’amiable qui peuvent être conclus en matière de brevets. Celle-ci prévoit au contraire que, si les droits reconnus par la législation d’un État membre en matière de propriété industrielle ne sont pas affectés dans leur existence par ledit article, les conditions de leur exercice peuvent cependant relever des interdictions édictées par celui-ci. Tel peut être le cas chaque fois que l’exercice d’un tel droit apparaît comme étant l’objet, le moyen ou la conséquence d’une entente ».

Premier point – rassurant – résultant de l’affaire Lundbeck : la Commission européenne y reconnait que tous les accords transactionnels sur des brevets ne sont pas illicites au regard du droit de la concurrence et même, plus précisément, que l’existence d’un paiement inversé dans le cadre d’un règlement à l’amiable en matière de brevets n’est pas toujours problématique : « les règlements amiables contenant des paiements – même inversés – ne sont pas toujours problématiques au regard du droit de la concurrence, notamment lorsqu’ils ne sont accompagnés d’aucune restriction à l’entrée des génériques sur le marché et qu’ils visent, au contraire, à offrir une compensation aux entreprises de génériques pour leur manque à gagner, une fois que le laboratoire de princeps reconnaît que leurs produits génériques n’enfreignent aucun brevet ».

Second point – et c’est là la difficulté – cette affaire donne une première approche de la façon dont on doit distinguer les « bons » accords des « mauvais » accords. Une transaction serait ainsi illicite « lorsque de tels accords prévoyaient une exclusion du marché d’une des parties, qui était à tout le moins un concurrent potentiel de l’autre partie, pendant une durée déterminée, et lorsqu’ils étaient accompagnés d’un transfert de valeur du titulaire du brevet en faveur de l’entreprise de génériques susceptible de violer ce brevet9 ».

Au travers cette affaire, la Commission semble considérer qu’il y a problème lorsque plusieurs facteurs sont réunis :

  • Il y a un paiement inversé, « le fait que les restrictions contenues dans les accords litigieux [aient] été obtenues au moyen de paiements inversés importants constitua[n]t un élément décisif pour l’appréciation juridique de ces accords ». Une transaction amiable sans paiement inversé semble ne pas soulever de problème ;

  • Ce paiement n’est pas (exclusivement) lié à la force du brevet telle que perçue par chacune des parties et s’apparente donc plutôt à « un rachat de concurrence »10l’importance d’un paiement inversé peut constituer une indication de la force ou de la faiblesse d’un brevet, telle que perçue par les parties aux accords au moment de conclure ceux-ci et du fait que le laboratoire de princeps n’était pas intimement convaincu de ses chances de succès en cas de litige »). Le caractère disproportionné du paiement peut sembler d’autant plus manifeste si ce montant correspond en fait au moins aux profits escomptés par les génériqueurs en cas d’entrée sur le marché ;

  • Qu’il n’est pas nécessaire pour trouver une solution acceptable et légitime aux yeux des deux parties ;

  • Qu’il est accompagné de restrictions visant à retarder l’entrée des génériques sur le marché (en l’espèce par exemple, l’absence de clauses permettant aux entreprises de génériques de lancer leurs produits sur le marché à l’expiration des accords sans avoir à craindre des actions en contrefaçon de la part de Lundbeck, ou encore la présence, dans ces accords, de restrictions allant au-delà de la portée des brevets de Lundbeck).

En fait, selon la Commission, et le tribunal, « même si les restrictions contenues dans les accords litigieux entraient potentiellement dans le champ d’application des brevets de Lundbeck, en ce sens qu’elles auraient pu également être obtenues dans le cadre d’actions en justice, la décision attaquée constate, à juste titre, qu’il ne s’agissait que d’une potentialité, au moment où les accords litigieux ont été conclus. Or le fait d’avoir remplacé cette incertitude relative au caractère contrefaisant ou non des produits des entreprises de génériques et à la validité des brevets des requérantes par la certitude que les entreprises de génériques n’entreraient pas sur le marché pendant la durée des accords litigieux constitue, en tant que tel, une restriction de la concurrence par objet en l’espèce, puisqu’un tel résultat a été obtenu par le biais d’un paiement inversé ».

3. Il s’agit même d’un accord anticoncurrentiel par objet

Pour rappel, le droit européen distingue les ententes anticoncurrentielles par objet et les ententes anticoncurrentielles par effet. Un accord a un objet anticoncurrentiel lorsqu’il peut être considéré, par sa nature même, comme nuisible au bon fonctionnement du jeu normal de la concurrence, ou, selon une autre formule que l’on retrouve dans les arrêts Lundbeck, qu’il présente « un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence pour qu’il puisse être considéré que l’examen de [ses] effets n’est pas nécessaire11 ».

En droit, il convient de rechercher tout d’abord si l’accord en cause présente un objet anticoncurrentiel, et ce n’est qu’en cas de réponse négative qu’il convient d’en examiner ses effets et leur caractère suffisamment sensible. Il s’agit d’une problématique qui a connu des développements très intéressants ces dernières années, et dont on mesure l’importance stratégique : si une pratique est anticoncurrentielle par objet, l’autorité poursuivante n’a pas besoin de démontrer l’existence d’effets anticoncurrentiels sur le marché, sa tâche s’en trouve donc considérablement facilitée.

Or, dans le cas Lundbeck, le Tribunal a validé 12 l’appréciation de la Commission selon laquelle cette convention doit être alors considérée comme restrictive par objet : les transactions amiables sur brevets répondant à certaines caractéristiques les font s’assimiler à des accords d’exclusion de marché.

II. Commercialisation des médicaments par internet

On se souvient que la directive n° 2011/62/UE du 8 juin 2011 impose aux États membres de permettre la vente à distance au public de médicaments au moyen de services électroniques. Cette directive a été transposée en droit français par une ordonnance de 2012 13.

Dans ce cadre, un projet d’arrêté avait donné lieu à consultation de l’Autorité de la concurrence en 2013, qui avait rendu un avis très négatif 14, commenté dans les présentes colonnes 15. Cet arrêté, ne tenant presque aucun compte des recommandations de l’Autorité, avait été publié en juin 2013 16, mais fut annulé en 2015 par le Conseil d’État (pour des raisons non liées au droit de la concurrence mais « simplement » de compétence du ministre) 17.

Le Gouvernement a donc dû revoir sa copie, et a soumis à l’Autorité de la concurrence deux nouveaux projets d’arrêtés relatifs à la vente en ligne de médicaments (un « projet d’arrêté relatif aux bonnes pratiques de dispensation de médicaments par voie électronique » et un « projet d’arrêté relatif aux règles techniques applicables aux sites internet de commerce électronique de médicaments »), qui ont donné lieu à un avis de nouveau (très) défavorable de l’Autorité de la concurrence en avril 2016 18.

Dans cet avis, l’Autorité constate que non seulement le Gouvernement a repris des dispositions déjà critiquées à l’occasion de l’examen du projet d’arrêté de 2013 (A), mais qu’il en a même ajouté qui instaurent un régime discriminatoire par rapport aux conditions exigées pour la vente au comptoir et qui ont pour effet de retirer tout intérêt à la commercialisation de médicaments par internet, tant pour le patient que pour les pharmaciens (B).

Depuis cet avis, les deux arrêtés ont été publiés au JORF19. Or, comme en 2013, l’on ne peut que constater que les pouvoirs publics n’ont pas tenu compte des recommandations de l’Autorité.

A. Retour vers le futur : la reprise des dispositions déjà critiquables

Comme déjà évoqué dans nos commentaires précités de 2013, auxquels nous renvoyons donc, l’Autorité a attiré l’attention sur les effets restrictifs de concurrence des exigences – maintenues dans les arrêtés publiés – au terme desquelles notamment :

  • L’usage de liens hypertextes est autorisé vers les seuls sites institutionnels des autorités de santé et au site de l’ordre des pharmaciens ;

  • Les lettres d’information sont limitées aux seules informations émanant des autorités sanitaires ;

  • La sous-traitance à un tiers de tout ou partie de l’activité de vente par internet est interdite ;

  • Le référencement dans les moteurs de recherche ou comparateurs de prix contre rémunération est interdit ;

  • La valorisation du prix des médicaments par voie d’affichage est interdite ;

  • Le projet de texte sur les bonnes pratiques de dispensation du médicament par voie électronique reprend également la règle selon laquelle l’activité de vente en ligne de médicaments doit se tenir au sein des locaux de l’officine, des locaux de stockage à proximité immédiate de l’officine pouvant être utilisés, ainsi que la règle imposant que la préparation des commandes ne puisse se faire qu’au sein de l’officine concernée. Ceci peut devenir un obstacle insurmontable pour un site en forte croissance, pour lequel des locaux de dimensions importantes deviennent rapidement une nécessité du point de vue logistique, et alors même que de tels locaux sont, pour des pharmacies situées en ville, difficiles à acquérir. L’Autorité de la concurrence considère que cette restriction n’apparaît pas justifiée par un impératif de santé publique.

B. Les nouvelles dispositions discriminatoires

L’Autorité de la concurrence met en exergue dans son avis une nouvelle série de dispositions qui sont imposées au commerce de médicament en ligne alors même qu’elles ne le sont pas pour le commerce de médicaments en pharmacie, et qui entraîneraient donc un traitement discriminatoire injustifié.

Il s’agit de deux séries de dispositions :

  • Des exigences d’informations accrues à la charge du pharmacien et du patient lors de la vente par internet. L’Autorité de la concurrence estime que le niveau de détail des informations à solliciter auprès du patient apparaît non pertinent au regard, d’une part, de la limitation de la vente en ligne aux seuls médicaments non soumis à ordonnance, et, d’autre part, des informations habituellement sollicitées dans le cadre de la vente au comptoir pour ces médicaments ;

  • La formalisation alourdie du conseil pharmaceutique et des exigences de traçabilité pour les ventes par internet, qui ne s’imposent pas d’une telle façon pour les ventes en pharmacie.

Emmanuel Dieny

X – Histoire des produits de santé

Amendement n° II-1131. Assemblée nationale 14 novembre 2016. Institution d’un dispositif d’indemnisation des dommages imputables au valproate de sodium et à ses dérivés.

L’amendement n° II-1131 adopté par l’Assemblée nationale le 15 novembre 2016 a pour objet d’instituer un dispositif d’indemnisation des dommages imputables au valproate de sodium et à ses dérivés : « Toute personne s’estimant victime d’un préjudice à raison d’une ou plusieurs malformations ou de troubles du développement imputables à la prescription avant le 31 décembre 2015 de valproate de sodium (…) pendant une grossesse (…) peut saisir l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (ONIAM), et ce, en vue d’obtenir la reconnaissance de l’imputabilité de ces dommages à cette prescription »20.

Après les dispositifs d’indemnisation mis en place à la suite des affaires du sang contaminé, de l’amiante et plus récemment du Mediator, la création de ce nouveau fonds est la conséquence du « scandale » sanitaire lié au valproate de sodium, la substance active de l’antiépileptique Dépakine qui avait reçu une autorisation de mise sur le marché en 1967 pour soigner les personnes atteintes d’épilepsie, secondairement pour les troubles bipolaires. À partir des années 1980, de nombreuses études démontrent que ce médicament peut être à l’origine de malformations fœtales. Entre 2007 et 2014, « un peu plus de 14 000 femmes enceintes ont pris ce médicament et l’on estime que celui-ci a entraîné des malformations chez 10 % environ des enfants ». Les indemnisations versées par le fonds sont indépendantes des actions en justice qui pourront être diligentées contre le laboratoire, les médecins, et peut-être l’Agence nationale de sécurité du médicament, par les familles des victimes21. La réparation des dommages de santé occasionnés par des produits pharmaceutiques fait écho à la question de la sécurité sanitaire qui apparaît comme « la désignation générique de différents dispositifs propres au médicament – délivrance de l’AMM, pharmacovigilance, surveillance des essais cliniques, etc. – ou plus généraux comme les règles de la veille sanitaire »22. Dans ce cadre, il est utile de rappeler les étapes importantes qui ont jalonné la naissance et le développement du concept de sécurité sanitaire appliqué aux produits de santé depuis la deuxième moitié du XXsiècle.

L’intervention de l’État en matière de sécurité des médicaments repose sur la surveillance et l’organisation des moyens à mettre en œuvre pour assurer la réduction des risques. Au XIXsiècle, la police sanitaire regroupe deux notions : monopole pharmaceutique et police des remèdes. Ses règles sont énumérées dans la loi du 21 germinal an XI (11 avril 1803) qui prohibe le commerce des remèdes secrets, soumet la vente des remèdes nouveaux à une autorisation de l’État et pose les bases du monopole pharmaceutique. Cette législation demeure en vigueur jusqu’au décret-loi du 11 septembre 1941 qui réorganise l’exercice de la pharmacie et incorpore la dimension industrielle de l’activité. La commercialisation des médicaments repose sur une autorisation d’exploitation, le visa, délivrée après étude du dossier scientifique et technique du médicament et de ses conditions de fabrication23. Mais la procédure d’obtention du visa et l’expertise certifiant l’innocuité des médicaments demeurent souvent trop formelles. Au printemps 1954, plusieurs décès obligent à mettre un terme à la commercialisation du Stalinon, médicament prescrit pour traiter la furonculose résistante aux antibiotiques. L’affaire révèle que le médicament a été fabriqué dans des conditions non conformes au visa obtenu. Le procès, à l’automne 1957, aboutit à la condamnation du pharmacien exploitant et celle de l’entreprise de façonnage qui préparait la spécialité24. Après le scandale du Stalinon, l’ordonnance du 4 février 1959, relative à la réforme du régime de la fabrication des produits pharmaceutiques, renforce les contrôles et les conditions de fabrication des médicaments : obligation de présenter un protocole d’analyse et de contrôle des matières premières et du produit fini vérifié par expertise, inspection des installations de fabrication, fourniture d’un compte rendu des essais cliniques ainsi que leurs expertises… Ses dispositions sont pour l’essentiel reprises dans l’ordonnance du 23 septembre 1967 qui transforme le visa en autorisation de mise sur le marché (AMM)25.

Parallèlement aux procédures de l’AMM réglementant la mise sur le marché de nouveaux médicaments, les industriels, soucieux de rétablir la confiance après l’affaire du Stalinon, mettent l’accent sur la collecte des données des produits déjà commercialisés pour préciser notamment les effets secondaires que les essais cliniques ne font pas toujours apparaître. Ce sont les essais dits de « phase IV » encore rares dans les années 1970 mais de plus en plus courants dans les années 1980. Deux créations voient également le jour dans l’optique de limiter les risques thérapeutiques : le Centre national de la pharmacovigilance en 1973, et la Banque d’information automatisée sur le médicament en 1975. Ces deux services initiés par les industriels et appuyés par le ministère de la Santé doivent permettre une circulation plus fluide des informations entre professionnels de santé. Au début des années 1980, la Direction de la pharmacie et du médicament, rattachée au ministère de la Santé, dispose ainsi d’instruments de contrôle et de surveillance de la sécurité des médicaments dont l’efficacité repose sur une bonne collaboration avec les industriels26. Au même moment, d’autres acteurs font leur apparition sur le devant de la scène : les malades. Depuis la fin des années 1970, de nombreux changements sont intervenus transformant l’image même du malade. De l’allongement de la durée de vie, aux différentes maladies pour lesquelles la médecine n’avait pas de réponse hier et propose des solutions désormais, à l’augmentation du nombre de patients vivant avec de multiples pathologies chroniques, un nouveau défi s’est fait jour, celui d’apprendre « à vivre avec »27. Dans ce cadre, l’image d’un malade acteur et sujet tend à devenir plus prégnante à travers une participation plus active aux protocoles de traitement. L’action des associations de malades est également déterminante dans le suivi des maladies et des progrès thérapeutiques ainsi que dans le processus de mise à disposition des médicaments28.

Les années 1980-1990 marquent pourtant une césure. L’affaire du sang contaminé, la maladie de Creutzfeld-Jakob, les accidents provoqués par l’hormone de croissance ou le vaccin contre l’hépatite B, le drame des « filles Distilbène », révèlent une prise de conscience nouvelle sur les dangers et les risques liés à l’usage de certains produits destinés à l’homme29. À l’instar de la « croisade sanitaire » prêchée sous la bannière du pastorisme à la fin du XIXsiècle, les hommes politiques font de la sécurité sanitaire leur cheval de bataille pour répondre aux inquiétudes d’une opinion publique de plus en plus sensible aux questions de santé publique30. Comme l’explique Didier Tabuteau, « des effets indésirables sévères sont acceptables si le médicament ou la thérapeutique permet de guérir une maladie grave, ils ne le sont pas si l’amélioration attendue concerne une pathologie grave. La toxicité d’un médicament peut n’être décelée que longtemps après la mise sur le marché »31. La sécurité sanitaire devient un concept polysémique destiné à protéger les personnes contre les risques du fonctionnement du système de santé : sécurité des personnes contre les risques thérapeutiques de toute nature, risques liés aux choix thérapeutiques, aux actes de prévention, de diagnostic ou de soins, à l’usage de biens et produits de santé comme aux interventions et décisions des autorités sanitaires. Cette définition élargie intègre l’appareil de soins mais aussi les contrôles et la surveillance des produits32 ainsi qu’une responsabilité renforcée des pouvoirs publics dans la gestion des crises sanitaires33.

Cette appréhension de la sécurité sanitaire est à l’origine des lois de 1993 et de 1998 qui « institutionnalisent » le concept. La loi du 4 janvier 1993, relative à l’Agence du médicament et à l’Agence française du sang, répond aux demandes d’harmonisation européenne, apporte des correctifs au fonctionnement des anciennes structures afin de « garantir l’indépendance, la compétence scientifique et l’efficacité administrative des études et des contrôles relatifs à la fabrication, aux essais, aux propriétés thérapeutiques et à l’usage des médicaments, en vue d’assurer, au meilleur coût, la santé et la sécurité de la population et de contribuer au développement des activités industrielles et de recherche pharmaceutique » et institue une police des produits de santé34. Alors que la loi de 1993, pour les produits sanguins, constitue un texte de « sortie de crise », la loi du 1er juillet 1998 élargit le champ de la sécurité sanitaire avec la création de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS), d’un Institut de veille sanitaire et d’autres agences spécialisées pour les aliments et l’environnement35. Le domaine de compétence de l’AFSSAPS est très étendu puisqu’il concerne les médicaments, les produits contraceptifs, les biomatériaux et dispositifs médicaux, les produits sanguins labiles, les produits de thérapie génétique et cellulaire…36. Désormais, les produits de santé ne sont plus cantonnés aux seuls médicaments37. Enfin, en vertu de l’article L. 5312-3 du Code de la santé publique, le directeur général de l’AFSSAPS, qui exerce, au nom de l’État, le pouvoir de police sanitaire en matière de produits de santé dispose « du pouvoir d’enjoindre la personne responsable de la mise sur le marché de l’utilisation du produit de procéder au retrait du produit ou groupe de produits en tous lieux où il se trouve, à sa destruction lorsque celles-ci constituent le seul moyen de faire cesser le danger, et ordonner la diffusion de mises en garde ou de précautions d’emploi ». Depuis le 1er mai 2012, l’Agence Nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) s’est substituée à l’AFSSAPS dont elle a repris les missions, droits et obligations : évaluation scientifique et technique de la qualité, de l’efficacité et la sécurité d’emploi des médicaments et produits biologiques ; surveillance continue des effets indésirables prévisibles ou inattendus des produits de santé ; inspection des établissements exerçant des activités de fabrication, d’importation, de distribution, de pharmacovigilance et qui mènent des essais cliniques ; contrôle en laboratoires pour libérer des lots de vaccins et de médicaments dérivés du sang, contrôle de produits présents sur le marché, prélevés lors d’inspections, saisis par les autorités judiciaires ou les douanes38. Cette réforme tend ainsi à renforcer la surveillance des médicaments « par l’évolution apportée aux outils et méthodes de la pharmacovigilance tant au moment de leur autorisation de mise sur le marché que postérieurement à celle-ci »39. Enfin, à la suite du scandale du Mediator, les obligations déontologiques des experts et des responsables des institutions de sécurité sanitaire ont été renforcées et assorties de sanctions pénales par la loi du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé40.

Depuis plus d’une vingtaine d’années, les dispositifs de sécurité sanitaire ont profondément transformé le visage institutionnel de la santé publique en France. La mise en place des agences de sécurité sanitaire en a été le fer de lance en permettant d’identifier les responsabilités sanitaires et de créer des services renforcés d’évaluation et de contrôle. Pour autant, la sécurité sanitaire ne peut garantir la réduction à néant des risques car elle dépend des rapports de force entre ses différents acteurs. L’histoire de la sécurité sanitaire des produits de santé continue de s’écrire aujourd’hui alors qu’une action de groupe a été lancée le 13 décembre 2016 par l’association des victimes de la Dépakine contre le laboratoire Sanofi.

Alexandre Lunel

XI – Conventions internationales et produits de santé

Loi du 30 mai 2016 autorisant la ratification de la convention Médicrime

La loi n° 2016-701 du 30 mai 2016 autorisant la ratification de la convention du Conseil de l’Europe sur la contrefaçon des produits médicaux et les infractions similaires menaçant la santé publique a été promulguée le 30 mai 2016. Rappelons que cette convention dite Médicrime, adoptée le 28 octobre 2011 à Moscou sous l’égide du Conseil de l’Europe et sous l’impulsion de la France, a pour ambition de porter un coup d’arrêt au trafic international de produits de santé41.

Quelques chiffres suffisent à comprendre l’ampleur d’un phénomène en pleine expansion, favorisé par l’utilisation d’internet qui permet à tout utilisateur de commander facilement n’importe quel produit (notamment des produits dopants, anabolisants ou destinés à lutter contre les problèmes érectiles). Le Conseil de l’Europe estime ainsi que le trafic de médicaments a doublé entre 2005 et 2010, pour atteindre aujourd’hui plus de 70 milliards d’euros par an42. Au cours des dernières années, plusieurs scandales sanitaires ont été causés par ce type de trafic et on se souviendra tout particulièrement de l’affaire des « faux » sirops pour la toux qui a entraîné la mort de plus de 100 enfants au Panama en 2006. La criminalité organisée s’est pleinement investie dans ce secteur en croissance, qui permet des profits plus importants que le trafic de drogue tout en s’exposant à des risques nettement moins élevés43. En 2015, au cours d’une opération, dite Pangea VIII, menée pendant une semaine et réunissant 115 pays, plus de 20 millions de médicaments illicites ont été saisis pour une valeur de 81 milliards de dollars.

Jusqu’ici, la question du trafic de « faux » médicaments avait principalement été abordée sous l’angle de la protection des droits de propriété industrielle par l’OMS, mais elle s’était heurtée notamment à l’opposition de la Chine ou de l’Inde de voir mis en place un encadrement de la contrefaçon de médicaments afin de préserver leur propre marché. C’est pourquoi, la France a cherché à promouvoir dans le cadre plus étroit du Conseil de l’Europe l’adoption d’un instrument juridique spécifique44. La convention Médicrime propose deux grandes séries de mesures afin d’endiguer le trafic portant sur les produits de santé. En premier lieu, il s’agit d’ériger en infractions pénales l’ensemble des agissements frauduleux portant sur ces produits (fabrication, stockage, mise sur le marché etc.), en veillant à ce que les sanctions encourues soient véritablement dissuasives. En second lieu, il s’agit de mettre en place des outils de coopération nationale et surtout internationale entre les autorités compétentes, ces dispositifs étant à ce jour très lacunaires.

La ratification de la convention Médicrime par la France ne devrait guère avoir de conséquence en droit interne. En effet, les parlementaires ont estimé que la France, qui reste jusqu’ici relativement épargnée par ce trafic grâce à une réglementation stricte préservant la qualité du circuit pharmaceutique, est dotée de textes conformes aux stipulations de la convention signée à Moscou45. On rappellera que des services enquêteurs sont déjà spécialisés sur ces questions (Direction générale des douanes et droits indirects, Service national de douane judiciaire, Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique) et que la plupart des procédures judiciaires en cours sont traitées par les pôles de santé publique de Paris et de Marseille. De même, la France s’est dotée depuis plusieurs années d’un arsenal répressif dense, qui érige en infraction tout un ensemble de comportements frauduleux portant sur des produits de santé (infraction d’exercice illégal de la pharmacie, vente de médicaments sans autorisation de mise sur le marché, ouverture d’un établissement pharmaceutique sans autorisation, infraction à la législation sur les substances vénéneuses, vente de médicament falsifié…). Pour le surplus, le législateur n’a pas souhaité allonger davantage son glaive comme le proposait la convention, par exemple en étendant l’applicabilité de la loi française à des actes commis à l’étranger par ses ressortissants, ou encore en consacrant une « récidive internationale » destinée à condamner plus sévèrement en France des comportements déjà sanctionnés par un autre État partie.

En revanche, on peut espérer qu’une ratification large de la convention Médicrime favorise la lutte contre le trafic international de médicaments en incitant les États dont la législation ne serait pas dotée d’outils destinés à combattre ces agissements frauduleux à adopter les standards prévus par la convention.

Jean-François Laigneau

Notes de bas de pages

  • 1.
    CJUE, 7 juill. 2016, n° C-567/14, Genentech In c/ Hoechst GmbH.
  • 2.
    TUE, 8 sept. 2016, H. Lundbeck A/S, Lundbeck Ltd/Commission européenne, aff. T-472/13, Xellia Pharmaceuticals ApS, Alpharma LLC/Commission européenne, aff. T-471/13, Merck KGaA/Commission européenne, aff. T-470/13, Generics (UK) Ltd/Commission européenne, aff. T-469/13, Arrow Group ApS, Arrow Generics Ltd/Commission européenne, aff. T-467/13, Sun Pharmaceuticals Industries Ltd/Commission européenne, aff. T-460/13.
  • 3.
    Ces accords peuvent prendre de multiples formes, comme par exemple un paiement pur et simple, un accord de sous-traitance de fabrication du princeps par le génériqueur, un accord de promotion du princeps par le génériqueur…
  • 4.
    Joaquín Almunia, vice-président de la commission chargé de la politique de concurrence, cité dans le communiqué de presse de la Commission européenne du 17 janvier 2011, n° IP/11/40.
  • 5.
    Comm. UE 19 juin 2013, Lundbeck, aff. AT/39.226
  • 6.
    CJUE, 6 déc. 2012, n° C-457/10 P, AstraZeneca c/ Commission.
  • 7.
    TUE, 8 sept. 2016, H. Lundbeck A/S, Lundbeck Ltd/Commission européenne, aff. T-472/13, points 157 et s.
  • 8.
    CJCE, 8 juin 1982, L.C. Nungesser KG et Kurt Eisele/Commission des Communautés européennes, aff. 258/78.
  • 9.
    TUE, 8 sept. 2016, H. Lundbeck A/S, Lundbeck Ltd/Commission européenne, aff. T-472/13, point 334.
  • 10.
    Expression reprise à son compte par le Tribunal, TUE 8 sept. 2016, H  Lundbeck A/S, Lundbeck Ltd/Commission européenne, aff. T-472/13, point 352.
  • 11.
    TUE, 8 sept. 2016, H. Lundbeck A/S, Lundbeck Ltd/Commission européenne, aff. T-472/13.
  • 12.
    De façon d’ailleurs peut-être contestable au regard de l’interprétation de la restriction « par objet » selon la CJUE, mais la Cour le dira peut-être dans le cadre du recours contre l’arrêt du TUE.
  • 13.
    Ord. n° 2012-1427, 19 déc. 2012.
  • 14.
    Aut. conc., avis n° 13-A-12, 10 avr. 2013, relatif à un projet d’arrêté de la ministre des Affaires sociales et de la Santé relatif aux bonnes pratiques de dispensation des médicaments par voie électronique.
  • 15.
    LPA 13 août 2014, p. 12, « Chronique de droit de la santé ».
  • 16.
    Arrêté du 20 juin 2013, relatif aux bonnes pratiques de dispensation des médicaments par voie électronique, JO, 23 juin 2013, p. 10446.
  • 17.
    CE, 16 mars 2015, nos 370072, 37021 et 370820, société Gatpharm, Selarl Tant D’M, req.
  • 18.
    Aut. conc., avis n° 16-A-09, 26 avr. 2016, relatif à deux projets d’arrêtés concernant le commerce électronique de médicaments.
  • 19.
    Arrêté du 28 novembre 2016 relatif aux bonnes pratiques de dispensation des médicaments dans les pharmacies d’officine, les pharmacies mutualistes et les pharmacies de secours minières, mentionnées à l’article L. 5121-5 du Code de la santé publique ; arrêté du 28 novembre 2016 relatif aux règles techniques applicables aux sites internet de commerce électronique de médicaments prévues à l’article L. 5125-39 du Code de la santé publique ; JO n° 0279, 1 déc. 2016.
  • 20.
    Le A du I modifie l’article L. 1142-22 du Code de la santé publique pour compléter les missions de l’ONIAM, auquel sera adossé ce nouveau dispositif. Le B du I modifie l’article L. 1142-23 pour inclure, dans les dépenses de l’office, les indemnités versées à ces victimes et les frais d’expertise y afférents et, dans ses recettes, les remboursements des indemnités et des frais d’expertise, les majorations dont les indemnités peuvent être assorties ainsi que la dotation versée par l’État. Le C du I crée une section 4 ter, au chapitre 2 du titre IV du livre premier de la première partie du Code de la santé publique, intitulée « Indemnisation des victimes du valproate de sodium ou de ses dérivés ». Il institue un collège d’experts, qui se prononce sur l’imputabilité des dommages à la prescription de valproate de sodium ou de l’un de ses dérivés pendant une grossesse dans un délai de 4 mois à compter de la réception du dossier complet. Si le comité d’expert statue sur l’imputabilité, il transmet le dossier au comité d’indemnisation, qui se prononce, sur les circonstances, les causes, la nature et l’étendue de ces dommages ainsi que sur la responsabilité des professionnels ou établissements de santé, de l’exploitant ou de l’État au titre de ses pouvoirs de sécurité sanitaire, dans un délai de 3 mois à compter de sa saisine par le comité d’experts.
  • 21.
    Pontier J.-M., « Dépakine, un nouveau fonds », AJDA 2016, p. 2065.
  • 22.
    Chauveau S., « Genèse de la sécurité sanitaire : les produits pharmaceutiques en France aux XIXe et XXe siècles », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 2/2004 (n° 51-2), p. 81.
  • 23.
    Sur ces développements, voir Lunel A., « Commentaire de l’arrêté du 19 août 2015 relatif à la prise en charge d’une spécialité pharmaceutique bénéficiant d’une recommandation temporaire d’utilisation et pris en application de l’article L. 162-17-2-1 du Code de la sécurité sociale », in « Droit des produits de santé : bilan 2015 », LPA 8 août 2016, n° 117y9, p. 3.
  • 24.
    Le visa ne doit pas être une caution exonérant le pharmacien de ses responsabilités tandis que la pratique du façonnage est condamnée car si le demandeur du visa décrit le procédé de fabrication, rien ne prouve que le fabricant, ou le façonnier, respecte les protocoles. Chauveau S., « Le statut légal du médicament en France », in Bonah C. et Rasmussen A., Histoire et médicaments aux XIXe et XXe siècles, 2005, Paris, Glyphe, p. 9 et p. 104.
  • 25.
    L’AMM est délivrée à condition que le fabricant justifie : « qu’il a fait procéder à la vérification de l’innocuité du produit dans des conditions normales d’emploi et de son intérêt thérapeutique, ainsi qu’à son analyse qualitative et quantitative ; qu’il dispose également d’une méthode de fabrication et de procédés de contrôle de nature à garantir la qualité du produit au stade de la fabrication en série sous réserve des vérifications d’experts agréés ou désignés par le ministère ». L’AMM, délivrée pour une durée de 5 ans et renouvelable par période quinquennale, n’exonère pas « le fabricant, ou s’il est distinct, le titulaire de l’autorisation de mise sur le marché de la responsabilité que l’un ou l’autre peut encourir dans les conditions du droit commun en raison de la fabrication ou de la mise sur le marché d’une spécialité ». Ibid., p. 105-106.
  • 26.
    Chauveau S., « Genèse de la sécurité sanitaire : les produits pharmaceutiques en France aux XIXe et XXe siècles », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 2/2004 (n° 51-2), p. 74.
  • 27.
    V. à ce sujet, la très belle étude de Flora L., Le patient formateur, nouveau métier de la santé ? Comment les savoirs expérientiels de l’ensemble des acteurs de santé peuvent relever les défis de notre système de santé, 2015, Saarbrücken, Presses académiques francophones.
  • 28.
    Saout C., Essais cliniques, quels risques ?, 2007, Paris, PUF, p. 125-141. En 1988, la loi Huriet-Sérusclat précise les conditions dans lesquelles les recherches biomédicales impliquant des essais sur l’Homme doivent être conduites afin de protéger les personnes qui prêtent leur concours aux expérimentations. Tout d’abord, le consentement libre, éclairé et exprès doit être systématiquement recherché. En second lieu, les recherches doivent être basées sur l’état le plus récent des connaissances et sur des travaux précliniques suffisants. Le risque encouru doit enfin être évalué en fonction du bénéfice escompté. Les essais sont soumis à l’accord d’un Comité consultatif de protection des personnes dans la recherche biomédicale (CCPPRB). Chauveau S., op. cit., p. 74. V. aussi, Mascret C., « De la loi Huriet-Sérusclat à la loi Jardé : 25 ans de réglementation sur la recherche biomédicale », RDSS 2013, p. 431-433.
  • 29.
    Ainsi que le fait remarquer très justement Sophie Chauveau, ces affaires sont néanmoins différentes les unes des autres : « Dans le cas du Distilbène, comme dans celui du retrait du marché de médicaments qui se révèlent avoir des effets secondaires dangereux pour la santé, il s’agit de procédures de pharmacovigilance. Les accidents provoqués par l’hormone de croissance ou le vaccin contre l’hépatite B posent le problème de l’évaluation de ces produits avant leur commercialisation puisque certaines réserves avaient été émises alors. La maladie de Creutzfeld-Jakob, ou tout récemment l’épidémie de pneumopathie (SRAS), relèvent des procédures de veille sanitaire et de gestion des épidémies. Enfin, l’affaire du sang contaminé pose plusieurs problèmes : celui de la diffusion des résultats de la recherche, celui des choix technologiques et finalement celui de l’arbitrage des intérêts économiques, qui est une question politique ». Chauveau S., op. cit., p. 82.
  • 30.
    Tabuteau D., Les contes de Ségur, les coulisses de la politique de santé (1988-2006), 2006, Ophrys, p. 17.
  • 31.
    Tabuteau D. apporte cette précision intéressante : « À partir des années 1990, les autorités de police sanitaire interviennent de plus en plus fréquemment pour interdire ou restreindre les conditions d’utilisation des produits de santé : le nombre de retraits ou de suspensions d’autorisation de mise sur le marché de médicaments passe ainsi de 2 ou 3 par an en 1992-1993 à 25 en 1995, 5 en 1996 et 11 en 1997, le nombre de rappels de lots de médicaments d’une vingtaine par an en 1992-1993 à plus d’une cinquantaine en 1996 ou 1997 ». Tabuteau D., « Sécurité sanitaire et droit de la santé », RDSS 2007, p. 824.
  • 32.
    Tabuteau D., La Sécurité sanitaire, 2002, Paris, Berger-Levrault, p. 11.
  • 33.
    V. not. à ce sujet, Viriot-Barrial D., « La Cour de justice de la République et la santé », Les Tribunes de la santé, 1/2007 (n° 14), p. 55-71.
  • 34.
    Chauveau S., op. cit., p. 86.
  • 35.
    Tabuteau D., « Place des agences dans le développement de la politique sanitaire », Bull. Acad. nat. méd., 181, n° 5, 1997, p. 819-834.
  • 36.
    L’article L. 5311-1 du Code de la santé publique établit une liste non limitative de produits entrant dans son champ de compétence.
  • 37.
    Laude A., Mathieu B. et Tabuteau D., Droit de la santé, 2012, Paris, PUF, p. 195-199.
  • 38.
    Décision DG n° 2012-237 du 24 sept. 2012, portant organisation de l’ANSM. Parallèlement, la Haute autorité de santé (HAS), créée en 2004, exerce une mission transversale de sécurité sanitaire. Elle est chargée d’élaborer des guides de bon usage des soins ou des recommandations de bonne pratique, de piloter l’évaluation des pratiques professionnelles, mais aussi l’accréditation des professionnels de santé et la certification des établissements de santé.
  • 39.
    Vidal A., « La loi n° 2011-2012 du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé. La consécration d’une nouvelle approche de la surveillance des médicaments », RDSS 2013, p. 491-500.
  • 40.
    Morelle A., Tabuteau D., La santé publique, 2015, Paris, PUF, p. 62.
  • 41.
    Le champ d’application de la convention s’étend, au-delà des seuls médicaments (à usage humain ou vétérinaire), aux excipients et principes actifs, mais aussi aux dispositifs médicaux ainsi qu’aux éléments et matériaux dont ils sont composés. La convention ne couvre cependant pas les produits cosmétiques, les biocides ou les compléments alimentaires.
  • 42.
    Conférence parlementaire sur la convention Médicrime du 24 nov. 2015, organisée à Paris par le Conseil de l’Europe.
  • 43.
    Le rapport fait au nom de la commission des affaires étrangères sur le projet de loi adopté par le Sénat souligne ainsi que le profit tiré du trafic d’héroïne est égal à 20 000 € pour 1 000 € « investis » alors que ce rapport est de 300 000 pour 1 000 pour le trafic de médicaments. V. Rapport de Jean-Paul Bacquet devant l’Assemblée nationale le 18 mai 2016.
  • 44.
    Si le texte s’adresse par définition prioritairement aux États membres du Conseil de l’Europe, il est prévu la possibilité d’une signature par des États tiers. C’est ainsi que la convention a d’ores et déjà été ratifiée par la Guinée.
  • 45.
    Rapport de Claude Malhuret devant le Sénat le 9 décembre 2015 et le débat qui s’en est suivi : « la France fait le maximum et applique une bonne réglementation mais le problème est international et cette convention devrait permettre d’améliorer les choses ».
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