Responsabilité des médicaments défectueux en Europe : à quand une réforme ?

Publié le 18/07/2023
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La directive du fait des produits défectueux, adoptée en 1985, vise d’une part l’harmonisation de la responsabilité des producteurs, afin d’éviter une distorsion de concurrence sur le marché européen et d’autre part la protection des consommateurs. L’objectif de l’admission d’une cause d’exonération de responsabilité fondée sur l’absence de connaissance scientifique au moment de la mise sur le marché du produit repose sur la volonté de ne pas entraver l’innovation industrielle. La France a choisi de transposer ce principe d’exonération de responsabilité pour risque de développement, sans toutefois y inclure les éléments et produits issus du corps humain. Par une décision du 10 mars 2023, le Conseil constitutionnel a confirmé que cette distinction fondée sur l’origine d’un produit est conforme aux droits et libertés que la Constitution garantit. Une réforme du régime européen de la responsabilité des produits défectueux pourrait néanmoins conduire à des modifications législatives.

Cons. const., 10 mars 2023, no 2023-1036

Les crises sanitaires se suivent et ne se ressemblent pas… Elles peuvent résulter d’une zoonose, d’une pandémie virale ou encore d’un manque d’information des patientes sur les risques de la prise d’un médicament pendant la grossesse. Leur point commun réside dans la souffrance des victimes et de leur famille. À la peine et la douleur peut parfois se rajouter la déception de ne pas avoir pu obtenir la reconnaissance escomptée par l’obtention d’une indemnisation importante. Dans le domaine pharmaceutique, le risque de la charge de la preuve peut parfois apparaître comme un écueil infranchissable. Les enfants du Distilbène ont dû faire la démonstration qu’ils avaient été exposés in utero à une hormone de synthèse à l’origine de leur malformation, en retrouvant des prescriptions médicales établies depuis plusieurs dizaines d’années1. D’autres malades, ayant suivi un traitement par un médicament reconnu comme défectueux, ont dû faire face à l’argument selon lequel le producteur ne pouvait avoir connaissance, au moment où le produit a été mis en circulation, du risque d’apparition d’un effet indésirable grave2.

Tel a été le cas en l’espèce, puisque la cour d’appel de Versailles par un arrêt du 24 mars 2022 a estimé qu’à la date où la victime avait pris le Mediator, le producteur ne pouvait déceler les risques cardiovasculaires inhérents au produit mis en circulation. Les ayants droit ont alors déposé un pourvoi en cassation et introduit, par mémoire distinct, une question prioritaire de constitutionnalité3. En effet selon l’article 1245-10 du Code civil, « le producteur est responsable de plein droit à moins qu’il ne prouve (…) que l’état des connaissances scientifiques et techniques, au moment où il a mis le produit en circulation, n’a pas permis de déceler l’existence du défaut ». Une exception a néanmoins été admise « lorsque le dommage a été causé par un élément du corps humain ou par les produits issus de celui-ci ». Cette distinction législative fondée sur l’origine de la matière première d’un produit, qui avait pu apparaître comme équitable dans le sillage de l’affaire du sang contaminé, peut désormais sembler incohérente pour des usagers du système de santé, qui peuvent bénéficier de molécules issues des biotechnologies.

Cette limitation aux seuls dommages causés par un élément du corps humain ou par les produits issus de celui-ci crée en conséquence une discrimination entre les victimes d’un produit défectueux. Ces dispositions « sont-elles contraires au principe d’égalité devant la loi tel que défini par les articles 1er et 6 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 ? ». Cette question posée au Conseil constitutionnel permet donc de remettre en lumière les débats inhérents à la légitimité des choix de la France d’admettre d’une part l’exonération des producteurs pour risque de développement et d’autre part de soumettre les médicaments au régime de droit commun de la responsabilité des produits défectueux.

I – Les attentes légitimes des victimes de médicaments défectueux

Selon l’article 6 de la directive du Conseil du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, transposé par la loi du 19 mai 19984, « un produit est défectueux lorsqu’il n’offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre compte tenu de toutes les circonstances » notamment de sa présentation et de l’usage qui peut en être raisonnablement attendu5. En particulier, le conditionnement des spécialités pharmaceutiques renvoie à des messages de prudence, associés à une notice d’information sur les précautions d’emploi et les risques d’apparition d’effets indésirables.

A – Une question sérieuse pour la sécurité des patients

En l’espèce, la victime a présenté des troubles cardiovasculaires à la suite d’un traitement par du benfluorex. La cour d’appel de Versailles, par un arrêt du 24 mars 2022, a néanmoins admis l’exonération de responsabilité des laboratoires Servier. La question prioritaire de constitutionnalité s’appliquant au litige a alors été considérée par la Cour de cassation comme nouvelle et sérieuse.

Il convient de remarquer que la plus haute cour de l’Ordre judiciaire a déjà censuré en 2009 la cour d’appel de Versailles pour avoir exonéré de leur responsabilité les laboratoires Servier, fabricant de l’Isoméride6. Cette spécialité pharmaceutique, dont le principe actif a une structure chimique proche du benfluorex, a été retirée du marché le 15 septembre 1997 par l’agence française de sécurité sanitaire du médicament, en raison des risques d’hypertension pulmonaire. La Cour de cassation a alors souligné que la directive européenne non encore transposée en droit interne laissait l’option aux États membres d’introduire ou non l’exonération pour risque de développement et qu’en conséquence « la société (…) avait manqué à son obligation de fournir un produit exempt de tout défaut de nature à créer un danger pour les personnes et les biens ». Une position similaire a été adoptée à l’égard d’une spécialité pharmaceutique anti-inflammatoire à l’origine d’une néphrite interstitielle immuno-allergique7.

La Cour de cassation a aussi eu l’occasion d’approuver les juges du fond pour avoir refusé d’accorder aux laboratoires Servier l’exonération pour risque de développement dans une affaire où la victime avait pris du Mediator entre 2006 et 2009, dès lors que les risques étaient connus en 1997, date de la suspension des autorisations de mise sur le marché de plusieurs spécialités pharmaceutiques, comprenant des principes actifs apparentés8. En l’occurrence, un rapport de l’IGAS mentionne que, le 20 mai 1987, le comité technique de pharmacovigilance (CTPV) avait déjà décidé l’ouverture d’une enquête sur l’Isoméride et plus encore que les laboratoires Servier savaient « depuis la fin des années soixante que la fenfluramine provoque expérimentalement des hypertensions artérielles pulmonaires chez l’animal »9. Ces éléments permettent de s’interroger sur les critères chronologiques devant être pris en compte pour l’admission de l’exonération de responsabilité des producteurs de produits défectueux, sachant que la Cour de justice des Communautés européennes a précisé en 1997 que l’état des connaissances scientifiques et techniques, tel que spécifié par la directive, comprenait l’ensemble du savoir mondial à « son niveau le plus avancé, tel qu’il existait au moment de la mise en circulation du produit en cause »10. Les magistrats pourraient rencontrer d’autres difficultés quant à la distinction des produits issus du corps humain, parmi les autres produits de santé, dont certains peuvent posséder le statut de médicament. Le développement progressif de thérapies cellulaires, tissulaires ou géniques pourrait conduire à une classification renouvelée des produits biologiques mis sur le marché de l’Union européenne.

La conception d’un médicament est devenue un acte complexe associant plusieurs composés d’origines chimiques ou biologiques. Que se passera-t-il si le principe actif d’une spécialité pharmaceutique litigieuse se compose de cellules humaines drastiquement modifiées ou que les excipients utilisés contiennent des traces d’éléments biologiques ? Les juges devront alors répondre à des questions à la fois éthiques, juridiques et scientifiques, que le législateur ne pouvait anticiper en 1998. En outre, ce régime discriminatoire, introduit par l’article 13 de la loi relative à la responsabilité du fait des produits défectueux, paraît aller à l’encontre de l’unification du statut des produits de santé résultant de la création de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé11.

B – Les caractéristiques particulières des produits dérivés du corps humain

La directive du fait des produits défectueux, adoptée en 1985, vise d’une part l’harmonisation de la responsabilité des producteurs, afin d’éviter une distorsion de concurrence sur le marché européen et d’autre part la protection des consommateurs. L’objectif de l’admission d’une cause d’exonération de responsabilité fondée sur l’absence de connaissance scientifique au moment de la mise sur le marché du produit pouvait alors reposer sur la volonté de ne pas entraver l’innovation industrielle12. Le législateur européen, sans doute conscient des préoccupations liées à ce changement de paradigme, a laissé en 1985 la possibilité aux États membres de ne pas intégrer dans leur droit interne une restriction de la protection des consommateurs13. Face aux nombreux débats parlementaires, le gouvernement français a alors souhaité présenter un amendement selon lequel le producteur ne peut invoquer la cause d’exonération « lorsque le dommage a été causé par un élément du corps humain, par les produits qui sont issus de celui-ci, ou par tout autre produit de santé destiné à l’homme à finalité préventive, diagnostique ou thérapeutique »14. En définitive, malgré l’opposition de la commission des lois du Sénat, la France a choisi de transposer, à l’inverse du Luxembourg ou de la Finlande15, le principe de l’exonération du fabricant prévu à l’article 7e) de la directive16, en ne retenant qu’une exclusion limitée aux éléments et produits issus du corps humain.

Dans ces conditions, comme relevé dans la décision du 10 mars 2023, le Conseil constitutionnel est « compétent pour contrôler la conformité de l’article 1386-12 du Code civil aux droits et libertés que la Constitution garantit », puisque les dispositions nationales ne résultent pas d’une simple transposition de la directive du fait des produits défectueux17. En revanche, le caractère succinct de l’analyse donnée par les Sages de la rue de Montpensier peut alors apparaître comme décevant. En effet seuls sont mentionnés les risques spécifiques des éléments du corps humain et des produits issus de celui-ci, indépendamment du processus de fabrication, comme facteurs justificatifs de la différence de traitement des victimes de produits défectueux. La double référence d’une part au livre II de la première partie du Code de la santé publique intitulé « Don et utilisation des éléments et produits du corps humain » et d’autre part au chapitre II du livre 1er du Code civil, « Du respect du corps humain », vise à souligner la nature particulière des éléments qui en sont issus, et qui impose l’admission de principes éthiques quant à leur utilisation.

Plus précisément, l’article L. 1221-8 du Code de la santé publique énumère comme pouvant être préparés à partir du sang et de ses composés le plasma, les cellules sanguines, les pâtes plasmatiques, les médicaments issus du fractionnement du plasma, mais aussi des dispositifs médicaux de diagnostic in vitro et leurs accessoires, des produits cellulaires à finalité thérapeutique ou encore des excipients à usage pharmaceutique. Ces dispositions renvoient à une décision de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) pour connaître les caractéristiques des produits sanguins labiles pouvant être distribués à des fins thérapeutiques, dont la liste est donc susceptible d’évoluer en fonction des progrès de la science18. D’autres dispositions du livre II traitent des greffes d’organes19, des dons de gamètes20 ou encore de la collecte de cellules, de tissus et produits de corps humain21. Plusieurs articles du même livre abordent notamment le prélèvement de cellules hématopoïétiques dans la moelle osseuse, le sang périphérique ou placentaire. Les précisions relatives à la conservation, la distribution et la cession de préparations de thérapie cellulaire d’origine autologue ou allogénique peuvent être examinées au regard du règlement européen de 2007 concernant les médicaments de thérapie innovante22.

Si cette décision du Conseil constitutionnel s’inscrit dans la droite ligne de la loi relative à la responsabilité du fait des produits défectueux, telle que modifiée en 200423, elle laisse place à de nombreuses interrogations tant juridiques que scientifiques. Dans un tel contexte, des éclaircissements pourraient provenir des institutions européennes, qui projettent une réforme de plusieurs textes touchant à la sécurité des patients et des consommateurs de produits de santé.

II – Les médicaments, des produits pas comme les autres

Tout principe actif utilisé en vue de restaurer, corriger ou modifier les fonctions physiologiques peut présenter des propriétés qui permettent de prévenir, soulager ou traiter une maladie, mais peut aussi être à l’origine d’effets indésirables parfois graves, pas toujours détectés durant les essais cliniques. Selon l’adage populaire, les pharmaciens ne sont-ils pas les gardiens des poisons ? Ainsi, la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à la sécurité générale des produits exclut les médicaments de son champ d’application24. En l’occurrence, les fondations du droit pharmaceutique européen reposent sur le Code communautaire du médicament à usage humain25 ou à usage vétérinaire26. L’évolution de ces dispositions juridiques devra alors intégrer le développement concomitant des biotechnologies et des thérapies cellulaires ou génétiques. En parallèle, la réforme de la directive du fait des produits défectueux devient essentielle face à l’avènement de la santé mobile et des logiciels associés avec des dispositifs médicaux.

A – Les médicaments de thérapie innovante

Outre l’admission comme cause d’exonération de la responsabilité des producteurs, les risques liés au développement d’une innovation de rupture, l’adoption de la directive de 1985 a fait craindre, aux patients et aux consommateurs de produits de santé, une complexité accrue des procédures judiciaires et des éléments de preuve à apporter en cas de demande d’indemnisation. Si l’article 13 de la directive pouvait laisser penser possible la persistance de régimes prétoriens de responsabilité fondés sur une obligation de sécurité résultat, la Cour de justice des Communautés européennes par un arrêt du 25 avril 2002 est venue préciser, dans un litige concernant une personne victime d’une contamination transfusionnelle par l’hépatite C, que l’objectif d’harmonisation interdisait le maintien d’un autre régime de réparation « reposant sur le même fondement que celui mis en place par la directive et non limité à un secteur déterminé »27. En revanche, le régime national institué par le Conseil d’État, selon lequel sans préjudice d’éventuels recours en garantie le service public hospitalier est responsable, même en l’absence de faute de sa part, des conséquences dommageables pour les usagers de la défaillance des produits et appareils de santé qu’il utilise, a pu être maintenu, sur le fondement d’un arrêt rendu le 21 décembre 201128.

L’Allemagne a fait un choix législatif exemplaire en maintenant puis en modifiant une loi spéciale sur la responsabilité des producteurs pharmaceutiques du fait du risque créé, sans exonération possible en raison d’un défaut de développement29. Sans inverser la charge de la preuve, ces dispositions permettent à une personne qui estime avoir subi des dommages consécutifs à la prise d’un médicament d’obtenir des renseignements sur les effets indésirables éventuels d’un produit auprès de l’établissement industriel mis en cause. Ainsi, dans un litige opposant Novo Nordisk Pharma GmbH à une patiente diabétique qui a présenté une lipoatrophie au niveau des sites d’injection, l’avocat général a pu souligner qu’« une telle réglementation nationale ne tend qu’à combler le déséquilibre significatif qui existe entre le fabricant du produit concerné et le consommateur »30. Il convient de remarquer que cette procédure d’indemnisation n’est pas aussi favorable pour le patient qu’il n’y paraît, dans la mesure où la loi précise que « l’obligation de réparation s’applique uniquement si le produit pharmaceutique entraîne, en cas d’utilisation conforme, des effets néfastes qui excèdent le niveau jugé acceptable au regard des connaissances scientifiques médicales » et que les laboratoires pharmaceutiques ou les autorités de santé peuvent opposer aux demandes d’information des patients, un intérêt prépondérant, nécessitant le maintien de la confidentialité. Cette affaire a néanmoins permis à la Cour de justice de l’Union européenne de préciser qu’un régime spécial de responsabilité propre au secteur du médicament, adopté en 1976 et modifié depuis, est compatible avec l’article 13 de la directive du fait des produits défectueux.

Les établissements pharmaceutiques constituent souvent des entreprises à la pointe de l’innovation, avec le désir de mettre sur le marché des produits de qualité, destinés à combler un besoin thérapeutique non encore satisfait. À cet égard le développement des immunothérapies a transformé le diagnostic de certains cancers, non sans provoquer des effets indésirables parfois graves et pas toujours connus. Ainsi les lymphocytes T (globules blancs) d’un patient peuvent être génétiquement modifiés pour les rendre capables de reconnaître les cellules tumorales et de les détruire. D’autres médicaments peuvent être administrés en vue de remplacer une séquence génétique défaillante, à l’origine d’une maladie héréditaire comme l’hémophilie ou l’amyotrophie spinale. En outre, un règlement européen adopté en 2007 définit les médicaments de thérapie génique, cellulaire, tissulaire et combinés avec un dispositif médical31. Associées avec le Code communautaire du médicament, ces dispositions organisent les procédures de mise sur le marché de ces innovations pharmaceutiques, avec l’objectif de maintenir un équilibre entre la sécurité des patients et la compétitivité de l’industrie pharmaceutique. Ces évolutions thérapeutiques et juridiques pourraient ainsi contribuer à repousser les limites de l’appréhension du corps humain et des produits qui en sont issus.

B – Le droit pharmaceutique face au droit commun de la responsabilité

La proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à la responsabilité du fait des produits défectueux, présentée par la Commission européenne en 202232, vise à moderniser le précédent régime et à en combler les lacunes. Le choix d’une directive n’est pas anodin puisqu’il permet aux États membres d’adapter leur organisation judiciaire pour l’atteinte des objectifs européens de libre circulation des biens et des services. Pour autant, les marges de manœuvre accordées aux institutions nationales restent limitées. En effet, selon l’article 3 de la proposition, « les États membres s’abstiennent de maintenir ou d’introduire, dans leur droit national, des dispositions s’écartant de celles fixées par la présente directive, notamment des dispositions plus strictes ou plus souples visant à assurer un niveau différent de protection des consommateurs, sauf si la présente directive en dispose autrement ». Au demeurant, les personnes lésées pourront se prévaloir d’un régime spécial de responsabilité, comme en matière pharmaceutique, mais à la condition que celui-ci soit antérieur au 30 juillet 1985.

Cette proposition de réforme de la responsabilité sans faute s’avère fortement influencée par l’avènement de l’économie numérique et de l’intelligence artificielle. Désormais le terme « produit » renvoie à la notion de meuble, par exemple une spécialité pharmaceutique, mais aussi à des éléments incorporels comme des logiciels, autonomes ou accessoires. Plus encore, un fabricant pourrait engager sa responsabilité en raison de son incapacité à fournir une mise à jour de sécurité. Ainsi les patients diabétiques ou cardiaques qui manipulent régulièrement des applications mobiles pourraient bénéficier d’une protection supplémentaire. En parallèle, les personnes en situation de handicap utilisant un fauteuil roulant d’occasion, qui aurait subi des réparations substantielles, pourraient disposer d’une action en réparation spécifique, au sein d’une économie solidaire et circulaire.

L’architecture de la proposition de la Commission européenne cherche à obtenir un équilibre entre les intérêts des industriels et la protection des consommateurs. Sur un modèle proche de celui prévu par le régime de responsabilité établi en Allemagne dans le secteur du médicament, les juridictions des États membres auront la possibilité d’« ordonner au défenseur de divulguer les éléments de preuve pertinents », dans le respect du secret des affaires et des intérêts légitimes des parties. Sur ce fondement et dans le prolongement de la décision rendue par la CJCE le 21 juin 2017, l’admission de la preuve par présomption pourrait faciliter les démarches des victimes de produits de santé33.

Telle qu’envisagée, cette réforme pourrait provoquer de nombreuses interrogations, lorsque la prise d’un médicament serait à l’origine d’un dommage. En effet, le texte précise que la défectuosité du produit est présumée lorsqu’il est établi que le « produit n’est pas conforme aux exigences de sécurité obligatoires prévues par le droit de l’Union ou le droit national » ou en cas de « dysfonctionnement manifeste du produit lors d’une utilisation normale » ; dans ces conditions, comment sera appréhendée l’apparition d’effets indésirables graves consécutifs à un traitement ? Quelles seront les conséquences d’une prescription d’un médicament en dehors des indications du dossier d’autorisation de mise sur le marché ? La reconnaissance de l’existence de difficultés excessives pour rassembler les preuves pourra éventuellement contribuer à simplifier la procédure pour l’indemnisation des patients.

En revanche, les délais de prescription de 3 ans à partir du moment où la personne aurait dû avoir connaissance du dommage et du défaut, puis de 10 ans à partir de la mise sur le marché ou de la mise en service du produit, sont maintenus. Certes, une prolongation de 5 ans peut être accordée, en cas de lésions corporelles apparues tardivement, mais cette période de latence notamment en cas d’ingestion d’un produit défectueux paraît largement insuffisante si l’on tient compte des risques de cancers provoqués par certaines spécialités pharmaceutiques. En parallèle, la confirmation de l’exonération de responsabilité pour risque de développement, avec l’objectif de favoriser l’innovation sur le marché intérieur, pourrait une nouvelle fois provoquer de nombreux débats au sein des États membres et ceci d’autant plus que la Commission a exclu toute possibilité d’option. L’exigence de la prise en compte du « niveau le plus avancé de connaissances objectives » pourrait ne pas être suffisante pour maintenir un équilibre entre les opérateurs et les consommateurs. Dans ces conditions, l’article 1245-11 du Code civil pourrait devoir être modifié ou même abrogé, supprimant ainsi les difficultés liées à la caractérisation des différents produits issus du corps humain.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Cass. 1re civ., 24 sept. 2009, n° 08-10081 : Bull. civ. I, n° 186.
  • 2.
    Cass. 1re civ., 15 mai 2007, n° 05-10234, FS-PB : I. Gallmeister, « Exonération pour risque de développement », Dalloz actualité, 28 mai 2007 – Cass. 1re civ., 9 juill. 2009, n° 08-12777.
  • 3.
    Cass. 1re civ., 5 janv. 2023, n° 22-17439, QPC, FS-B : note L. Bloch, Resp. civ. et assur. 2023, comm. p. 51.
  • 4.
    L. n° 98-389, 19 mai 1998, relative à la responsabilité du fait des produits défectueux : JO, 21 mai 1998.
  • 5.
    D. du conseil du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions législatives, règlementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité́ du fait des produits défectueux, (85/374/CEE) : JOCE n° L 210/29 du 7 août 1985.
  • 6.
    Cass. 1re civ., 9 juill. 2009, n° 08-12777, D.
  • 7.
    Cass. 1re civ., 15 mai 2007, n° 05-10234, FS-PB : Bull. civ. I, n° 185 ; note. I. Gallmeister, « Produits défectueux : exonération pour risque de développement », D. 2007, p. 1592.
  • 8.
    Cass. 1re civ., 20 sept. 2017, n° 16-19643 : obs. J. Peigné, RDSS 2017, p. 1132.
  • 9.
    Inspection générale des affaires sociales, RM2011-001P, (A.-C. Bensadon, E. Marie, et A. Morelle), enquête sur le Médiator, rapport définitif, janv. 2011, p. 261.
  • 10.
    CJCE, 29 mai 1997, n° C-300/95 : commission des Communautés européennes c/ Royaume-Uni de Grande Bretagne et d’Irlande : JCP 1997, G, I 4070, p. 520 ; LPA 17 déc. 1997, p. 31.
  • 11.
    CSP, art. L. 5311-1 ; L. n° 98-535, 1er juill. 1998, relative au renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire des produits destinés à l’homme : JO, 2 juill. 1998.
  • 12.
    M. Cartapanis, « Faut-il repenser l’exonération pour risque de développement ? », RTD civ. 2021 p. 523.
  • 13.
    « Considérant que, pour des raisons analogues, la possibilité́ offerte à un producteur de se libérer de la responsabilité s’il prouve que l’état des connaissances scientifiques et techniques au moment de la mise en circulation du produit par lui ne permettait pas de déceler l’existence du défaut peut être ressentie dans certains États membres comme une restriction injustifiée de la protection des consommateurs ; qu’il doit donc être possible pour un État membre de maintenir dans sa législation ou de prescrire par une législation nouvelle l’inadmissibilité de cette preuve libératoire ».
  • 14.
    Doc. Sénat, séance du 25 février 1998, amendement 25 (rectifié) présenté par Mme Élisabeth Guigou, garde des Sceaux.
  • 15.
    M. Duneau, « Le médicament et les risques de développement, après la loi du 19 mai 1998 », Méd. & Droit 1999, 34, p. 23.
  • 16.
    Art. 7 de la directive n° 85/374 CEE du Conseil : « Le producteur n’est pas responsable en application de la présente directive s’il prouve : e) que l’état des connaissances scientifiques et techniques au moment de la mise en circulation du produit par lui n’a pas permis de déceler l’existence du défaut ».
  • 17.
    Produit défectueux (élément du corps humain) : constitutionnalité du régime – Cons. const., 10 mars 2023, n° 2023-1036 : D. 2023, p. 501.
  • 18.
    Décision, 4 juin 2020, fixant la liste et les caractéristiques des produits sanguins labiles : JO, 27 juin 2002 ; Décision, 26 nov. 2020, modifiant la décision du 4 juin 2020 modifiée fixant la liste et les caractéristiques des produits sanguins labiles : JO, 10 déc. 2020.
  • 19.
    Titre V : Dispositions communes aux organes, tissus et cellules (CSP, art. L. 1251-1).
  • 20.
    Chapitre III : Gamètes (CSP, art. L. 1273-1 ; CSP, art. L. 1273-6).
  • 21.
    Titre IV : Tissus, cellules, produits du corps humain et leurs dérivés (CSP, art. L. 1241-1 à CSP, art. L. 1245-8).
  • 22.
    PE et cons. UE, règl. n° 1394/2007, 13 nov. 2007, concernant les médicaments de thérapie innovante et modifiant la directive n° 2001/83/CE ainsi que le règlement (CE) n° 726/2004 (texte présentant de l’intérêt pour l’EEE) : JOCE n° L 324/121 du 10 décembre 2007.
  • 23.
    L. n° 2004-1343, 9 déc. 2004, de simplification du droit : JO, 10 déc. 2004.
  • 24.
    Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à la sécurité générale des produits, modifiant le règlement (UE) n° 1025/2012 du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive n° 87/357/CEE du Conseil et la directive n° 2001/95/CE du Parlement européen et du Conseil (cons. 14) : 30 juin 2021, COM (2021), 346 final, 2021/0170 (COD).
  • 25.
    PE et cons. UE, dir. n° 2001/83, 6 nov. 2001, instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain : JOCE n° L. 311/67, 28 nov. 2001.
  • 26.
    PE et cons. UE, règl. n° 2019/6, 11 déc. 2018, relatif aux médicaments vétérinaires et abrogeant la directive n° 2001/82/CE (texte présentant de l’intérêt pour l’EEE) : JOCE n° L 4/43 du 7 janvier 2019.
  • 27.
    CJCE, 5e ch., 25 avr. 2002, n° C-183/00 : D. 2003, p. 463, obs. D. Mazeaud.
  • 28.
    CJUE, gde ch., 21 déc. 2011, n° C-495/10, CHU de Besançon c/ Dutrueux : Rec CJUE 2011, I, 14155 ; Dr. adm. 2012, comm. 42, note C. Lantero.
  • 29.
    Gesetz zur Neuordnung des Arzneimittelrechts vom 24-8-1976.
  • 30.
    CJUE, 4e ch., 20 nov. 2014, n° C-310/13, Novo Nordisk Pharma.
  • 31.
    PE et cons. UE, règl. n° 1394/2007, 13 nov. 2008, concernant les médicaments de thérapie innovante et modifiant la directive n° 2001/83/CE ainsi que le règlement (CE) n° 726/2004 : JOCE n° L 324/121 du 10 décembre 2007.
  • 32.
    Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à la responsabilité du fait des produits défectueux, COM(2022) 495 final, sept. 2022.
  • 33.
    CJUE, 21 juin 2017, n° C-621/15, Cts WW c/ Sanofi-Pasteur : Dalloz actualité, 28 juin 2017, note J.-S. Borghetti ; JCP 2017, 908 ; note. G. Viney ; RCA 2017, n° 9, p. 3, chron. L. Bloch.
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