Nullité du maintien en hospitalisation d’un patient et absence des pièces justificatives

Publié le 21/08/2023
Nullité du maintien en hospitalisation d’un patient et absence des pièces justificatives
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Lorsque la durée des soins excède une période continue d’un an à compter de l’admission en soins, le maintien de ces soins est subordonné à une évaluation médicale approfondie de l’état mental de la personne réalisée par le collège ; en l’absence de cette évaluation, le juge ne peut ordonner le maintien de l’hospitalisation complète.

Cass. 1re civ., 8 mars 2023, no 21-25205

1. L’hospitalisation sous contrainte1 est une institution du Code de la santé publique. Elle concerne les personnes atteintes de troubles mentaux. Au sein de la collectivité, du fait de ces troubles, ces personnes peuvent compromettre la sûreté d’autres personnes et/ou porter atteinte à l’ordre public2. Afin de faire face à de telles situations, la loi autorise l’admission en soins psychiatriques desdites personnes contre leur volonté. Il s’agit alors d’une hospitalisation sans consentement3. C’est une mesure manifestement privative des libertés fondamentales du patient faisant l’objet de soins psychiatriques. Que ce soit lors de sa mise en place ou lors de son maintien, cette mesure doit respecter une procédure particulière. Le non-respect de cette procédure entraîne l’irrégularité du maintien du patient en hospitalisation sous contrainte et par conséquent la remise en liberté4 du patient. Tel a été le cas dans le cadre de l’affaire soumise devant les juges de la première chambre civile de la Cour de cassation le 8 mars 2023. En l’espèce, le 13 mai 2013, M. P., à la demande d’un tiers et par décision du directeur d’établissement, est admis en urgence en soins psychiatriques sans consentement. La mesure d’hospitalisation a été maintenue de manière continue sous différentes formes. Le 29 septembre 2021, le directeur d’établissement a décidé d’une réadmission en hospitalisation complète de ce patient. En date du 1er octobre 2021, le juge des libertés et de la détention est saisi d’une demande de prolongation de la mesure. Par ordonnance du 6 octobre 2021, la mesure est maintenue. Celle-ci est confirmée le 18 octobre 2021 par ordonnance du premier président de la cour d’appel de Versailles. Les termes de l’ordonnance sont clairs : suivant les certificats médicaux, « la mesure demeure adaptée, nécessaire et proportionnée à son état mental et à la mise en œuvre du traitement requis ». M. P. conteste cette décision et forme un pourvoi en cassation. D’après le demandeur au pourvoi, la mesure doit être levée pour irrégularité de la procédure. En effet, la mesure a été maintenue sans la production de la décision d’admission et des évaluations médicales indiquées. D’après ce dernier, il s’agit d’une violation manifeste de l’article R. 3211-12 du Code de la santé publique. Au vu de ce qui précède, s’est posée la question suivante : une personne atteinte de troubles psychiatriques peut-elle être maintenue en hospitalisation complète en l’absence des documents médicaux attestant de son état de santé mental ? Sur le fondement de plusieurs textes de loi5, la Cour de cassation répond par la négative. La cassation et l’annulation de la décision de Versailles laissent présager que le maintien en hospitalisation complète du patient contrevient aux dispositions légales. Très concrètement, la Cour de cassation annule l’autorisation de maintien de la mesure d’hospitalisation complète d’un patient atteint des troubles psychiatriques (I). Cette décision aboutirait à la remise en liberté de Monsieur P. Une telle décision nous semble ambivalente (II) car, si cette remise en liberté constitue une garantie des droits fondamentaux du patient, elle est susceptible de mettre à mal la sûreté dans la collectivité.

I – La nullité du maintien en hospitalisation complète d’un patient atteint de troubles psychiatriques

2. Le contenu6 et le formalisme d’une requête portant prolongation d’une mesure d’hospitalisation complète sont définis par la réglementation en matière de santé publique. M. P. a soulevé divers moyens d’irrégularité en soulignant le défaut de production de la décision d’admission aux soins et l’absence de l’évaluation médicale approfondie.

3. En ce qui concerne le défaut de production de la décision d’admission, il faut reconnaître que la liberté est une valeur universelle. Elle est inhérente à la personne et consacrée aussi bien par les textes internationaux7 que par la Constitution française du 4 octobre 19588. « Toute personne a le droit (…) à la liberté ». L’on ne peut en être privé que pour des raisons d’intérêt général. En matière de santé publique par exemple, les mesures d’hospitalisation sans consentement justifient la privation des libertés fondamentales d’un patient sous réserve du respect des dispositions du Code de la santé publique. En cas de maintien ou de renouvellement de l’hospitalisation sans consentement, la décision d’admission en soins doit être communiquée. Cette règle est énoncée par l’article R. 3211-12 : « [Est] communiquée au juge des libertés et de la détention, quand l’admission en soins psychiatriques a été effectuée à la demande d’un tiers ou en cas de péril imminent, une copie de la décision d’admission motivée et, le cas échéant, une copie de la décision la plus récente ayant maintenu la mesure de soins, les nom, prénoms et adresse du tiers qui a demandé l’admission en soins ainsi qu’une copie de sa demande d’admission ». Dans le cadre de l’affaire soumise devant la haute juridiction le 8 mars 2023, cette règle a-t-elle été respectée ? Autrement dit, une copie de la décision d’admission en soins du patient de mai 2013 a-t-elle été communiquée au juge des libertés et de la détention ? La réponse est négative au regard de l’argumentaire mis en lumière par le demandeur au pourvoi. Il souligne que « le juge ne peut statuer sans avoir communication de la décision d’admission, en l’espèce du 13 mai 2013 ». En cassant et en annulant l’ordonnance de maintien en hospitalisation, la haute juridiction approuve cette logique. Il est nécessaire de rappeler que toute requête de saisine du juge des libertés et de la détention en vue d’une prolongation de la mesure d’hospitalisation doit être accompagnée de la copie d’admission en soins. C’est une obligation légale qui n’admet pas de dérogation. L’on est tout de même conduit à s’interroger : une décision d’admission aux soins, aussi lointaine qu’elle soit, est-elle toujours nécessaire aux fins de la prolongation d’une mesure d’hospitalisation sous contrainte ? Ubi lex non distinguit nec nos distinguere debemus. Là où la loi ne distingue pas, il ne faut pas distinguer. Ce principe s’applique fort bien dans ce cas de figure. Peu importe le caractère rapproché ou lointain de la décision d’admission aux soins, la requête relative au maintien de l’hospitalisation devrait être accompagnée des pièces énumérées par la loi tout comme l’évaluation médicale approfondie.

4. En ce qui concerne l’absence de l’évaluation médicale approfondie, notons tout d’abord que le Code de la santé publique reconnaît les soins psychiatriques libres9. Il s’agit des modalités de soins suivis par un patient avec son consentement. Ici, à la suite de la dégradation de son état de santé mental, le patient adhère à sa prise en charge10 par une unité spécialisée et conserve ses droits et libertés. Face aux soins psychiatriques libres, il existe l’hospitalisation dite sans consentement. Cette forme d’hospitalisation peut être sollicitée par une tierce personne en cas de péril imminent. Elle peut également être mise en place sur décision d’un représentant de l’État lorsque les troubles mentaux du patient nécessitent des soins et peuvent compromettre la sûreté des personnes ou porter atteinte de façon grave à l’ordre public. Dans le cadre de l’affaire soumise devant la première chambre civile de la Cour de cassation, l’admission en soins psychiatriques sans consentement de M. P. résultait de la décision du directeur d’établissement et de la demande d’un tiers. Cet état de choses laisserait présager une procédure de péril imminent. Admis en hospitalisation complète le 13 mai 2013, le patient a été maintenu sous plusieurs formes depuis lors. Suivant un programme de soins débuté en juin 2021, le directeur d’établissement a sollicité une réadmission complète du patient. Ce requérant s’est-il conformé à la législation applicable en la matière ? La réponse est négative au regard de l’ordonnance du premier président de la cour de Versailles du 18 octobre 2021. D’après les certificats médicaux produits à l’appui de la requête, « la mesure demeure adaptée, nécessaire et proportionnée à son état mental ». Ce développement n’emporte malheureusement pas l’adhésion de la haute juridiction. La Cour de cassation rend un arrêt de cassation en rappelant clairement la législation applicable : « Lorsque la durée des soins excède une période continue d’un an à compter de l’admission aux soins, le maintien de ces soins est subordonné à une évaluation médicale approfondie de l’état mental de la personne réalisée par le collège mentionné à l’article L. 3211-9. » Or, en l’espèce, la dernière évaluation médicale approfondie de l’état mental du patient maintenu en soins n’a pas été jointe à la requête. Ceci est une violation manifeste de la loi.

5. Par ailleurs, soulignons de manière générale que la position de la Cour de cassation est constante sur la problématique de la communication des certificats médicaux dans le cadre des soins psychiatriques sans consentement. Dans l’arrêt rendu le 22 novembre 201811, la haute juridiction avait sanctionné l’ordonnance du juge des libertés et de la détention pour n’avoir pas sollicité la communication des certificats médicaux obligatoires établis mensuellement. Force est donc de constater que l’absence des pièces justificatives, notamment la décision d’admission aux soins et l’évaluation médicale approfondie, justifie l’annulation de l’autorisation du maintien aux soins psychiatriques. Bien qu’elle soit protectrice de la liberté individuelle, cette décision nous semble mettre en mal la valeur « sûreté ». D’où son caractère ambivalent.

II – L’ambivalence de la décision de la Cour de cassation

6. Une analyse approfondie de la décision rendue le 8 mars par la Cour de cassation, première chambre civile, permet de relever qu’elle est conforme à la loi applicable en matière d’hospitalisation sans consentement. En réalité, les irrégularités notables soulevées par le patient atteint des troubles psychiatriques remettent en cause son hospitalisation complète et, par conséquent, justifieraient sa remise en liberté. Une double approche peut être faite de cette levée de mesure d’hospitalisation suivant que l’on se place du côté des droits fondamentaux spécifiquement en matière de libertés publiques ou suivant que l’on mette en avant la question de l’ordre public et particulièrement la sûreté des personnes. Cela étant, si cette décision de la Cour de cassation constitue une garantie du respect des droits et libertés fondamentales du patient, elle mettrait en péril la sûreté des personnes et des biens autour du patient.

7. La décision de la Cour de cassation constitue-t-elle une garantie des libertés individuelles du patient souffrant de troubles psychiatriques ? Une réponse affirmative s’impose sans ambages. Pour s’en convaincre, il faut se référer aux conclusions du commissaire du gouvernement Corneille sous l’arrêt Baldy12. Dans le cadre d’un contentieux portant sur la privation des libertés et l’étendue des pouvoirs de police, cette autorité avait rappelé que «  la liberté est la règle et la restriction de police l’exception »13. Cette règle, énoncée il y a plus d’un siècle, s’applique mutatis mutandi au cas d’espèce. La liberté est un principe fondateur de la République. C’est un principe de droit commun. Ses restrictions voire privations n’interviennent que dans des cas exceptionnels. L’hospitalisation sans consentement est une exception à la liberté essentielle du patient atteint de troubles mentaux. En sanctionnant la violation manifeste des règles présidant à l’organisation de la privation des libertés, l’arrêt du 8 mars 2023 restaure la liberté de M. P. qui en était privé du fait des soins psychiatriques. Bien que le terme « remise en liberté » ne soit pas mentionné dans le dispositif de l’arrêt, le patient – demandeur au pourvoi – n’est plus, à compter de la décision14, astreint à une quelconque hospitalisation, encore moins soumis à un programme de soins au sein de cet établissement. Il redevient libre. Cette décision de « remise en liberté » jadis juridiquement fondée, permet à ce sujet de droit de recouvrer ses libertés fondamentales. S’agira-t-il donc des libertés collectives ou des libertés individuelles du patient ? Il recouvrerait ces deux catégories de liberté. Dans le cas d’espèce, M. P. recouvrera sa liberté d’aller et de venir, sa liberté de manifester… Il pourrait, de ce fait et malgré son état de santé mental dégradé, librement circuler, librement manifester et se déplacer dans toute l’étendue du territoire français. Cet état de choses susciterait cependant une réserve, vu sous le prisme de la sûreté des personnes.

8. La décision de la Cour de cassation ne fragiliserait-elle pas la sûreté des personnes et des biens au sein de la collectivité ? Une réponse affirmative s’impose. En effet, si l’on part du postulat suivant lequel une personne souffrant de troubles psychiatriques sévères (par exemple schizophrénie15, paranoïa, psychose, etc.), peu ou mal traités, est une personne potentiellement dangereuse16, la décision relative à la levée du maintien en hospitalisation complète de M. P. pourrait éventuellement constituer une menace pour l’ordre public17. La thèse de la mise en danger de la sûreté des personnes et des biens par la levée du maintien en hospitalisation complète de M. P. pourrait aussi être accréditée par sa pathologie. Mais alors, de quoi souffre réellement M. P. ? Ses troubles mentaux étaient-ils sévères ? Aucun élément concret relevant de sa pathologie n’a été révélé18. En d’autres termes, il n’est nullement fait mention de la nature de ses troubles mentaux, encore moins des traitements19 mis en place. Fort de ce constat, un doute pourrait peser sur la « remise en liberté » de ce patient du simple fait d’une irrégularité commise dans la procédure. Cela dit, tel que le relève la juridiction de Versailles, « se trouvant dans l’impossibilité de consentir aux soins en raison des troubles décrits et ayant besoin de soins assortis d’une surveillance constante »20, il nous semble que la situation M. P. n’est pas stable. Ce patient n’étant probablement pas totalement soigné, son entourage ne serait pas exempt de toute insécurité. La sûreté inhérente à l’environnement de ce patient demeure alors fragile. Les agressions21 légères ou mortelles dont ont été victimes de tierces personnes, le personnel soignant ou des patients dans d’autres affaires témoignent de la fragilité de cette sûreté.

9. Finalement, s’il est notoire de reconnaître l’importance de cet arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation, il est judicieux de souligner son caractère double. Bien qu’il mette en évidence la méticulosité requise dans l’établissement et la formulation des requêtes en maintien d’hospitalisation, l’arrêt de la haute juridiction constituerait une éventuelle menace de la sûreté si les troubles psychiatriques du patient demeurent sévères et peu ou mal traités.

Notes de bas de pages

  • 1.
    R. Le Breton de Vannoise, « “Hospitalisation sans consentement”, Loi sur les hospitalisations sans consentement », AJ fam. 2016, p. 20.
  • 2.
    CSP, art. L. 3213-1.
  • 3.
    L’hospitalisation sans consentement est l’hospitalisation faite à la demande d’un tiers ou à la demande du représentant de l’État. L’hospitalisation libre est faite à la demande du patient.
  • 4.
    L’on peut considérer cette remise en liberté totale lorsque le patient n’est plus contraint de suivre quelque programme de soins et partielle lorsque le patient est tenu, suivant une fréquence bien définie, de revenir au sein du centre hospitalier pour soins.
  • 5.
    CSP, art. L. 3212-7 – CSP, art. R. 3211-12 – CSP, art. R. 3211-24.
  • 6.
    R. Mésa, « Hospitalisation sans consentement : contenu de la requête en prolongation », Dalloz actualité, 6 mars 2017.
  • 7.
    Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948.
  • 8.
    Le préambule de la Constitution.
  • 9.
    CSP, art. L. 3211-2.
  • 10.
    P. Mordelet, L'intégration du malade mental dans la société civile. Prise en charge sanitaire et statut juridique, 1991, thèse.
  • 11.
    Cass. 1re civ., 22 nov. 2018, n° 18-14642.
  • 12.
    CE, 10 août 1917, n° 59855, Baldy.
  • 13.
    « Pour déterminer l’étendue du pouvoir de police dans un cas particulier, il faut toujours se rappeler que les pouvoirs de police sont toujours des restrictions aux libertés des particuliers, que le point de départ de notre droit public est dans l’ensemble les libertés des citoyens, que la Déclaration des droits de l’homme est, implicitement ou explicitement au frontispice des constitutions républicaines, et que toute controverse de droit public doit, pour se calquer sur les principes généraux (…) » :CE, 10 août 1917, n° 59855, Baldy.
  • 14.
    Décision rendue exécutoire.
  • 15.
    Il existe plusieurs formes de schizophrénie : catatonique, hébéphrénique, dysthymique et paranoïde. Suivant les analyses cliniques, la schizophrénie paranoïde est la plus lourde puisque le patient souffre d’une désorganisation de la pensée matérialisée par des actes positifs ou négatifs, des agissements soit bizarres, soit inexpliqués couplés à des émotions sans lien avec la situation donnée.
  • 16.
    M. Voyer, J.-L. Senon, C. Paillard et N. Jaafari, « Dangerosité psychiatrique et prédictivité », L’information psychiatrique 2009/8, vol. 85, p. 745.
  • 17.
    L’ordre public comporte plusieurs composantes : la tranquillité publique, la moralité publique, la salubrité publique, la sécurité publique, la sûreté…
  • 18.
    Dans l’arrêt Cass. 1re civ., 8 févr. 2023, n° 22-10852, la première chambre civile juge qu’en matière d’hospitalisation sous contrainte, le juge ne peut porter aucune appréciation d’ordre médical : Dalloz actualité, 17 févr. 2023.
  • 19.
    Il existe des traitements dits médicamenteux et des traitements dits non médicamenteux.
  • 20.
    Termes utilisés par l’ordonnance du premier président de la cour d’appel de Versailles, le 18 octobre 2021.
  • 21.
    CE, 29 sept. 2021, n° 432627. Nous faisons fi des nombreuses affaires où les patients souffrant des troubles mentaux ont mortellement agressé du personnel soignant à l’hôpital ou des individus vaquant à leur occupation quotidienne dans la ville.
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