Passe vaccinal : une ancienne avocate conteste l’obligation de la 3e dose devant le Conseil d’Etat

Publié le 07/02/2022

Victime d’importants effets secondaires à la suite de l’injection de la deuxième dose de vaccin, une ancienne avocate reconvertie dans la médecine réclame devant le Conseil d’Etat la suspension des dispositions du décret du 13 janvier imposant la 3e dose. 

Passe vaccinal : une ancienne avocate conteste l'obligation de la 3e dose devant le Conseil d'Etat
Photo : ©AdobeStock/Romain Talon

Gageons que toutes les femmes ayant subi des désordres gynécologiques à la suite d’une injection de vaccin anti-covid se sentiront concernées par  le référé-liberté plaidé ce lundi matin devant le Conseil d’Etat.   L’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a beau en effet expliquer que « les données disponibles ne permettent pas de déterminer le lien direct entre le vaccin et la survenue de ces troubles du cycle menstruel », les femmes qui les ressentent sont, elles, persuadées du contraire. La même agence a d’ailleurs des données comme le rapporte le site Santé Magazine : « 3 870 cas de troubles menstruels ont été observés après la vaccination avec Comirnaty de Pfizer-BioNTech et 562 cas après la vaccination avec Spikevax de Moderna ». Mais l’ANSM se veut rassurante, il s’agit « majoritairement d’événements non graves ».

Troubles gynécologiques, acouphènes et asthénie sévère

Mme X, 39 ans, ne partage pas cet avis. A la suite de la deuxième injection de vaccin en mai 2021, elle a souffert d’effets secondaires importants : des désordres gynécologiques, mais aussi des acouphènes (troubles auditifs) à l’oreille gauche, et surtout une asthénie sévère. « Je la connais depuis des années, c’est une femme qui a une énergie incroyable. Et puis soudain, elle s’est mise à dormir 12 heures par jour, mais ça ne suffisait pas, elle se réveillait dans le même état que si elle avait passé une nuit blanche » confie son avocate Me Delphine Provence.  Résultat, cette ancienne avocate qui a renoncé à la robe pour se consacrer à la médecine (elle est inscrite en troisième année) n’a pas pu assister à ses cours durant deux mois ni s’occuper de ses trois enfants âgés de 3, 5 et 9 ans. Autant dire qu’elle n’a aucune envie de revivre ces ennuis de santé en subissant une troisième injection. Ce d’autant plus que son test sérologique révèle un taux d’anticorps de 472 Ac UA/ML, soit près de dix fois le taux jugé « significatif » qui est de 55.

Problème : la loi n’a pas prévu de tenir compte de la présence de ces anticorps. Par ailleurs, selon son médecin traitant, les désordres importants qu’elle a subis n’entrent pas dans la liste limitative des pathologies énoncées sur le formulaire Cerfa qui permettent de justifier d’une contre-indication.  C’est pourquoi elle a décidé de saisir le Conseil d’État pour contester le décret du 13 janvier 2022 en ce qu’il étend la dose de rappel aux moins de 65 ans.

« Le gouvernement met en danger sa population »

Il est 10h 30 ce lundi matin, lorsque le conseiller Mathieu Herondart ouvre l’audience. Il propose aux parties d’entrer directement dans le vif du sujet et donne la parole à Me Provence.  « Il est reconnu que les vaccins peuvent entrainer des effets secondaires, les statistiques évoquent 24% d’effets secondaires graves. Cela peut être un décès, un pronostic vital engagé ou une hospitalisation » explique-t-elle. L’avocate souligne que sa cliente a été vaccinée très tôt car cette femme de chirurgien avait confiance dans les vaccins. Seulement les effets secondaires qu’elle a subis à la suite de la deuxième injection ont été trop lourds. Elle ne veut pas subir une troisième dose, ce qui l’empêche de poursuivre son stage à l’hôpital. « Le rôle de l’État est de protéger les citoyens, souligne Me Provence, or nous avons la preuve que le gouvernement met en danger sa population, on nous parle de victimes collatérales, ce n’est pas ce que dit le droit, la balance bénéfice risque doit s’apprécier de manière individuelle ».  Pour elle : « il faut que le gouvernement arrête de jouer les Docteur Maboul, c’est aux médecins de prescrire la 3e dose, ou pas ». Ce d’autant plus, ajoute-t-elle, que sa cliente a 39 ans, or, le risque de développer une forme grave quand on a moins de 50 ans est quasiment nul. A l’inverse, ce sont les femmes qui développent le plus d’effets secondaire suite aux injections de vaccin. Elle demande en conséquence au Conseil d’Etat de suspendre l’article 1 du décret qui prescrit la troisième dose, au minimum en ce qu’il ne prévoit pas que les personnes ayant développé des effets secondaires à la 1e ou 2e dose puisse être exemptées.

Mais la possibilité d’être dispensé de troisième dose, existe déjà, rétorque le directeur juridique du ministère de la santé Charles Touboul.  « Votre demande est satisfaite par le point 3 de l’annexe 2 du décret du 1er juin 2021 » précise-t-il. Le conseiller Hérondart note attentivement la référence. On peut y lire en effet ceci :

« I.-Les cas de contre-indication médicale faisant obstacle à la vaccination contre la covid-19 mentionnés à l’article 2-4 sont : (….)

3° Une recommandation établie après concertation médicale pluridisciplinaire de ne pas effectuer une dose supplémentaire de vaccin suite à la survenue d’un effet indésirable d’intensité sévère ou grave attribué à une précédente dose de vaccin signalé au système de pharmacovigilance (par exemple : la survenue de myocardite, de syndrome de Guillain-Barré …) ».

Reste à savoir ce que sont « un effet indésirable d’intensité sévère ou grave » et  une « concertation médicale pluridisciplinaire ». En tout état de cause, l’information ne semble pas avoir correctement circulé dans le milieu médical puisque ni le médecin traintant de Mme X, ni son époux chirurgien ne semblent au courant du fait que la liste est non-limitative….

136 millions de doses injectées, 137 400 victimes d’effets indésirables

« Existe-t-il réellement 24% d’effets indésirables graves ? » interroge le conseiller Mathieu Hérondart. Cette fois, c’est Etienne Gayat Conseiller Médical du Cabinet COVID au ministère de la santé qui répond. Ses chiffres sont beaucoup moins spectaculaires. « Sur les 136 millions de doses injectées en France, on dénombre 137 400 victimes d’effets indésirables, soit un taux de 0,025% et c’est sur cette proportion que l’on compte un quart d’effets indésirables graves.  Il s’agit donc d’un risque faible. Quant à l’utilité de la troisième dose contre Omicron, la protection contre une contamination est plus faible, de l’ordre  75/80% mais le schéma complet de trois doses offre quand même plus de 90% de protection contre les formes graves ».

L’avocat aux conseils, Me Ludwig Prigent, revient à la charge sur les exemptions : la liste est trop limitative, assure-t-il, il propose de s’en expliquer par écrit. Par ailleurs s’agissant de l’efficacité et donc de la proportionnalité de l’obligation de 3edose, l’avocat estime que la population concernée, tous les plus de 18 ans, est beaucoup trop large dès lors qu’elle porte en grande partie sur des personnes qui ont très peu de risques de développer une forme grave.

« Je ne peux pas me mettre en danger alors que j’ai trois enfants »

C’est au tour de la requérante de s’expliquer. Le public dans la salle est maigre, moins de 10 personnes, mais on comprend qu’elle n’ait pas envie de s’étendre sur les désordres intimes qu’elle a subis, ce d’autant plus qu’elle est entourée d’hommes. Le dossier écrit comprend toutes les explications et certificats. Elle précise que si elle est là, c’est parce que son cas n’entre pas dans les causes d’exemption du formulaire Cerfa de sorte que son médecin n’a pu attester de contre-indication la concernant. « Je n’ai plus de passe vaccinal, je ne peux donc plus accéder à la bibliothèque pour travailler, ce qui a  impact énorme sur mon année universitaire. Cette situation est en passe de ruiner ma vie familiale, je ne peux pas me mettre en danger alors que j’ai trois enfants, il faut donc que j’arrête mes études de médecine ».

Le conseiller se tourne de nouveau vers les représentants du gouvernement pour entendre leur version sur la nécessité de la 3edose pour tous les plus de 18 ans.  L’âge médian des personnes souffrant actuellement de formes graves est de 36 ans, répond Etienne Gayat,  ce qui signifie qu’ Omicron touche des gens plus jeunes, par ailleurs, même s’il y a moins de formes graves, on compte encore 4000 personnes en réanimation.

« Pourquoi ne prend-on pas en compte la sérologie, surtout que le rappel passe de 7 à 4 mois, s’interroge Me Delphine Provence, ma cliente a un taux d’anticorps élevé, nous aimerions entendre les explications sur le fait qu’on ne tient pas compte de ces prélèvements ». Las ! Mathieu Hérondart rappelle que ce choix est celui du législateur et donc hors du champ du décret attaqué.

Une nouvelle fois, Charles Touboul assure que la liste des contre-indications figurant en annexe au décret du 1er juin s’applique à la 3e dose, qu’elle n’est pas limitative, et qu’il est donc possible d’obtenir son passe vaccinal sans faire le rappel, à condition de justifier d’un effet secondaire « sévère ou grave » constaté. C’est, explique-t-il la raison pour laquelle le texte fait précéder les pathologies d’un « par exemple » et achève leur énumération par des points de suspension.

Il est 11h10, le conseiller s’estime suffisamment informé. La clôture de l’instruction est repoussée de 24 heures pour permettre aux parties d’échanger des arguments complémentaires. L’ordonnance est annoncée pour la fin de la semaine. La décision aura d’autant plus d’intérêt que le dossier soulève une intéressante question d’inégalité entre hommes et femmes face à l’obligation vaccinale. Les troubles gynécologiques invoqués ne sont peut être pas graves, comme le soutient l’ANSM, mais ils peuvent être parfois très handicapants quand ils se traduisent par des hémorragies et pas sans conséquences sur l’état de santé général.

 

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