Un médecin retraité qui exerce une activité de formateur est soumis aux cotisations de retraite

Un médecin libéral a exercé après sa retraite une activité d’enseignant, qui selon les juges n’entre pas dans les activités qui peuvent être considérées comme totalement distinctes d’une activité médicale. Cela peut donc servir de fondement à une contrainte justifiée par le non-paiement de cotisations dues à la caisse de retraite.
Dans la présente espèce concernant un médecin qui, après sa retraite, a continué à exercer une activité, en l’occurrence d’enseignement, les juges, adoptant une conception large de l’activité médicale (II), ont fondé leur décision sur cette interprétation pour justifier une contrainte (I), qui avait été annulée et délivrée à l’intéressé pour le paiement de cotisation auprès de la caisse de retraite.
Pour la Cour de cassation, le médecin retraité inscrit à un tableau de l’ordre des médecins en qualité de médecin retraité non exerçant doit être affilié à la Caisse autonome de retraite des médecins de France s’il exerce, à titre libéral, une activité médicale1. En se déterminant, sans rechercher si l’activité de formation exercée par le cotisant était en lien avec ses compétences et son expérience de médecin, la cour d’appel a privé sa décision de base légale.
I – La contrainte
Pour le recouvrement des sommes qui leur sont dues, les caisses de retraite, ici la Caisse autonome de retraite des médecins de France, disposent de la procédure de contrainte soumise à des principes (A) et conditions (B) qui peut faire l’objet d’une opposition qui n’est pas subordonnée à sa signification ou à sa notification préalable au débiteur2.
A – Principes
Cotiser à l’URSSAF, ou à ses équivalents, est dans certains domaines une obligation légale3. Le problème du recouvrement forcé4 des cotisations sociales est permanent. De sérieuses difficultés surgissent dans l’articulation de la mise en demeure et de la contrainte5.
La contrainte est le moyen le plus utilisé en pratique6 par l’URSSAF, les caisses de retraite et autres organismes sociaux si elle est régulière et, à défaut d’opposition motivée du redevable dans le délai d’un mois7, elle leur permet d’obtenir un titre exécutoire dans des conditions dérogatoires au droit commun et emporte les mêmes effets qu’un jugement8. Sa validité est soumise à un formalisme9.
B – Conditions
La contrainte doit être signée par le directeur de l’organisme de recouvrement ou son délégataire10, les juridictions doivent rechercher si son signataire était titulaire d’une délégation du directeur de l’organisme de recouvrement11, une signature scannée et non électronique12 ne permet pas de déterminer l’identité de la personne l’ayant apposée, et ne remplit donc pas les conditions exigées13.
Le directeur de l’organisme créancier peut ainsi délivrer un titre exécutoire. La contrainte est notifiée au débiteur par tout moyen permettant de rapporter la preuve de sa date de réception ou est signifiée par acte d’huissier de justice, maintenant commissaire de justice ; elle peut être décernée par lettre recommandée avec accusé de réception14.
La contrainte doit être motivée selon les règles applicables à la mise en demeure, elle doit permettre à son destinataire d’avoir connaissance de la nature, de la cause et de l’étendue de son obligation15, et donc lui permettre de disposer d’une information suffisante16. La contrainte qui fait référence à une mise en demeure valide ne peut pas être annulée17. L’indication du montant de la dette constitue une mention obligatoire de toute contrainte, le montant des sommes indiqué sur la contrainte ne peut être supérieur à celui mentionné dans la mise en demeure, notamment lorsque des règlements partiels sont intervenus depuis l’envoi de la mise en demeure. La contrainte demeure valable pour la somme restant due, les acomptes étant déduits du montant global indiqué18. Elle demeure valable pour la partie de la somme correspondant aux majorations de retard19.
La contrainte peut viser plusieurs créances ayant donné lieu à des mises en demeure successives20. Mais l’indication d’un montant global indifférencié ne peut constituer une information suffisante du cotisant sur l’étendue de sa dette. La validité de la contrainte suppose que l’origine et le montant des différentes créances soient identifiables, notamment par référence aux mises en demeure correspondantes.
En dehors de la somme, d’autres mentions sont obligatoires et doivent figurer dans la contrainte21. Il s’agit de l’adresse du tribunal judiciaire compétent ; l’absence d’indication ou l’indication incomplète ou erronée dans l’acte de signification d’une contrainte décernée par le directeur de l’organisme de recouvrement, par acte d’un commissaire de justice, ou par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, du délai dans lequel l’opposition doit être formée, de l’adresse du tribunal compétent ou des formes requises pour sa saisine, a pour effet de ne pas faire courir le délai dans lequel l’opposition doit être formée22, il doit être indiqué dans la contrainte. Dès lors qu’il a été dûment informé des voies et délais de recours qui lui sont ouverts devant les juridictions, à défaut d’opposition dans le délai, le cotisant est irrecevable à contester la régularité et le bien-fondé des chefs de redressement qui font l’objet de la contrainte ; cette règle n’est pas en contradiction avec le droit à un procès équitable23.
Ces règles de forme doivent être respectées « à peine de nullité »24. La partie invoquant la nullité de l’acte doit être capable de prouver que le non-respect des règles prescrites lui a causé un préjudice25. Toutefois, le tribunal n’a pas à vérifier d’office si le contenu de la contrainte a permis au cotisant d’avoir connaissance de l’ensemble des informations prévues. L’exception de nullité d’une contrainte fondée sur l’absence de ces mentions peut être proposée en tout état de cause26.
En pratique, l’URSSAF utilise un modèle-type de contrainte, ce qui limite les risques d’erreurs formelles mais ne règle pas les difficultés.
Le cotisant qui a reçu une mise en demeure puis une contrainte peut, même s’il n’a pas contesté la mise en demeure, former une opposition à la contrainte motivée sur le manque de fondement des chefs du redressement prononcé contre lui27.
Dès lors que la mise en demeure à laquelle la contrainte faisait référence permettait au cotisant de connaître la nature, la cause et l’étendue de son obligation, l’opposition devait être rejetée et la contrainte validée28.
La règle de la nécessaire motivation des décisions administratives s’applique à celles émises par les organismes de sécurité sociale en direction de leurs usagers29 à qui les organismes de sécurité sociale doivent faire connaître les motifs de leurs décisions individuelles30. À ce titre, il est exigé que la lettre de notification de la mise en demeure de payer31, adressée à un professionnel de santé par le directeur de l’organisme d’assurance maladie, soit suffisamment motivée32.
Mais les modalités pratiques de cette obligation posent parfois difficulté dans la mesure où les actes émis par l’URSSAF ne sont pas toujours précis ou très complets, néanmoins, la jurisprudence admet que la motivation des mises en demeure et des contraintes émises par l’URSSAF pouvait se faire de façon extrinsèque à l’acte lui-même, c’est-à-dire par renvoi à d’autres documents portés à la connaissance du cotisant.
Ainsi, ont été considérées comme valables les mises en demeure faisant état, dans un document explicatif les accompagnant, de la nature et de l’étendue des cotisations réclamées33.
Il est à nouveau admis que la contrainte qui comporte, directement ou par référence à une mise en demeure dont la régularité n’est pas contestée, la nature des cotisations et la cause du redressement, permet ainsi au redevable de connaître la nature, la cause et l’étendue de son obligation, ce qui est une confirmation de la jurisprudence antérieure34.
La charge de la preuve de la communication au cotisant de documents explicatifs, se rapportant au redressement, pèse d’abord sur l’organisme qui les a émis35. C’est donc à l’URSSAF de faire la démonstration que le cotisant a bien reçu la mise en demeure préalable qui a ensuite été suivie par la contrainte litigieuse. Le cotisant dispose, à cette occasion, alors même qu’il n’a pas contesté la mise en demeure, de la possibilité de discuter le contenu de cette dernière comme n’étant pas suffisamment porteur d’informations en sa direction36.
Dès lors, il appartient au cotisant de contester formellement la réalité des éléments portés à sa connaissance, même s’il n’a pas formellement contesté la mise en demeure dans le délai de deux mois qui a suivi sa réception.
II – Vision large de l’activité médicale
Pour les professionnels de santé, le cumul retraite/activité libérale ou autre activité est possible mais implique de déterminer les activités admises.
Cumul retraite/activité libérale. La CARMF, Caisse autonome de retraite des médecins de France, est la caisse dédiée à la prévoyance et au système de retraite des médecins, chirurgiens et radiologues libéraux. Elle fait partie de la Caisse nationale d’assurance vieillesse des professions libérales (CNAVPL), elle gère la retraite et la prévoyance des médecins au titre du régime obligatoire. Cela concerne les métiers suivants : médecin, chirurgien-dentiste, sage-femme, pharmacien, architecte, expert-comptable, vétérinaire37 exerçant l’une de ces professions ou dont la dernière activité professionnelle a consisté dans l’exercice de l’une de ces professions38. En conséquence, sont obligatoirement affiliées à la caisse39 toutes les personnes ayant une activité médicale non salariée40, ainsi que les étudiants en médecine41 qui effectuent leur remplacement. Toute personne ayant eu une activité médicale peut être affiliée à la caisse et bénéficier de ces dispositions42.
Toute personne exerçant une activité professionnelle relevant de l’Organisation autonome d’assurance vieillesse des professions libérales, ce qui comprend celles relevant de la CARMF, est tenue de verser des cotisations43 destinées à financer les prestations qu’elle verse, y compris en matière de retraite.
Des activités professionnelles sont possibles pour un professionnel de santé retraité, comme ici rappelé, mais peuvent entraîner des conséquences sur leurs cotisations si elles ont un rapport, même lointain, avec l’activité médicale dont les juges ont, eux, une vision très large.
Notes de bas de pages
-
1.
CSS, art. L. 622-5, L. 642-1, L. 645-1 – CSS, art. R. 641-1 et R. 643-2 – CSP, art. L. 4111-1, art. 2, des statuts généraux de la Caisse autonome de retraite des médecins de France.
-
2.
Cass. 2e civ., 24 mai 2017, n° 16-18372 : C. Berlaud, « Recevabilité d’une opposition à contrainte », GPL 20 juin 2017, n° GPL296m1.
-
3.
M. Borgetto, La notion de fraternité en droit public français. Le passé, le présent et l’avenir de la solidarité, 1993, LGDJ, p. 143-198, EAN : 9782275004860.
-
4.
A. Arseguel, « Actualité du recouvrement forcé des cotisations sociales », LPA 11 févr. 1994.
-
5.
P. Coursier, « Le “petit théâtre” du contentieux du recouvrement URSSAF », JCP S 2021, 1127.
-
6.
F. Taquet, « Recouvrement des cotisations de Sécurité sociale par voie de contrainte », CDRH, nos 68-69, p. 15.
-
7.
CSS, art. R. 133-3.
-
8.
CSS, art. L. 244-9.
-
9.
P. Coursier, « De la validité des contraintes émises par les URSSAF », obs. ss Cass. 2e civ., 20 juin 2013, n° 12-16379, M. X c/ Réunion des assurances maladie de La Réunion, F-PB : GPL 22 oct. 2013, n° GPL150v3.
-
10.
CSS, art. R. 133-4.
-
11.
M. Richevaux, « URSSAF : conditions et effets des délégations pour la signature d’une contrainte », LPA 22 oct. 2020, n° LPA153u4, obs. ss Cass. 2e civ., 12 mars 2020, n° 19-13045.
-
12.
C. civ., art. 1316-4.
-
13.
C. Berlaud, « Signature scannée du directeur l’organisme qui émet de la contrainte », GPL 7 juill. 2020, n° GPL381s7, obs. ss Cass. 2e civ., 28 mai 2020, n° 19-11744, Caisse interprofessionnelle de prévoyance et d’assurance vieillesse (CIPAV) c/ Mme X, F-PBI.
-
14.
D. n° 2007-703, 3 mai 2007 : JO, 5 mai 2007.
-
15.
CSS, art. R. 133-3 et s. – Cass. soc., 4 oct. 2001, n° 00-12757.
-
16.
Cass. 2e civ., 16 mars 2004, n° 02-31062.
-
17.
Cass. 2e civ., 11 juill. 2013, n° 12-18034.
-
18.
Cass. soc., 30 mars 1982, n° 80-16157.
-
19.
Cass. soc., 5 juill. 1990, n° 88-10415.
-
20.
Cass. soc., 25 janv. 1990, n° 87-11638.
-
21.
CSS, art. R. 133-3.
-
22.
Cass. 2e civ., 21 juin 2018, n° 17-16441 : JCP E 2018, 1426, note F. Taquet.
-
23.
Cass. 2e civ., 16 juin 2016, n° 15-12505 : JCP S 2016, 1352, note D. Rigaud.
-
24.
CSS, art. R. 133-3, al. 1er.
-
25.
Cass. soc., 5 mai 1995, n° 92-14389.
-
26.
Cass. soc., 6 févr. 2003, FS-P, Pion c/ URSSAF de la Marne : RJS 4/03, n° 522.
-
27.
Y. Dagorne-Labbe, « Le contenu de l’opposition à la contrainte sociale », LPA mars 2023, n° LPA202d0, obs. ss Cass. 2e civ., 22 sept. 2022, n° 21-10105, FS-B.
-
28.
P. Coursier, « De la validité des contraintes émises par les URSSAF », GPL 22 oct. 2013, n° GPL150v3, obs. ss Cass. 2e civ., 20 juin 2013, n° 12-16379, M. X c/ Réunion des assurances maladie de La Réunion, F-PB.
-
29.
H.-G. Bascou et P. Coursier, « L’obligation d’information du cotisant mise à la charge des URSSAF » : Dr. soc. 1997, p. 721.
-
30.
CSS, art. L. 115-3 – CSS, art. L. 115-3 – Rappr. L. n° 2000-350, 12 avr. 2000, relative aux relations des citoyens avec les administrations, art. 24 : JO, 13 avr. 2000.
-
31.
CSS, art. L. 133-4.
-
32.
Cass. 2e civ., 16 déc. 2011, n° 10-27051 : JCP S 2012, 1076, note T. Tauran.
-
33.
Cass. soc., 27 mai 1993, n° 90-14311 – Cass. soc., 5 déc. 1996, n° 95-10567 : Bull. civ. V, n° 428 – Cass. 2e civ., 16 nov. 2004, n° 03-30329 : D. 2004, p. 1067, note N. Fricero.
-
34.
Cass. soc., 4 oct. 2001, n° 00-12757 : TPS 2001, comm. 410 – V. cependant, Cass. 2e civ., 16 mars 2004, n° 02-31062.
-
35.
Cass. soc., 15 févr. 1989, n° 86-18354 : Bull. civ. V, n° 130.
-
36.
Cass. soc., 23 févr. 1995, n° 93-14568 : Bull. civ. V, n° 75 ; JCP E 1995, II, 700, note F. Taquet ; Dr. trav. 1995, n° 4, comm. 188, note P. Coursier – Rappr. Cass. soc., 20 oct. 1994, n° 92-12570 : JCP E 1995, II, 683, note P. Coursier – V. en dernier lieu, Cass. soc., 12 juin 1997, n° 95-17330 : RJS 1997, n° 1025 – Cass. soc., 12 juin 1997, n° 95-21012 : JCP E 1997, pan. 1162, obs. F. Taquet.
-
37.
CSS, art. L. 622-5, 1°.
-
38.
CSS, art. L. 622-5, al. 1er.
-
39.
La Caisse autonome de retraite des médecins de France.
-
40.
L., 17 janv. 1948.
-
41.
CSP, art. L. 4131-2, quatre premiers alinéas.
-
42.
Statuts CARMF, art. 2.
-
43.
CSS, art. L. 642-1.
Référence : AJU016q8
