Réflexions sur la notion de groupe de contrats dans les opérations de dispensation des médicaments en EHPAD sans PUI

Publié le 05/08/2016

L’opération économique de dispensation des médicaments en EHPAD sans PUI nécessite la conclusion de plusieurs contrats obligatoires : le contrat de séjour, le contrat de fourniture de médicaments, et le contrat de dispensation de médicaments. Dans cet ensemble contractuel, le statut juridique de l’EHPAD (public ou privé) a une incidence sur la qualification juridique des contrats constitutifs de cet ensemble, et sur la compétence juridictionnelle en cas de litige.

La fourniture de médicaments aux EHPAD a connu une évolution juridique importante avec l’article 38 de la loi HPST qui a consacré un nouvel article L. 5126-6-1 du Code de la santé publique. Ce texte introduit et définit les missions du pharmacien d’officine référent qui est chargé de fournir en médicaments « les établissements hébergeant des personnes âgées dépendantes (EHPAD) qui ne disposent pas de pharmacie à usage intérieur (PUI) ou qui ne sont membres d’un groupement de coopération sanitaire (GCS) gérant une PUI »1. Ce pharmacien d’officine concourt également à la bonne gestion et au bon usage des médicaments destinés aux résidents. Pour effectuer ces nouvelles missions, le pharmacien d’officine doit obligatoirement conclure avec l’établissement une convention relative à la fourniture de médicaments aux résidents2. Ce contrat « EHPAD-officine » doit en principe reprendre les obligations figurant dans une convention type définie par arrêté des ministres chargés de la Santé et de la Sécurité sociale3. Or, cet arrêté n’est toujours pas paru à ce jour4. Dans l’attente de la publication de ce texte, les pharmaciens d’officine concluent des contrats de partenariat avec les EHPAD5. Pour autant, on précisera que « les personnes hébergées ou leurs représentants légaux conservent la faculté de demander que leur approvisionnement soit assuré par un pharmacien de leur choix » sur le fondement de l’article L. 5126-6-1, alinéa 2 du Code de la santé publique. Autrement dit, l’établissement ne peut imposer le choix d’un « pharmacien référent » aux résidents. Aucune disposition conventionnelle ne peut en effet contrevenir au principe déontologique du « libre choix de son pharmacien »6. Dans ce cas, la délivrance des médicaments des résidents s’effectue par un pharmacien d’officine de leur choix. En tout état de cause, les EHPAD sans PUI doivent obligatoirement conclure un contrat de fourniture de médicaments avec un ou plusieurs pharmaciens d’officine. Cette opération économique complexe suppose, préalablement, la conclusion d’un contrat de séjour entre l’établissement et le résident ou son représentant légal, conformément à l’article D. 311 du Code de l’action sociale et des familles. Dans cette hypothèse, l’opération économique de dispensation des médicaments nécessite la conclusion de plusieurs contrats obligatoires, aux objets complémentaires : le contrat de séjour, le contrat de fourniture de médicaments, et le contrat de dispensation de médicaments. La création de rapports contractuels multipartites entraîne ainsi le développement de groupes de contrats complémentaires. Ceci étant dit, il convient d’examiner la particularité juridique de cet ensemble contractuel (I), puis ses effets juridiques (II).

I – Analyse juridique de l’ensemble contractuel

L’opération de dispensation de médicaments aux résidents implique la conclusion de plusieurs contrats distincts obligatoires. Elle suppose, au préalable, la signature d’un contrat de séjour, entre l’établissement et le résident ou son représentant légal, conformément à l’article D. 311 du Code de l’action sociale et des familles. La conclusion d’un contrat de séjour est en effet obligatoire, sauf lorsque l’accueil ou l’accompagnement porte sur une durée continue ou discontinue de moins de deux mois par an ou lorsqu’il ne comprend pas de prestations d’hébergement7. Sur le plan juridique, le contrat de séjour définit les prestations proposées au résident et spécifie les conditions financières du séjour. Cette opération économique nécessite également la conclusion obligatoire d’un contrat de fournitures de médicaments aux résidents conformément à l’article L. 5126-6-1 du Code de la santé publique8. Ce contrat permet à l’établissement, dépourvu de PUI, de confier à « un ou plusieurs pharmaciens d’officine référents » la mission de dispenser à l’avance les médicaments prescrits aux résidents9. Il a pour objet d’organiser le circuit de distribution des médicaments au sein de l’établissement, ainsi que le bon usage des médicaments. Ce contrat doit, en outre, être transmis aux autorités de contrôle et de tutelle10. Le principe du libre choix du pharmacien implique également l’accord du « résident ou de son représentant légal » concernant l’offre de prestation pharmaceutique de l’établissement11. La dispensation des médicaments en EHPAD doit, en effet, s’effectuer dans le respect du libre choix du pharmacien par les résidents12. Dès lors, il appartient au résident ou à son représentant légal de donner son accord à l’offre de prestation pharmaceutique ou d’y renoncer, auquel cas, il devra se charger lui-même de la fourniture des médicaments. Les sujets âgés hébergés par l’EHPAD conservent leur droit fondamental au libre choix de leurs professionnels de santé13. Dans ce cas, ils peuvent, directement ou par l’intermédiaire de l’EHPAD, demander la dispensation à domicile des médicaments par le pharmacien d’officine de leur choix14. L’EHPAD est à cette fin réputé leur domicile légal15. Il en résulte que l’opération de fourniture de médicaments aux résidents repose sur des prestations différentes réalisées dans le cadre de contrats distincts : un contrat de séjour conclu entre le résident et l’EHPAD, un contrat de fourniture de médicaments conclu entre l’EHPAD et l’officinal, et un contrat de dispensation de médicaments qui est conclu entre le pharmacien et le résident ou son représentant légal. Ces différents contrats bipartites s’organisent autour d’un opérateur économique pivot, le pharmacien « référent ». Ils constituent un ensemble contractuel en raison de leur finalité commune. La réunion de ces différentes conventions, parce qu’elles ont des traits en commun, notamment par les personnes qui les concluent, ou les exécutent, et par l’objectif auquel elles concourent forment un tout, que l’on considère comme « un ensemble contractuel indivisible »16. Les parties entendent, en effet, réaliser une opération globale de dispensation de médicaments au sein de l’établissement, malgré la conclusion de différents contrats. Sur ce point, on précisera que la détermination d’un ensemble contractuel, par les juges du fond, se fonde sur l’unité de la cause qui lie les différentes opérations. En l’occurrence, les contrats de fourniture de médicaments et de dispensation aux résidents concourent à la même opération économique. Ce groupe de contrats est donc constitué de contrats concomitants ou successifs qui participent à une même opération économique, et n’ont aucun sens indépendamment les uns des autres. Toutefois, l’appréciation de l’interdépendance relève du pouvoir souverain des juges du fond17. Ils peuvent déduire des seules circonstances que les parties ont entendu que les conventions forment un tout indissociable, sans s’interroger sur leurs causes respectives18. Dans ce cas, l’interdépendance des contrats fait obstacle à toute clause d’indivisibilité qui serait prévue par les parties19. Ceci étant dit, les parties peuvent prévoir une clause d’indivisibilité en faisant dépendre les contrats de dispensation des médicaments du contrat de fourniture de médicaments. Cette clause est valable sur le fondement de la liberté contractuelle des parties20. Cette forme d’indivisibilité peut également découler, par exemple, de l’insertion d’une condition résolutoire par laquelle les cocontractants constatent un lien exprès entre les deux contrats21. Elle peut aussi être tacite et se déduire de la preuve de la connaissance par les parties de l’interdépendance des opérations, qui se manifeste par l’application d’un faisceau d’indices22. Néanmoins, il importe de souligner que l’application d’une clause d’indivisibilité ne saurait s’imposer que pour autant qu’elle ne contrarie pas l’économie générale de l’opération voulue par les parties. Cette réserve procède d’une exigence de cohérence à laquelle la Cour de cassation se montre de plus en plus attentive. Ainsi, une nette tendance se déploie sur la mise à l’écart d’une clause de divisibilité apparaissant « en contradiction avec l’économie générale de l’opération » pour laquelle les contrats avaient été conclus23. Les solutions dégagées concernent l’hypothèse de contrats conclus entre personnes de droit privé. Cependant, la question de la qualification des contrats de dispensation, conclus entre le pharmacien référent et les résidents d’un EHPAD public, se pose inévitablement. En effet, un contrat de fourniture de médicaments et de prestations pharmaceutiques, conclu entre un pharmacien d’officine et un EHPAD public, est qualifié de marché public et relève par conséquent de la compétence du juge administratif24. Le contrat de dispensation, conclu entre le pharmacien référent et le résident de l’EHPAD public, est en principe un contrat de droit privé soumis aux règles du Code civil. Ce principe s’applique également dans les hypothèses où l’une des personnes privées signataires exerce une mission de service public25. Le critère de l’objet permet d’identifier la mission de service public de la « permanence des soins » confiée au pharmacien référent26. Dans cette hypothèse, cet ensemble contractuel « mixte » serait constitué à la fois de contrats civils et administratifs. Ceci étant dit, le recours à la théorie de l’accessoire permet de qualifier de contrats administratifs, des contrats conclus entre personnes privées. Cette théorie a longtemps été cantonnée aux contrats de cautionnement accessoires d’un marché public27. Le Tribunal des conflits paraît toutefois vouloir donner une place plus importante à la théorie de l’accessoire. Dans un arrêt en date du 8 juillet 2013, il a en effet jugé que « les contrats conclus entre personnes privées sont en principe des contrats de droit privé, hormis le cas où l’une des parties agit pour le compte d’une personne publique ou celui dans lequel ils constituent l’accessoire d’un contrat de droit public »28. Selon le professeur Pierre Tifine, « le considérant de principe de cet arrêt visant expressément cette hypothèse comme une dérogation possible à l’exigence du critère organique »29. Par analogie, on pourrait envisager le recours de la théorie de l’accessoire pour qualifier de contrats administratifs, les contrats de dispensation de médicaments, conclus entre le pharmacien référent et les résidents d’un EHPAD public. Dans cette hypothèse, le contrat de « dispensation de médicaments » serait l’accessoire du contrat de marché public de fourniture de médicaments en vertu de la jurisprudence du Tribunal des conflits précitée. Il est toutefois difficile, en l’état actuel, d’apprécier la portée de cette jurisprudence. En outre, on peut craindre que la « théorie de l’accessoire », appliquée aux opérations de dispensation de médicaments en EHPAD du secteur public, introduise davantage de confusion juridique et rende incertaine la qualification de ces contrats conclus entre personnes privées. Quoi qu’il en soit, cet ensemble contractuel est une réalité juridique qui oblige à repenser la notion de groupe de contrats. En effet, l’opération de dispensation de médicaments aux résidents d’EHPAD sans PUI, inclut d’une part, un contrat de fourniture de médicaments, et d’autre part, un contrat de dispensation. Ces contrats peuvent être conclus indifféremment avec un EHPAD privé ou public. Il en résulte que cet ensemble contractuel peut être constitué de contrats, aussi bien civils qu’administratifs, selon le statut juridique de l’EHPAD. Cet ensemble contractuel sui generis se distingue des groupes de contrats classiques et se fonde sur des mécanismes juridiques imposés par les textes30. A contrario, le résident qui ne souhaite pas recourir aux services du pharmacien référent, et qui fait le choix de s’approvisionner en médicaments par ses propres moyens, s’inscrit dans une opération incluant des rapports contractuels de droit privé.

II – Conséquences juridiques

En dépit du principe classique de l‘effet relatif des conventions, résultant de l’article 1165 du Code civil, qui limite le domaine d’application de la force obligatoire du contrat aux deux parties en présence, le sort de l’un des contrats affectera l’ensemble contractuel31. En l’occurrence, les contrats permettant l’opération de dispensation des médicaments aux résidents dépendent étroitement du contrat de séjour. Sur le plan juridique, le contrat de séjour formalise les prestations offertes au résident lors de son hébergement et conditionne ainsi sa prise en charge au sein de l’établissement. Dans cet ensemble contractuel, le contrat de séjour revêt donc une importance capitale, car il est susceptible d’avoir des conséquences juridiques sur les contrats permettant l’opération de dispensation de médicaments aux résidents. Cette opération économique est, en effet, intimement liée au sort du contrat de séjour : si celui-ci est, en effet, résilié, ou annulé, les autres contrats bipartites se trouvent automatiquement résiliés ou annulés32. Sur ce point, on précisera que le résident ou son représentant légal peut résilier le contrat de séjour par écrit à tout moment, passé un délai de rétractation de 15 jours suivant la signature du contrat ou l’admission en EHPAD33. La résiliation peut également être à l’initiative de l’établissement sous certaines conditions34. Dans ce cas, l’« anéantissement » (annulation, résolution, résiliation) du contrat de séjour « prive les autres contrats de leur raison d’être»35. Il est en effet nécessaire au déroulement de l’opération globale de dispensation des médicaments aux résidents. Dans le cadre de cet ensemble contractuel, « si le contrat principal est entaché d’un vice quelconque ou n’est pas respecté, l’existence du groupe est également mise en péril »36. L’anéantissement du contrat de séjour a donc une influence sur les autres contrats permettant l’opération de dispensation de médicaments aux résidents. Ils subissent le même sort que le contrat de séjour, autrement dit, ils disparaissent également. L’anéantissement du contrat de séjour constitue donc une menace permanente pour ces contrats, dans la mesure où Il constitue un « préalable » aux prestations proposées aux résidents. Ceci étant dit, la nullité ou la résiliation du contrat de fourniture, indépendamment de celle du contrat de séjour, entraîne également l’anéantissement des contrats de dispensation conclus avec les résidents. Le contrat de fourniture de médicaments est en effet une condition sine qua non de l’intervention du pharmacien référent en EHPAD sans PUI. Comme il a été précisé, l’article L. 5126-6-1 du Code de la santé publique exige la conclusion d’un contrat de fourniture de médicaments entre l’établissement et le pharmacien référent. La nullité du contrat de fourniture de médicaments a donc une incidence directe sur les contrats de dispensation : ces derniers ne peuvent être exécutés sans le contrat de fourniture de médicaments. Ils sont en effet attachés au contrat de fourniture de médicaments qui permet la dispensation des médicaments aux résidents dans le respect du « libre choix » du pharmacien. L’analyse du lien existant entre les différents contrats constitutifs de cet ensemble contractuel permet d’identifier un contrat principal : le contrat de séjour permettant l’hébergement du résident, et la fourniture de prestations pharmaceutiques. Dans cet ensemble contractuel, ce contrat est susceptible d’avoir des conséquences juridiques sur les différents contrats constitutifs de cet ensemble et, plus précisément, sur leur qualification juridique. Comme il a été précisé, l’opération économique de dispensation de médicaments peut aussi bien concerner un EHPAD public ou privé. Dans ce cas, la diversification possible des contrats, aussi bien civils qu’administratifs, oblige à s’interroger sur la nature juridique de la responsabilité des parties en cas de dommages. Deux certitudes bien établies jalonnent cependant la matière : d’une part, les parties ne peuvent invoquer que la responsabilité contractuelle, d’autre part, a contrario, les tiers ne peuvent se placer que sur le terrain de la responsabilité extracontractuelle. Pour sa part, le droit civil a déjà posé le principe de primauté de la responsabilité contractuelle pour les parties dès 1890, mais la doctrine se réfère surtout à un arrêt du 11 janvier 192237. La solution identique du droit public se rattache, quant à elle, à un arrêt Lefebvre de 189138. Les deux ordres de juridictions interdisent toute option à la partie victime de la mauvaise exécution du contrat, par application de la règle dite du non-cumul des responsabilités. Dans cet ensemble contractuel, la responsabilité des parties est de nature contractuelle. La faute et le dommage pouvant résulter de l’inexécution de l’un des contrats bipartites. S’agissant du contrat de dispensation des médicaments aux résidents, le pharmacien référent demeure personnellement responsable des fautes qu’il peut commettre dans l’exercice de ses missions. La faute du pharmacien référent consiste en un manquement à ses obligations professionnelles. En cas de dommage causé par le défaut d’une préparation magistrale ou officinale, le pharmacien référent engage sa responsabilité du fait des produits de santé défectueux. Le législateur a en effet transposé dans le Code civil, aux articles 1386-1 et suivants, la directive n° 85/374/CEE du 25 juillet 1985 relative à la responsabilité des produits défectueux39. En effet, la notion de « produit » retenue par le Code civil permet d’englober tous les produits de santé visés à l’article L. 5311-1 du Code de la santé publique, à savoir les médicaments40. Pour autant, la question de la responsabilité du pharmacien référent demeure plus complexe, notamment lorsqu’il est appelé à intervenir dans un EHPAD public. La question de la compétence des tribunaux devient alors cruciale en cas de dommages causés par le pharmacien référent. Dans ce domaine, l’analyse de la jurisprudence peut en effet laisser perplexe les requérants. Au-delà des sanctions contractuelles, l’EHPAD peut obtenir le versement par son cocontractant de dommages-intérêts en réparation du préjudice qu’il lui a causé en n’exécutant pas ses obligations41. L’EHPAD public devra ainsi engager la responsabilité contractuelle du pharmacien référent, en cas de manquement à ses obligations contractuelles, devant le juge administratif.

Ce contrat de fourniture de médicaments est en effet qualifié de marché public et relève de la compétence du juge administratif42. Selon la jurisprudence, le titulaire d’un marché public est tenu, en vertu des stipulations du contrat de garantir les prestations prévues dans ce dernier et notamment de garantir le caractère opérationnel des prestations fournies43. Pour l’Administration comme pour son cocontractant, la force majeure et la faute de la victime constituent des causes exonératoires de responsabilité44. A contrario, le dommage occasionné par le pharmacien référent qui assure une mission de service public ne relève pas de la compétence du juge administratif. En effet, le juge administratif n’est compétent pour connaître de la responsabilité pour faute d’une personne morale de droit privé que si le dommage se rattache à l’exercice par celle-ci de prérogatives de puissance publique qui lui ont été conférées pour l’exécution de la mission de service public de « permanence des soins »45. Autrement dit, le dommage doit être causé à l’occasion de l’exécution de prérogatives de puissance publique par la personne privée investie d’une mission de service public. En l’occurrence, le pharmacien référent ne dispose pas de prérogatives de puissance publique pour l’exécution de sa mission de service public de « permanence des soins ». Par analogie, le juge administratif n’est donc pas compétent pour connaître de la responsabilité du pharmacien référent, intervenant dans un EHPAD public, et qui cause un dommage au résident ou à un tiers. De même, on précisera que si un professionnel de santé exerce une activité médicale de manière libérale au sein de l’EHPAD public, la mise en jeu de sa responsabilité ne pourra relever que de la compétence des juridictions judiciaires46. L’incidence du particularisme de l’établissement se révèle également à l’égard des résidents. La responsabilité de l’établissement peut être civile ou administrative. Il est donc impératif de différencier la structure privée de la structure publique afin de déterminer la compétence du juge. Lorsqu’il s’agit d’un EHPAD public, l’avantage pour les victimes est que la responsabilité de l’établissement, davantage solvable, est substituée à celle du professionnel de santé. Dans cette hypothèse, la faute commise est couverte par le service, réserve faite du cas où elle peut être considérée comme détachable du service, c’est-à-dire lorsque le praticien s’est placé en dehors du cadre normal d’exercice de ses fonctions du fait de la gravité de son comportement47. Le personnel de l’EHPAD public, à l’origine du dommage subi par le résident, relève de la compétence du juge administratif. En effet, les résidents qui se trouvent au sein d’un EHPAD public sont des usagers du service public médico-social, ce qui entraîne la compétence de la juridiction administrative pour les actions en responsabilité contre l’établissement. A contrario, lorsqu’un résident subit un dommage dans un EHPAD privé, l’action en responsabilité relève de la compétence des juridictions judiciaires. Le résident devra alors engager la responsabilité de l’établissement devant le juge judiciaire. Cette responsabilité est fondée sur le contrat de séjour conclu avec le résident accueilli. Comme toute responsabilité contractuelle, la responsabilité de l’établissement est subordonnée, à l’existence d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité. Le contrat de séjour est toutefois distinct de celui qui peut lier le résident au professionnel de santé. Sur ce point, on précisera que la responsabilité des professionnels de santé dépend des conditions dans lesquelles ces professionnels exercent leur activité et des fonctions qu’ils occupent au sein de l’EHPAD privé. Dans tous les cas, la responsabilité est assumée par le professionnel de santé en vertu du principe d’indépendance professionnelle dont il bénéficie dans l’exercice de son art48. Cette responsabilité peut être opposée aussi au pharmacien d’officine référent dans la mesure où il dispose également d’une indépendance professionnelle dans l’exercice de ses missions49.

Conclusion. Les développements qui précèdent permettent d’affirmer que le statut juridique de l’établissement a une incidence directe sur la qualification juridique des groupes contrats nécessaires à l’opération de dispensation de médicaments aux résidents dans les EHPAD sans PUI, et sur la compétence juridictionnelle en cas de litige. Le débat sur le régime juridique de ces conventions est ainsi ouvert. La multiplication des contentieux dans ce domaine50, et ceux à venir, sous l’empire probable de la « convention type » nationale, risquent d’alimenter dans les prochaines années ce débat doctrinal.

Notes de bas de pages

  • 1.
    CSP, art. L. 5126-6-1, al. 1.
  • 2.
    CSP, art. L. 5126-6-1, al. 3.
  • 3.
    Un modèle de convention type nationale est prévu dans le CSP, art. L. 5126-6-1, al. 3.
  • 4.
    La « convention type » nationale est en cours de finalisation. V. Mergelin F., Vion D., Begue D., « Le droit du reconditionnement des médicaments au profit des patients : entre Charybde et Scylla », Méd. et droit, janv.-févr. 2009, n° 94, p. 17-23.
  • 5.
    V. Miloudia N., « Contrat de partenariat EHPAD-Officine, et respect du principe d’indépendance professionnelle du pharmacien », Actualités Pharmaceutiques, Elsevier Masson, nov. 2015, n° 550, p. 33-36.
  • 6.
    CSP, art. R. 4235-21. Toutes les dispositions du Code de déontologie s’imposent aux pharmaciens et sociétés d’exercice libéral inscrits à l’un des tableaux de l’Ordre (CSP, art. R. 4235-1).
  • 7.
    CASF, art. D. 311, al. 1.
  • 8.
    Juridiquement, la convention EHPAD-officine permet aux pharmaciens référents d’effectuer la dispensation des médicaments aux résidents, au sein de l’établissement.
  • 9.
    Ce contrat EHPAD-officine est une condition de légalité de l’intervention du pharmacien référent. V. Mergelin F., Vion D., Begue D., « Le droit du reconditionnement des médicaments au profit des patients : entre Charybde et Scylla », Méd. et droit, janv.-févr. 2009, n° 94, p. 5.
  • 10.
    CSP, art. L. 5126-6-1, al. 2.
  • 11.
    Dans la pratique, l’EHPAD remet une lettre d’information au patient ou à son représentant légal rappelant les principes de cette prestation, et recueille leur accord concernant la « demande de dispensation des médicaments » par le pharmacien engagé par convention à effectuer cette prestation.
  • 12.
    CSP, art. R. 4235-21.
  • 13.
    CSP, art. L. 1110-8 ; CSS, art. L. 162-2.
  • 14.
    CSP, art. L. 5125-25 ; CSP, art. R. 5125-50.
  • 15.
    CSP, art. R. 5126-115.
  • 16.
    Teyssié V., Les groupes de contrats, 1975, LGDJ, p. 102 et s.
  • 17.
    Cass. 1re civ., 3 avr. 2002, n° 563 : RJDA 7/02, n° 721.
  • 18.
    Cass. com., 15 juin 1999, n° 1200 : RJDA 10/99, n° 1039.
  • 19.
    Cass. ch. mixte, 17 mai 2013, nos 11-22768 et 11-22927.
  • 20.
    C. civ., art. 1134.
  • 21.
    Aynès L., note citée sous Cass. 1re civ., 1er juill. 1997, n° 95-15642 ; Marmayou J.-M., « Remarques sur la notion d’indivisibilité des contrats », RJ com. 1999, p. 292 et 301.
  • 22.
    Bacache M., « Indivisibilité », Rep. civ. Dalloz, mai 2001, n° 148, p. 21 ; Marmayou J.-M., « Remarques sur la notion d’indivisibilité des contrats », RJ com. 1999, p. 297 et s.
  • 23.
    Cass. com., 15 févr. 2000, n° 97-19793. V. Mainguy D., « Location financière, interdépendance des contrats et clauses d’indépendance », JCP E 2013, 1403, spéc. n° 27, p. 5.
  • 24.
    Ce contrat implique une « mise en concurrence » (TA Bordeaux, 5 nov. 2014, n° 1201353).
  • 25.
    CE, 15 mars 1999, n° 199889, Union des mutuelles de la Drôme : RFDA 2002, p. 350, note Lichère F. V. Tifine P., « Les contrats administratifs », Revue générale du droit on line, 2013, n° 4645, www.revuegeneraledudroit.eu/blog/author/tifine (12/08/2013).
  • 26.
    CSP, art. L. 5125-1-1 A, al. 3.
  • 27.
    CE, sect., 13 oct. 1972, SA de Banque Le Crédit du Nord : AJDA 1973, p. 213 – CE, 22 mars 1974, Banque Alexandre de Saint-Phalle : Lebon, p. 211. Dans un arrêt récent : T. confl. 8 juill. 2013, n° 3906, Société d’exploitation des énergies photovoltaïques : Contrats-Marchés publ. 2013, comm. 241, note Devillers P. ; RD rur. 2013, comm. 14, note Tifine P.
  • 28.
    T. confl. 8 juill. 2013, n° 3906, Société d’exploitation des énergies photovoltaïques : Contrats-Marchés publ. 2013, comm. 241, note Devillers P. ; RD rur. 2013, comm. 14, note Tifine P.
  • 29.
    V. Tifine P., « Les contrats administratifs », Revue générale du droit on line, 2013, n° 4645.
  • 30.
    CSP, art. L. 5126-6-1 ; CSP, art. R. 4235-21.
  • 31.
    Cass. 1re civ., 1er juill. 1997, n° 95-15642.
  • 32.
    Cass. com., 26 nov. 1997, n° 1876 : RJDA 3/97, n° 300.
  • 33.
    CASF, art. L. 311-4-1, al. 2.
  • 34.
    La résiliation du contrat par le gestionnaire de l’établissement ne peut intervenir que dans les cas limitativement énumérés dans : CASF, art. L. 411-4-1, III.
  • 35.
    Teyssié V., Les groupes de contrats, 1975, LGDJ, n° 302, p. 157 et s.
  • 36.
    Teyssié V., Les groupes de contrats, 1975, LGDJ, n° 300, p. 157 et s.
  • 37.
    https://www.senat.fr/colloques/colloque_responsabilite_publique/colloque_responsabilite_publique16.html.
  • 38.
    https://www.senat.fr/colloques/colloque_responsabilite_publique/colloque_responsabilite_publique16.html.
  • 39.
    Laude A., « Aperçu de la jurisprudence nationale en matière de responsabilité du fait des médicaments défectueux », RDSS 2005, p. 743 ; Cartou E., « La transposition en droit français de la directive sur la responsabilité du fait des produits », LPA 11 avr. 1997, p. 9.
  • 40.
    Lorenzi J., « Les responsabilités du pharmacien », 2002, Litec, Jurisclasseur, Pratique professionnelle, p. 174.
  • 41.
    CE, 31 mai 1907, Deplanque.
  • 42.
    TA Bordeaux, 5 nov. 2014, n° 1201353.
  • 43.
    CAA Douai, 10 mai 2007, n° 06DA00353, commune de Maromme c/ sté X, qui concerne la force majeure.
  • 44.
    V. Tifine P., « Droit administratif français – Sixième Partie – Chapitre 3 : Conditions d’engagement de la responsabilité de l’Administration » : Revue générale du droit on line, 2013, n° 4760, www.revuegeneraledudroit.eu/ ?p=4760.
  • 45.
    CE, sect., 13 juill. 1968, n° 72002, Narcy : Lebon, p. 401 – CE, sect., 13 oct. 1978, n° 03335, Adasea Rhône : Lebon, p. 368 – CE, 6 nov. 1978, n° 02087, Bernardi : Lebon, p. 652 – T. confl. 25 janv. 1982, n° 02206, Cailloux c/ Comité national pour la sécurité des usagers de l’électricité (CONSUEL) : Lebon, p. 449 – CE, sect., 23 mars 1983, n° 33803, SA Bureau Véritas : Lebon, p. 134.
  • 46.
    L’exercice libéral se caractérise par une absence de lien de subordination et de rémunération du professionnel de santé vis-à-vis de l’établissement de santé. La responsabilité est donc assumée par le professionnel de santé dans la mesure où les « fautes éventuellement commises » relèvent du contrat qu’il a lui-même conclu avec le patient.
  • 47.
    La « faute détachable de la fonction », et donc « personnelle », a été définie par le Tribunal des conflits par la formule suivante : « Faute médicale plus que lourde, d’une gravité exceptionnelle, et inexcusable, ou n’ayant aucun rapport avec l’activité médicale » (T. confl. 3 juill. 1873, arrêt Pelletier).
  • 48.
    Cass. 1re civ., 13 mars 2001, n° 99-16093 : Bull. civ. I, n° 72.
  • 49.
    Ce principe est énoncé aux articles suivants : CSP, art. R. 4235-3 ; CSP, art. R. 4235-18. V. « Le Code de déontologie commenté », Les cahiers de l’Ordre national des pharmaciens, mars 2013, p. 12.
  • 50.
    V. Miloudia N., « Contrat de partenariat EHPAD-Officine, et respect du principe d’indépendance professionnelle du pharmacien », Actualités Pharmaceutiques, Elsevier Masson, nov. 2015, n° 550, p. 33-36.
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