Une QPC confirme l’interdiction de recevoir des libéralités pour les professionnels de santé

Publié le 26/10/2022
Santé, médecins
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Dans sa QPC du 29 juillet 2022, le Conseil constitutionnel déclare conforme à la Constitution l’interdiction de recevoir des libéralités pour les professionnels de santé de la part de patients qu’ils ont soignés de la maladie dont ils meurent, libéralités consenties pendant cette maladie.

Pour la première fois, le Conseil constitutionnel s’est penché sur la constitutionnalité de l’article 909, alinéa 1er du Code civil, qui consacre l’interdiction de recevoir des libéralités pour les membres des professions de santé (Cons. const.,  29 juillet 2022, n° 2022-1005 QPC).

L’interdiction prévue par l’article 909, al. 1 du Code civil

Le principe de l’interdiction est ancien puisqu’il figure dans le Code civil de 1804. Dans sa version incriminée, issue de l’article 9 de la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs, en vigueur depuis le 1er janvier 2009, l’article 909, alinéa 1er du Code civil dispose que : « Les membres des professions médicales et de la pharmacie, ainsi que les auxiliaires médicaux qui ont prodigué des soins à une personne pendant la maladie dont elle meurt ne peuvent profiter des dispositions entre vifs ou testamentaires qu’elle aurait faites en leur faveur pendant le cours de celle-ci ». Autrement dit, un malade pris en charge par un professionnel de santé ne peut consentir au profit de ce dernier, ni de don, de donation ou de legs au cours de ses soins et dès lors qu’il décède des suites de sa maladie.

Dans l’affaire qui a donné lieu à la question prioritaire de constitutionnalité (QPC), Madame J est décédée le 13 avril 2014, en laissant pour lui succéder son frère, en l’état d’un testament olographe daté du 5 octobre 2012 et instituant Madame G, infirmière libérale, légataire de divers biens mobiliers et immobiliers.

Celle-ci a assigné en délivrance de son legs l’héritier de la défunte qui a contesté la capacité de celle-ci de recevoir sur le fondement de l’article 909 du Code civil. Devant la cour d’appel de Paris, saisie sur renvoi après cassation, l’infirmière légataire a posé une QPC. La QPC transmise par la Cour de cassation (Cass. 1re civ., 24 mai 2022, n° 22-40005) est la suivante : « Les dispositions de l’article 909, alinéa 1er du Code civil, qui interdisent à une personne de gratifier les auxiliaires médicaux qui lui ont procuré des soins au cours de sa dernière maladie, sont-elles contraires aux articles 2, 4, 17 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen en ce qu’elles portent atteinte au droit de disposer librement de ses biens en dehors de tout constat d’inaptitude du disposant ? ».

La situation de vulnérabilité du donateur crée un risque de captation

Dans un premier temps, le Conseil constitutionnel admet que les dispositions contestées interdisent aux membres de certaines professions de santé de recevoir des libéralités de la part des personnes auxquelles ils ont prodigué des soins au cours de la maladie dont elles sont décédées. Ce faisant, elles limitent la capacité des personnes atteintes d’une telle maladie à disposer librement de leur patrimoine. Or « le droit de disposer librement de son patrimoine étant un attribut du droit de propriété, les dispositions contestées portent atteinte à ce droit ».

Toutefois, le Conseil justifie l’atteinte au droit de propriété par le législateur. « En adoptant ces dispositions, le législateur a entendu assurer la protection de personnes dont il a estimé que, compte tenu de leur état de santé, elles étaient placées dans une situation de particulière vulnérabilité vis-à-vis du risque de captation d’une partie de leurs biens par ceux qui leur prodiguaient des soins. Il a ainsi poursuivi un but d’intérêt général ».

Seules sont visées les libéralités consenties au cours de la maladie dont le donateur meurt

En outre, le Conseil constitutionnel constate que cette interdiction est strictement limitée. D’une part, elle ne vaut que pour les libéralités consenties pendant le cours de la maladie et dont le donateur ou le testateur meurt. D’autre part, l’interdiction ne vise que les membres des professions médicales, de la pharmacie ainsi que les auxiliaires médicaux (visés par le Code de la santé publique) et, ce « à la condition qu’ils aient dispensé des soins en lien avec la maladie dont est décédé le patient ».

Ainsi, « eu égard à la nature de la relation entre un professionnel de santé et son patient atteint d’une maladie dont il va décéder, l’interdiction est bien fondée sur la situation de vulnérabilité dans laquelle se trouve le donateur ou le testateur à l’égard de celui qui lui prodigue des soins ». Il en conclut que l’atteinte au droit de propriété est justifiée par un objectif d’intérêt général de protection des patients et proportionnée par rapport à cet objectif.

L’interdiction allégée pour les aides à domiciles

Le sens de cette décision est peu évident si on la compare à la décision rendue par les Sages en 2021 au sujet de l’interdiction équivalente faites aux auxiliaires de vie. Dans sa décision du 12 mars 2021 (Cons. const., 12 mars 2021, n° 2020-888 QPC), le Conseil constitutionnel s’était prononcé sur les incapacités spéciales de recevoir des libéralités. En 2021, il avait (partiellement) invalidé l’article L. 116-4 du Code de l’action sociale et des familles qui interdisait à une personne bénéficiant d’une aide à domicile de gratifier ceux qui lui apportent, contre rémunération, des services à la personne à domicile.

Le Conseil avait reconnu que la loi portait atteinte au droit de propriété, atteinte justifiée par un objectif d’intérêt général, à savoir assurer la protection de personnes dont le législateur a estimé que, compte tenu de leur état et dans la mesure où elles doivent recevoir une assistance pour favoriser leur maintien à domicile, elles étaient placées dans une situation particulière de vulnérabilité vis-à-vis du risque de captation d’une partie de leurs biens par ceux qui leur apportaient cette assistance.

Toutefois, il avait déclaré ces dispositions inconstitutionnelles pour deux motifs. Tout d’abord, il ne pouvait se déduire du seul fait que les personnes auxquelles une assistance est apportée sont âgées, handicapées ou dans une autre situation nécessitant cette assistance pour favoriser leur maintien à domicile que leur capacité à consentir était altérée. En outre, les services à la personne définis au 2° de l’article L. 7231-1 du Code du travail recouvrent une multitude de tâches susceptibles d’être mises en œuvre selon des durées ou des fréquences variables. Le seul fait que ces tâches soient accomplies au domicile des intéressées et qu’elles contribuent à leur maintien à domicile ne suffit pas à caractériser, dans tous les cas, une situation de vulnérabilité des personnes assistées à l’égard de ceux qui leur apportent cette assistance.

Ensuite, l’interdiction s’appliquait même dans le cas où pouvait être apportée la preuve de l’absence de vulnérabilité ou de dépendance du donateur à l’égard de la personne qui l’assiste.

Deux régimes d’interdiction

De ces deux décisions, il est possible d’en conclure deux régimes d’interdictions aux contours variables. Aujourd’hui, il convient de distinguer la situation de l’auxiliaire de vie de celle de l’auxiliaire de santé.

L’interdiction est totale pour les membres des professions médicales, de la pharmacie et auxiliaires médicaux, lorsque la libéralité est consentie pendant la maladie et que le donateur, soigné pour cette maladie par le professionnel de santé, décède de cette maladie (article 909, alinéa 1er du Code civil). L’interdiction est la même à l’égard des personnes physiques propriétaires, gestionnaires, administrateurs ou employés des établissements médico-sociaux et pour les bénévoles ou volontaires qui agissent en leur sein ou y exercent une responsabilité (article L. 116-4 du Code de l’action sociale et des familles).

En revanche, pour les personnes morales, sociétés et associations notamment, exploitant des établissements de santé, sociaux ou médico-sociaux, il est possible de recevoir des libéralités entre vifs ou par voie testamentaire de personnes hébergées sous condition d’autorisation du représentant de l’État dans le département (préfet) comme le prévoit l’article 910, I du Code civil.

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