Le cancer de la prostate dû aux pesticides et aux chlordécones reconnu comme maladie professionnelle : peut mieux faire

Publié le 23/06/2022

Pesticide

Le cancer de la prostate provoqué par les pesticides dont le chlordécone est maintenant reconnu comme maladie professionnelle, prévue par les tableaux correspondants, mais dans des conditions si restrictives qu’il pourrait n’y avoir que bien peu de bénéficiaires, obligeant la plupart des victimes à passer par la procédure appelée « complémentaire » qui est judiciaire. Ainsi, malgré l’existence d’un fonds d’indemnisation des victimes de pesticides, cela pourrait bien de fait supprimer les indemnisations voire beaucoup les retarder en raison de la nécessité de mener une procédure judiciaire devant des tribunaux au bord de l’asphyxie.

D. n° 2021-1724, 20 déc. 2021, révisant et complétant les tableaux de maladies professionnelles annexés au livre VII du Code rural et de la pêche maritime, NOR : AGRS2135389D : JO n° 0297, 22 déc. 2021

Désormais, la maladie du cancer de la prostate lié aux pesticides, dont le chlordécone, pourra être reconnue comme maladie professionnelle puisqu’inscrite sur un des tableaux des maladies professionnelles1 qui détermine les conditions de sa prise en charge, ainsi que la liste des travaux susceptibles de provoquer cette pathologie en milieu agricole. Un tableau précise les conditions à remplir :

Cancer de la prostate provoqué par les pesticides

DR

Or à la lecture de ce tableau, comme pour la Covid-19, on navigue entre espoirs et désillusions2, car si sa présentation laisse penser que le cancer de la prostate provoqué par des pesticides entre dans le tableau des maladies professionnelles3, on voit que cela n’est prévu que dans des conditions si restrictives que bien peu des personnes concernées pourraient bénéficier de cette reconnaissance de maladie professionnelle par application du tableau. Elles devront donc utiliser la procédure des maladies professionnelles dite « complémentaire » ou « hors tableaux », prévue lorsqu’une affection ne remplit pas toutes les conditions4, voire n’apparaît dans aucun tableau, cette procédure étant de nature à surcharger encore un peu plus des tribunaux à l’agonie5. Ceci amène à se pencher sur le principe de la reconnaissance, dans les tableaux des maladies professionnelles, du cancer de la prostate provoqué par les pesticides en général (I), mais aussi au chlordécone, et sur les difficultés qui pourraient bien amener les victimes, pour être indemnisées, à être obligées de se tourner vers la procédure hors tableaux (II).

I – Cancers de la prostate dus aux pesticides et tableaux des maladies professionnelles

Dès lors qu’une maladie professionnelle figure dans l’un ou plusieurs des tableaux prévus, sa reconnaissance devient relativement plus facile pour la victime, ce qui est de nature à susciter quelques espoirs chez les victimes du cancer de la prostate dû aux pesticides, maintenant reconnu comme maladie professionnelle (A) et qui peut aussi s’appliquer au chlordécone (B). Mais bon nombre des personnes concernées pourraient en être écartées en raison de la vision très restrictive du tableau correspondant6.

Les tableaux de maladies professionnelles sont de nature à faciliter la reconnaissance du caractère professionnel des maladies envisagées. Ces tableaux comportent trois colonnes :

  • colonne 1 : désignation de la maladie. Elle peut comprendre des précisions sur l’agent nocif et des éléments relatifs au diagnostic ;

  • colonne 2 : délai de prise en charge. On y porte aussi, si nécessaire, la durée d’exposition, le délai de prise en charge, le maximum de durée entre la fin de l’exposition au risque et la première constatation médicale, qui correspond à une durée de latence (la durée d’exposition au risque : minimum de temps entre le début et la fin de l’exposition au risque, qui correspond à l’effet dose de l’élément) ;

  • colonne 3 : liste indicative ou limitative de travaux susceptibles de provoquer la maladie. Il est institué plusieurs types de tableaux se présentant de la manière suivante :

    • manifestations morbides d’intoxications assorties d’une liste indicative de travaux,

    • infections microbiennes assorties d’une liste limitative de travaux,

    • affections résultant d’ambiances ou d’attitudes particulières assorties d’une liste limitative de travaux.

L’actualisation des tableaux se fait en fonction du dernier état des connaissances scientifiques, la commission spécialisée du conseil supérieur de la prévention des risques professionnels (CSPRP) y œuvre dans le cadre d’un programme de travail annuel ou bisannuel.

Lorsque les conditions du tableau sont réunies, la victime bénéficie de la présomption d’origine professionnelle de sa maladie7. Plus de 60 maladies professionnelles agricoles sont reconnues8.

Un nouveau tableau9 complète ceux déjà existants. Il est relatif au cancer de la prostate provoqué par les pesticides et explicite, relativement, la désignation de la maladie, le délai et les conditions de prise en charge, donne une liste indicative des principaux travaux susceptibles de provoquer ces maladies10, mais dans des conditions qui s’avèrent très restrictives et qui sont de nature à faire difficulté. La lecture de ce texte prévoit la désignation de la maladie du cancer de la prostate, ce qui exclut bien d’autres maladies provoquées par les pesticides. Le délai de prise en charge est long : 40 ans (sous réserve d’une durée d’exposition de 10 ans). Dans bien des cas, cette durée d’exposition pourrait s’avérer très difficile à établir. Voici une liste indicative des principaux travaux susceptibles de provoquer ces maladies :

  • lors de la manipulation ou l’emploi de pesticides, par contact ou par inhalation ;

  • par contact avec les cultures, les surfaces, les animaux traités ou lors de l’entretien des machines destinées à l’application des pesticides, ce qui malgré les apparences du texte est loin de recouvrir toutes les situations de nature à causer la maladie professionnelle envisagée.

Le terme « pesticides » se rapporte aux produits à usage agricole et aux produits destinés à l’entretien des espaces verts (produits phytosanitaires ou produits phytopharmaceutiques) ainsi qu’aux biocides et aux antiparasitaires vétérinaires, qu’ils soient autorisés ou non au moment de la demande. Avant ce texte, des maladies considérées comme professionnelles causées par des pesticides avaient été intégrées dans les tableaux les reconnaissant et en précisant les conditions. Ce dernier tableau vient donc en complément de ce qui existait déjà mais qui ne prenait en compte que certaines maladies. Il est à penser que d’autres compléments et tableaux seront bientôt nécessaires.

Pour que la maladie puisse être qualifiée de professionnelle, elle doit répondre à certains critères. Sont concernés les salariés affiliés au régime général d’assurance maladie ou à la MSA (mutualité sociale agricole) pour l’agriculture, pris en charge par le régime général en outre-mer, qui sont couverts par l’assurance maladies professionnelles dès leur embauche. D’autres catégories de personnes peuvent en bénéficier : il s’agit des stagiaires, des stagiaires de la formation professionnelle continue, des personnes participant à un stage de réadaptation fonctionnelle ou de rééducation professionnelle.

Une maladie professionnelle est une maladie causée par le travail de la victime. Des tableaux spécifiques des maladies professionnelles définissent celles qui sont indemnisables et précisent, pour chaque type d’affection, les conditions à remplir. Trois conditions prévues doivent être réunies ; dans ce cas, la maladie est reconnue comme professionnelle et prise en charge à ce titre.

Le salarié devra faire une demande de reconnaissance de sa maladie professionnelle auprès de sa caisse primaire d’assurance maladie (CPAM). À la fin de l’instruction, la CPAM l’informe de sa décision.

La CPAM procède à un examen, sous forme de questionnaire, des circonstances ou de la cause de la maladie, ou à une enquête (obligatoire en cas de décès du salarié) dans les cas suivants : en présence de réserves motivées de l’employeur sur le caractère professionnel de la maladie ou si la CPAM elle-même l’estime nécessaire.

Souvent, les tableaux de maladies professionnelles contiennent une liste limitative des activités professionnelles susceptibles d’être à l’origine de la maladie désignée. En témoigne notamment la colonne de droite qui est intitulée « liste limitative des travaux susceptibles de provoquer cette maladie ». Dans certains cas on a une « liste indicative des principaux travaux susceptibles de provoquer ces maladies ». Ce caractère indicatif de la liste a pour conséquence de devoir distinguer selon que l’activité exercée par le salarié correspond à l’une des activités visées ou non. Lorsque tel est le cas, le salarié peut se contenter de démontrer que son exposition au risque, induite par les travaux mentionnés notamment dans sa fiche d’emploi ou dans des notes de service, a revêtu un caractère habituel, la victime de la maladie pouvant se prévaloir de témoignages de collègues de travail. La force probante de ce mode de preuve ne peut pas être remise en cause. Lorsque le salarié n’a effectué aucun des travaux visés dans le tableau, la présomption ne s’applique plus.

Délai de prise en charge précisé dans les tableaux. La vérification de cette condition tient compte de la date à laquelle la maladie a été constatée pour la première fois par le certificat médical initial.

L’employeur a la possibilité de renverser cette présomption en apportant la preuve que la maladie a une cause totalement étrangère au travail. En cas de maladie inscrite dans un tableau, cette preuve lui sera quasiment impossible à apporter.

La colonne du milieu des tableaux de maladies professionnelles contient toujours une durée de prise en charge définie comme la période au cours de laquelle, après cessation de l’exposition au risque, la maladie doit se révéler et être médicalement constatée pour être indemnisée au titre des maladies professionnelles. La vérification de cette condition tient compte de la date à laquelle la maladie a été constatée pour la première fois au sein du certificat médical initial. Pour certaines maladies comme celles provoquées par l’amiante ou le cancer de la prostate dû aux pesticides, le temps entre l’exposition et l’apparition de la maladie peut être très long, plusieurs dizaines d’années, ce qui est de nature à soulever bien des difficultés.

A – Pesticides

Notamment dans le cadre de leurs usages en agriculture les pesticides ont été admis comme générateurs de nombreuses maladies professionnelles. C’est le cas de la maladie de Parkinson, provoquée par les pesticides11, et de bien d’autres12, reconnues comme maladies professionnelles avant le décret sur les cancers de la prostate liés aux pesticides13, maintenant reconnus comme maladie professionnelle dans un tableau spécifique14.

Le nouveau tableau s’applique au cancer de la prostate en raison de travaux exposant habituellement aux pesticides :

  • lors de la manipulation ou l’emploi de ces produits, par contact ou par inhalation ;

  • par contact avec les cultures, les surfaces, les animaux traités ou lors de l’entretien des machines destinées à l’application des pesticides.

Le décret précise que le terme « pesticides » se rapporte aux produits à usage agricole et aux produits destinés à l’entretien des espaces verts (produits phytosanitaires ou produits phytopharmaceutiques) ainsi qu’aux biocides et aux antiparasitaires vétérinaires, qu’ils soient autorisés ou non au moment de la demande.

Les pesticides sont des substances utilisées pour prévenir, contrôler ou éliminer des organismes jugés nuisibles. Pour la population générale, les sources d’exposition aux pesticides se retrouvent dans l’alimentation, l’eau de consommation, l’air intérieur et extérieur, les sols et les poussières à l’intérieur de la maison. Des études suggèrent une augmentation du risque de cancers.

En milieu professionnel, des études ont montré une augmentation du risque de cancers, dont le cancer de la prostate, cancer de l’ovaire, cancer du poumon et mélanomes, pour des niveaux d’exposition professionnelle élevés et pendant de longues périodes.

Ceci amène à chercher à définir ce qu’est un pesticide (1) et à se pencher sur les dangers et conséquences de ses utilisations (2), y compris en termes de maladies professionnelles.

1 – Les pesticides : définitions, dangers, réglementation

Différentes classifications peuvent être proposées selon la cible : herbicides, insecticides et fongicides ; ou encore selon leur appartenance à des familles chimiques : dithiocarbamates, organophosphorés… Les préparations commerciales (liquides ou solides) combinent des substances actives (ou principe actif) avec des formulants qui facilitent leur utilisation ou augmentent leur efficacité.

2 – Risques

Les risques que font courir les pesticides ont amené la mise en place d’une règlementation (b) de nature à prendre en compte leur danger (a).

a – Dangers

Il reste aujourd’hui de nombreuses substances actives phytosanitaires, dont certaines appartiennent également aux produits phytosanitaires et quelques dizaines d’antiparasitaires. La nature des produits détectés, les fréquences de détection et les niveaux mesurés peuvent varier d’un milieu à l’autre.

Les sources d’exposition aux pesticides de la population générale se retrouvent dans :

  • l’alimentation (fruits et légumes, viandes et poissons, œufs, produits laitiers, miel…) ;

  • l’eau de consommation ;

  • l’air intérieur et extérieur ;

  • les sols ;

  • les poussières à l’intérieur de la maison ;

  • l’utilisation domestique des pesticides, notamment dans les jardins ou sur les animaux domestiques.

L’exposition de la population générale aux pesticides se caractérise :

  • par des expositions qui peuvent être répétées dans le temps, et parfois élevées (par exemple lors d’une utilisation domestique) ;

  • par la multiplicité des voies d’exposition : ingestion, inhalation et contact cutané.

La part contributive des différentes sources dans l’exposition globale reste à déterminer.

L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation (ANSES) et l’observatoire des résidus de pesticides (ORP) ont fait un travail qui a permis de caractériser les niveaux d’exposition de la population générale aux résidus de pesticides et d’identifier les manques et les obstacles à une connaissance plus fine de ces expositions15 débouchant sur une réglementation au niveau communautaire (seules les substances actives phytopharmaceutiques restent autorisées, les autres ne le sont plus)16. En milieu professionnel, les études suggèrent une augmentation du risque en zone d’épandage de pesticides.

Les populations agricoles et, plus largement, rurales sont potentiellement exposées aux pesticides du fait de la proximité de leur lieu de résidence vis-à-vis des lieux d’application de pesticides. Plusieurs études montrent que les expositions aux pesticides des populations étaient largement corrélées à leur lieu de résidence, et plus précisément à la distance qui sépare leur lieu de résidence des surfaces agricoles consommatrices de pesticides17. Une étude dans le sud-ouest de la France s’est intéressée aux liens entre pesticides et tumeur du cerveau18. Une autre étude a rapporté une association entre le risque de cancer du sein et le lieu de résidence situé dans un rayon de 1 mile (environ 1 600 mètres) vis-à-vis des sites de dépôts des pesticides organochlorés19. Une autre a montré l’impact des perturbateurs endocriniens sur la fertilité20.

Chez les enfants, certaines études ont montré une augmentation du risque de leucémies et, à un moindre degré, des risques de tumeurs cérébrales en lien avec l’utilisation de pesticides par les parents, en particulier pendant la grossesse ou la petite enfance21.

Exposition professionnelle aux pesticides et risques de cancer. La population agricole française, qui travaille sur quelque 600 000 exploitations agricoles, connaît des risques professionnels particuliers : exposition à des risques chimiques (pesticides, engrais, désinfectants…), physiques (ultraviolets, accidents mécaniques…) et biologiques (virus animaux, moisissures…) qui peuvent être reliés à des effets sur la santé. S’y ajoutent les professionnels saisonniers de l’agriculture, les ouvriers de l’industrie des pesticides et les employés de chemin de fer, des voiries et d’espaces verts au contact d’herbicides. L’exposition de ces travailleurs est très variable, elle diffère selon les secteurs professionnels, la nature des produits, les quantités utilisées et leur mode d’application.

Chez les agriculteurs exposés aux pesticides dans le cadre de leur activité professionnelle, les données sur le cancer ont montré des niveaux d’exposition professionnelle élevés et pendant de longues périodes. Des agents peuvent être utilisés dans le cadre professionnel et ainsi engendrer des maladies professionnelles présentées sous forme de tableaux de prise en compte à ce titre par le régime agricole et le régime général22.

Le CIRC, Centre international de recherche sur le cancer, a évalué et classé une soixantaine de pesticides. L’arsenic est classé cancérogène certain (groupe 1), le captafol et le dibromure d’éthylène ont été classés comme cancérogènes probables (groupe 2A). Dix-neuf molécules sont classées comme cancérogènes possibles (2B) par le CIRC : l’aramite, le chlordane, le chlordécone, le DDT (dichloro-diphényl-trichloroéthane) ou encore les phytohormones, l’hexachlorocyclohexane (lindane), le chlorothalonil, le 1.2-dibromo-3-chloropropane, le para-dichlorobenzène, le dichlorvos, l’heptachlor, l’hexachlorobenzène, les composés de méthylmercure, le mirex, le naphtalène, le nitrofène, l’oxyde de propylène, l’ortho-phénylphénate de sodium, toxaphène (polychlorés camphènes). En l’état actuel des connaissances, d’autres substances sont inclassables quant à leur cancérogénicité. Ceci a amené à une réglementation et à une reconnaissance au titre des maladies professionnelles seulement pour le cancer de la prostate causé par les pesticides qui semblent pourtant à l’origine de bien d’autres formes de cancers et de maladies.

b – Réglementation

La réglementation sur les produits phytopharmaceutiques est régie au niveau de la communauté européenne : les substances actives doivent être autorisées (inscription sur une liste positive) ; au niveau national, le produit doit être autorisé par l’État français (ministère chargé de l’Agriculture, après avis de l’ANSES).

Toutes les questions liées aux limites légales de résidus de pesticides dans l’alimentation humaine et animale sont régies par un règlement qui contient également des dispositions sur les contrôles officiels des résidus de pesticides dans les denrées alimentaires d’origine végétale ou animale susceptibles de découler de leur utilisation sur les végétaux.

Un catalogue des produits phytopharmaceutiques et de leurs usages, des matières fertilisantes et des supports de cultures autorisés en France est supporté/établi par l’ANSES23. Il exige :

  • le respect d’un délai de 6 à 48 heures entre le traitement par pulvérisation ou poudrage sur végétation en place et l’accès à la zone traitée ;

  • le respect d’une zone non traitée de 5 mètres en bordure des points d’eau ;

  • le respect des bonnes pratiques énoncées pour la préparation du mélange, pendant et après le traitement.

Les utilisateurs professionnels de produits phytosanitaires, doivent tenir un registre des applications de ces produits phytosanitaires. Ce registre doit être conservé pendant trois ans.

Une loi vise à restreindre l’utilisation de produits phytopharmaceutiques dans le domaine non agricole24. Elle prévoit :

  • l’interdiction pour les personnes publiques, à compter du 1er janvier 2020, d’utiliser des produits phytopharmaceutiques pour l’entretien des espaces verts, forêts et promenades ouverts au public ;

  • L’interdiction, à compter du 1er janvier 2022, de la vente, de l’utilisation et de la détention des produits phytopharmaceutiques pour un usage non professionnel.

L’ensemble de ces dispositions ne s’applique ni aux produits figurant sur une liste établie par l’autorité administrative, ni aux produits qualifiés à faible risque25, ni aux produits dont l’usage est autorisé dans le cadre de l’agriculture biologique.

La loi sur la transition énergétique pour la croissance verte26 interdit depuis le 1er janvier 2017 l’utilisation de pesticides chimiques par l’État, les collectivités territoriales et les établissements publics sur les jardins, espaces végétalisés et infrastructures accessibles au public.

L’étude AGRICAN, sur la période 2005-2009, a montré l’incidence cancéreuse chez les femmes, notamment un nombre de cancers de la peau plus élevé. Par ailleurs, d’autres études avaient retrouvé en excès certains cancers : le cancer de la prostate – le seul pris en compte par le nouveau tableau –, le cancer de l’estomac et les cancers du système nerveux central.

De nombreux travailleurs agricoles, horticoles et d’entretien des espaces verts, des voiries et des bâtiments utilisent des pesticides de façon intensive et prolongée. Il y a pour eux le danger d’une intoxication aiguë, lors d’une exposition accidentelle, qui se manifeste par des troubles cutanés, digestifs, respiratoires, musculaires, nerveux ou encore cardiovasculaires. Mais plus néfastes sont les risques d’intoxication chronique, résultant d’une exposition fréquente et prolongée à des doses faibles…

Les pesticides peuvent provoquer des troubles du système nerveux, des effets cancérigènes et mutagènes, et des perturbations endocriniennes : les risques induits par l’exposition directe et/ou indirecte aux pesticides ont des effets marquants sur la fréquence de certains cancers, les maladies neuro-dégénératives et le développement fœtal.

L’utilisation des pesticides, produits phytosanitaires pour la protection des récoltes ou produits contre les parasites, fréquente et massive, par épandage ou pulvérisation, présentent ainsi des risques importants pour la santé des travailleurs exposés et pour l’environnement.

Comme pour toute activité susceptible de présenter un risque d’exposition à des agents chimiques dangereux, l’employeur doit procéder à une évaluation des risques encourus pour la sécurité et la santé des travailleurs, limiter l’usage des pesticides au strict nécessaire, adopter de bonnes pratiques d’hygiène au travail, former ses salariés et mettre à leur disposition les équipements de protection individuelle adéquats (combinaison, gants, bottes, masque) pour éviter tout contact et inhalation de pesticides. Cela a amené à une classification des pesticides en plusieurs grandes familles d’utilisation, de leur composition et des dangers qu’ils présentent pour la population générale et des maladies professionnelles qu’ils peuvent causer.

Les professions exposées sont très nombreuses. On estime qu’environ 800 000 professionnels sont concernés par les dangers des pesticides.

Le risque de contamination directe correspond au risque du travailleur qui est exposé directement aux produits lors du traitement par épandage ou de la pulvérisation du pesticide, mais aussi lors de la préparation du produit, du nettoyage et de la vidange de la cuve, de tout dysfonctionnement du pulvérisateur (buses bouchées, rupture de tuyaux…).

Le risque de contamination indirecte correspond aussi à tout contact avec un élément pollué, tel que le matériel et l’emballage du produit pesticide, le végétal, le sol, les équipements, outils et engins de travail, les vêtements.

Si les produits phytosanitaires soignent les végétaux, les risques de ces substances chimiques pour la santé humaine sont importants et cela a été longtemps méconnu.

Les pesticides ont à la fois des effets pathologiques locaux et systémiques. Un effet local survient et se limite au point de contact, alors qu’un effet systémique se propage dans le corps. Dans ce cas, beaucoup de pesticides se diffusent dans le corps entier.

La toxicité systémique peut être immédiate (quelques heures) à la suite d’une exposition unique à un toxique majeur ou différée à moyen terme (quelques semaines) ou long terme (quelques années) pour des expositions modérées mais fréquentes (c’est notamment le cas pour les cancers professionnels).

Les effets aigus s’observent lors de fuites, éclaboussures à la suite de rejets accidentels massifs de pesticides sous forme de gaz ou de liquides toxiques.

Si, pour la toxicité aiguë, le rapport de causalité est clairement identifié, la toxicité chronique est beaucoup plus malaisée à cerner avec précision.

Les pesticides pénètrent dans le corps humain par trois voies : orale, respiratoire, cutanée. Certains produits sont susceptibles de traverser la peau, puis de passer dans le sang pour se fixer sur certains organes (foie, rate…) ou tissus (nerveux, graisseux) et aboutir, par conséquent, à des intoxications parfois très graves. Quelle que soit la voie de pénétration, le toxique se retrouve dans le sang.

Les intoxications qui en résultent entraînent des troubles importants :

  • troubles nerveux : vertiges, tremblements, convulsions, manque de coordination ;

  • troubles digestifs : salivations importantes, nausées, vomissements, diarrhées ;

  • troubles cardio-vasculaires : tachycardie ;

  • troubles musculaires : contractions, crampes, paralysies.

Les intoxications chroniques sont dues à l’absorption progressive et répétée de petites quantités de produits qui vont s’accumuler dans l’organisme jusqu’à provoquer des atteintes graves.

Le passage dans la circulation sanguine, quel que soit le mode de pénétration initiale est responsable :

  • d’intoxications aiguës ou chroniques (troubles neurologiques, circulatoires, respiratoires, sanguins, digestifs…) ;

  • d’altération d’une ou de plusieurs fonctions vitales : rénale, hépatique, cutanéo-muqueuse, digestive, respiratoire, neurologique ;

  • de cancers : cutané, hépatique, bronchique. La fréquence de certains cancers, les lymphomes, les myélomes multiples, les cancers du cerveau et celui de la prostate sont plus fréquents chez les agriculteurs ;

  • de perturbation endocrinienne dans certains cas, certains pesticides se comportant comme des leurres hormonaux ;

  • de fœtotoxicité : des pesticides franchissent la barrière placentaire et ont une action tératogène sur l’embryon, ce qui représente un risque pour les agricultrices en âge de procréer ;

  • de reprotoxicité : infertilité, délétion de la spermatogenèse.

Comme pour toute activité susceptible de présenter un risque d’exposition à des agents chimiques dangereux, l’employeur doit procéder à une évaluation des risques encourus pour la sécurité et la santé des travailleurs qui doit être renouvelée périodiquement, notamment à l’occasion de toute modification importante ou avant une activité nouvelle. L’évaluation des risques inclut toutes les activités de l’entreprise, y compris l’entretien et la maintenance.

Les résultats de l’évaluation des risques sont consignés dans le document unique de sécurité (DUS).

L’étiquetage du produit et la fiche de données de sécurité sont obligatoires et permettent de repérer les principaux risques. En fonction des risques mentionnés sur l’étiquette, le port de certains types de protection peut s’avérer obligatoire. En supplément de l’étiquetage, tout employeur doit obtenir de son fournisseur une fiche de données de sécurité (FDS) complète pour mieux mesurer les risques.

Il convient de limiter l’usage des phytosanitaires au strict nécessaire, de procéder à la suppression ou la substitution des produits ou procédés dangereux par d’autres qui le sont moins.

Les mesures techniques de prévention collective sont indispensables. Il s’agit :

  • de l’aménagement du local technique et de l’aire de préparation et de nettoyage des équipements de travail : ventilation efficace, séparation des produits ;

  • du bon réglage et entretien (buses bouchées…) des pulvérisateurs ;

  • de l’utilisation d’un bac étanche de récupération pour éviter les débordements lors de la préparation de la bouillie ;

  • de toujours bien refermer les bidons et autres conteneurs de produits ;

  • de stocker des pesticides présentant des risques de chute ou de renversement d’emballage avec fuites ou déversement des produits.

Toutes ces caractéristiques rendent nécessaire, outre les précautions lors de leur emploi, l’utilisation de contenants, d’armoires ou l’aménagement de locaux spécifiques de stockage, armoires avec étagères de rétention, matériels de stockage avec bacs de rétention pour prévenir et maîtriser les fuites accidentelles de liquides. Il faut également respecter un protocole :

  • à la fin de la pulvérisation, rincer les buses au-dessus du champ pour éviter de ramener des restes de produit dans les locaux de l’exploitation ;

  • tout retour d’eau de lavage polluée dans le réseau doit être impossible ;

  • une bonne gestion des épandages permet de réduire les fonds de cuves ;

  • le respect des délais d’attente recommandés avant de pénétrer dans une enceinte où des pesticides ont été appliqués est impératif, ainsi que l’observation rigoureuse du mode d’emploi de ces produits. Des panneaux de sécurité doivent être mis à l’entrée de la parcelle traitée.

Une hygiène rigoureuse est indispensable : se laver les mains après chaque intervention, prendre une douche immédiatement après le traitement, remplacer tout vêtement souillé par des projections.

L’équipement du travailleur qui doit appliquer un pesticide sert à le protéger d’un contact avec le produit. Même si le port de certains équipements peut être gênant, notamment par temps chaud, il est absolument indispensable de les utiliser.

L’objectif est d’éviter au maximum toute exposition cutanée, respiratoire ou digestive. Les équipements de protection individuelle ne doivent pas sortir de l’entreprise. Il est important de rappeler que les vêtements de protection (bottes, combinaison, masque, gants) doivent être rangés en dehors du local de stockage des produits phytosanitaires afin d’éviter leur saturation par les éventuelles vapeurs toxiques pouvant être dégagées par les produits.

Les vêtements de travail et équipements de protection individuelle fournis et entretenus par l’employeur comportent : les combinaisons de protection, les masques avec filtre à gaz ou lunettes selon les cas, les gants, les bottes de sécurité ou de protection. L’employeur doit s’assurer que ces équipements de protection individuelle sont effectivement portés. Elles sont perméables à l’air et réutilisables quelques fois si non déchirées. Le certificat individuel Certiphyto est obligatoire pour répandre des produits pesticides. Valable 10 ans, il s’obtient au terme de 12 heures de formation réparties sur deux jours. Cela peut aussi concerner ce pesticide particulier qu’est le chlordécone.

B – Chlordécone

Ce pesticide27 a été notamment utilisé dans les champs de bananes aux Antilles jusqu’en 1993, soit trois ans après son interdiction en métropole. Selon Santé publique France, plus de 90 % de la population adulte est contaminée en Guadeloupe, soit 384 239 personnes au 1er janvier 2021, et en Martinique, soit 354 800 habitants au 1er janvier 2021, ce qui explique l’existence de plans Chlordécone28 successifs. Celui de 2014-2020 est le troisième29.

Le chlordécone est un insecticide qui a longtemps été utilisé aux Antilles pour lutter contre le charançon du bananier. Interdite depuis 1993, cette substance organique très stable persiste encore dans les sols et contamine certaines denrées végétales ou animales ainsi que les eaux de certains captages. En 2010, des chercheurs de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) ont montré une possible association entre une exposition au chlordécone et la survenue d’un cancer de la prostate en Guadeloupe.

Ce nouveau plan s’organise autour de quatre objectifs :

  • approfondir l’état des connaissances de l’environnement, rechercher et expérimenter des techniques pour remédier à la pollution ;

  • consolider le dispositif de surveillance de l’état de santé des populations et approfondir la connaissance des effets sur la santé ;

  • poursuivre la réduction de l’exposition des populations en assurant la qualité de la production alimentaire locale et en soutenant les professionnels impactés ;

  • gérer les milieux contaminés et assurer une bonne information de la population.

Ce nouveau plan chlordécone prévoit de saisir la Haute autorité sanitaire (HAS) sur le dépistage du cancer de la prostate pour les populations à risque élevé.

L’ANSES s’est autosaisie le 20 juillet 2011 pour conduire des travaux d’expertise visant à étudier la thématique de l’exposition aux pesticides des personnes travaillant dans l’agriculture30.

1 – Dangers du chlordécone

Le cancer de la prostate lié à une surexposition au chlordécone, un pesticide très agressif employé jusqu’en 1993 dans les bananeraies antillaises pour lutter contre la propagation du charançon, figure désormais, mais de manière indirecte sans être expressément nommé, au tableau des maladies professionnelles31 ce qui permettra l’indemnisation des victimes notamment grâce à un fonds spécifique.

Reconnu comme perturbateur endocrinien, le chlordécone s’est disséminé bien au-delà des zones d’épandage. Ses débordements coïncident avec la montée en flèche des cancers de la prostate dans ces deux départements : Guadeloupe et Martinique. Mais il recèle aussi d’autres dangers32.

Le classement du « cancer de la prostate dû au chlordécone » en maladie professionnelle pourra donner droit à réparation aux agriculteurs affectés par cette pathologie. Mais le texte s’avère très restrictif. Le fonds d’indemnisation des victimes de maladies professionnelles liées aux pesticides33, comme pour le FIVA (fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante), subrogé aux victimes34, pourvoira au paiement des indemnités. Le texte fixe à 40 ans le délai de prise en charge de la victime, entre la fin de l’exposition et la survenue du cancer de la prostate, sous réserve d’une exposition de 10 ans. Cela se rapproche de ce que l’on connaît pour l’amiante35 et de ce que l’on pourrait connaître pour la Covid-1936. En revanche, le délai d’instruction déroge aux usages : quatre mois et non huit mois. Les mesures adéquates (b) sont tributaires d’une évaluation « très compliquée » (a).

a – Une évaluation « très compliquée »

Les personnes éligibles pourront établir leur demande sur la base d’un certificat médical délivré au plus tard le 31 décembre 2022 ce qui fait un an et quelques jours à compter de la publication du décret : une durée bien courte et de nature à empêcher bon nombre de victimes de profiter de ses bienfaits. Le périmètre de l’indemnisation couvrira aussi bien les dirigeants d’exploitation que les travailleurs relevant de la MSA, mais en outre-mer, où celle-ci n’opère pas, c’est le régime général de la sécurité sociale qui assurera la couverture des victimes, via le nouveau fonds d’indemnisation. Le dispositif pourra également concerner les retraités du secteur agricole et les enfants exposés in utero.

À titre indicatif, le montant de la rente annuelle versée aux ayants droit se situerait entre 932 € et 18 640 €, en fonction du taux d’incapacité. Pour l’heure, personne ne se risque à fournir la moindre estimation des sommes susceptibles d’être versées ; peut-être que les promoteurs du décret, au vu de son texte, espèrent des applications si peu nombreuses que les montants seront proches de zéro.

Les principales propriétés physico-chimiques du chlordécone sont : a) une forte affinité et capacité de rétention pour les sols organiques (carbone organique) ; b) une affinité élevée pour les composés hydrophobes ; c) une faible volatilité ; d) une faible solubilité dans l’eau.

b – Conséquences de son utilisation aux Antilles françaises

La pollution des sols et la contamination de la faune sauvage par le chlordécone aux Antilles ont été documentées pour la première fois par des chercheurs de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) en 1977 et 1980 respectivement. Cependant, ce n’est qu’à partir de 1999 que l’on a constaté l’extension de cette pollution aux eaux destinées à la consommation humaine ainsi qu’à diverses denrées alimentaires locales, végétales et animales, terrestres et aquatiques.

Absorption, métabolisme et distribution du chlordécone dans l’organisme. La voie orale constitue la principale voie de pénétration du chlordécone dans l’organisme. Après absorption intestinale, il est partiellement métabolisé dans le foie en chlordécone-alcool puis excrété dans les intestins par les voies biliaires sous la forme d’un glucuro-conjugué. Le chlordécone se distribue dans l’ensemble des tissus et s’accumule préférentiellement dans le foie.

Toxicité du chlordécone. La toxicité du chlordécone a été mise en évidence, entre autres, dès le début des années 2000 par une étude en partenariat étroit avec le CHU de la Guadeloupe qui a développé un programme de recherche visant à identifier les risques sanitaires associés à l’exposition environnementale au chlordécone.

Exposition des populations. Les études épidémiologiques avaient pour but d’évaluer l’exposition au chlordécone des populations antillaises. Les résultats, obtenus au cours de ces 15 dernières années, ont montré la présence du chlordécone dans le sang à des taux de détection atteignant les 90 %, chez les populations et sous-populations étudiées.

Une étude a été réalisée au début des années 2000 en Guadeloupe parmi des travailleurs salariés du secteur agricole de la banane et salariés de secteurs non agricoles.

L’exposition maternelle au chlordécone a été retrouvée significativement associée et de manière positive à un risque accru de prématurité ainsi qu’à une réduction de la durée de la grossesse37.

L’exposition in utero du nouveau-né au chlordécone a montré des retards de développement de l’enfant38.

Cancer de la prostate. Une étude en Guadeloupe a montré une association significative entre l’exposition au chlordécone et le risque de survenue d’un cancer de la prostate39. Cela apporte des éléments en faveur d’une association causale entre exposition au chlordécone et cancérogenèse prostatique40. Tous ces éléments ont justifié la création du fonds d’indemnisation des victimes de pesticides.

2 – Fonds d’indemnisation des victimes de pesticides (FIVP)

La création d’un fonds d’indemnisation est une réponse des pouvoirs publics à des catastrophes collectives ayant révélé des dysfonctionnements notamment des services administratifs comme cela a pu être le cas pour le sang contaminé, l’amiante, ou d’autres. La création du FIVP peut constituer une réponse appropriée pour le chlordécone.

La loi de financement de la sécurité sociale pour 202041 a créé, à compter du 1er janvier 2020, un fonds d’indemnisation des victimes de pesticides qui permet de répondre à trois objectifs :

  • faciliter la reconnaissance des maladies professionnelles liées aux pesticides en rendant la procédure plus simple, plus rapide et plus juste ;

  • indemniser plus équitablement les exploitants agricoles ;

  • indemniser, au titre de la solidarité nationale, les exploitants agricoles retraités d’avant 2002 et les enfants exposés pendant la période prénatale du fait de l’activité professionnelle de leurs parents, qui n’étaient jusqu’ici pas éligibles aux réparations des régimes d’accidents du travail et des maladies professionnelles.

Le fonds est adossé à la caisse centrale de mutualité sociale agricole (CCMSA) et les demandes doivent être déposées auprès des caisses de sécurité sociale dont elles relèvent pour les personnes exposées du fait de leur activité professionnelle, au régime général ou aux régimes agricoles, y compris les exploitants agricoles retraités avant 2002. Le fonds sera chargé d’instruire les demandes éligibles transmises par les caisses. Un comité de reconnaissance des maladies professionnelles unique est chargé d’harmoniser pour l’ensemble du territoire national les décisions de reconnaissance en maladie professionnelle.

Pour les enfants exposés durant la période prénatale et dont la pathologie est directement liée à l’exposition professionnelle de leurs parents, il faut adresser les demandes directement auprès du fonds.

II – Chlordécone, maladie hors tableaux

La deuxième voie, dite complémentaire de reconnaissance des maladies professionnelles, concerne les maladies pour lesquelles la victime ne remplit pas toutes les conditions exigées par le tableau reconnaissant la maladie professionnelle, et celles dites hors tableau qui n’y figurent pas. Elle fonctionne en deux temps42. Dans un premier temps, il faut que la victime soit affligée d’une incapacité de 25 %43 ou qu’elle soit décédée. C’est seulement en ce cas que la demande de reconnaissance est adressée à un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP) qui doit déterminer s’il existe un lien direct et essentiel entre la pathologie et l’activité professionnelle ce qui, pour le cancer de la prostate dû aux pesticides et/ou au chlordécone, devrait être assez facile à établir ; beaucoup moins pour les autres maladies dues à ces mêmes expositions.

Les CRRMP dont les membres ont une expertise incontestable instruisent des milliers de dossiers tous les ans. Ils pourraient bien vite être submergés par les demandes relatives aux maladies hors cancer de la prostate en lien avec l’exposition aux pesticides.

Après des dizaines d’années de tergiversation, la dangerosité du chlordécone est maintenant clairement établie par diverses études scientifiques qui ne la limitent pas aux cancers de la prostate44. Il restait à en tirer les conséquences sur le plan de sa reconnaissance comme maladie professionnelle, ce qui vient d’être fait45. Mais le choix des pouvoirs publics a été fait dans le sens le moins large.

Néanmoins, le fait que bien des victimes potentielles ne parviennent pas à justifier des conditions exigées par le tableau46 et l’absence dans ledit tableau de certaines maladies liées à l’exposition aux pesticides permettront néanmoins une reconnaissance de ces affections au titre de maladies professionnelles, après une procédure judiciaire, devant le pôle social du tribunal judiciaire47. Mais le risque d’un échec n’est pas négligeable.

En effet, même si cela ne permet pas de les appréhender toutes, notamment celles qui sont multifactorielles, il existe une procédure qui permet de faire déclarer comme professionnelle une maladie lorsque celle-ci n’est pas inscrite dans un des tableaux des maladies professionnelles reconnues, ou lorsque cette maladie figure dans les tableaux des maladies professionnelles mais que les conditions prévues ne sont pas totalement réunies.

Cette procédure de reconnaissance de maladies professionnelles pour lesquelles certains des éléments des tableaux sont manquants ou n’y figurent pas est appelée « système complémentaire de reconnaissance des maladies professionnelles ». Depuis qu’elle fonctionne, il n’est plus indispensable qu’une maladie corresponde strictement à la description d’un tableau pour être considérée comme d’origine professionnelle. Les CPAM, sur avis conforme du CRRMP, peuvent reconnaître le caractère professionnel d’une maladie. Il appartient au salarié de démontrer que son activité professionnelle a pu provoquer les symptômes décrits dans la colonne de gauche en établissant que sa maladie est « directement » causée par son travail. Cela est de nature à pouvoir s’appliquer aux maladies autres que le cancer de la prostate dû à l’exposition aux pesticides. Mais cela pourra s’avérer très compliqué pour la victime car cette preuve ne peut pas être apportée par de simples allégations du salarié mais requiert des éléments plus probants.

Parmi les pièces qui doivent obligatoirement être transmises se trouvent la déclaration par la victime, le certificat médical initial, l’avis motivé du médecin du travail, un rapport circonstancié de l’employeur et toutes les pièces médicales nécessaires. Ce système complémentaire permet la reconnaissance de maladies professionnelles, par dérogations aux colonnes n° 2 et n° 3 des tableaux, le reste concerne des maladies hors tableaux. Si la maladie du salarié figure dans un ou plusieurs tableaux mais que les conditions de prise en charge exigées ne sont pas totalement réunies (délai de prise en charge, durée d’exposition – de ce point de vue la durée d’exposition exigée, 10 ans, ne sera pas toujours facile à établir d’autant plus qu’en ce domaine les emplois se font souvent sur la base de contrats précaires qui ne durent pas aussi longtemps ou, lorsque c’est le cas, ne laissent pas toujours de traces permettant de justifier une durée d’exposition aussi longue – ou activité listée), la maladie peut néanmoins être reconnue comme professionnelle mais dans ce cas un lien direct avec le travail doit être établi.

Pour faire reconnaître la maladie professionnelle, la caisse primaire d’assurance maladie doit constituer un dossier comprenant notamment un avis motivé du médecin du travail de l’entreprise du salarié et un rapport de cette entreprise permettant d’apprécier les conditions d’exposition au risque professionnel. Un comité régional du CRRMP statuera sur le lien de causalité entre maladie et travail habituel du salarié. Cet avis s’impose à la caisse primaire.

La reconnaissance du caractère professionnel de la maladie permet à l’intéressé, dans des conditions plus avantageuses pour lui que celles du droit commun, et dans le cas des pesticides, que le fonds d’indemnisation prenne le relais de la sécurité sociale. Puis compte tenu de la subrogation dont il bénéficie, l’intéressé pourra ensuite se retourner vers le responsable pour obtenir le remboursement des sommes qu’il aura versées mais cette reconnaissance des maladies professionnelles générées par les pesticides devra passer par la procédure complémentaire qui est judiciaire et devra être gérée par des tribunaux déjà au bord de l’asphyxie48.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Tableau n° 61 créé par le décret n° 2021-1724 du 20 décembre 2021 révisant et complétant les tableaux de maladies professionnelles annexés au livre VII du Code rural et de la pêche.
  • 2.
    M. Keim-Bagot, « Le Covid : un risque professionnel ? Entre espoirs et désillusions », BJT sept. 2020, n° BJT113y5.
  • 3.
    CSS, ann. II, Tableaux des maladies professionnelles prévus à l’article R. 461-3 ; CSS, ann. II, Tableau n° 1 mod. par D. n° 2008-1043, 9 oct. 2008, art. 1 ; CSS ; A., 26 déc. 2008, relatif à la création des commissions spécialisées du conseil d’orientation sur les conditions de travail : JO, 15 janv. 2009, art. 1 et 5 ; M. Keim-Bagot, « Faut-il élargir le champ des maladies professionnelles ? », Dr. soc. 2017, p. 929.
  • 4.
    CSS, art. L. 461-1, al. 4 et CSS, art. R. 461-8 : Y. Saint-Jours, « La reconnaissance des maladies professionnelles depuis la loi n° 93-121 du 27 janvier 1993 (une réforme en trompe-l’œil) », D. 1994, Chron., n° 58.
  • 5.
    O. Dufour, « L’appel des 3 000 libère la parole des magistrats », Actu-juridique.fr 24 nov. 2021, https://lext.so/5Qlk8j.
  • 6.
    Tableau n° 61 créé par le décret n° 2021-1724 du 20 décembre 2021 révisant et complétant les tableaux de maladies professionnelles annexés au livre VII du Code rural et de la pêche.
  • 7.
    CSS, art. L. 461-1.
  • 8.
    C. rur., ann. I à l’article D. 212-78 à ann. I à l’article D. 911-2.
  • 9.
    Tableau n° 61 des maladies professionnelles.
  • 10.
    D. n° 2021-1724, 20 déc. 2021, révisant et complétant les tableaux de maladies professionnelles annexés au livre VII du Code rural et de la pêche maritime, art. 1 : JO, 22 déc. 2021.
  • 11.
    Régime agricole, tableau 58.
  • 12.
    C. rur., ann. I à l’article D. 212-78 à ann. I à l’article D. 911-2.
  • 13.
    D. n° 2021-1724, 20 déc. 2021, révisant et complétant les tableaux de maladies professionnelles annexés au livre VII du Code rural et de la pêche maritime, art. 1 : JO, 22 déc. 2021.
  • 14.
    Régime agricole, tableau n° 61.
  • 15.
    ANSES, rapp., oct. 2010.
  • 16.
    PE et Cons. UE, règl. n° 1107/2009, 21 oct. 2009, cons. 216.
  • 17.
    D. Koch et a., Temporal association of children’s pesticide exposure and agricultural spraying, 2002 ; E.-M. Bell et a., A case-control study of pesticides and fetal death…, 2001 ; M.-O. Royster et a., A pilot study of global positioning system/geographical information system, 2002 ; S. Leyk et a., Spatial modeling of personalized exposure dynamics : the case of pesticide use i, 2009.
  • 18.
    D. Provost et a., Brain tumours and exposure to pesticides : a case-control study in southweste, 2007.
  • 19.
    E.-S. O’Leary et a., Pesticide exposure and risk of breast cancer : a nested case-control study o, 2004.
  • 20.
    C. Lefranc, Impact des perturbateurs endocriniens sur la fertilité : étude comparative, thèse, 2018, université de Picardie Jules Verne, faculté de médecine d’Amiens.
  • 21.
    D.-T. Wigle et a., A Systematic Review and Meta-analysis of Childhood Leukemia and Parental, 2009.
  • 22.
    C. rur., ann. I à l’article D. 212-78 à ann. I à l’article D. 911-2.
  • 23.
    A. min., 12 sept. 2006.
  • 24.
    L. n° 2014-110, 6 févr. 2014, visant à mieux encadrer l’utilisation des produits phytosanitaires sur le territoire national, dite loi Labbé.
  • 25.
    PE et Cons. UE, règl. n° 1107/2009, 21 oct. 2009.
  • 26.
    L. n° 2015-992, 17 août 2015, relative à la transition énergétique pour la croissance verte : JO, 18 août 2015.
  • 27.
    INRS, fiches toxicologiques, v° Chlordecone.
  • 28.
    INSEE, statistiques.
  • 29.
    Min. Affaires sociales et de la Santé, plan chlordécone, 2015.
  • 30.
    ANSES, rapport d’expertise, juill. 2016.
  • 31.
    D. n° 2021-1724, 20 déc. 2021, révisant et complétant les tableaux de maladies professionnelles annexés au livre VII du Code rural et de la pêche maritime : JO, 22 déc. 2021.
  • 32.
    ANSES, Exposition des travailleurs agricoles aux pesticides, 2014 ; INCA, Fiche repère sur les risques de cancers et pesticides, 2009 ; Santé publique France, Programme Matphyto, 2017 ; L. Guldner, S. Seurin et a., « Exposition de la population antillaise au chlordécone », Bull. épidémiologique hebdo n° 3-4-5, 25-28, 2011 ; L. Multigner, J.-R. Ndong et a., « Exposition au chlordécone et risque de survenue d’un cancer de la prostate, étude Karuprostate, Guadeloupe. France », Bull. épidémiologique hebdo n° 3-4-5, 40-44, 2011.
  • 33.
    D. n° 2020-1463, 27 nov. 2020, relatif à l’indemnisation des victimes de pesticides : JO, 29 nov. 2020.
  • 34.
    M. Richevaux, L’essentiel du régime général des obligations, 2018, Ellipses, fiches nos 18 et 19, v° Subrogation.
  • 35.
    M. Richevaux, « Préjudice d’anxiété, l’amiante, les bénéficiaires de l’ACAATA, et les autres… », LPA 11 juin 2019, n° LPA144x2.
  • 36.
    M. Richevaux, « Préjudice d’anxiété, encore un reflux », Cah. CEDIMES 1/2022.
  • 37.
    P. Kadhel, C. Monfort et a., Chlordecone exposure, length of gestation, and risk of preterm birth. Am J Epidemiol 179 : 536-44, 2014.
  • 38.
    R. Dallaire, G. Muckle et a., Cognitive, visual, and motor development of 7-month-old Guadeloupean infants exposed to chlordecone. Environ Res 118 : 79-85, 2012.
  • 39.
    L. Multigner, J.-R. Ndong et a., Chlordecone exposure and risk of prostate cancer. J Clin Oncol 28 : 3457-62, 2010.
  • 40.
    INSERM, Pesticides et effets sur la santé. Nouvelles données, 2021, EDP Sciences.
  • 41.
    La loi de financement de la sécurité sociale pour 2020.
  • 42.
    Y. Saint-Jours, « La reconnaissance des maladies professionnelles depuis la loi n° 93-121 du 27 janvier 1993 (une réforme en trompe-l’œil) », D. 1994, Chron., n° 58.
  • 43.
    CSS, art. L. 461-1, al. 4, et CSS, art. R. 461-8.
  • 44.
    V. première partie de cette étude.
  • 45.
    D. n° 2021-1724, 20 déc. 2021, révisant et complétant les tableaux de maladies professionnelles annexés au livre VII du Code rural et de la pêche maritime : JO, 22 déc. 2021.
  • 46.
    Tableau n° 61.
  • 47.
    M. Caron, « Maladie professionnelle reconnue par le CRRMP », BJT juin 2019, n° BJT111s0 ; J. Bourdeoiseau, « Du droit des risques professionnels », GPL 12 janv. 2016, n° GPL253w4 ; D. Ménal, « La reconnaissance des maladies professionnelles », RFAS 2008/2-3, p. 205 à 212.
  • 48.
    O. Dufour, « L’appel des 3 000 libère la parole des magistrats », Actu-juridique.fr 24 nov. 2021, https://lext.so/5Qlk8j.
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