Soins psychiatriques sans consentement : précisions sur le contrôle des libertés et de la détention
Dans cette décision publiée au Bulletin, la Cour de cassation a été amenée à préciser deux éléments. D’une part, le point de départ du délai de 12 jours dans lequel le juge des libertés et de la détention doit statuer sur une mesure de soins psychiatriques sans consentement. D’autre part, l’étendue de la compétence de ce dernier relativement au contrôle de la mesure. Il résulte de l’arrêt du 7 novembre 2019 que le délai commence à courir au jour de la décision d’admission du directeur d’établissement et que le contrôle du juge judiciaire ne peut porter sur le bien-fondé d’une mesure d’isolement d’un service d’urgences psychiatriques.
Cass. 1re civ., 7 nov. 2019, no 19-18262
La connaissance du délai d’intervention du juge des libertés et de la détention (JLD) en matière de soins sans consentement porté à 12 jours ne suffit pas. Encore faut-il être certain de son point de départ. C’est notamment sur ce point que la première chambre civile de la Cour de cassation a eu à s’interroger dans un arrêt de rejet du 7 novembre 2019 largement diffusé. Par cette décision, au-delà de la computation des délais, les magistrats saisissent également l’occasion de préciser la portée du contrôle du juge judiciaire.
Dans cette affaire, à la suite d’une dispute familiale et d’une crise clastique, un homme alcoolisé a été conduit par les forces de l’ordre aux urgences d’un hôpital et placé à l’isolement. Le 12 septembre 2018, son père demande son admission en soins psychiatriques sans consentement. Le lendemain, le directeur de l’établissement de santé prend la décision de l’admettre en se fondant sur deux certificats médicaux. Le 17 septembre 2018, le directeur de l’établissement saisit le juge des libertés et de la détention pour voir ordonner la prolongation de ladite mesure, lequel donne droit à sa demande le 24 septembre 2018.
Le premier président de la cour d’appel de Reims ayant confirmé le 10 octobre 2018 l’ordonnance du JLD, le patient forme un pourvoi en cassation. Il prétend que le délai de saisine du JLD commençait à courir au jour où il a été admis aux urgences psychiatriques et non au jour de la décision du directeur de l’établissement de santé. Par ailleurs, il conteste la compétence du juge qui n’a pas contrôlé les mesures prises dès son admission aux urgences psychiatriques.
Il invite ainsi la Cour de cassation à s’interroger, d’une part, sur le point de départ du délai de 12 jours dans lequel le JLD doit statuer et, d’autre part, sur l’étendue de la compétence de ce dernier relativement aux mesures d’isolement et de contention.
La Cour de cassation qui s’en tient à la lettre de la loi rejette le pourvoi formé et se rallie à la position du premier président de la cour d’appel de Reims pour décider que le délai commence à courir au jour de la décision du directeur de l’établissement de santé. De la sorte, le JLD est compétent pour contrôler le respect de la procédure de soins sans consentement mais son contrôle est limité. Il ne s’étend pas à la mise en œuvre de la mesure d’isolement et de contention en ce qu’il ne porte que sur le respect de la procédure. Cette décision dont la diffusion témoigne sinon de son importance, à tout le moins de son intérêt pratique sera l’occasion de rappeler le point de départ du délai de 12 jours dans la procédure de soins sur décision d’un directeur d’établissement (I) pour mieux comprendre l’étendue du contrôle du JLD (II).
I – Le point de départ du délai de 12 jours dans la procédure de soins sur décision d’un directeur d’établissement
Les conditions des soins sans consentement. Les soins sans consentement ont évolué, notamment du point de vue de leur organisation si bien que les modalités de prise en charge sont aujourd’hui variées (hôpital, soins ambulatoires) et rigoureusement encadrées. La prise en charge des patients en état de trouble mental et hors d’état de manifester leur volonté intéresse autant les praticiens que les théoriciens. En effet, l’idée d’une hospitalisation sous contrainte évoque immanquablement une mesure liberticide. Cela va d’ailleurs à l’encontre du principe de l’article L. 1111-4 du Code de la santé publique qui exige un consentement libre et éclairé. Pourtant, l’accompagnement forcé est parfois nécessaire, dans l’intérêt de la personne. C’est ainsi que la loi du 5 juillet 20111 est venue encadrer le régime des soins sans consentement dont les dispositions figurent à l’article L. 3212-1 du Code de la santé publique, complétée ultérieurement par la loi du 27 septembre 20132.
Il existe désormais les soins sur décision d’un directeur d’établissement (SDDE), lorsque les troubles mentaux rendent impossible le consentement et que l’état mental du majeur impose des soins immédiats. Les mesures de soins contraints peuvent être à l’initiative d’un tiers. Dans ce cas, il s’agit de soins sur demande d’un tiers, que ce soit en urgence ou non (SDT ou SDTU). En l’absence de tiers pour épauler les personnes isolées, les soins sans consentement sont soumis à une autre mesure de soins en cas de péril imminent (SPI). Par ailleurs, il existe les soins sur décision du représentant de l’État (SDRE) qui concernent les malades atteints de troubles mentaux compromettant l’ordre public. Ce n’est, du reste, pas le cas en l’espèce puisque le patient fait l’objet de soins sur décision d’un directeur d’établissement, à l’initiative d’un tiers.
En tout état de cause, qu’il s’agisse de soins sur demande d’un tiers ou en cas de péril imminent, l’article L. 3212-1 du CSP exige toujours deux conditions cumulatives. Il faut que les troubles mentaux rendent impossible le consentement et qu’ils imposent des soins immédiats. Dès lors, dans l’affaire soumise à commentaire, l’homme fortement alcoolisé et en crise clastique remplissait les conditions nécessaires et suffisantes pour être placé à l’isolement au service des urgences de l’hôpital. Son père ayant la qualité de tiers agissant dans l’intérêt du patient3 a fait une demande d’admission manuscrite en prenant soin de préciser la nature des relations qui l’unissait au patient. Le directeur de l’établissement de soins a par la suite décidé de l’admettre en hospitalisation complète sur la foi de deux certificats médicaux constatant les troubles mentaux, l’un émanant d’un médecin extérieur à l’établissement d’accueil, l’autre d’un médecin exerçant dans cet établissement4.
Dès lors, à compter de la décision d’admission s’ensuit une période d’observation ne pouvant excéder 72 heures. Si la mesure de soins sans consentement est maintenue, un programme de soins établi par le psychiatre de l’établissement en accord avec le patient fixera les modalités de prise en charge. Cela peut notamment prendre la forme d’une hospitalisation à domicile, en ambulatoire ou à temps partiel. Dans cette affaire, il s’agissait d’une hospitalisation complète ce qui importe peu au regard des questions soulevées devant la haute juridiction.
L’audience du juge des libertés et de la détention. À l’issue d’une période de 12 jours, le JLD intervient au cours d’une audience pendant laquelle le patient est assisté de son avocat. Dans le cas d’espèce, tout l’intérêt était de savoir à partir de quand commençait à courir ce délai. Faut-il tenir compte, à l’instar du patient, de la prise en charge effective par le service des urgences psychiatriques ? C’est, en effet, à compter de cette date que le patient a été privé de liberté et soumis à des soins contraints. Faut-il, à l’inverse, tenir compte de la date de la décision d’admission prise par le directeur de l’établissement de santé ? En somme, est-ce la lettre ou l’esprit de la loi qu’il faut faire prévaloir ?
La question n’est pas dénuée d’intérêt pour qui s’intéresse aux conséquences pratiques. Si l’on fait prévaloir l’esprit du texte, alors on peut admettre sans ambages que la mesure privative de liberté a commencé dès son entrée forcée aux urgences psychiatriques. Il serait aussi permis d’affirmer que les urgences et les établissements hospitaliers œuvrent dans un intérêt commun et que, de fait, le délai devrait commencer à courir au jour où le patient a été reçu aux urgences. Ce serait, du reste, conforme à l’article 66 de la constitution au terme duquel « nul ne peut être arbitrairement détenu ». Or la haute juridiction se livre à une interprétation très stricte et préfère faire prévaloir la lettre de la loi, et en particulier celle de l’article L. 3211-12-1 du Code de la santé publique, pour retenir que seul le prononcé de la décision d’admission par le directeur de l’établissement fait foi. Cette décision d’admission constitue dès lors le point de départ de la computation du délai de 12 jours. Ainsi, la décision d’admission en établissement de santé l’emporte sur le jour de l’admission effective en soins d’urgence. À ce titre, il est permis de penser que tout ce qui est antérieur à cette décision s’analyse en une mesure préventive voire, à certains égards, conservatoire. La haute juridiction ne laisse pas de place à l’incertitude et confirme sa position5. Au surplus, elle éclaire les décisions futures comme le très récent arrêt du 20 novembre 20196 qui concernait le point de départ du délai de 24 heures et de 72 heures dans le cadre de soins sur décision d’un représentant de l’État. En pareille hypothèse, là encore, le point de départ reste le jour de la décision d’admission.
II – L’étendue du contrôle du juge des libertés et de la détention
Les soins sans consentement portent atteinte à la liberté d’aller et de venir. Or, l’article 66 de la constitution précise que « nul ne peut être arbitrairement détenu », et « l’autorité judiciaire, gardienne des libertés individuelles, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi ». C’est donc le juge qui exerce un contrôle sur ces mesures privatives de liberté et en particulier, le JLD dont le contrôle jalonne les étapes de la procédure d’hospitalisation. C’est pour cette raison qu’il évalue régulièrement la situation. Toutefois, le juge n’est pas médecin et le médecin n’est pas juge. C’est ainsi que pourrait simplement être résumée l’étendue du contrôle du JLD en matière de mesures d’isolement et de contention. En d’autres termes, le juge judiciaire ne contrôle pas l’opportunité de la mesure médicale. Il en contrôle la régularité.
Du reste, ces garanties s’appliquent dans les établissements de santé comme en témoigne l’article L. 3222-5-1 du Code de la santé publique. Or les services d’urgences psychiatriques ne sont pas considérés comme tels. C’est, d’ailleurs, un des arguments du demandeur au pourvoi qui prétend que cela va à l’encontre des garanties légales en l’absence de contrôle du juge. Néanmoins, la Cour de cassation précise dans cet arrêt de rejet que le JLD est compétent pour garantir la régularité de la procédure et non pour statuer sur la nécessité de la mesure. La mise à l’isolement dans le service des urgences échappe au contrôle du JLD. En définitive, bien que séparées dans le pourvoi, cette question de la compétence du juge semble indissociable de celle du point de départ du délai des 12 jours. Incontestablement, c’est la décision d’admission rendue par le directeur d’établissement qui fait courir le délai dont dépend le contrôle du juge et son étendue relativement à la régularité de la mesure de soins contraints.
Notes de bas de pages
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1.
L. n° 2011-803, 5 juill. 2011, relative aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge.
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2.
L. n° 2013-869, 27 sept. 2013, modifiant certaines dispositions issues de la loi n° 2011-803 du 5 juillet 2011, relative aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge.
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3.
CSP, art. L. 3212-1, II, 1°.
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4.
CSP, art. L. 3212.
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5.
Cass. 1re civ., 5 févr. 2014, n° 11-28564 : D. 2014, p. 2021, obs. Laude A.
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6.
Cass. 1re civ., 20 nov. 2019, n° 18-50070.